Chapitre 1 – Maxime

18h41. Les gens se croisent, se frôlent sans se regarder. Effervescence anonyme.

Dehors, une lumière presque rouge filtre à travers les grandes baies vitrées. Même à l'intérieur sous les climatiseurs, on devine une chaleur écrasante d'une fin de journée d'été. Une nuit de juillet.

Parmi cette foule compacte mais néanmoins mouvante, un jeune homme est là, pareil à n'importe quel anonyme. Sauf que lui a des myriades de questions dans la tête et le cœur en bandoulière.

Il se demande s'il a fait le bon choix. Il se demande ce que tout ça changera. Pour lui même, pour eux. Pour lui. Lui. Il ne quitte pas sa tête, à vrai dire, il ne l'a jamais quitté aussi loin qu'il se souvienne. Une seule question : que va-t-il se passer – maintenant ?

A cette pensée, un frisson le saisit en même temps qu'il empoigne sa valise. Il maudit ces énormes climatiseurs qui ne sont pourtant en rien responsables de la vibration qui parcourt son échine, de bas en haut. Et il le sait très bien.

Un autre frisson, un souvenir :

« A l'autre bout de la pièce, tu entres Je ne m'attendais pas à ce que tu viennes, que tu me cherches. Je l'espérais mais je ne voulais pas y croire. Je veux croiser ton regard mais tu as la tête baissée sur ta bouteille. Lève ta tête. Laisse moi te dire que j'en ai marre de cette situation, que je ne comprends rien. Que je ne veux pas te quitter comme ça. Lève ta tête. Dis moi quelque chose, reproche moi ce que tu veux, crie moi dessus pourquoi pas. Lance moi ce regard noir dont tu as le secret mais lève ta tête. Au moment où j'ai envie d'abandonner, tu me regardes, enfin. Tu as ton air désolé, celui que je ne vois pas si souvent. Moi aussi putain je suis désolé, je sais pas vraiment pourquoi mais je le suis. Je suis fatigué, désemparé. Tu t'approches de moi, tu poses ta bouteille. Tu t'approches. Encore. Très près. Mon cœur manque un battement quand tu prends ma main abîmée dans la tienne. Tu poses tes lèvres sur mes phalanges. Je ne comprends pas, je ne comprends rien. C'est ton visage qui s'approche du mien maintenant. Mon cœur explose. Littéralement.»

A l'intérieur de l'aéroport, la voix d'une hôtesse le sort de ses pensées pour indiquer la porte d'embarquement du vol en direction de Sydney. Il n'y prête pas attention et continue de marcher sans vraiment savoir où il va. Il passe une porte puis une deuxième, suit le flot d'inconnus sans se poser de questions.

Un sourire apparu sur son visage quand il aperçu au loin deux silhouettes familières lui faisant de grands signes. Et toutes ses angoisses semblèrent s'évanouir instantanément. La famille. Sa drôle et étonnante famille, celle qui l'a adoptée.

« Max, ça y est de retour au bercail ? Tu nous as manqué sale petite enflure ! »

Brass et Franck. Toujours pareil, même après un an de voyage. Franck le serra vigoureusement dans ses bras, très vite rejoint par Brassard qui n'attendit pas son tour. Une accolade à trois qui faisait tellement de bien.

« Moi aussi vous m'avez manqué, moi aussi » s'étouffa Max entre deux embrassades.

Ils marchèrent tous les trois en direction de la voiture de Franck, les paroles fusèrent, s'enchevêtrèrent, se télescopèrent. L'Australie décrite à travers quelques mots, quelques photos, quelques rencontres. La vie à Montréal qui semblait inaltérable peu importe la durée, un an, dix ans, elle restait la même. Un soulagement pour Max. Retrouver sa vie, peut être imparfaite, peut être bancale mais sa vie. Arrêter la fuite.

« Prêt pour ta grosse fiesta ? s'écria Brass de la banquette arrière

Grosse fiesta qui devait être une grosse fiesta surprise, je te le rappelle Brass, marmonna Franck tout en conduisant.

Mais avec vous c'est toujours pareil, des surprises, des trucs cachés, on s'en fou le principal c'est de boire pour fêter le retour de Max ! Pas vrai Max ?

J'aime pas les surprises, grosse fiesta tout court, ça me va ! répondit le principal intéressé.

Alors cap sur le chalet des Rivettes dans ce cas ! entonna un Franck le sourire au lèvres »

Le chalet des Rivettes. L'éternel recommencement, même après un an au bout du monde, on n'y échappe pas, pensa Maxime tout bas en regardant la forêt défiler à travers la fenêtre.

Là que tout a commencé ou que tout s'est fini, au choix.

Après une heure de route, le trio arriva à destination. Sur le perron, Rivette et Shariff les regardèrent s'avancer :

« Mais ce serait pas le beau Max ? s'écria Rivette en imitant – mal, une certaine personne.

Je préfère quand c'est Francine qui le dit, s'exclama Max hilare ».

A coups de grands cris et grands gestes, une nouvelle embrassade à trois puis à cinq s'éternisa sur la terrasse du chalet. Pendant qu'une discussion houleuse débuta autour de la possibilité de voir l'un des garçons faire les courses pour la soirée, Maxime suivit Rivette pour déposer ses affaires dans l'une des nombreuses chambres d'amis.

« Tu es sûr que ça te dérange pas que je reste ? C'est l'affaire d'une semaine, tout au plus deux, le temps que je trouve un truc en ville.

Tu peux rester le temps que tu veux Max, tu le sais bien. C'est pas comme si ma mère ou pire – ma sœur y venait souvent, là je comprendrais ! répliqua Marco dans un clin d'œil. »

Maxime esquissa un sourire à défaut de rire, il n'avait jamais été très moqueur. Rivette vint s'asseoir sur le lit près de Max, le ton se fit plus sérieux :

« Ça va ?

Oui ça va, répondit Max timidement dans un sourire.

Finalement ce sera un an et pas deux donc.

C'est ça. »

Un flottement s'installa dans la conversation. Max avait une question qui lui brûlait les lèvres mais n'osait pas la poser. Pourtant il ne se voyait la poser qu'à Rivette.

« Hum tu sais si... si... Matt vient ce soir par hasard ? »

Maxime avait les yeux baissés, n'osant pas assumer tout à fait sa question et le possible sous entendu que Rivette pouvait percevoir. Si ce n'était déjà pas le cas. Mais comme la réponse ne venait pas, il leva la tête vers son ami. Et rien qu'avec un regard échangé, Maxime sut qu'il savait. Quoi exactement, c'était difficile à dire, mais il avait compris. Peut être même avant lui, avant eux.

« Il a eu l'invitation ça c'est certain, mais je ne suis pas sûr qu'il ait donné de réponse mais...

C'est pas grave, t'inquiète. Merci Marco. Je vais me reposer j'ai un gros coup de barre... Si je veux tenir pour la fête tu vois...

Pas de problème, rejoins nous après alors.»

Alors qu'il allait passer la porte, Rivette se retourna vers son ami :

« Max ?

Hum ?

On en parlera plus tard... tous les deux... si tu veux.

Okay, merci, répondit Max d'un sourire qui cachait mal sa tristesse. »

Une fois la porte claquée, Maxime s'écroula sur le lit. Dormir. Ne plus réfléchir. Oublier un peu.