Chapitre 4
- Merci, fit poliment Shanmir tandis que Dori déposait une tasse de thé fumant sous son nez.
- Pas de quoi, mademoiselle Shanmir.
- Juste Shanmir, reprit la jeune fille avec un sourire.
Le nain inclina la tête avant d'aller rejoindre ses frères, Ori et Nori assis près du feu. Les nains se trouvaient dispatchés un peu partout dans le salon du hobbit, discutant par petits groupes. La jeune femme avait laissé traîner ses oreilles, écoutant les différentes discutions et avait vite appris les relations familiales qui reliaient les membres de la compagnie de Thorin entre eux - quelque part ce n'était pas si compliqué, les noms des membres d'une même famille étaient extrêmement proches. La jeune fille se mit à siroter tranquillement son thé, bien calée dans un confortable fauteuil. Au bout de quelques minutes elle entendit quelqu'un prononcer son nom et releva instinctivement la tête pour rencontrer le regard de Kili. Le jeune homme se crispa, comme prit en faute, mais Shanmir lui sourit gentiment avant de reporter son attention sur la tasse brûlante entre ses mains.
Le jeune nain n'avait pas l'air méchant et la jeune femme n'avait jamais été du genre à suspecter que les autres disent du mal d'elle dans son dos. Le brun échangea un regard surprit avec son frère et les deux nains se levèrent d'un même mouvement pour venir s'asseoir sur des chaises près de la jeune fille. Shanmir les regarda s'approcher sans se départir de son sourire amical, se demandant ce que les jeunes hommes voulaient.
- Vous avez l'oreille fine pour une humaine, plaisanta Kili.
- C'est de famille, répondit la jeune fille avec un petit clin d'œil.
Le brun s'esclaffa tandis que son frère affichait un large sourire.
- Excusez moi, reprit finalement Kili, je ne voulais pas être impoli.
- Ce n'est rien, répondit la jeune fille. Par contre on ne peut pas se tutoyer ? Je ne dois pas être beaucoup plus jeune que vous deux.
Kili et Fili échangèrent un regard, et la jeune fille eut l'impression que c'était pour eux un moyen de communication au moins aussi efficace que la parole. Finalement le blond la regarda droit dans les yeux avant de sourire et de hocher la tête, bien vite imité par son frère. Shanmir avala une nouvelle gorgée de thé, plissant légèrement les yeux sous la douleur de sa joue gauche.
- Comment t'es-tu blessée ? demanda tout à coup Kili.
C'était si soudain et inattendu que la jeune femme faillit lui cracher sa gorgée de thé à la figure. Sans compter que Shanmir n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle pouvait bien lui répondre. Dire que son père l'avait frappé ne ferait que soulever d'autres questions auxquelles elle n'avait pas la moindre envie de répondre, mais la jeune fille n'avait pas non plus envie de mentir aux nains - les deux frères s'étaient montrés amicaux avec elle dès le début, et elle aurait l'impression de les trahir.
- On m'a frappé, dit-elle finalement en détournant le regard.
Shanmir se tendit en voyant Kili ouvrir la bouche, probablement pour demander qui, et Fili fronça les sourcils. Le blond donna soudain un coup de coude dans les côtes de son frère qui poussa un grognement avant de lancer à regard courroucé à Fili. De nouveau, Shanmir assista avec fascination à un échange muet entre les deux frères. Finalement le brun détourna les yeux, abandonnant sa question. La jeunne femme lança un regard de gratitude au blond qui lui fit un clin d'œil en retour. Quelques secondes de silence passèrent tandis que la jeune fille continuait de boire à petites gorgées le contenu de sa tasse.
- Pourquoi les Valar ne t'on-t-ils pas soignée ? Demanda Fili.
- Ils n'ont eu le droit de soigner que la blessure qui a causé ma mort, répondit la jeune fille en haussant les épaules.
Alors que le nain allait poser une nouvelle question, une voix grave et rocailleuse interpella les deux frères.
- Fili, Kili, venez un peu par ici mes garçons.
Les jeunes nains s'excusèrent auprès de la jeune fille avant de se rendre auprès de Dwalin tandis que son frère, Balin, allait s'asseoir dans le corridor, hors de vue. La jeune fille finit son thé avant de se lever pour rejoindre le nain à la barbe blanche qui avait l'air plus calme que ses confrères. Cependant en sortant de la pièce elle tomba sur le large dos de Thorin qui semblait en pleine conversation avec son aîné. Shanmir allait rebrousser chemin quand la voix de Balin s'éleva, la retenant sur place.
- Je pense que nous avons perdu notre cambrioleur, dit-il d'un ton résigné. C'est sans doute mieux ainsi... après tout que sommes nous, soupira le nain. Des marchands, des mineurs, des rétameurs, des gens qui font des jouets. Pas de quoi faire des héros.
- Il y a quelques guerriers parmi nous, répondit Thorin de sa voix profonde.
- De vieux guerriers.
- Je n'échangerais pas un seul de ses nains contre une armée des Monts de fer, affirma le roi nain avec douceur. Quand j'ai fais appel à eux ils ont accourus. De la loyauté, de l'honneur, un cœur vaillant... c'est tout ce que je demande, murmura l'héritier de Durin.
- Tu n'es pas obligé de le faire, répliqua le vieux nain. Tu as le choix. Tu as agis avec honneur envers notre peuple : tu nous as offert une nouvelle vie dans les Montagnes Bleues, une vie de paix. Une vie qui vaut plus que tout l'or d'Erebor.
- De mon grand-père en passant par mon père, ceci est venu à moi. Ils ont rêvé du jour où les nains d'Erebor reprendraient possession de leurs terres. Il n'y a pas d'autre choix Balin... Pas pour moi, murmura-t-il.
- Nous te suivrons mon garçon.
Shanmir entendit le nain à la barbe blanche se lever et décida de s'éclipser discrètement – Thorin ne serait sûrement pas très heureux de découvrir qu'elle les avait plus ou moins espionnés. Les deux nains passèrent en silence devant elle et la jeune fille décida de se retirer pour chercher Mithrandir – elle aurait souhaité savoir ce qu'étaient advenues les armes que lui avaient donné les Valar. Cependant l'adolescente était à peine sortie du salon que les voix graves des nains s'élevaient dans la pièce, fredonnant un air solennel. Fascinée malgré elle, Shanmir se tourna pour constater les visages sérieux de la compagnie perdus dans le vide tandis que la mélodie emplissant l'air. Et c'est alors que la voix profonde et rauque de Thorin s'éleva au dessus des autres.
Shanmir sentit un frisson lui parcourir le corps tandis que le roi nain chantait, ses yeux brillants dans l'obscurité. Ses jambes flageolèrent sous elle et la jeune fille se laissa glisser le long du mur jusqu'à se retrouver assise par terre. Alors elle ferma les yeux, et se laissa porter par la mélodie tandis que les nains reprenaient le refrain en cœur.
Au-delà des montagnes froides et embrumées
Vers des cachots antiques et de profondes cavernes
Il nous faut aller avant le lever du jour
En quête de l'or pâle et enchanté.
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Les nains de jadis jetaient de puissants sorts
Quand les marteaux tombaient comme des cloches sonnantes
En des lieux profonds, où dorment des choses ténébreuses
Dans les salles caverneuses sous les montagnes.
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Pour un antique roi ou un seigneur elfique,
Là, maints amas dorés et miroitants
Ils façonnèrent et forgèrent, et la lumière ils attrapèrent
Pour la cacher dans des gemmes sur les poignées des épées.
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Sur des colliers d'argent ils enfilèrent
Les étoiles en fleurs ; sur des couronnes ils accrochèrent
Le feu-dragon ; en fils torsadés ils maillèrent
La lumière de la lune et du soleil.
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Au-delà des montagnes froides et embrumées
Vers des cachots antiques et de profondes cavernes
Il nous faut aller avant le lever du jour
Pour réclamer notre or longtemps oublié.
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Des gobelets ils ciselèrent là pour eux même
Et des harpes d'or ; où nul homme ne creuse
Longtemps ils sont restés, et maintes chansons
Furent chantées, ignorées des hommes et des elfes.
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Les pins rugissaient sur les cimes,
Les vents gémissaient dans la nuit.
Le feu était rouge, il s'étendait flamboyant ;
Les arbres comme des torches étincelaient de lumière.
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Les cloches sonnaient dans la vallée
Et les hommes levaient des visages pâles ;
La colère du dragon plus féroce que le feu
Abattit leurs tours et leurs maisons frêles.
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La montagne fuma sous la lune ;
Les nains, ils entendirent le pas pesant du destin.
Ils fuirent leur demeure pour tomber mourants
Sous ses pieds, sous la lune.
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Au-delà des montagnes froides et embrumées
Vers des cachots antiques et de profondes cavernes
Il nous faut aller avant le lever du jour
Pour lui reprendre nos harpes et notre or !
Shanmir sentit une unique larme couler le long de sa joue. Si la conversation entre le chef de la Compagnie et le vieux nain lui avait donné matière à réfléchir, la chanson des nains l'avait littéralement bouleversée. Elle avait ressenti la terreur du peuple chassé de ses terres par le dragon, la douleur des guerriers incapables de protéger leur foyer, mais également l'indignation à l'idée des richesses amassées à la sueur de leurs fronts volées en quelques instants.
La jeune femme s'était plus ou moins retrouvée embarquée dans cette quête sans vraiment le vouloir, les événements s'étant enchaînés de manière affolante depuis sa mort. Cependant les nains venaient d'ouvrir un peu leurs cœurs à travers leur chant ce soir là, et les yeux de Thorin exprimaient à la fois la force de sa détermination et la profondeur de son chagrin. Non, Shanmir ne s'était pas spécialement retrouvée ici de son plein gré. Mais elle était heureuse d'y être, et adressa un remerciement silencieux aux Valar, avant de se promettre de faire tout son possible pour aider les nains à regagner Erebor.
Shanmir essuya la trace de la larme sur sa joue avant de se lever à la recherche du Magicien Gris. Elle le trouva dans la pièce voisine – une chambre d'après le petit lit qui se trouvait dans un coin - en train de fumer sa pipe, les yeux perdus dans le lointain.
- Mithrandir, salua la jeune fille depuis le pas de la porte.
- Entrez, entrez chère petite. Que puis-je pour vous ?
- Monsieur Bilbo... Il ne viendra pas n'est ce pas ?
- Si mon enfant, il ne le sait pas encore mais il viendra.
La jeune femme fronça les sourcils en pénétrant dans la pièce pour aller s'asseoir sur le lit. Balin avait clairement sous entendu que le hobbit ne se joindrait pas à leur expédition, mais aussi que cela la compromettrait grandement. Le Magicien Gris en était probablement lui aussi conscient, alors allait-il forcer le semi-homme à les suivre, même si s'était contraire à sa volonté ?
- N'ayez crainte mon enfant, je ne vais pas le forcer.
Shanmir rougit avant de s'excuser en se demandant si Mithrandir avait le pouvoir de lire dans les pensées.
- Et n'allez pas croire que je lis dans vos pensées, continua le magicien avec un petit sourire. C'est juste qu'elles s'impriment sur votre visage de façon tout à fait visible par n'importe qui.
- Je sais, soupira Shanmir, on m'a souvent dit que j'étais très expressive. Pourtant ce n'est pas comme si je faisais exprès...
- Allons allons, il n'y a rien de mal à cela. Mais il est tard et je m'égare, vous souhaitiez me parler ?
- Oui, en réalité je voudrais savoir où sont passées mes armes. Quelque chose me dis que je vais en avoir besoin avant la fin de cette quête.
- Ah oui bien sur ! Thorin a préféré vous les retirer pour plus de sécurité, bien qu'à mon sens il était évident qu'il vous avait suffisamment effrayé lors de votre première rencontre pour que ne songiez pas à vous en servir.
Shanmir frissonna au souvenir de l'épée du nain contre sa gorge et hocha la tête.
- Allez donc les lui demander, il ne rechignera pas à vous les rendre. Quand ce sera fait revenez dans cette chambre pour dormir quelques heures : il est tard et nous partirons tôt demain.
Note
Shanmir : Ces nains sont relativement polis mais c'est assez désagréable de se sentir jugée de la sorte.
Thorin : *chante*
Shanmir : JE LES SUIVRAIS JUSQU'À MA MORT
