Merci à yuishifuji, Luzula-spicata et Petite-Licorne-Arc-en-Ciel pour vos reviews !

Le prochain chapitre est découpé en deux parties. Il s'intègre d'ailleurs très bien à la période actuelle, aka les fêtes de fin d'année !

Bonne lecture !


CHAPITRE 14. Un réveillon au Terrier

Partie 1

– Drago, je peux te parler de quelque chose ?

Le jeune homme aux cheveux blonds poussa un grognement qui aurait tout aussi bien pu signifier « bien sûr ! » que « merci de me laisser fusionner avec mon oreiller et de repasser dans trois jours ». Il fallait dire qu'il venait de passer sa soirée au bar moldu dans lequel il travaillait, et qu'il essayait désespérément de se reposer, le visage niché dans les replis de son oreiller.

Planté à l'orée de la chambre, Harry hésita à le laisser tranquille, mais Molly Weasley attendait une réponse de sa part le plus tôt possible afin de s'organiser au mieux… Alors il prit une grande inspiration.

– C'est bientôt le vingt-quatre décembre…

– Bravo, tu as appris à te servir d'un calendrier, répondit Drago d'une voix étouffée.

– Et je suis invité à passer le réveillon au Terrier. Avec la personne de mon choix.

Drago poussa un nouveau grognement, dont la signification, cette fois-ci, était limpide : « qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ? ». Harry prit une seconde inspiration.

– J'aimerais… j'aimerais beaucoup que tu m'accompagnes.

Ces paroles eurent le mérite de tirer Drago de son demi-sommeil. Il releva le visage et Harry retint un sourire en constatant que ses cheveux étaient presque aussi ébouriffés que les siens. Il éprouvait toujours un malin plaisir à enfoncer les doigts dans cette chevelure trop soignée, trop ordonnée, pour lui faire perdre ses lettres de noblesse.

– Pardon ?

– J'aimerais que tu m'accompagnes, répéta patiemment Harry. Au Terrier. Pour le réveillon de Noël.

Drago battit des cils d'un air hébété. Il ressemblait à un hibou tiré du lit.

– Le Terrier, c'est l'ancienne maison des parents de Ron, précisa Harry face au silence que lui opposait son interlocuteur. Ils vivent en France, maintenant, mais ils ont gardé cette maison pour les fêtes de fin d'année, les mariages, ce genre de trucs qui rassemblent toute la famille.

Les rouages de l'esprit de Drago parurent enfin se mettre en place.

– Tu veux qu'on aille là-bas tous les deux ? Et comment vont-ils réagir en nous voyant débarquer ensemble ? Avec des confettis ?

– On n'est pas obligés d'y aller en temps que couple, protesta Harry. Tout le monde sait que tu vis chez moi. On peut y aller en temps qu'amis, ou que simples colocataires. Ils n'y verront aucune objection.

Drago resta silencieux.

– Je les préviendrai en avance, pour qu'ils ne soient pas trop, euh, surpris par ta présence. Ça pourrait être sympa, non ?

Harry savait qu'il était très optimiste, en utilisant le terme « sympa ». Drago semblait partager son avis, car l'un de ses sourcils prit la forme complexe d'un accent circonflexe.

– Ron et Hermione seront là. Ils nous aideront, au cas où quelqu'un nous pose trop de questions.

– Il y aura qui d'autre ?

– Euh… Molly et Arthur Weasley, Charlie, Bill et Fleur, Percy, sa femme et leurs deux filles, George, Angelina et leur bébé, Ginny et Luna, et Ted Lupin.

– Rien que ça, ironisa Drago.

– Drago…

Le jeune homme soupira. Il s'étira nonchalamment, de cette manière féline qui avait quelque chose d'envoûtant, et jeta un regard gris à Harry.

– Qu'est-ce que je gagne, en échange ?

– Je demanderai à Molly de te tricoter un pull.

Drago grimaça et Harry eut un léger rire. Il s'approcha de lui et s'assit prudemment au bord du lit.

– C'est ma famille, Drago. Tu n'as pas envie de la rencontrer ?

– Je ne savais pas qu'on en était déjà là.

– C'est juste pour une soirée… et ça me ferait plaisir. Alors, tu en penses quoi ?

Les yeux de Drago se heurtèrent de nouveau aux siens. Une étrange tristesse caressa ses prunelles et Harry se souvint, non sans un coup au coeur, que la propre famille de Drago était derrière les barreaux d'Azkaban. Il n'avait plus ni parents, ni amis. Aucune perspective pour les fêtes de fin de l'année, hormis celle d'accompagner Harry au Terrier, qui cristallisait tout ce qu'il avait passé dix-sept ans à haïr. A cette pensée, Harry faillit retirer sa proposition, mais Drago le devança :

– On verra, concéda-t-il d'un air hésitant.

Harry sentit un sourire illuminer son visage.

– Merci, Drago.

OOO

Drago n'ayant plus le droit de transplaner, ils furent contraints de se rendre au Terrier en empruntant une voiture au Ministère de la magie. Harry savait à peu près conduire, mais il jugea plus prudent d'ensorceler la voiture afin qu'elle les emmène sans heurt à la demeure des Weasley. Tandis que les roues cahotaient sur le chemin, Drago s'était renfrogné contre la vitre, s'absorbant dans la contemplation du paysage. Il était affublé du costume moldu noir qu'il portait pour ses audiences et son procès au Ministère de la magie, et qui lui avait été prêté par Hermione. Lorsque Harry lui avait fait remarquer que c'était un peu sinistre, il avait haussé les épaules et rétorqué que même avec une robe rose à paillettes, les Weasley allaient le regarder comme s'il était une tarentule géante, alors autant mettre une tenue dans laquelle il se sentait à peu près à l'aise.

La voiture s'arrêta dans un crissement de pneus aux portes du Terrier. Harry et Drago en sortirent et faillirent marcher sur Ron et Hermione, qui venaient d'arriver en transplanant. Ron souriait dans sa tenue de soirée bleu nuit et Hermione rayonnait dans une robe fluide, d'un joli rose irisé, qui devait être ensorcelée pour lui tenir bien plus chaud qu'elle n'en avait l'air. Ses boucles cavalaient sur ses épaules, plus désordonnées que jamais, lui conférant un charme indéniable.

– Harry, Drago ! s'écria Hermione en sautant au cou du premier, manquant de le renverser sur le capot de la voiture du Ministère. C'est merveilleux que vous soyez venus ensemble ! Vous êtes tellement adorables !

– Ouais, je lui ai dit, pour vous deux, avoua Ron en se grattant l'arrière du crâne. Vous auriez vu sa tête… on aurait dit qu'elle venait d'apprendre votre mariage.

– Oh, Ron, voyons ! Tu étais tout autant époustouflé que moi ! Tu as une mine incroyable, Harry. Toi aussi, Drago, dit-elle, un peu plus hésitante, en le voyant se rembrunir.

– Personne d'autre ne sait, pour nous deux, s'empressa de préciser Harry. J'ai dit à Molly qu'on était colocataires, qu'on était devenu bons amis, et que c'est la raison pour laquelle je l'ai invité.

Hermione eut aussitôt l'air effarée.

– « Bons amis » ? répéta-t-elle, incrédule. C'est tout ce que tu as trouvé ?

– Laisse tomber, Hermione, intervint Ron en lui prenant la main. Ils sont encore plus coincés que le derrière de Percy. Tu as les cadeaux de tout le monde ?

– Bien sûr, ils sont dans mon sac, répondit-elle en secouant la minuscule pochette scintillante nichée entre ses doigts.

– Qu'est-ce qu'il y a, là-dedans ? Des oeufs de Doxy ? demanda Drago d'un air passablement dégoûté.

– Tu verras.

Hermione lui décocha un clin d'oeil et se laissa entraîner par Ron jusqu'à la porte d'entrée du Terrier.

– Ça va ? chuchota Harry à Drago alors qu'ils leur emboîtaient le pas.

– Si ces deux-là continuent de babiller comme des babouins, on devrait nous laisser plutôt tranquilles.

Harry eut un sourire amusé. Devant eux, Hermione éclata de rire à une blague de Ron, se dressa sur la pointe des pieds et l'embrassa tendrement. Drago tressaillit contre Harry, qui enveloppa son poignet entre sa main – c'était tout ce qu'ils pouvaient se permettre, afin de ne pas attirer les soupçons de la famille Weasley.

La porte du Terrier s'ouvrit avec fracas et une tornade couronnée de cheveux roux se précipita sur Ron et Hermione, les étreignant si fort que Harry et Drago crurent entendre leurs os craquer.

– Ron, Hermione, mes chéris, vous êtes arrivés ! Ron, j'avais oublié à quel point tu es grand ! Tu aurais pu te coiffer un peu, mon chéri, on dirait que tu as mis un pétard du Dr Flibuste dans tes cheveux. Oh, Hermione, tu es éblouissante ! Arthur m'a raconté que tout le Département de Justice magique ne parle que de toi, tu impressionnes le Magenmagot à chaque plaidoirie !

– Merci, Madame Weasley, euh, je veux dire Molly, balbutia Hermione en rougissant.

– Vous êtes presque les derniers, on n'attend plus que… oh, par Merlin !

Molly Weasley venait d'apercevoir les silhouettes de Harry et de Drago derrière Ron et Hermione. Son visage s'illumina de plus belle. L'instant d'après, Harry se retrouva dans ses bras, si étroitement enlacé qu'il en eût le souffle coupé. Il avait dû lâcher le poignet de Drago dans la manoeuvre, et ce dernier l'observait désormais en affichant un air maussade.

– Harry, je suis si heureuse de te revoir ! Regarde-moi, mon chéri.

Molly prit son visage entre ses mains en coupe et entreprit d'en scruter chaque centimètre carré.

– Tu as l'air moins fatigué que la dernière fois, ça me fait plaisir, dit-elle avec une telle gentillesse que Harry ne put retenir un sourire.

Lorsque Ginny et lui s'étaient séparés, elle s'était retrouvée extrêmement ennuyée, ne sachant sur quel pied danser. Son amour pour sa fille et son amour pour Harry l'empêchaient de prendre partie pour l'un ou pour l'autre, et elle avait tout fait pour tenter de les rabibocher, en leur envoyant des myriades de hiboux et en essayant de les inviter à prendre le thé ensemble. Harry avait poliment décliné et pris ses distances avec la famille Weasley, ne supportant plus la déception mâtinée d'espoir qui s'accrochait aux regards – pourtant bienveillants – de Molly. Bien qu'elle n'ait rien dit, il savait qu'elle en avait été affectée.

– Je suis désolé, j'aurais dû vous écrire plus souvent, murmura-t-il en répondant à son étreinte au parfum de cannelle.

– Mais non, ne t'excuse pas, mon chéri, bredouilla-t-elle. Je suis vraiment heureuse que tu sois là.

Elle lui sourit avec chaleur, mais les commissures de ses lèvres s'affaissèrent lorsqu'elle considéra Drago, debout derrière Harry et plus renfrogné que jamais.

– Drago Malefoy, dit-elle d'un ton où se mêlaient hostilité et méfiance.

Il inclina poliment la tête, sans daigner esquisser un sourire.

– Madame Weasley.

– Merci infiniment de nous avoir invités tous les deux, intervint Harry en reprenant place aux côtés de Drago. Nous sommes tous les deux très heureux d'être ici.

– Je t'en prie, mon chéri, répondit Molly sans détourner son regard de Drago. Entrez, vous allez attraper froid.

Le petit groupe s'engouffra dans le rez-de-chaussée du Terrier, dans un bruit de bottes, de manteaux que l'on retire et de murmures étouffés. La chaleur était retombée lorsque Molly et Drago s'étaient faits face, et Harry espérait qu'elle ne mettrait pas trop de temps à revenir. Il remercia intérieurement Ron lorsque celui-ci engagea la conversation d'un ton léger, en racontant à sa mère les dernières nouveautés de la boutique de farces et attrapes de George, tandis qu'ils rejoignaient la salle à manger où était déjà attablé le reste de la famille.

A peine eut-il posé le pied sur le pas de la porte que Harry fut submergé par une vague de cheveux roux. Tout le monde était là : Arthur Weasley lui serra la main en lui souriant, George lui administra une bourrade affectueuse sur l'épaule, Bill et Fleur le serrèrent dans leurs bras, Charlie frappa joyeusement son poing contre le sien et Percy lui écrasa les doigts en lui présentant en grandes pompes son épouse, Audrey, une jeune femme Moldue qui se montra bien moins cérémonieuse que lui et lui embrassa la joue. Vint ensuite Angelina, qui le salua tant bien que mal, les bras chargés d'un tas de couvertures particulièrement remuant – Harry mit un certain temps à comprendre qu'il s'agissait d'un bébé. Elle fut suivie de deux fillettes aux tresses cuivrées qui le saluèrent très poliment en louant son élégance. A la façon dont le torse de Percy se gonfla d'orgueil, il devina qu'il s'agissait de ses filles. Vinrent ensuite Victoire, la fille de Bill et Fleur, et un petit garçon qui se précipita contre ses jambes et les enlacèrent de toutes ses forces.

– Salut, Teddy, sourit Harry, attendri, en ébouriffant les cheveux bleu électrique de l'enfant.

Ginny et Luna arrivèrent en dernières. Ginny lui adressa un sourire gêné et si leur étreinte ne fut pas dépourvue de chaleur, elle resta suffisamment distante pour que personne ne puisse se méprendre sur l'état de leur relation. Luna fut la seule à ne pas saluer Harry en priorité : à la place, elle se tourna vers Drago et le serra contre elle comme s'ils étaient de vieux amis. Drago se raidit entre ses bras, ne sachant visiblement pas quoi faire. Elle se pencha à son oreille et chuchota, suffisamment bas pour que seuls Drago et Harry puissent l'entendre :

– Ne t'inquiète pas, tu n'es pas seul, Drago.

Drago l'observa comme si elle venait de se transformer en canari géant. Elle lui sourit et réserva le même sort à Harry.

– Je suis content de te revoir, Luna, lui dit-il en toute sincérité lorsqu'elle referma ses bras autour de lui.

– Moi aussi, dit-elle simplement.

Puis elle attrapa la main de Ginny et les deux filles leur laissèrent un peu d'espace.

Le reste de la famille fut plus réservé vis-à-vis de Drago. Certains trahissaient une certaine hostilité, notamment Arthur, Percy, George et Angelina. D'autres étaient hésitants, sans être foncièrement fermés : Bill et Charlie lui serrèrent ainsi la main sans faire de commentaire, mais sans se montrer particulièrement enthousiastes. Ginny imita Luna et l'étreignit sans la moindre hésitation, ce qui parut scandaliser sa mère. Les filles de Percy le saluèrent tout aussi poliment qu'elles avaient salué Harry, mais l'aînée lui fit remarquer qu'il pourrait se montrer un peu plus souriant. La mâchoire de Drago se crispa et Harry eut peur, l'espace d'un battement de cils, qu'il ne lui réponde quelque chose de cinglant, mais il se contenta de hausser les épaules. Ted Lupin le regarda avec un mélange d'effroi et de fascination, et Harry se souvint que Tonks était liée à la famille de Drago, ce qui faisait de Ted… son petit-cousin, ou quelque chose de cet acabit. Drago dut avoir la même pensée, car il avança une main hésitante à l'enfant, qui la serra en esquissant un sourire. Quant à Fleur et Audrey, elles n'avaient aucune idée de qui était Drago et elles le saluèrent avec affection.

– Eh bien, mettons-nous à table, n'est-ce pas ? lança Molly avec un enthousiasme qui sonnait faux lorsque tout le monde se fut salué.

– On dirait que ton idée de m'inviter n'était pas si bonne, souffla Drago à Harry alors qu'ils cherchaient les places qu'on leur avait attribuées.

– Ils s'habitueront, rétorqua Harry.

Son assurance fut néanmoins mise à mal par le plan de table, lorsqu'il constata qu'il avait été placé à côté de Ginny. Molly espérait-elle toujours, au fond d'elle-même, qu'ils se remettent ensemble ? Heureusement que Drago était à sa droite, ce qui s'expliquait probablement par le fait qu'il s'agissait du bout de table. L'ancien Serpentard faisait face à Luna, elle-même assise à côté d'Hermione, qui était ainsi face à Harry. Ron était à côté d'elle, et le reste des invités se partageait l'autre côté de la table. Les enfants, quant à eux, avaient leur propre table quasiment collée au sapin de Noël, protégés des conversations pas toujours anodines des adultes.

– Maman aurait pu me mettre à côté de Luna, grommela Ginny en se laissant tomber sur son siège.

– On peut échanger, si tu veux, proposa Harry.

– Elle va encore faire des histoires, et je ne crois pas que ce soit ce dont on ait besoin, dit-elle en grimaçant. Drago, tu peux me passer le panier de pains ?

Harry nota que plusieurs invités avaient eut un sursaut en l'entendant appeler le jeune homme par son prénom.

– Allonge ton bras, la belette, répondit-il, ce qui eut le mérite de scandaliser l'autre moitié des invités.

– On pourrait servir les apéritifs ? proposa Hermione à voix haute afin de distraire l'attention. Je peux m'en charger, si vous voulez.

Elle s'empara de sa baguette et, en quelques mouvements adroits, aligna plusieurs bouteilles sur la table.

– Quelle brillante idée, Granger. Lorsque tout le monde sera alcoolisé, l'ambiance sera sûrement bien plus détendue, ironisa Drago, suffisamment bas pour que seuls ses voisins immédiats l'entendent.

– Tu sous-estimes le pouvoir du punch, dit Luna. A mon anniversaire, mon père en avait servi à tous les invités. Nous avons fini par faire une ronde dans le ruisseau, c'était très chaleureux.

– Ne m'en parle pas, il m'a fallu des jours pour me débarrasser de la vase qui s'était collée à mes chaussures, marmonna Ginny.

Harry sourit, avant de voir qu'Arthur et Molly échangeaient des murmures en fixant Drago. Soudainement mal à l'aise, il attrapa la bouteille de whisky pur feu et s'en servit une grande rasade. S'il avait largement diminué sa consommation, ces derniers-temps, il sentait que ce soir, il en aurait besoin.

– Alors, comment ça se passe avec les Aurors, Harry ? demanda George de l'autre côté de la table.

– Il paraît que la formation est très compliquée, ajouta Angelina. Tu aurais dû continuer le Quidditch, comme moi. Je suis sûre que tu aurais fait un carton.

Rassurée d'avoir un sujet de conversation normal auquel se raccrocher, Harry entreprit de répondre à leurs nombreuses interrogations. Finalement, les choses se passeraient peut-être bien… du moins, jusqu'à ce que Fleur ne mette les pieds dans le plat, en demandant, de sa voix chantante :

– Oh là là, Arry, avec tous ces cours et ces machins qu'on t'apprend, tu ne dois pas avoir beaucoup de temps pour toi ! Il faudrait que tu lèves un peu le pied si tu veux te trouver une petite amie. Enfin, ce n'est que mon avis. Mais c'est important d'avoir quelqu'un. Moi, par exemple, je ne sais pas ce que je ferai sans mon Bill.

Harry se sentit immédiatement rougir et il termina son verre d'une traite – ce qui ne l'aida pas à réguler sa chaleur corporelle. Il sentit le genou de Drago effleurer le sien, en signe de soutien muet. Le jeune homme restait silencieux, cependant, ses yeux gris vissés à son verre de jus de citrouille.

– Elle a bien raison, approuva Percy, au grand désespoir de Harry. Il faut savoir trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée, c'est très important.

– C'est toi qui dis ça ! s'esclaffa George. Depuis quand n'a-t-il pas pris de congé ? Depuis 1980 ? demanda-t-il à Audrey, qui éclata de rire.

– Ne vous moquez pas ! protesta Percy en rougissant.

– Mais tu as peut-être déjà quelqu'un, Arry ? insista Fleur.

– J-je… euh…

– Ce punch est délicieux, intervint Hermione, qui n'en avait pas bu une goutte. Quelle est votre recette, Molly ?

– Ouais, il faudra que tu m'apprennes à en faire, Maman, ajouta Ron. C'est un argument de taille pour garder une fille chez soi.

– Tu n'as pas besoin de punch pour me garder, imbécile, sourit tendrement Hermione en déposant un baiser contre ses cheveux roux.

Une vague d'amusement traversa la table, et Harry soupira de soulagement. Il sentait tout de même le regard soupçonneux de Fleur peser sur lui, et il se servit un autre verre.

– Harry, mon chéri, lança la voix de Molly à plusieurs dizaine de centimètres de là. Je sais que tu es un adulte, maintenant, mais est-ce vraiment raisonnable de boire autant ?

– Oh, Maman, ne joue pas les rabats-joie, intervint Ginny. C'est Noël, Harry peut bien faire ce qui lui chante.

– Ce n'est pas toi, pourtant, qui disait qu'il buvait un peu trop ?

Ginny devint écarlate.

– C'est du passé, Maman, je suis sûre que Harry n'a aucun problème avec le whisky.

– Tout de même, il est si mince…

– Vous pouvez lui parler directement, si vous avez quelque chose à lui dire, fit remarquer Drago.

Sa remarque jeta un froid sur l'assemblée. Harry crispa les doigts sur son verre, priant pour que personne ne prenne la mouche. Malheureusement, il savait d'avance que ce voeu ne serait pas exaucé…

– On ne t'a pas sonné, Malefoy, dit sèchement George.

– Drago n'a pas tort, observa calmement Charlie, et Harry éprouva une profonde gratitude à son égard. Ce n'est pas très poli de parler de Harry comme s'il n'était pas là. Et moi aussi, je reprendrai bien un peu de ce délicieux whisky.

Il adressa un sourire à Harry, qui le lui rendit.

– Oh, regardez, un narguole ! s'écria Luna en désignant une branche de houx accrochée à la cheminée du Terrier.

– Un nar-quoi ? demanda Audrey en se penchant vers la cheminée, les yeux écarquillés.

Ravie, Luna se mit aussitôt à lui expliquer les caractéristiques de cette dangereuse créature qui se nichait dans les baies rouges des branches de houx. Les conversations reprirent peu à peu, et Harry se détendit un peu sur son siège.

– Merci, Drago, souffla-t-il à son voisin, qui ébaucha un minuscule rictus.

A sa gauche, Ginny était toujours aussi rouge.

– Écoute, Harry, je suis désolée d'avoir raconté ça sur toi, murmura-t-elle en tournant un regard navré vers lui. Le fait que tu boives trop, et ce genre de truc. J'étais en colère et je n'ai pas su me maîtriser. J'aurais mieux faire de me taire.

– Bah, je suppose que tu as raison, admit Harry en observant son troisième verre de la soirée. Je devrais me calmer un peu sur le whisky pur feu.

Il ne résista cependant pas à l'envie de terminer son verre et de le remplir à nouveau. Face à lui, Hermione et Ron chuchotaient derrière leurs coupes en gloussant. Ron attrapa un petit-four à la citrouille et le glissa à la jeune femme, qui le grignota en lui coulant un regard tendre. En les voyant aussi soudés, Harry éprouva un pincement au coeur. Quoi qu'ils fassent pour l'intégrer à leur vie, ils restaient un couple, et lui était désormais de l'autre côté de la barrière. Il aurait aimé pouvoir esquisser quelques gestes affectueux envers Drago (quoi qu'il le voyait mal grignoter des petits-fours en le dévorant d'un regard de merlan frit), mais en présence d'autant de témoins, cela était proscrit.

Une nouvelle gorgée de whisky brûlant déposa un peu de baume sur sa peine.

Les entrées furent rapidement servies, puis vint le plat principal. Molly Weasley s'était surpassée, préparant une délicieuse dinde fourrée aux champignons qui mit l'eau à la bouche de tous les invités. Après s'être servi, Drago donna de petits coups de fourchette dans son assiette, comme s'il avait du mal à croire que cette nourriture était réelle.

– Qu'est-ce que ta famille et toi faisiez, pour le réveillon ? lui demanda Luna en l'observant d'un air intrigué.

Drago se crispa légèrement, mais il n'y avait aucune curiosité malsaine dans le ton rêveur de la jeune femme.

– Un repas de famille, mais ça n'avait rien à voir. Il y avait un protocole à respecter. On ne mettait pas les doigts dans la nourriture comme de vulgaires elfes de maison, répondit-il en jetant un regard en coin à Ron, qui s'agrippait joyeusement à un os de dinde.

– Tu devrais echayer, ch'est encore meilleur comme cha, rétorqua Ron en lui adressant un sourire dégoulinant de sauce.

Drago fronça le nez, mais ses lèvres frémirent, trahissant son amusement.

– Et tu iras voir ta famille, cette année ? demanda Luna.

Une ombre passa sur le visage de Drago.

– Je n'ai plus que mes parents, et ils sont en prison, répondit-il en haussant les épaules.

– Mais ils ont instauré des parloirs à Azkaban, non ? Tous les journaux en ont parlé, même Papa a fait un article dessus. Tu pourrais leur rendre visite, insista-t-elle sans se départir de son ton rêveur.

Harry s'aperçut alors que le reste de la table était plongé dans le silence. Il voulut avertir Drago, mais celui-ci répondit à Luna, d'une voix qui trahissait une certaine douleur :

– Je ne sais pas s'ils auront envie de me voir.

– Je pense que si. Tu es leur fils, dit-elle avec douceur.

– Leur fils, qui vit avec Harry Potter, corrigea Drago.

– Ils ne peuvent pas vous reprocher d'être amis, lança Hermione, leur rappelant ainsi que tout le monde les écoutait.

– Ouais, d'ailleurs, on ne s'attendait pas à ça, renchérit George, approuvé par Angelina. Après toutes les crasses que vous vous êtes faits à Poudlard ? Et quand je dis « vous », je parle surtout de toi, Malefoy.

– Il s'est excusé, intervint Harry.

– Excusé de quoi ? De t'avoir jeté des sorts dans ton dos ? D'avoir mené une campagne de harcèlement contre toi quand tu as été nommé Champion de Poudlard ? D'avoir failli tuer l'amie de Katie Bell ? D'avoir rejoint Tu-Sais-Qui au début de la guerre ?

Drago pâlit. Ni lui, ni Harry ne s'étaient attendus à ce qu'il soit attaqué aussi frontalement. Drago n'avait pas eu tort : l'alcool ne déliait pas forcément les langues dans le bon sens…

– Je sais que j'ai fait beaucoup d'erreurs, dit Drago avec un calme qui impressionna Harry. Et je m'en excuse, auprès de chacun d'entre vous. J'ai été stupide, immature, imbuvable. J'en ai conscience et je n'aurais pas assez de toute une vie pour rattraper tout le mal que j'ai pu vous faire. J'en suis désolé, sincèrement.

Il plongea ses yeux gris dans ceux de Harry, qui sentit son coeur rater un battement.

– Je suis désolé, Harry.

C'était la première fois qu'il l'appelait par son prénom en public. Harry lutta contre une furieuse envie de fondre sur ses lèvres (et d'être seul avec lui, de virer toutes ces assiettes de la table et de l'y plaquer sous son poids) et laissa échapper un sourire.

– Je sais, Drago.

– Bon, c'est mignon, tout ça, mais où est le fromage que nous avons rapportés de France ? les interrompit Fleur en secouant son impressionnante crinière blond-argenté.

Harry retint un sourire face à l'air éberlué de la famille Weasley. Bill fut le premier à reprendre contenance.

– Ils doivent être dans la cuisine, ma chérie. Je vais les chercher.

– Non, je m'en occupe, dit Molly en se relevant un peu maladroitement.

Elle coula un regard indéchiffrable à Drago et Harry et se rendit à la cuisine. Les conversations reprirent de nouveau, plus timides. Derrière son jus de citrouille, Hermione adressa un sourire à Drago. Quant à Ron, il leva discrètement le pouce à son attention. Malheureusement, tout le monde n'était pas convaincu de sa sincérité et la conversation revint vers lui pendant le dessert, alors que tout le monde avait la bouche barbouillée de bûche aux marrons glacés.

– Tout de même, les paroles c'est bien joli, mais tu n'as pas peur qu'il ne te vole ta baguette pendant ton sommeil, Harry ? demanda Percy en reposant son quatrième verre d'hydromel.

Il essayait d'avoir l'air de plaisanter, mais son regard suspicieux trahissait son sérieux.

– Il y a eu des rumeurs, il y a quelques semaines, ajouta-t-il. On aurait vu quelqu'un qui ressemblait à s'y méprendre à Drago Malefoy se balader au Chemin de Traverse. Or, il n'est pas censé s'y trouver seul, vu qu'il n'a plus de baguette magique.

Harry sentit Drago se crisper à côté de lui.

– Qu'est-ce que tu insinues, Weasley ?

– Je n'insinue rien du tout, je plaisantais simplement en demandant à Harry s'il n'avait pas peur que tu prennes sa baguette pour aller te promener dans la nature. On ne sait jamais, tu as peut-être envie de rendre visite à tes sosies qui déambulent près du Chaudron Baveur !

– J'ai confiance en Drago, répondit Harry, un peu plus fort qu'il ne l'aurait voulu.

Le dessert avait été tout autant arrosé que le reste du repas, et il sentait sa tête tourner un peu trop, emberlificotant ses pensées.

– Tout le monde n'est pas comme toi, Percy, capable de perdre sa baguette dès qu'il fait un tour sur lui-même, observa Ginny.

– Tu es bien désagréable, ce soir, Ginevra, lui répondit son aîné avec une certaine sècheresse, qui piqua immédiatement la jeune femme au vif.

– Arrête de m'appeler comme ça. Et bien sûr que je suis désagréable, je suis venue ici avec Luna et je n'ai même pas le droit d'être assise à côté d'elle !

Elle jeta un regard féroce à sa mère, qui se mit à rosir à l'autre bout de la table.

– Ma chérie, je pensais que tu serais heureuse d'être à côté de Harry…

– Je l'aurais été si nous étions encore ensemble. Sauf que surprise ! Ce n'est plus le cas ! Depuis des mois et des mois !

Elle s'était mise à parler plus fort, elle aussi ; son verre de punch vide n'y était pas étranger.

– Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans SÉPARÉS, Maman ? Harry et moi, c'est de l'histoire ancienne, il va falloir t'y faire !

– Ginny, ne parle pas comme ça à ta mère.

– Je n'aime plus Harry, et il ne m'aime plus, d'accord ?

– Ginny, dit Harry en posant une main sur son épaule. Je crois que tout le monde l'a compris.

– Si seulement vous pouviez vous occuper de vos affaire, au lieu de toujours vouloir interférer dans les nôtres ! Je ne retournerai jamais avec Harry, d'accord ? J'ai refait ma vie, lui aussi, et il va falloir vous l'enfoncer dans le crâne !

– D'accord, très bien, ma chérie, lui dit Molly d'un ton qui se voulait apaisant. Ne t'énerve pas.

– Ta mère ne pensait pas à mal. Tu aurais dû être assise à côté de ton amie, mais le plan de table a été chamboulé lorsque, euh…

Le regard d'Arthur Weasley se posa sur Drago.

– Lorsque vous aviez appris que vous alliez devoir composer avec un horrible personnage comme moi ? compléta celui-ci. Vous ne vouliez surtout pas que je sois assis à côté ou en face d'un membre de votre précieuse famille, n'est-ce pas ?

Arthur rougit à son tour. Harry sentit quelque chose s'insinuer sous sa peau, un mélange confus de colère et de lassitude. Cela faisait deux heures qu'ils étaient au Terrier, et l'avis des Weasley n'avait pas bougé d'un pouce à l'égard de Drago, malgré sa rédemption évidente et son coup d'éclat précédent. Ne pouvaient-ils pas voir qu'il était sincère ? Qu'il avait changé ? Il prit une grande inspiration, essayant de ne pas perdre son calme.

– Si c'est le cas, c'est ridicule, dit Ginny qui fulminait toujours. Vous avez peur de quoi ? Qu'il vous jette sa bûche glacée sur la figure ?

– Il reste sous le coup d'une condamnation, tu peux comprendre qu'on soit prudent, rétorqua Percy.

– C'est une manie, chez vous, de parler des gens comme s'ils n'étaient pas sous votre nez ?

Les yeux de Percy s'écarquillèrent d'effroi face à Drago, dont les doigts étaient tellement crispés autour de sa petite cuillère que ses phalanges étaient devenues blanches.

– Je ne vous permets pas de parler à ma famille ainsi, jeune homme, dit froidement Arthur Weasley.

– C'est quand même le comble : un ancien Mangemort qui vient nous donner des leçons ! ajouta Percy.

– Il n'est plus Mangemort, intervint Harry, dont le coeur s'était remis à battre de plus belle, chaque pulsation attisant la colère qui bouillonnait dans ses veines.

– Il l'a été, tu ne peux pas le nier, Harry !

– C'est quoi, un « mange tes morts » ? demanda Audrey.

– Un mage noir, répondit George, une pointe d'amertume dans la voix. Comme celui qui a tué notre frère.

– C'est vraiment le moment de parler de ça ? s'enquit Fleur en pinçant les lèvres.

Harry s'efforça de prendre une nouvelle inspiration. La main de Drago se posa brièvement sur son avant-bras, sans parvenir à l'apaiser.

Ginny continuait de fulminer, Molly était ostensiblement gênée de la tournure de la soirée, Arthur, Percy et George foudroyaient Drago du regard et les autres invités ne savaient plus où se mettre. Une cuillère tintinnabula contre une coupe vide.

– Au fait, j'ai une nouvelle à vous annoncer, annonça timidement Hermione.

Malheureusement, cela ne fut pas suffisant à détourner l'attention du reste de la tablée.

– Cela n'aurait pas dû se passer comme ça, gémit Molly en tordant sa serviette entre ses doigts. Je savais que ce n'était pas une bonne idée. Mais ça avait l'air de te faire tellement plaisir, Harry…

– Qu'est-ce qui n'était pas une bonne idée ? demanda Harry d'un ton féroce.

– Oh, tu le sais très bien, mon chéri…

– C'est moi. Je suis une mauvaise idée, dit Drago, et il laissa échapper un rire froid, qui parut ricocher contre les murs du salon.

– Tu peux comprendre que ce soit difficile pour nous, murmura Arthur.

Naguère, le père de Drago avait fait de la vie d'Arthur Weasley un enfer. Et Drago s'était toujours fièrement dressé à ses côtés, approuvant chaque acte de Lucius Malefoy avec un sourire victorieux, méprisant ostensiblement les Weasley et tout ce qui pouvait s'y rapporter. Il était difficile de lui en vouloir d'avoir des a priori vis-à-vis du jeune homme, mais Harry n'arrivait plus à raisonner rationnellement. Il sentait l'hostilité muette des convives peser sur lui, il eut soudainement l'impression d'étouffer. S'il restait une seconde de plus à cette table, il allait exploser.

Il se releva, manquant de renverser sa chaise sur Ginny qui eut le réflexe d'exécuter un bond sur le côté.

– Il faut que j'aille prendre un peu l'air, annonça-t-il en s'éloignant, les jambes chancelantes.

– Mon chéri, tu es sûr que ce soit une bonne idée ? s'inquiéta immédiatement Molly. Tu as beaucoup bu, tu devrais peut-être t'allonger un peu.

– Je vais bien !

Sa voix était cependant un peu trop pâteuse pour donner le moindre crédit à ses paroles.

– C'est vous qui avez un problème !

– Harry…

– Vous avez un problème avec Drago ! Et si vous avec un problème avec lui, alors vous avez un problème avec moi ! ajouta-t-il, en ayant l'impression que quelqu'un d'autre parlait à sa place.

Il se sentait comme une marionnette, actionnée par un Harry qui lui était inconnu, un Harry beaucoup plus farouche et vindicatif que lui.

– Si je l'ai invité, ce n'était pas pour que vous passiez toute la soirée à le soupçonner de je-ne-sais-quoi ou à l'insulter ! Je voulais… je voulais… je voulais qu'il soit avec moi, parce que vous êtes les personnes les plus importantes dans ma vie, et que je voulais que vous le voyiez que comme moi je le vois.

Il sentit une main se poser sur son bras et lorsqu'il releva les yeux, il rencontra ceux, gris, profonds, envoûtants, de Drago.

– Harry, Mme Weasley a raison, tu as trop bu, lui dit-il à voix basse. Viens.

– Non, je ne viendrais pas ! Je veux qu'ils comprennent… je veux qu'ils comprennent…

Il ne trouvait plus les mots. Ils se dérobaient sous sa langue, refusant de lui offrir l'occasion de faire comprendre au reste de l'assemblée l'étendue de ses sentiments pour Drago Malefoy. Alors il décida d'agir, car c'était tout ce qui lui restait : agir, laisser son instinct prendre le dessus sur la raison, attraper Drago par le col de son horrible costume noir et fondre furieusement sur ses lèvres.