Chapitre 11. Un éclair dans les ténèbres

Le mois d'octobre avait cédé le pas à un mois de novembre glacial. Tout était gris : le ciel, les façades des immeubles, les flaques d'eau qui constellaient les trottoirs, même les visages des passants semblaient taillés dans du plomb. La mince toile de lumière tissée par la lune était insuffisante à éclairer le théâtre d'ombres qu'était devenue la capitale, si bien que lorsque Harry sortit du Ministère de la magie, il voyait à peine ses propres pieds.

Il plissa les yeux pour déchiffrer l'adresse que lui avait donnée Drago. Il s'agissait de l'adresse d'un établissement moldu, nommé « Le Sortilège ». Il n'avait aucune idée de ce dont il s'agissait, mais Drago lui avait demandé de l'y rejoindre à la fin de sa journée de formation. « J'ai quelque chose à te dire » lui avait-il dit, et son air grave avait intrigué Harry.

L'établissement était niché dans une ruelle paisible de Londres. La bâtisse était élégante, propre et lumineuse, et ses vitres étaient dissimulées par d'épais rideaux de velours violet sombre. Harry, curieux, poussa précautionneusement la porte, vérifiant discrètement que sa baguette était toujours dans sa poche. Il fut accueilli par un moldu en tenue de serveur, dont les moustaches remontaient en direction de chacune de ses oreilles comme des virgules géantes. Jetant un regard à la ronde, Harry vit qu'il se trouvait dans un restaurant. De petites tables éclairées aux chandelles étaient disposées en enfilade. L'ambiance était douce, bercée par du violoncelle. Douce et… Romantique.

Pourquoi diable Drago lui avait-il donné rendez-vous ici ? Avait-il reçu un coup de gourdin sur la tête ?

-Bonjour Monsieur. Vous avez un rendez-vous ? s'enquit le serveur en lissant l'une de ses moustaches, avec une nonchalance qui trahissait son plaisir à accomplir un tel geste.

-Oui, euh… avec Drago Malefoy.

L'homme eut un sourire étrange et le conduisit à une table isolée, où l'attendait déjà Drago. Harry fut soulagé en constatant qu'il portait ses habituels vêtements moldus - t-shirt et jean sombres - et pas un costume, comme la plupart des hommes attablés dans le restaurant.

-Salut, Potter, lui dit-il, plongé dans la carte du restaurant.

-Salut.

Il s'assit face à lui. La table était étroite, leur intimant une certaine proximité. Leurs genoux se touchaient presque, mais cela n'avait rien de désagréable que cela… au contraire. Harry avait appris à apprécier la compagnie de Drago, ainsi que la surprenante chaleur que dégageait sa peau pâle.

-Tu m'expliques ce qu'on fait ici ? demanda-t-il en jetant des regards tout autour de lui. Je croyais que tu ne voulais pas que les gens se fassent de fausses idées sur nous.

Drago haussa les sourcils.

-Pourquoi se feraient-ils se fausses idées sur nous ?

-Bah… tu es bien en train de m'inviter à dîner aux chandelles, non ? Je crois que je ne suis jamais allé dans un endroit pareil, même avec Ginny… elle n'était pas fan de ce genre d'endroit.

Une interrogation sincère se peignit sur le visage de Drago.

-Qu'est-ce que ça peut faire, qu'il y ait des chandelles sur la table ? s'étonna-t-il.

Harry pencha la tête, intrigué.

-Tu… tu ne t'es pas demandé pourquoi il n'y avait que des couples autour de nous ?

Drago plissa les yeux.

-Qu'est-ce que tu me racontes, Potter ? J'ai choisi ce restaurant à cause de son nom. Et parce que c'était le seul qui s'éclairait aux bougies, et pas à l'élec-machin-cité. Pourquoi est-ce qu'il serait réservé aux couples ?

Harry ne put réprimer un éclat de rire face à l'air penaud de Drago.

-Les Moldus qui dînent aux chandelles le font de façon… romantique, expliqua-t-il. C'est une façon de se dire qu'ils se plaisent. C'est aussi un moyen de se demander en mariage. Tu comprends que nous deux, attablés ici, ça peut prêter à confusion…

Drago pâlit légèrement.

-Mais ce n'est pas grave, ajouta Harry, craignant soudainement qu'il ne prenne les jambes à son cou avant d'avoir pu lui révéler les raisons de cet étrange rendez-vous. Je sais que tu ne comptes pas me demander en mariage. De toute façon, personne ne fait attention à nous, les Moldus ne nous connaissent pas. Qu'est-ce que tu voulais me dire ?

Avant que Drago n'ait pu répondre, un serveur se matérialisa à leurs côtés pour prendre leur commande. Au moment de s'esquiver, il adressa un clin d'oeil à Drago, qui manqua de s'étouffer dans son verre d'eau.

-Détends-toi, lui conseilla Harry en se penchant pour lui tapoter le dos. Maintenant qu'on est là, autant profiter du cadre et de la nourriture, non ?

Drago hocha la tête. Voyant qu'il était toujours gêné, Harry décida de lancer la conversation sur un sujet neutre, afin de détendre l'atmosphère. Le Quidditch ferait l'affaire - c'était un sujet universellement reconnu pour faire réagir les sorciers, même si Hermione aurait soupiré d'ennui si elle s'était cachée sous leur table pour les espionner (ce qui, Merlin merci, n'était pas le cas).

Drago y fut réceptif et ils passèrent un long moment à décortiquer le sujet. A la surprise de Harry, Drago lui demanda ensuite s'il avait récemment eu des nouvelles d'Hermione (quand on parlait du dragon… !). Harry se contenta de lui répondre qu'elle allait bien ; cela faisait quelques temps qu'elle ne lui avait pas écrit, mais il ne lui en tenait pas rigueur. Lui non plus n'avait pas spécialement cherché à la joindre. Il repoussait au maximum le moment où il devrait se confronter à son expression triomphante, lorsqu'elle comprendrait que son plan machiavélique de colocation était plutôt une réussite (voire une très grosse réussite).

Au fur et à mesure que leurs assiettes et leurs verres se vidaient, la conversation se faisait plus naturelle, plus agréable. Leurs genoux se frôlèrent plusieurs fois et ils détournèrent les yeux. Harry réalisa que quelque chose avait définitivement changé entre eux. Drago semblait moins méfiant, moins froid ; même ses joues avaient pris des couleurs, se parant de délicates nuances de roses… Et lui-même se sentait plus détendu, plus ouvert qu'auparavant. Lorsqu'il était avec Drago, il ne se sentait plus épié, menacé, jugé. Il se sentait seulement lui-même, et c'était un luxe auquel il ne voulait pas renoncer de sitôt.

A la fin du repas, il réalisa qu'il ne savait toujours pas pourquoi Drago l'avait invité au « Sortilège ». Il s'essuya les mains sur sa serviette et redemanda, intrigué :

-Alors, quelle est la grande nouvelle que tu dois m'annoncer ?

Drago haussa les sourcils.

-Comment ça ?

-Tu ne m'as pas emmené ici uniquement pour dîner, si ? insista Harry.

Un léger sourire moqueur zébra le visage de l'ancien Serpentard.

-Peut-être que j'en avais juste marre de ta nourriture, Potter.

Harry leva les yeux au ciel.

-Si c'était vraiment le cas, tu ne m'aurais pas proposé de t'accompagner ici. Tu as quelque chose à me dire, n'est-ce pas ? Si c'est pour la télévision cassée, je l'ai réparée, si ça te rassu-

-J'ai trouvé un travail.

Stupéfait, Harry ouvrit la bouche, sans avoir aucune idée de la façon dont il était censé réagir. Drago avait l'air sérieux ; ses yeux gris brillaient farouchement sous la lumière des chandelles.

-Qu-quoi ? parvint enfin à articuler Harry. Mais… quel travail ? Où ça ? Avec quelqu'un que je connais ?

-Non. C'est… c'est dans un bar. Un bar moldu.

Harry écarquilla les yeux, déconcerté. Drago Malefoy ? Dans un bar moldu ? Autant imaginer Ron travailler dans l'entreprise de perceuses de son oncle, ou Hermione rejoindre un groupuscule en faveur de l'asservissement des elfes de maison… C'était insensé, comme l'aurait élégamment dit Fleur (Delacour) Weasley !

Drago ajouta, ignorant la stupeur qui figeait les traits de son interlocuteur :

-Je ne connais pas encore toutes les recettes des cocktails, alors ils m'en ont montré quelques-uns à reproduire. Ils m'ont dit qu'ils n'avaient jamais vu quelqu'un apprendre aussi facilement à les doser, ni les réaliser aussi rapidement, sans rien renverser à côté. Ce n'est pas si différent des potions. Je n'aurais qu'à apprendre les recettes, je ne suis pas seul novice qu'ils prennent.

-Oh… euh, wow, fit Harry, qui ne savait pas quoi dire d'autre. Tu… tu vas travailler dans un bar… moldu ? C'est… surprenant.

Face à lui, un sourcil blond se haussa, formant un accent circonflexe très circonspect.

-Mais c'est une très bonne chose ! ajouta-t-il en essayant d'avoir l'air enthousiaste. Une très… très bonne chose !

Le visage de Drago s'allongea dangereusement. Harry comprit qu'il venait de commettre une erreur, et il s'empressa d'ajouter en rougissant :

-Je t'assure, c'est vraiment bien ! Je… je ne m'y attendais pas, mais, euh. Wow !

-Tu es déçu, énonça Drago d'une voix dénuée de sentiment.

Ce n'était pas une question.

-Quoi ? Mais non, pas du tout ! C'est… c'est vraiment bien que tu aies trouvé un travail !

-J'ai appris à reconnaître quand tu mens, Harry, alors garde tes bobards pour toi.

Harry voulut protester, mais le regard de Drago l'en dissuada. Toute chaleur avait quitté le visage de l'ancien Serpentard et un mince rictus déformait le bas de son visage.

-Tu t'attendais à quoi, que je décroche un poste au Ministère de la magie ? Au Bureau des Aurors, peut-être ?

Il laissa échapper un rire sec, dépourvu de joie.

-Ce poste est le seul que j'ai réussi à avoir. Alors oui, ce n'est pas aussi incroyable qu'être un élève-Auror futur chasseur de mages noirs de renom, mais c'est MON travail. Je vais être serveur dans ce foutu bar moldu, que ça te plaise ou non. Désolé de n'être pas assez bien pour toi, ajouta-il avec raideur en repoussant son assiette vide. Pas besoin de demander l'addition, le repas est déjà payé, j'avais reçu une avance sur mon salaire. A plus tard, Potter.

Sans lui laisser le temps de réagir, il se redressa, enfila son manteau et sortit de l'établissement, en prenant soin de claquer la porte derrière lui - ce qui lui attira une moue agacée du serveur aux moustaches-virgules.

Toujours assis à sa place, Harry cligna des yeux, éberlué. Pourquoi diable Drago avait-il réagi ainsi ? Il n'avait pas critiqué son choix de métier, il avait seulement manifesté sa surprise d'une façon un peu crispée, mais il ne s'était pas moqué de lui, il ne l'avait pas insulté, il n'avait pas remis en doute ses compétences… Il lui fallut plusieurs minutes d'intense réflexion pour comprendre que Drago n'était pas en colère contre lui : il avait honte. Il avait pris son courage à deux mains pour l'inviter dans ce restaurant luxueux et lui montrer qu'il avait été capable de décrocher un travail sans son aide, et tout ce qu'il avait trouvé à faire avait été de le fixer avec des yeux de poisson qu'on venait de sortir des flots, avec tout le scepticisme dont il était capable…

Maudissant sa difficulté à comprendre les sentiments des autres - les yeux d'Hermione auraient roulé hors de leurs orbites si elle avait assisté à la scène ! - Harry se releva à son tour, ignorant les regards curieux des autres clients, et se précipita à la suite de Malefoy hors du restaurant.

Il ne tarda pas à le repérer : le jeune homme s'enfonçait à grandes foulées dans une artère adjacente à celle où se trouvait le restaurant, les mains enfoncées dans ses poches. Ses cheveux blonds contrastaient avec la pénombre ambiante.

-Drago, Drago ! appela Harry en accélérant le pas. Attends-moi !

Drago fit mine de ne pas l'avoir entendu et continua sa route, mais Harry était plus rapide que lui. Il se glissa à ses côtés et lui attrapa le bras pour le forcer à s'arrêter. Drago cessa de marcher, mais refusa de le regarder.

-Je… je suis désolé. Je n'aurais pas dû réagir comme ça. Je ne voulais pas te blesser. J'ai été stupide… J'aurais dû… j'aurais dû être sincèrement heureux pour toi et te féliciter. Tu le mérites, Drago.

Drago ne répondit pas. Harry s'efforça d'ancrer son regard dans le sien.

-C'est… c'est vraiment formidable que tu aies décroché ce poste, d'accord ? insista-t-il, et il fut soulagé de constater que des accents de sincérité vibraient dans sa voix. C'est une excellente chose. Tu vas pouvoir sortir un peu, découvrir le monde moldu de l'intérieur, te faire des relations qui ne te jugeront pas sur ton nom ou tes anciens amis… et ça rabattra le caquet de tous ceux qui disent que tu refuses de te mêler aux Moldus. Et si tu veux, je t'apprendrai les noms et les recettes des cocktails les plus répandus, j'en connais pas mal. Ça pourrait t'être utile. On pourrait les tester chez m… chez nous.

-… Ouais, ok. Pourquoi pas, marmonna Drago.

-Et… et je n'ai jamais pensé que tu n'étais pas assez bien pour moi, ajouta Harry plus bas.

La bouche de Drago frémit, comme si un sourire cherchait à se frayer un passage jusqu'à ses lèvres. Son regard, jusqu'à là fuyant, se fixa à celui de Harry.

-Tu le pensais, lorsque tu avais onze ans.

-Peut-être, admit Harry en esquissant un sourire. Mais nous n'avons plus onze ans. Les choses ont changé.

-Vraiment ?

-Bien sûr ! Qui aurait pu croire qu'un jour, on passerait un aussi bon moment en tête à tête au restaurant ? plaisanta Harry, soulagé de constater que les choses allaient de nouveau bien entre Drago et lui.

Son colocataire haussa les épaules, mais ses lèvres continuaient de tressaillir, lui offrant un demi-sourire de travers.

-C'est vrai que ce n'était pas si nul que ça, Potter.

-Avoue, tu as aimé !

-Tu m'en demandes trop, là.

Harry rit, et à sa grande surprise, un véritable sourire s'épanouit sur le visage de Drago. Il se demanda de quoi ils avaient l'air, face à face dans cette ruelle déserte, drapés d'ombres qui ne parvenaient pas à dissimuler la gêne teintée d'amusement et de soulagement qui se dessinait sur leurs visages. Probablement de deux parfaits idiots.

-On… on rentre ? proposa-t-il après plusieurs secondes de silence.

Drago hocha la tête.

OOO

Les choses auraient pu être pire, songea Drago.

D'accord, Potter n'avait pas réagi de la meilleure manière, mais qu'espérait-il ? Qu'il sorte le champagne et les cotillons ? Potter était entouré de sorciers brillants, il en côtoyait toute la journée, ses meilleurs amis et son ex-copine faisaient même la Une des journaux ! Qu'était-il, à côté d'eux ? Rien d'autre que Drago Malefoy, un ancien Mangemort contraint de servir des cocktails aux Moldus pour subsister…

Alors qu'ils marchaient côte à côte pour sortir de la ruelle dans laquelle ils s'étaient réfugiés, Drago regretta soudainement d'avoir postulé à ce stupide travail. Peut-être était-il encore temps de démissionner et d'accepter que Potter lui offre son aide pour décrocher un emploi dans le monde sorcier… Non, non, il ne pouvait pas faire ça. Il fallait qu'il aille jusqu'au bout.

Drago n'était pas le seul à être plongé dans ses pensées : Harry avait également l'air songeur. Silencieux, le regard vague, il ne faisait pas attention à leur trajet, s'en remettant uniquement à l'écho de leurs pas. Sinon, il les aurait probablement vus - et entendus - arriver.

Ils les surprirent à la sortie de la ruelle, leur tombant dessus comme des hyènes sur deux lionceaux inconscients.

-Alors, on fait une promenade en amoureux ?

Harry et lui redressèrent le visage.

Ils étaient trois, vêtus de noir, leur offrant des sourires de guingois. L'un d'eux jouait négligemment avec un long artefact en bois, dont l'extrémité scintillait dans la pénombre. Une baguette, comprit Drago avec stupéfaction. Ces hommes étaient des sorciers. Et ils n'étaient visiblement pas animés des meilleures intentions à leur égard.

Il posa aussitôt la main sur le bras de Harry avant que celui-ci n'ait eu le temps de dégainer sa propre baguette.

-Qu'est-ce que vous voulez ? demanda-t-il calmement, en les observant tour à tour.

Ils devaient avoir le même âge qu'eux. Celui qui faisait rouler une baguette magique entre ses doigts - probablement leur chef - s'avança d'un air mi-amusé, mi-menaçant.

-On vous a vus, de loin. Au début, on vous a pris pour des Moldus, mais toi…

Il désigna Drago.

-… Tu ressembles drôlement à ce Mangemort… celui qui était dans les journaux.

-Ouais, approuva l'un de ses sbires. T'es le portrait craché de ce sale fils de troll qui s'amusait à torturer des enfants de Moldus pour satisfaire ses instincts pervers…

-On pouvait pas laisser passer ça.

Il leva sa baguette.

-L'un de nos potes a été capturé par des Mangemorts. Il avait osé affirmer qu'il n'avait pas peur de Vous-savez-qui alors qu'il était dans un bar rempli de sorciers. On ne l'a jamais revu.

-Alors toi…

Cette fois-ci, il désigna Harry.

-… Tu ferais mieux de déguerpir et de nous laisser en tête à tête avec ton petit copain. On a deux ou trois choses à régler avec lui.

-Dans vos… commença Harry en dégageant son bras de l'emprise de Drago pour plonger la main dans sa poche, mais Drago se plaça immédiatement devant lui pour faire écran entre sa baguette et leurs assaillants.

Il n'était pas question de laisser Harry attaquer ces crétins. Il l'avait déjà vu utiliser sa baguette, il savait que ces gamins n'avaient aucune chance face à lui. Et il n'avait vraiment pas envie de voir le résultat d'un tel affrontement.

Drago était habitué aux insultes, à la haine. Ces hommes ne lui faisaient pas peur. Il avait appris à verrouiller son coeur, à passer outre les provocations lorsqu'elles venaient de parfaits inconnus (ce qui n'était pas le cas lorsqu'elles venaient d'anciennes connaissances, comme Pansy ; néanmoins, ces hommes n'avaient rien à voir avec son ancienne amie). Ils ne le connaissaient pas, ils ne savaient rien de lui, et leurs opinions lui passaient au-dessus de la tête.

Mais il connaissait suffisamment Harry pour savoir qu'il ne raisonnait pas ainsi.

-Drago, pousse-toi, que je m'occupe d'eux, ordonna la voix de Harry dans son dos, mais Drago ne bougea pas d'un pouce.

-Comme c'est mignon, il défend son petit copain ! ricana leur agresseur. Mais vois-tu, nous sommes en majorité numérique, alors tu ferais mieux de nous laisser ton Drago et de prendre tes jambes à ton cou, avant qu'on ne pense que toi aussi, tu as trempé dans de sales histoires de Mangemorts…

-Est-ce que vous savez au moins à qui vous parlez ? s'étonna Drago, incapable de prendre les menaces du sorcier au sérieux.

-Quoi ? Son père est quelqu'un d'important ? Un proche du ministre, peut-être ? se moqua leur agresseur. Tu crois que ça me fait peur ? Il peut lécher les bottes de qui il veut, même de Harry Potter en personne, ça ne changera rien !

Soudainement, il exécuta un mouvement du poignet et Drago trébucha.

Les choses se déroulèrent à une telle rapidité que Drago ne comprit pas ce qu'il se passait. Alors que l'un de leurs assaillants l'attrapait par les bras pour le maintenir d'une poigne de fer, Harry s'écria, d'une voix tremblante de colère :

-Ne le TOUCHEZ PAS ! EXPELLIARMUS !

Le sortilège zébra la nuit d'un éclair silencieux. Celui-ci frappa de plein fouet l'un des assaillants, l'envoyant valdinguer contre un mur. Il s'effondra sur le bitume, sonné, et sa baguette bondit dans la main de Harry.

L'homme qui tenait Drago dirigea aussitôt sa baguette avec Harry, mais l'autre sorcier - plus malin - enfonça la pointe de sa propre baguette contre la joue de Drago.

-Encore un geste, et même sa propre mère ne reconnaîtra plus ton copain. Tu m'as compris ?

-Laissez-le tranquille !

-Tu m'as compris ?

Drago sentit une douleur aiguë mordre sa peau, là où se trouvait la baguette magique.

Nom d'un troll. C'était donc ainsi que sa soirée en tête à tête avec Harry allait se terminer ? Les choses étaient si imprévues, si stupides, que Drago ne put s'en empêcher : il éclata de rire.

-Ça t'amuse ? grogna le sorcier qui le retenait, et la baguette s'enfonça un peu plus contre sa joue meurtrie.

-Alors, Potter, c'est comme ça que tu imaginais terminer notre soirée ? répondit Drago en se tournant vers son colocataire.

Les sorciers échangèrent un regard interloqué. Il faisait trop sombre pour déchiffrer leurs expressions, mais Drago se fit un malin plaisir à imaginer la panique éclore sur leurs traits.

-Potter ? Tu essaies de me faire croire que… que ce garçon est Harry Potter ?

-Tu n'as qu'à lui demander.

Harry, lui, ne disait rien. Il était d'une pâleur de craie, les yeux rivés sur l'homme qui tenait Drago. A cet instant, un rayon de lune parvint à se faufiler jusqu'à eux et une lumière blafarde se répandit sur le visage de Harry. Il était impossible d'ignorer sa cicatrice, à peine dissimulée par les quelques mèches noires en pagaille qui effleuraient son front.

-Oh, merde, c'est vraiment Harry Potter !

-Avec un Mangemort ?

-Mais…

-Si vous ne dégagez pas dans cinq secondes, je vous fais arrêter et jeter à Azkaban, menaça Harry, et même s'il bluffait, Drago sentit un frisson le parcourir face à la férocité qui émanait du sorcier.

La morsure de la baguette quitta son visage, et l'instant d'après, Drago se retrouva à quatre pattes dans la rue, le souffle coupé. Il entendit les pas des sorciers s'éloigner dans la nuit, mais il fut incapable de comprendre ce qu'ils se disaient. Il eut brusquement du mal à respirer, l'air était glacé dans ses poumons… toutes les émotions qu'il s'était efforcé de repousser, alors qu'il était menacé par leurs assaillants, se précipitaient dans sa cage thoracique…

-Drago, Drago, tu vas bien ? Drago ?

Harry s'était agenouillé à ses côtés. Il était toujours aussi pâle, mais ses yeux étaient plus vifs, plus alertes que jamais.

-Drago ?

-Je… je vais bien, souffla Drago.

-Ta joue…

-Ce n'est rien. Juste une égratignure, marmonna le jeune homme en passant les doigts sur son visage.

Lorsqu'il les écarta, il constata qu'ils étaient maculés de sang noir.

-Je suis désolé, balbutia Harry. Je n'aurais jamais dû les laisser t'attraper. Je…

-C'est bon, Harry. J'ai l'habitude. Laisse tomber.

-J'aurais dû être plus rapide, j'aurais dû les voir arriver, je ne sais pas ce qu'il s'est passé…

-Ce n'est rien. Vraiment.

Il esquissa un sourire dépourvu de joie.

-Après tout, je l'ai bien mérité.

-Quoi ? Bien sûr que non, ne dis pas ça ! Je t'interdis de dire ça !

Drago soupira. Il n'avait pas envie de discuter, ni de se battre avec Harry. Alors à la place, il se contenta de baisser les yeux et de murmurer, posant sa main sur celle de son colocataire :

-Rentrons, s'il te plaît. Rentrons à la maison.

OOO

Le coton imbibé d'alcool brûla sa peau. Drago retint une grimace. Harry eut un froncement de sourcils.

-Tu es sûr que tu ne veux pas que j'utilise de la magie ?

-Oui. Plus de magie pour ce soir, Potter.

Ils tenaient à peine dans la minuscule salle de bains de leur appartement. Drago s'était appuyé contre le lavabo ; face à lui, Harry nettoyait minutieusement sa blessure, si près de lui qu'il pouvait compter chacun de ses cils. Les commissures des lèvres de Drago esquissèrent un rictus amusé.

-Je vais avoir une cicatrice, moi aussi ?

-Je ne crois pas, répondit distraitement Harry. La plaie n'est pas assez profonde.

-Dommage. Moi aussi, j'aurais aimé que tout le monde tombe en pâmoison devant moi pour une balafre sur le visage.

-Tu sais que je peux mettre encore plus d'alcool sur ta plaie, si tu ne tais pas ?

-Tu n'oseras pas me faire souffrir.

-Qu'est-ce que tu en sais ?

-Ton petit numéro face à ces idiots m'en a convaincu.

Harry haussa les épaules.

-Je ne pouvais pas les laisser te faire du mal.

-Tu aurais pu. Ça n'aurait pas été une très grande perte.

Harry pinça ses lèvres.

-Arrête avec ça, Drago.

-Tu sais que j'ai raison, insista Drago. Ils ne m'ont pas attaqué pour rien. Je ne suis qu'un ancien Mangemort… un rebut de la société, même pas capable de trouver un travail parmi les sorciers.

-Il n'y aucune honte à travailler avec des Moldus.

-Ce n'était pas ce que tu disais, tout à l'heure.

-J'ai été stupide.

-Pour changer…

-Tu n'as aucune honte à avoir, répéta Harry.

Il posa sa main libre sur l'autre joue de Drago - celle qui n'avait pas été blessée, et qui dégageait une douce chaleur sous ses doigts.

-Au lieu de répéter que tu ne vaux rien, tu devrais plutôt être fier de toi.

-Je ne vois pas pourquoi…

-Tu es l'un des sorciers les plus courageux que je connaisse, Drago.

Les yeux de Drago s'agrandirent, troublant l'onde argentée de ses prunelles. A la façon dont il retroussa les lèvres, Harry comprit qu'il ne le croyait pas, mais qu'il n'avait pas la force de le contredire.

Drago dégageait une telle solitude, une telle détresse muette, que Harry éprouva soudainement le désir de fondre contre lui et de partager avec lui la chaleur qui bouillonnait sous sa peau et martelait son coeur. Or, Harry n'avait jamais été quelqu'un de particulièrement réfléchi. Il préférait se laisser guider par ses sentiments, privilégiant la spontanéité aux innombrables questionnements existentiel et labyrinthiques - après tout, il était un lion, pas une souris de laboratoire. Alors emporté par le tourbillon de ses sentiments, il se pencha vers le visage de Drago, le coeur battant si fort qu'il en était assourdissant, et se laissa envoûter par son regard fuligineux.

-Si tu comptes faire ce à quoi je pense, Harry, tu devrais…

Mais Harry n'avait jamais écouté les conseils de Drago Malefoy, et il ne comptait pas commencer ce soir. Alors sans attendre la fin de sa phrase, il emprisonna son visage entre ses mains et écrasa ses lèvres contre les siennes.