Je suis de retour à l'agence aujourd'hui, ma chère agent m'ayant appelé hier pour m'annoncer qu'elle m'avait peut-être trouvé une production intéressante. Un film fantastique, qui se passerait dans un monastère reconvertit en école pour de jeunes gens formés à diriger leurs pays respectifs et la noblesse de leur monde. Un monde où une forme de magie et des monstres existent apparemment, sur fond de complot politique et religieux. J'étais plutôt enthousiasmée, car j'avoue avoir un attrait particulier pour le fantastique dans mes préférences de script.

La faute sans doute à tous ces livres et films sur le sujet qui ont émaillés mon enfance et me suivent même encore maintenant. Je me souviens que mon père que me disait souvent qu'à ne jamais sortir la tête de mes bouquins de vampires et de loup-garou, j'allais finir par me prendre pour l'un d'eux. J'ai bien ris en voyant sa tête le jour où je lui ai annoncé jouer dans un film sur le sujet. Il ne m'a pas tout de suite cru au début.

Lorsque j'arrive dans le hall, la même petite souris violette m'accueille comme à son habitude, c'est à dire planquée et faisant semblant de ne pas me voir. Depuis deux mois que je suis en France et presque autant que je viens ici dans l'attente de décrocher un casting, j'ai fini par m'y habituer aussi. Enfin un peu.

—Bernadetta, pourriez-vous dire à Mlle Hresvelg que je suis arrivée ?

—Nooooon ! couine-t-elle toujours aussi fortement.

Elle a beau être minuscule, surtout ainsi recroquevillée, mais elle percerait les tympans du plus sourd des bouchés à n'en pas douter. Elle perce en tout cas les miens à chacune de nos rencontres, je vais finir par investir dans des bouchons d'oreilles pour lui parler.

—Soyez raisonnable, je tente de la rassurer en imitant Dorothea la première fois. Allons, ce n'est qu'un mauvais moment à passer. Une fois mon casting décroché, je ne devrais plus vous embêter avant quelques semaines ou mois selon la durée du tournage.

—Non, non, non ! Je ne veux pas ! Mlle Hresvelg était furieuse tout à l'heure, j'ai cru mourir de peur… sanglote-t-elle presque.

—Comme tous les jours j'ai l'impression… Bien, ne dites rien dans ce cas, je vais simplement monter la voir et ça ira très bien.

—Nooooooooooon ! hurle-t-elle presque cette fois.

—Roh, mais quoi encore ? je commence à m'énerver, la patience me faisant de plus en plus défaut.

—Elle va être encore plus furieuse si vous la dérangez et ça va me retomber dessus !

—Je dirais que je ne vous ai pas remarqué, vous comme vous vous cachez si bien. Après tout, en passant vite, je peux aisément prétendre n'avoir pas vu votre touffe dépasser.

—Vous feriez ça ? demande-t-elle ensuite avec les yeux brillants d'espoir.

Eh bien, j'ignore si elle exagère ou si mon agent est vraiment dans tous ses états pour qu'elle souhaite autant éviter de l'appeler. Elle n'est pas si réticente d'ordinaire, peut-être n'y a-t-il donc pas de fumée sans feu. Mais avec elle, c'est assez difficile à déterminer tant elle fait une montagne d'une taupinière quand elle s'y met… J'en aurais le cœur net en montant j'imagine, ce que je m'empresse de faire avant d'être en retard. Bien que j'ai pris soin de prévoir une marge pour le cinéma habituel de la petite hôtesse d'accueil, elle est vraiment très pénible aujourd'hui. J'ai donc tout juste le temps d'emprunter l'ascenseur et d'arriver dans le bureau d'Edelgard que sonne neuf heures pile, horaire prévu de notre rendez-vous.

Hum, peut-être Bernadetta n'en faisait-elle pas tant que cela tout un foin finalement. Les sourcils hautement froncés de la jeune femme, ainsi que sa salutation plutôt vague sans même me jeter un regard, laissent aisément deviner que quelque chose cloche. Je pourrais presque en trembler si cet énervement était dirigé envers moi. Ce n'est pas le cas évidemment, puisque je ne vois pas bien ce que j'aurais pu faire pour la mettre dans un tel état.

—Asseyez-vous je vous prie, me dit-elle, énervée en effet, mais toujours aussi polie également.

—Vous semblez contrariée, je commence prudemment en m'asseyant au bord du siège.

Dès fois qu'il me faille fuir, ne sait-on jamais. Lorsqu'elle relève enfin les yeux vers moi, je constate qu'effectivement, ils sont plus troublés que d'ordinaire. Ses lèvres se pincent elles aussi de son agacement plus que palpable, avant de finalement soupirer fortement et de me livrer une réponse.

—Qu'est-ce qui vous fais croire que je suis énervée ? demande-t-elle en tentant de contenir sa colère.

—C'est une petite souris qui me l'a soufflé en passant. Cependant ne m'interrogez pas sur son identité, je ne révèle jamais mes sources. C'est une question de confidentialité, vous comprenez.

—Je suis désolée, vous ne devriez pas subir ma mauvaise humeur, s'excuse-t-elle en portant une main, comme toujours habillée de blanc, à l'espace entre ses sourcils pour les défroisser.

Sans succès cependant, puisque demeure son froncement.

—Il n'y a pas de mal. Une mauvaise humeur justifiée n'est jamais à excuser.

—C'est une drôle de formulation, dit-elle, perplexe suite à mon trait d'esprit.

—Elle n'en est pas moins vraie, dis-je en souriant mutinement. Alors ? Qui est donc la cible de vos foudres ?

—Personne en particulier, être agent n'est simplement pas de tout repos, explique-t-elle d'un ton las, sa colère commençant à retomber. D'autant plus lorsque s'engagent des luttes de pouvoir intestines.

—Oh ? Des soucis avec l'un de vos collègues ?

—Un conflit d'intérêt je dirais. Mais peu importe, vous n'êtes pas là pour m'entendre me plaindre.

—Vous m'avez bien écouté l'autre fois au restaurant. Et je vous assure, vous ne battrez jamais mon record de la plus longue complainte.

—Dans un film ou dans la réalité ? interroge-t-elle, semblant entrer dans mon jeu.

—Je vous laisse le soin d'imaginer, avec un clin d'œil tandis que je souris plus largement encore.

On dirait Dorothea… A quoi suis-je en train de jouer au juste ? Je me fais l'effet d'une adolescente en plein flirt. Sauf que cela fait bien longtemps que l'acné m'a quitté – Dieu merci – et que c'est à mon agent que je fais du charme. Agent que je ne connais au bas mot que depuis deux mois qui plus est, croisée le plus souvent entre deux rendez-vous professionnels. Encore une fois, durant une brève seconde, je me dis que commencer ainsi à mélanger travail et vie privée n'est sans doute pas une très bonne idée. Cependant, la rationalité d'une telle pensée s'envole bien vite lorsque je vois fleurir timidement face à moi un sourire.

—Il est des choses qui doivent sans doute demeurer un mystère je suppose, dit-elle ensuite en reprenant son sérieux. Bien, je vous ai demandé de venir au sujet de ce casting dont nous parlions au téléphone hier. J'ai rencontré la scénariste, elle est très intéressée par votre profil pour un rôle bien précis.

—Et lequel est-ce ?

—Celui du Professeur, engagée à la suite du sauvetage d'une des élèves de l'Académie alors qu'elle n'était au départ qu'une simple mercenaire.

—Très intéressant, je commente en me penchant en avant, attentive à la suite.

—Cependant, je dois vous avertir qu'une romance est prévue entre la Professeur et l'élève en question.

—Oui, et alors ?

—Eh bien, je veux seulement m'assurer que devoir tourner ce genre de scène ne vous gêne pas. J'ai déjà eu des acteurs qui n'étaient pas très à l'aise par exemple à l'idée de devoir embrasser un autre acteur de même sexe, même si ce n'est que pour les besoins du scénario.

—Je n'ai pas problème avec cette idée, je la rassure. Tant que l'alchimie entre moi et mes partenaires de jeu est présente, je n'ai aucune gêne à les toucher et les embrasser…

Si c'était mon genre – et ça ne l'est définitivement pas – je rougirais presque de ce sous-entendu. Evidemment, puisque ce n'est pas le cas, je lance plutôt une œillade à peine appuyée à mon interlocutrice, pour jauger de si le sous-entendu ne sonne qu'à mes propres oreilles ou non. Elle ne rougit pas non plus, et de toute façon elle ne me semblait pas femme à s'émouvoir pour si peu. Pour autant, quelques braises s'allument tout de même dans le parme des orbes qui me détaillent avant qu'elle ne hoche la tête.

J'avais dans l'idée de finalement poursuivre ce petit flirt bien sympathique et spontanément engagé. Je ne crois pas me tromper en pensant qu'elle semble avoir aussi envie de jouer et de voir où cela peut nous mener. Seulement, mon élan est vite coupé lorsque nous sommes interrompues par quelqu'un ouvrant en coup de vent la porte du bureau. C'est une femme portant des anglaises blondes rebondissant en tous sens qui est à l'origine de cette entrée fracassante. C'est tout juste si le battant ne va pas cogner contre le mur de verre. Sans la cale fixée au sol, c'est probablement ce qui se serait passé d'ailleurs. Elle me fait l'effet d'un éléphant dans une boutique de porcelaine, à peu de choses près.

—Mlle Hresvelg !

—Constance voyons, je suis en rendez-vous. Vous auriez pu frapper.

—Je suis désolée pour mon entrée Mademoiselle, mais la productrice de Three Houses n'arrête pas d'appeler pour vous parler.

—Eh bien, dites-lui que je suis occupée pour le moment et que je la rappellerais sous peu.

—J'ai bien essayé de lui faire entendre raison, mais elle n'en démord pas. Elle est encore en attente, mais je peux toujours lui raccrocher au nez ! Ho ho ho ! rit soudain cette étrange blonde malgré qu'elle semble sérieuse dans sa proposition.

Ce doit être son assistante je suppose, vu son désir évident de répondre à toutes ses attentes. Bien que sa précédente idée de raccrocher au nez de la productrice me paraisse légèrement… Mauvaise. Sa patronne semble être de mon avis lorsqu'elle la regarde avec un air suspendu entre le navrement et la lassitude qu'elle arborait juste avant. Malgré le raffinement qui se dégage de l'apparence de cette assistante, elle semble manquer de délicatesse pour certaines choses tout de même.

—Mlle Martriz a beau être une personne très conciliante, si nous voulons garder le contrat, il vaudrait mieux vous abstenir de lui raccrocher au nez, pointe la jeune femme aux cheveux neigeux de façon évidente. Je vais la prendre, transférez l'appel dans mon bureau s'il vous plait.

—Bien Mlle Hresvelg, je fais ça tout de suite ! Ho ho ho !

Vraiment étrange… J'ai du mal à croire qu'Edelgard travaille vraiment avec elle. Enfin bon, son étrangeté ne doit pas refléter son efficacité j'imagine. Au moins n'est-elle pas terrifiée face à sa supérieur hiérarchique, contrairement à cette chère Bernadetta quelques étages plus bas.

—Je suis désolée, mais je ne peux pas refuser cet appel comme vous avez pu le voir.

Je lui assure que ça ne me dérange pas et je la laisse décrocher tandis que je sors de son bureau. J'ai bien envie d'aller prendre un petit café en attendant qu'elle en termine avec sa conversation téléphonique. J'ai repéré un distributeur près des escaliers vers lequel je me dirige donc de ce pas. Je suis en train d'insérez ma pièce de monnaie pour régler après avoir choisis un café allongé, tandis que retentit le signal sonore de l'arrivée de l'ascenseur. Le bruit attirant mon attention, je tourne la tête pendant que coule le breuvage noir dans mon gobelet. Je n'ai pas le temps d'apercevoir grand-chose cependant, avant qu'une tornade brune ne me tombe dessus.

—Oh Byleth ! s'exclame Dorothea comme un diable sort de sa boîte. Je suis tellement contente qu'on tourne ensemble encore une fois ! C'est super, tu ne trouves pas ?

—Pardon ? je demande, surprise, car je n'étais pas au courant.

—Tu sais, pour Three Houses ! Je n'en reviens pas que ce soit encore toi qui obtienne le rôle principal par contre ! Tu fais déjà des envieux à peine débarquée à Paris dis-moi, quel succès !

—Attends, attends… Je ne te suis pas Dorothea.

—Sur quelle partie ?

—Déjà, je ne savais pas que tu avais été castée pour le film toi aussi. Mais c'est super oui, comme au bon vieux temps à Venise n'est-ce pas ? Par contre, quelle est cette histoire d'envieux ?

—Oh, Edie ne t'a pas encore dit pour ça non plus alors, s'étonne-t-elle.

—Dit quoi ? je la presse, curieuse de comprendre à quoi elle fait référence.

—Eh bien, au départ ton rôle avait déjà été attribué par la productrice. Seulement, il a été révélé que l'actrice choisie avait bénéficié d'un piston, ce qui n'a pas beaucoup plu à la scénariste. Elle a donc voulu revoir le casting de ton rôle et Edie a sauté sur l'occasion pour te présenter j'imagine. L'autre était folle de rage à ce qu'on m'a dit.

—Tu es bien au courant toi dis moi… Il me semblait qu'Edelgard prenait soin de conserver une certaine confidentialité pourtant, dis-je en plissant les yeux vers elle d'un air suspicieux.

—Mes lèvres sont scellées, me fait-elle un clin d'œil. Dis-toi seulement que je suis perspicace et que depuis que je suis ici, j'ai amplement eu le temps de me faire des contacts intéressants…

—Mouais… Joue donc les cachotières va.

—Déformation professionnelle, que veux-tu ?

—A la base ? Boire mon café pendant que mon agent termine son appel.

—Vous vous tutoyez déjà ? interroge soudain Dorothea, une lueur malicieuse brillant dans ses yeux malachite.

—Non ? je réponds, perplexe d'une telle question. Pourquoi tu me demandes ça ? Et pourquoi « déjà » ?

—Je ne sais pas, mais vu que tu l'as appelé « Edelgard » au lieu de « Mlle Hresvelg » comme tu le fais habituellement…

Je réalise qu'elle n'a en effet pas tort à ce sujet. Cela dit, ça ne signifie rien du tout. J'aime tout autant la sonorité de son nom de famille que celle de son prénom. Edelgard von Hresvelg…

—Question de pragmatisme, je mens éhontément. C'est plus court de parler d'elle dans une discussion de cette façon.

—Du pragmatisme, oui… répète mon amie, guère convaincue de mon explication.

Non, je ne me voile absolument pas la face. Simplement, nul n'a besoin de savoir qu'en effet, ma très jolie agent me plaît. Ni que ses yeux me fascinent, ou encore que je rêve depuis la toute première fois de glisser mes doigts dans sa chevelure si longue et que j'imagine tout aussi douce. Comme le sont aussi très probablement ses lèvres… Non, mes rêveries à son sujet m'appartiennent pour le moment. Et puis, chacun sait – quand on la connait – que Dorothea est une entremetteuse de première catégorie. Elle ne pourrait pas s'empêcher de tenter par tous les moyens de nous rapprocher. Et quand je dis par tous les moyens, j'entends aussi les moins subtils…

—Mlle Eisner, finissez vite votre café, nous sommes attendues sur le plateau de tournage pour rencontrer la productrice, déclare soudain mon agent qui sort justement de son bureau, la contrariété de retour sur son visage.

—Immédiatement ? je demande, un peu bousculée.

—Non, d'ici une petite demi-heure.

—Pourquoi partons-nous dès maintenant dans ce cas ?

—Parce qu'il est hors de question de la rencontrer alors que vous portez vos sempiternels blue-jean et chemise blanche. Sans parler de votre veste élimée…

—Je vous proposerais bien de paraître en sous-vêtements devant elle, ceux-ci étant nettement plus apprêté si l'on s'y attarde, mais vous connaissez mon avis sur la question, je pique, vexée.

—En effet, c'est pourquoi nous passerons d'abord par chez vous pour que vous vous changiez, me répond-elle sans se démonter.

Elle salue rapidement Dorothea avant d'entrer dans l'ascenseur et de me faire signe de la suivre. J'adresse une grimace à la brune, qui elle se fend d'un sourire plus qu'amusé, tout en me faisant un nouveau clin d'œil. Buvant donc mon café d'un trait, en me brûlant au passage, je me dépêche ensuite d'entrer à mon tour dans la cabine avant qu'elle ne se referme.

Peut-être aurais-je dû profiter du voyage jusqu'à mon appartement pour lui préciser que mes « sempiternels » blue-jean et chemise blanche constituent près de 50% de ma garde-robe… Chacun.