Bonjour à tous ! Je m'excuse pour le retard de ce chapitre, il y a des périodes où l'écriture se fait plus compliquée ^^'

Mais je reviens avec un nouveau chapitre que j'ai beaucoup aimé écrire, en espérant qu'il vous plaira ! J'ai enfin pu introduire un personnage qui devrait revenir par la suite et que j'aime beaucoup, héhé !

J'ai aussi commencé une correction de toute la fic, depuis le chapitre 1, pour chasser toutes les fautes et coquilles glissées ça et là, alléger quelques phrases, refaire quelques tournures... Aucun changement drastique, juste une petite mise en forme (et suppressions de deux ou trois détails inutiles, qui ne seront pas exploités par la suite). Pour le reste, l'histoire est scénarisée jusqu'à ce que doit être sa fin, donc elle devrait en avoir une ! :) Il se peut que le rating passe au M au chapitre suivant, à voir si des scènes un peu explicites tranchent avec le ton général ou pas.

Bonne lecture !

CHAPITRE 12. S'apprivoiser

-Hé, le nouveau, fais gaffe !

Une main percuta la sienne, l'empêchant de verser davantage de rhum dans le verre déjà rempli de menthe pilée, de sirop de sucre, d'eau gazeuse et de glaçons. Drago foudroya sa collègue du regard. Elle lui répondit par une grimace peu flatteuse.

Le bar dans lequel il avait été embauché était en effervescence. Les Moldus se pressaient au comptoir, s'adressant à lui comme s'il était leur elfe de maison pour lui commander une bière, une vodka ou un mojito. Il devait se retenir pour ne pas leur rétorquer de se servir eux-mêmes ou ne pas enfoncer une ombrelle en papier entre leurs yeux. Comment faisaient les autres serveurs pour ne pas devenir fous ?

Rose-Mai, sa collègue la plus proche, dont les cheveux tressés étaient teints en turquoise - quel mauvais goût - préparait les boissons des clients avec l'efficacité d'une abeille, si bien que les bouteilles semblaient léviter entre ses mains expertes. Elle le surveillait du coin de l'oeil et n'hésitait pas à le corriger lorsqu'il faisait une erreur, sans jamais cesser de lui montrer les dents - ou plutôt les crocs.

-Il ne faut pas mettre trop d'alcool dans leurs boissons, sinon ils n'en recommanderont pas, lui dit-elle sèchement en lui arrachant son rhum dans mes mains. C'est mauvais pour les affaires.

-Ils n'ont pas besoin d'en recommander, rétorqua Drago sur le même ton. Regarde ce Mol… cet homme, là-bas. Il est tellement torché qu'il est sur le point de tomber de son siège. S'il s'effondre, ne compte pas sur moi pour le ramasser.

Rose-Mai se tourna vers l'homme sans exprimer la moindre surprise.

-Oh, oui, le vieux Robert. C'est un habitué du coin, il finit toujours dans de drôles d'état. Lorsqu'il ne parvient plus à se souvenir de son propre nom, il faut lui retirer ses clés de voiture et lui appeler un taxi, c'est plus prudent.

-Ok, je m'en occu-

-Occupe-toi plutôt de servir le mojito que tu as préparé avant que tous les glaçons aient fondus, et de prendre la commande du Monsieur, là-bas. Ça fait un quart d'heure qu'il attend.

Drago leva les yeux au ciel. Il n'aimait pas l'idée d'obéir à cette Moldue aux cheveux criards, mais il n'avait pas le choix. D'une part, elle était la manager de l'équipe, ce qui en faisait - s'il avait bien compris - la chef. Et d'autre part, elle avait le mérite de le traiter comme n'importe quel autre serveur, et pas comme un pestiféré. Elle n'avait aucune idée du passé qu'il traînait derrière lui comme un boulet de canon, et Drago en puisait un certain réconfort. Elle avait seulement froncé le nez en découvrant son prénom, et lui avait demandé si c'était un pseudonyme, ou si ses parents l'avaient vraiment appelé Drago. Il lui avait répondu que ce n'était pas plus ridicule que Rose-Mai. Elle avait levé les yeux au ciel, mais n'avait plus fait de commentaire sur la question.

-Drago, le mojito !

Drago soupira et servit le mojito à la cliente qui l'avait commandé. Elle le remercia et glissa un billet jusqu'à lui.

-C'est pour vous. Ne le montrez pas à votre patronne, conseilla-t-elle avec malice.

Drago hésita, puis le froissa dans son poing.

-Mer… merci, grommela-t-il en le fourrant dans sa poche.

-Je vous en prie. Ça fait plaisir de voir de nouveaux visages par ici, répondit-elle joyeusement.

Ne sachant que lui répondre, il s'efforça de lui rendre son sourire. Ce geste forcé lui fit mal aux joues. La cliente n'en tint pas rigueur et lui adressa un clin d'oeil.

Rêvait-il, ou flirtait-elle avec lui ? Ou peut-être n'était-ce qu'une simple habitude moldue ; ces êtres dépourvus de magie lui semblaient si légers, si insouciants… Alors qu'ils n'étaient même pas capables de faire léviter une miche de pain ! Il se renfrogna et s'éloigna de quelques pas, rompant le contact visuel avec la jeune femme.

-On dirait que tu as du succès, Drago.

Cette voix lui fit l'effet d'une douche froide. Les muscles soudainement paralysés, il tourna lentement les yeux vers celui qui venait de lui adresser la parole, et qui était négligemment accoudé contre le bois sombre du bar. Son coeur effectua une embardée lorsqu'il se heurta à ses yeux verts, à son sourire, à son parfum familier.

Harry. Foutu Harry.

Même ici, il ne le laissait pas en paix.

-Qu'est-ce que tu veux ? demanda Drago, sur la défensive.

Une ombre traversa les prunelles de Harry.

-A ton avis ? Te voir.

-Je travaille, rétorqua Drago. Je ne peux pas discuter avec toi, je dois prendre les commandes des clients.

Le sourire de Harry vacilla, mais ne disparut pas.

-Très bien, alors je prendrai un whisky sans glaçon, s'il te plaît.

Se moquait-il de lui ? Il le fixait, et ce regard le renvoya brusquement à la nuit dernière… à ses lèvres contre les siennes… Harry l'avait embrassé, et Drago avait immédiatement répondu à son baiser, se laissant fondre contre lui, sa langue se glissant fiévreusement jusqu'à la sienne…

Il y avait si longtemps qu'il n'avait pas reçu de geste de tendresse… Il s'était habitué au froid, à l'indifférence, aux pulsations vides dans sa poitrine. Les souvenirs de Pansy, d'Astoria et de Blaise étaient loin, à peine des fantômes dont le contact était aussi froid que celui du marbre. Mais Harry, lui… Harry avait été là, contre lui, sa bouche avait capturé la sienne et le feu s'était répandu dans ses veines. Drago ne pensait plus à rien, ses pensées se déliaient, il perdait le contrôle… par Merlin, il haïssait perdre le contrôle…

Mais c'était Harry…

Justement, avait-il alors réalisé. Justement.

C'était Harry.

Harry l'avait arraché au froid, à la torpeur qu'était devenu son quotidien, il s'était faufilé jusqu'à son coeur et maintenant, Drago était perdu. Leur complicité, la quiétude qu'il ressentait lorsque Harry était près de lui, leur relation naissante, tout cela se heurtait à la pensée que tout ceci n'était qu'une mauvaise blague, que le destin se moquait de lui. Qu'est-ce que Harry pouvait bien lui trouver ? On ne parlait pas de n'importe quel sorcier mais de l'Élu, le héros du monde sorcier ! Qu'avait-il à lui offrir, lui, l'ancien Serpentard, l'ancien Mangemort, dont le bras était encore écorché par sa trahison ? Pourtant, tout son être réclamait cette chaleur que lui offrait Harry, toutes ses résolutions se brisaient, sa carapace explosait en mille morceaux tranchants…

Les choses allaient trop vite, il avait subitement eu l'impression de se noyer et il avait repoussé Harry, le coeur trop lourd, l'anxiété au bord des lèvres.

-Non, avait-il eu la force de murmurer. Non. Non…

Et il s'était enfui. Il s'était lâchement réfugié dans sa chambre, dont il avait verrouillé la serrure - ce qui était stupide, puisque Harry avait les moyens de l'ouvrir.

Mais Harry n'était pas venu, et Drago s'était maudit, le visage enfoncé contre son oreiller, essayant de se convaincre que les perles qui lacéraient ses joues n'étaient pas des larmes.

Il versa une généreuse dose de whisky dans le verre, ignorant le froncement de sourcils de Rose-Mai, de l'autre côté du bar. Il le servit Harry sans le regarder.

-Voilà ta commande, ça fera dix nois… dix livres.

-Drago…

La main de Harry se referma sur son poignet avant qu'il n'ait eu le temps de faire volte-face. Le contact de sa peau contre la sienne lui fit l'effet d'une décharge.

-Drago, écoute-moi, lui dit Harry en se penchant vers lui pour se taire entendre au-dessus du tumulte du bar. Je suis venu te dire que j'étais désolé. Je n'aurais pas dû t'embrasser hier. C'était stupide, complètement stupide de ma part.

Bien sûr que c'était stupide. Quelle créature saine d'esprit aurait envie de rouler une pelle à un Malefoy ? La plupart des sorciers auraient encore préféré jeter leur dévolu sur un Détraqueur.

Harry dut voir une ombre traverser son visage, car il s'empressa de préciser :

-Ce n'était pas stupide de t'embrasser, bien sûr que non, mais c'était stupide de le faire sans te demander ton avis. J'aurais dû réfléchir.

-C'est bon, laisse tomber.

-Non, répliqua Harry, en adoptant cet air buté qui l'agaçait tant - tout autant qu'il pouvait l'amuser. Je ne laisserai pas tomber. Pas cette fois.

-J'ai d'autres clients à servir, je ne peux pas discuter avec toi toute la soirée, alors s'il te plaît…

-Je tiens à toi, Drago. Je tiens vraiment à toi, et pas seulement parce qu'on vit ensemble ou parce que j'aurais pitié de toi, ce qui n'est d'ailleurs absolument pas le cas. Je tiens à toi parce que… parce que tu plaît. Tu me plaît pour ce que tu es, et lorsque je t'ai embrassé, hier soir, c'est uniquement pour cela, pas pour me moquer de toi ou t'effrayer ou quoi que ce soit d'autre. Mais j'aurais dû te demander ton avis, j'aurais dû vérifier que mes sentiments étaient réciproques. Je suis désolé, et je veux que tu saches que je ne t'en veux pas de ne pas éprouver la même chose que moi. Si tu le souhaites, je te laisserai tranquille, mais voilà, il fallait que je te le dise.

-Ce n'est pas ça le problème, marmonna Drago.

-Comment ça ?

-Ce n'est pas une question d'absence de réciprocité. Moi aussi, je voulais que tu m'embrasses, avoua-t-il à voix basse. Mais j'ai… j'ai paniqué, d'accord ?

-Tu veux dire que… c'est réciproque ?

Il détestait la lueur d'espoir qui s'épanouissait sur les traits de Harry. Il la détestait, car elle en allumait une autre au fond de lui, et il avait peur - non : il était terrifié - par toutes les perspectives que cela impliquait.

-Écoute, ce n'est pas le meilleur moment pour avoir cette conversation. Ma collègue, là-bas, me regarde comme si elle allait me sauter à la gorge d'une seconde à l'autre si je ne prends pas une autre commande…

-Alors un autre whisky, s'il te plaît. Sans glaçon.

Drago retint un soupir mêlé d'un sourire face à l'aplomb de Harry. Il dégagea son poignet et lui servit une grande rasade ambrée de whisky, qui ricocha dans son verre avec un murmure suave.

-De quoi as-tu peur, Drago ? insista Harry en s'emparant de son verre, qu'il vida d'un trait. On n'est plus des adolescents, on n'a plus aucune raison de se détester. On a fait des erreurs dans le passé, mais maintenant, il est temps qu'on se tourne vers l'avenir. Vers notre avenir.

Les joues de Harry s'étaient enflammées, et Drago fut troublé de réaliser qu'il était loin d'être indifférent à son changement de physionomie. Il dégageait un tel feu… Quel goût devaient avoir ses lèvres, à cet instant ? Drago cligna des yeux, chassa tant bien que mal ces pensées.

-On n'en parlera après mon service, finit-il par dire. Rentre à la maison, avant que ma collègue ne croit que j'ai affaire à un client trop saoul pour se rappeler de son prénom, et ne me force à t'appeler un taxi.

Il rajouta, plus bas :

-Je ne sais même pas ce que c'est, un foutu taxi.

Harry laissa échapper un rire qui ressemblait à un jappement, et se pencha vers lui. Son haleine était chaude, embrasée par le whisky.

-C'est pour ce genre de remarque que tu me plaît.

Ses lèvres effleurèrent sa joue. Drago eut à peine le temps de ciller que, déjà, Harry avait disparut. Il resta immobile, bouche bée, jusqu'à ce le visage de Rose-Mai ne vienne envahir son champ de vision, étrangement crispé.

Drago eut un mouvement de recul. Il reconnaissait cet air de défiance. C'était celui que lui réservaient ses pairs, lorsqu'il comprenait qu'il était un Malefoy, et que la haine empoisonnait leurs pensées. Il se raidit, regrettant de n'avoir plus sa baguette magique pour se défendre.

Puis le visage de Rose-Mai se fendit d'un sourire mutin qu'il ne lui connaissait pas et la pression se relâcha.

-Tu ne m'avais pas dit que tu avais un petit ami, Drago. Il faudra que tu me le présentes, il a l'air adorable.

-Quoi ?! Ce n'est pas mon… je ne sais pas ce qu'il est, mais…

-Mais nous sommes ici pour travailler, pas pour roucouler en laissant les autres faire tout le boulot. Alors tu vas me chasser cet air béat de ton visage et te remettre au travail tout de suite, avant que je ne te retienne des pourboires !

OOO

Harry jeta un nouveau coup d'oeil à l'horloge de la cuisine. Il était deux heures du matin, et Drago n'était toujours pas rentré. Il essayait de ne pas s'affoler, mais ses pensées ne cessaient de s'emballer, le ramenant au moment durant lesquels trois sorciers avaient tenté de s'en prendre à lui. Et s'ils avaient recommencé ? S'ils avaient profité de son absence pour lui jeter un maléfice…. ou pire ? Il revoyait le sang dégoutter de son visage, des perles pourpres sur sa peau blanche…

Non, il ne fallait pas qu'il raisonne ainsi. Drago avait probablement été retardé au bar. Un client trop collant, ou sa collègue aux cheveux turquoise qui lui passait un savon… Que dirait Drago, s'il le voyait débarquer une deuxième fois sur son lieu de travail, à deux doigts de dégainer sa baguette ?

Il se mordit la langue, se maudit, mais n'y tint plus. S'enveloppant dans la laine chaude de sa cape, il transplana non loin du bar où travaillait le jeune homme, bien décidé à vérifier qu'il était toujours en un seul morceau.

Il fut accueilli par la Moldue aux cheveux turquoise, qui lui décocha un sourire malicieux.

-Vous êtes l'ami de Drago, c'est ça ? susurra-t-elle en insistant sur le mot « ami ». Je vous ai vu ensemble, il a l'air de beaucoup vous apprécier.

-Où est-il ? Il travaille encore ?

Elle fronça les sourcils.

-Non, il est parti depuis deux heures. Il ne vous a pas prévenu ? Il n'a pas de téléphone portable ?

-N-non…

-Ça ne m'étonne pas, il n'a pas l'air très à l'aise avec la technologie. On dirait presque qu'il a été élevé au fin fond du pays, dans un manoir coupé du monde. Vous pouvez toujours me laisser votre numéro et si je le vois, je vous préviendrai, mais je ne pense pas qu'il reviendra avant son prochain service. La plupart des gens ne s'attardent pas sur leur lieu de travail !

Harry remercia la jeune femme et prit congé, non sans noter intérieurement d'offrir un téléphone à Drago pour Noël. Son coeur battait de plus en plus fort, il sentait l'adrénaline pulser sous ses veines et sa magie le démanger. Où Merlin se cachait-il ?

Il fallait qu'il se calme… C'est ce que lui aurait conseillé Hermione… Hermione ! Peut-être que Drago était avec elle ? Elle restait son avocate, et l'un de ses rares contacts dans le monde sorcier… Sans plus réfléchir, Harry transplana sur le pas de la porte de la maison qu'elle partageait avec Ron.

Il s'agissait d'un petit pavillon au toit rose, dont les fenêtres débordaient de fleurs. Un écrin de douceur, qui matérialisait un beau pied de nez à la guerre qu'ils avaient traversée. Comment, devant ces murs raffinés et ces rideaux de tulle ivoire, aurait-on pu imaginé que ses occupants avaient vécu les pires horreurs ?

Il frappa à la porte de toutes ses forces. Il s'attendait presque à la voir coulisser sur le visage pâle de Drago, mais ce fut le visage fatigué d'un Ron Weasley en pyjama violet qui se déploya dans son champ de vision.

-Ron, tu n'aurais pas vu Hermione ?!

-Salut Harry, moi aussi je content de te voi-aaaaahhh…

Un long bâillement froissa son visage constellé de taches de rousseurs.

-… Voir. Qu'est-ce que ma fiancée peut faire pour toi ?

Harry éprouva une soudaine vague de honte en réalisant qu'il venait de tirer son meilleur ami d'un sommeil paisible, dans l'espoir insensé que Drago soit chez lui. Il baissa le nez, les joues brûlant sous un brusque afflux de sang.

-Je… je pensais qu'elle était avec Drago.

-Avec Malefoy ? Tu dérailles, mon vieux. Qu'est-ce qu'elle ferait avec lui, à cette heure-ci ?

Harry haussa les épaules, esquissant un sourire d'excuse.

-Aucune idée. Il a disparu, et comme elle est son avocate…

-Disparu ? Tu veux dire qu'il s'est enfui de chez toi ? Tes chaussettes sales sentaient si mauvais que ça ?

-Bien sûr que non, mais il s'est passé des choses et…

Ron l'interrompit d'un geste et ouvrit plus grand la porte. Une tiédeur délicieuse caressa le visage de Harry.

-Entre, tu me raconteras tout ça à l'intérieur.

OOO

Il était étrange de se retrouver projeté dans l'intimité de Ron et d'Hermione. Pendant longtemps, les trois jeunes sorciers avait tout partagé, n'ayant presque aucun secret les uns pour les autres. Ils étaient trois, le « trio d'or ». La demeure du couple rappelait à Harry que les choses avaient changé. Les murs étaient chargés de souvenirs partagés à deux, de bricoles et de décorations fignolées main dans la main. En voyant Ron sortir des bouteilles de bièraubeurre d'un frigo moucheté d'une dizaine d'aimants en forme de fruits et légumes, Harry sentit son ventre se serrer en se rappelant de sa propre solitude.

Tout en plongeant les lèvres dans la mousse blanche et onctueuse de la boisson, Harry raconta à Ron les derniers événements concernant Drago. Il prit soin de ne pas mentionner Ginny et de passer sous silence son baiser partagé avec le jeune homme, dont la morsure était encore trop récente, trop brûlante dans son esprit. Ron l'écouta attentivement, et conclut les révélations de son meilleur ami d'un hochement de tête entendu.

-Donc, tu as peur que ces crétins qui vous ont attaqué, l'autre jour, s'en soient pris à lui. Ce ne serait pas une surprise. Beaucoup de sorciers rêvent de lui refaire le portrait.

-Ils ne comprennent pas qu'il n'a rien à voir avec les autres Mangemorts. Il n'a rien à voir avec ses parents. Il est… différent.

-Sans blague.

-Je t'assure, il…

-Je te crois, l'interrompit Ron en observant pensivement la mousse qui couronnait sa bièraubeurre. Il doit bien l'être, puisque depuis que tu vis avec lui, on n'a presque plus aucune nouvelle de toi, Hermione et moi.

Harry baissa le menton. La honte revint brûler le creux de son ventre.

-Ouais, j-je suis désolé pour ça.

-Bah, je suppose que lorsqu'on s'est installé ici, Hermione et moi, on t'a un peu délaissé, nous aussi… Et ensuite, il y a eu tes disputes avec Ginny, puis votre séparation… ça a été une période compliquée pour tout le monde.

Il n'y avait aucune animosité dans la voix de Ron. Si naguère, il avait reproché à son meilleur ami d'avoir brisé le coeur de sa soeur, il énonçait désormais ces faits avec un détachement sincère. Harry comprit qu'il ne lui en voulait plus, et il en éprouva un vif soulagement, qui allégea un poids dans sa cage thoracique.

Puis la pensée de Drago l'effleura et le poids revint, puissance mille.

-En tout cas, reprit Ron, Malefoy n'est pas avec Hermione. La dernière fois que je l'ai vue, elle dormait à poings fermés à côté de moi… jusqu'à ce que je me lève pour voir qui était le forcené qui s'acharnait sur notre porte d'entrée à cette heure-ci.

-Ouais… Désolé…

-Malefoy est ailleurs. A moins qu'il se soit glissé sous notre lit…

Cette perspective fit grimacer Ron.

-J'en doute, commenta Harry en réprimant un sourire.

-Ouais, moi aussi. Écoute, mon vieux, il est trois heures du matin. Rentre chez toi, repose-toi un peu, et attends au moins que le jour se lève avant d'alerter toute la brigade magique. Avec un peu de chance, ton coloc' sera rentré avant l'aube.

-Tu as sûrement raison. Mais je n'aime pas ne pas savoir où il est…

-Tu ne peux pas lui coller une alarme sur le dos, Harry.

-Je ne comptais pas lui coller d'alarme sur le dos, riposta-t-il.

-Pourtant, Ginny m'a dit que tu étais devenu pro en la matière. Tu avais même ensorcelé sa table de chevet pour la surveiller quand elle dormait !

-Ce n'était pas pour la surveiller, c'était pour la protéger !

-C'est bien ça, le problème. La guerre est finie, Harry. Tu n'as plus à protéger tout le monde.

-Mais s'il lui arrivait quelque chose…

-D'après mes souvenirs, Malefoy sait très bien se défendre tout seul. Lâche prise, Harry, c'est ce que tu as de mieux à faire. Et de préférence, sans siffler toute une bouteille de whisky.

Harry le fixa, interdit. Ron était très sérieux, l'inquiétude bordant ses cils cuivrés.

-C'est Ginny qui t'a dit ça ?

-De quoi, que tu préfères la compagnie de tes bouteilles à celle de tes amis ?

-Tu sais bien que c'est faux, protesta Harry.

-Peut-être, admit Ron en haussant les épaules. Ginny a un peu de tendance à exagérer les choses. Tu peux rester ici, si tu préfères, ajouta-t-il précipitamment, voyant la mine de son ami s'assombrir. Tu m'apprendras à me servir du grille-pain, comme ça. J'aimerais bien faire des toasts pour Hermione, mais la dernière fois, je me suis brûlé les sourcils.

Harry considéra sa proposition quelques instants, mais finit par la repousser. Il ne voulait pas déranger ses amis, et il préférait continuer de chercher Drago. Ron hocha la tête et le laissa partir, après lui avoir brièvement pressé l'épaule. Harry espérait que ce n'était pas de la pitié qui embrumait ainsi ses yeux bleus.

OOO

Il erra un long moment dans les rues avoisinant son appartement, mais il ne vit rien d'autre qu'un gros chat errant qui lui cracha dessus lorsqu'il tenta de s'en approcher. En désespoir de cause, il monta jusqu'à chez lui et poussa la porte d'entrée, le coeur lesté de plomb.

Drago l'attendait dans le salon.

Harry en fut si surpris qu'il en laissa tomber sa baguette magique. Le jeune homme était là, face à lui, le dos nonchalamment appuyé contre le mur. Il portait encore sa tenue de serveur : une chemise blanche, dont il avait retroussé les manches jusqu'aux coudes, dévoilant le fantôme de la Marque sur sa peau, un pantalon à rayures gris froncé et un gilet assorti. Ses cheveux étaient légèrement ébouriffés et des cernes noirs se dessinaient sous ses yeux d'acier.

-Q-qu'est-ce que tu fais là ? souffla Harry, abasourdi.

Le corps de Drago se relâcha. Il semblait décontenancé.

-Euh… je vis ici depuis un mois, Potter. Il serait peut-être temps de se réveiller, dit-il lentement, comme s'il s'adressait à un idiot.

-Ce n'est pas la question. Je t'ai cherché toute la nuit, je croyais que tu avais disparu ! J'ai failli lancer un avis de recherche pour te retrouver !

Drago détourna les yeux, soudainement absorbé par la contemplation de la télécommande nichée sur un coussin du canapé.

-Désolé de t'avoir fait peur. J'étais seulement parti faire un tour. J'avais besoin de réfléchir un peu. Seul, marmonna-t-il.

-Oh.

Harry se sentit profondément stupide. Alors il avait écumé la moitié de la ville et arraché son meilleur ami du sommeil pour… rien ?! Les paroles de Ron résonnèrent avec d'autant plus de clarté dans son esprit. Il fallait qu'il lâche prise, qu'il cesse de s'inquiéter pour des broutilles… Quand il pensait qu'il avait imaginé les pires horreurs !

Il se serait volontiers stupéfixé lui-même, pour s'empêcher d'être aussi idiot.

-J'ai pensé à ce que tu m'as dit, ajouta Drago en s'approchant de lui, interrompant ses pensées. A tes sentiments, et aux miens.

-Oh… oh ?

Le visage du jeune homme était proche du sien, désormais. Ses yeux gris brillaient, affrontaient les siens sans ciller.

-Et j'aimerais… essayer.

-Essayer quoi ?

-Il faut vraiment tout te dire, Potter ? Essayer ce… ce nous. Toi et moi.

-Oh !

L'exclamation lui avait échappée. Le soulagement débordait, maintenant, laissant Harry un peu hagard. Il se raccrocha au regard de Drago, hypnotisé par les reflets qui dansaient sur ses prunelles argentées.

-Mais j'ai besoin que nous prenions notre temps. Tout cela est… bizarre, et nouveau. Je ne peux pas me faire à l'idée qu'on vive un truc pareil en un claquement de doigts. J'ai besoin de temps, tu comprends ?

Harry hocha la tête.

-Et tu auras tout le temps dont tu as besoin, souffla-t-il sans bouger, luttant contre le magnétisme qu'exerçait le visage de Drago sur le sien. On fera les choses à ton rythme, sans se presser.

-A notre rythme, corrigea Drago. Toi et moi. N'oublie pas. On est deux, dans l'équation.

-Toi et moi, répéta Harry.

Un mince sourire frémit sur le bas de son visage. Et les lèvres de Drago se posèrent contre les siennes, scellant leur nouvel accord.