Résumé
« Aucun luxe, aucune opulence dans les rues crasseuses et poussiéreuses – ou plutôt boueuses compte-tenu de la pluie qui s'était remise à tomber – de cette ville miséreuse et misérable. Des néons de toutes les couleurs éclairaient les rues sombres et sales de leurs lumières clignotantes, ajoutant leurs grésillements à la déjà grande variété des bruits de la ville. Seules les narines des passants les plus experts en la matière pouvaient différencier les odeurs de pluie, de nourriture, de fumée et de sueur qui se mêlaient dans l'air, formant un parfum des plus nauséabonds. »
Chapitre 2 – Affamé
"Bienvenue au District 21" indiquait un panneau à l'entrée.
Ce que Cal avait pris de loin pour une grande ville était en réalité une sorte de bourg destiné principalement au logement des travailleurs – découpeurs, gréeurs, manipulateurs de matières dangereuses et autres ferrailleurs employés dans les chantiers de démantèlement qui recouvraient la planète. On était loin de l'idée que Cal se faisait d'une ville, lui qui était plus habitué à la beauté des quartiers supérieurs de Coruscant et à leur succession de gratte-ciels, restaurants gastronomiques, théâtres et opéras.
Le District 21 était surtout un assemblage de petits immeubles, de minuscules échoppes, de cantinas plus ou moins douteuses et de stands de street food. Aucun luxe, aucune opulence dans les rues crasseuses et poussiéreuses – ou plutôt boueuses compte-tenu de la pluie qui s'était remise à tomber – de cette ville miséreuse et misérable. Des néons de toutes les couleurs éclairaient les rues sombres et sales de leurs lumières clignotantes, ajoutant leurs grésillements à la déjà grande variété des bruits de la ville. Seules les narines des passants les plus experts en la matière pouvaient différencier les odeurs de pluie, de nourriture, de fumée et de sueur qui se mêlaient dans l'air, formant un parfum des plus nauséabonds.
Un long gargouillement s'échappa du ventre de Cal. Son estomac criait famine. Il n'avait rien mangé depuis plus d'une journée. Il passa sa langue sur ses lèvres desséchées et craquelées – il avait soif aussi. Et mal – sa blessure au cou le faisait toujours souffrir, comme si elle continuait de brûler. Mais il s'en occuperait plus tard – il devait d'abord manger ensuite il verrait.
Après avoir déambulé dans les rues pendant de longues minutes, analysant les différents stands de nourriture d'un œil hagard, perdu face à la diversité des plats proposés, il finit par jeter son dévolu sur une échoppe de la rue principale qui vendait des sortes de sandwichs chauds aux boulettes.
Il s'approcha silencieusement du stand. Regardant avec envie la nourriture à travers la vitre du comptoir, Cal fut interrompu dans ses pensées par une voix menaçante teintée d'un accent rylothien à couper au couteau.
« Dégage de là, gamin. On ne sert pas les mendiants ici. Pas d'argent, pas de nourriture. »
Cal leva les yeux sur le marchand qui venait de s'adresser à lui, un Twi'lek à la peau rose, aux sourcils froncés et à la bouche tordue par une grimace de dégoût.
Paniqué et honteux, Cal recula précipitamment et courut se réfugier dans l'une des nombreuses ruelles sombres qui partaient de la rue principale. Une fois à l'abri dans l'ombre, il baissa les yeux sur ses mains et ses vêtements. Entre ses cheveux trempés, ses vêtements couverts de boue – le résultat de sa chute de tout à l'heure, en sortant de la capsule – et ses ongles incrustés de terre, il n'avait plus rien d'un Padawan. Il comprenait la méprise du marchand.
Mais Cal savait que ce n'était pas le moment de se soucier de son apparence. Il devait trouver de quoi se nourrir s'il voulait espérer survivre quelques jours dans ce trou à rats, le temps de trouver un moyen de communiquer avec le Temple de Coruscant pour les avertir de ce qui s'était passé. Il ne fallait pas que son maître se soit sacrifié en vain.
Un frisson lui parcourut l'échine – à moitié dû au froid et à moitié dû à la pensée de Jaro Tapal. Il secoua la tête pour chasser les pensées macabres de son esprit. Il n'avait pas non plus le temps de se lamenter.
Toujours caché dans la ruelle, il observa la rue principale. Il n'avait jamais eu à se soucier de trouver sa nourriture jusque-là – que ce soit au Temple ou sur l'Albedo Brave, il y avait toujours de quoi manger à sa disposition. Comment allait-il faire ?
Il était hors de question de faire la manche – il y avait déjà des mendiants à tous les coins de rue, presque tous des adultes plus grands que lui, et il ne faisait pas le poids face à eux du haut de ses treize ans.
Il pouvait aussi se contenter de faire les poubelles. On trouvait parfois des restes tout à fait convenables – le gaspillage poussait les gens à jeter n'importe quoi, même des aliments encore consommables. Et justement, il y en avait plusieurs poubelles juste derrière lui, sous un escalier.
Cal prit une grande inspiration, remonta ses manches et commença sa fouille. Une poubelle remplie de boulons et de tuyaux métalliques en tous genres, une caisse pleine de vieilles couvertures trouées, une autre pleine de bouteilles de bière vides… Les seuls restes de nourriture qu'il trouva étaient recouverts de vers et de mouches – il grimaça de dégoût face à l'odeur répugnante et aux asticots qui se tortillaient joyeusement dans la chair de la viande et des fruits pourris. Bon, finalement les poubelles n'étaient pas une bonne idée.
Il ne lui restait donc qu'une seule autre option : le vol.
Cal se mordit la lèvre inférieure tandis qu'il sentait ses entrailles se tordre – de faim ou de répugnance ? C'était une pratique qui allait contre tous ses principes – prendre le bien d'autrui, alors que jusqu'ici on lui avait appris à défendre les autres ? Mais il n'avait pas le choix. Il était petit, fin et il savait se faire discret – autant d'atouts pour réussir dans ce domaine. Oui. C'était le seul moyen.
Sa résolution enfin prise, il resta un moment à analyser les passants, cherchant qui serait le plus susceptible de se laisser délester de quelques crédits sans s'en rendre compte.
La rue était bondée – c'était le début de soirée, le moment où les premières étoiles commençaient timidement à apparaître et où les travailleurs rentraient chez eux après une journée harassante. Cal nota la grande variété des espèces qui se côtoyaient dans les rues du District 21. Il y avait des passants originaires de toute la galaxie, ce qui le surprit – Bracca n'était pas à ses yeux une planète très attirante, et il se demandait ce qui pouvait attirer autant de monde dans les rues crasseuses de ce trou perdu. En y repensant bien, il connaissait la réponse : le travail. Voilà ce qui les attirait probablement ici. La promesse d'un travail correctement payé qui permettait de vivre convenablement malgré la guerre qui faisait rage dans la galaxie et qui n'épargnait pas non plus Bracca.
Cal sortit de ses pensées lorsque ses yeux tombèrent sur un Sullustéen plutôt bien habillé et dont la démarche ne semblait pas très assurée – il fallait dire qu'il sortait tout droit d'un des nombreux bars qui donnaient sur la rue et qui étaient pleins à craquer à l'heure actuelle. Un riche passant ivre, quelqu'un qui ne se rendrait pas compte de la présence de Cal, et à qui quelques crédits ne manqueraient pas – c'était la cible parfaite pour un premier essai.
Cal sortit de la ruelle et se mêla à la foule. Il s'y fondit immédiatement, sans que personne ne le remarque ou ne pose de questions. Il se faufila entre les passants pour se glisser discrètement derrière le Sullustéen. Il puait l'alcool à plein nez et chantait une chanson joyeuse, quoi que fort vulgaire, à propos des "charmes" des danseuses Twi'lek. Cal le suivit sur quelques centaines de mètres, jouant des coudes parmi la foule pour se rapprocher doucement de sa cible jusqu'à pouvoir la toucher. Il glissa alors sa main dans la plus grosse sacoche suspendue à la ceinture du Sullustéen. Il sentit des morceaux de métal rouler sous ses doigts et, sans réfléchir, il en saisit une poignée avant de faire rapidement un pas sur le côté pour s'éloigner de sa malheureuse victime.
Le Sullustéen n'avait rien remarqué.
Cal se fraya précipitamment un chemin jusqu'à la ruelle la plus proche. Une fois à l'abri dans l'ombre, il soupira de soulagement à l'idée d'avoir réussi du premier coup. Après s'être remis de ses émotions, il ouvrit sa main pour découvrir sa prise : un lingot doré et trois lingots cuivrés – des crédits républicains. Il ne s'était pas trompé en choisissant le Sullustéen ivre.
Il sentit l'espoir renaître à la vue de ces quelques morceaux de métal – grâce à eux, il allait pouvoir manger. Un nouveau gargouillement s'échappa de son ventre.
Affamé, il retourna d'un pas rapide – aussi rapide que la foule le permettait – jusqu'au stand du marchand de tout à l'heure. Les sourcils du Twi'lek se froncèrent de nouveau quand il reconnut Cal.
« - Je t'ai déjà dit qu'on ne servait pas les mendiants ici.
- J'ai de quoi payer », répondit Cal en essayant de prendre un ton assuré, ouvrant sa main pour montrer les crédits qu'il avait en sa possession.
Le Twi'lek se radoucit immédiatement lorsqu'il vit le métal brillant.
Avec ce qu'il avait volé, Cal put s'acheter un sandwich aux boulettes et une bouteille d'eau. Après la transaction, il ne lui restait plus qu'un malheureux lingot cuivré.
Alors qu'il allait partir, le marchand l'interpella.
« Hé gamin. Je ne sais pas comment tu as obtenu cet argent mais… Fais attention. Le District 21 n'est pas un endroit sûr pour un enfant. Tu ferais mieux de retrouver rapidement ta famille et de voir un médecin pour ta blessure. Et surtout, évite autant que possible d'avoir affaire à Darzay. »
Cal le remercia timidement, même s'il ignorait de qui le marchand parlait, avant de s'éloigner avec son butin.
Il faisait maintenant complètement nuit, et les rues étaient en train de se vider rapidement. Les travailleurs épuisés commençaient à céder la place à des noctambules moins nombreux mais visiblement plus dangereux. Cal avait intérêt à trouver rapidement un lieu sûr où passer la nuit. Il se rappela avoir vu un endroit qui pourrait correspondre à ce qu'il cherchait.
Il retourna dans la ruelle où il avait fouillé les poubelles à la recherche de nourriture. Oui, il y avait bien en effet une grande caisse métallique remplie de vieilles couvertures, bien à l'abri sous l'escalier. Il grimpa dans la caisse. L'escalier projetait sur lui une ombre protectrice qui lui permettait d'échapper au regard des éventuels passants.
Une fois installé, il posa son sandwich et sa bouteille. Avant toute chose, il devait s'occuper de sa blessure tant qu'il en avait encore le courage et l'énergie. Il passa doucement sa main sur son cou, frissonnant d'appréhension tandis que ses doigts effleuraient sa peau. La plaie était humide et gonflée. Il ramena sa main devant lui. Le bout de ses doigts était recouvert d'une substance légèrement gluante, d'un rosé translucide – un mélange de sang et de pus. La blessure était plus vilaine que ce à quoi il s'attendait.
Il fouilla autour de lui à la recherche d'un tissu propre. Il en trouva un presque blanc qui semblait en meilleur état que les autres – c'était toujours mieux que rien. Il déchira un morceau de tissu puis tamponna doucement la plaie. Il frissonna de nouveau – cette fois de douleur – et se mordit les lèvres pour retenir un cri. Une fois la blessure nettoyée, il jeta le morceau de tissu souillé par-dessus le rebord de la caisse et déchira un autre morceau pour faire un bandage de fortune. Ça suffirait bien le temps de trouver un médecin pour le soigner.
Son opération terminée, il s'installa le plus confortablement possible et commença enfin à manger son sandwich. Les boulettes étaient encore tièdes. Cal était incapable de dire de quoi elles étaient faites – une chose était sûre, ce n'était pas de la viande – mais elles avaient au moins l'avantage de lui remplir l'estomac.
Il soupira de soulagement. La nourriture chaude le réchauffait un peu. C'était agréable après les récents événements.
Soudain, il sentit quelque chose couler le long de ses joues. Surpris, il passa sa main sur son visage : c'était des larmes. Pourquoi pleurait-il ? Il n'avait aucune raison de—
Et d'un seul coup ce fut comme si un barrage cédait. Les larmes coulèrent à flots, emportant avec elles tout le stress et toute la tension de cette terrible journée.
Les clones. Son maître. La capsule de sauvetage. Le vol.
C'était la première fois qu'il volait quelqu'un. Et même si c'était pour une question de survie, il s'en voulait terriblement.
Voleur.
Au fond de lui une petite voix lui chuchotait combien son acte était répréhensible. Que dirait son maître s'il le voyait là, dévorant – avec un certain plaisir en plus – le fruit de son larcin ? Que penserait Jaro Tapal de son apprenti qui venait de trahir en quelques secondes toutes les valeurs qu'il lui avait enseigné pendant des mois ?
Malgré ses pleurs, il continua d'engloutir le sandwich.
Non ! Non, ce n'est pas ma faute, je n'avais pas le choix !
Le visage inondé de larmes, il termina son sandwich, puis il tira une vieille couverture bleue élimée sur lui pour se protéger du froid, de la pluie et de la nuit. Trempé, misérable et terrorisé, il se blottit en tremblant contre un bord de la caisse, écoutant la pluie fine crépiter doucement sur les marches au-dessus de lui.
Demain serait un autre jour. Oui, il allait se reprendre. Il ne volerait pas une seconde fois, c'était hors de question. Il était un Jedi, il valait mieux que ça. Il ferait ce que son maître lui avait dit. Il attendrait un signal du Conseil Jedi.
La foi. Il devait garder la foi. Ils viendraient le chercher. Oui, c'est sûr, quelqu'un viendrait le chercher.
Cette pensée réconfortante s'éleva dans son grand vide intérieur, et c'est le cœur rempli d'espoir que Cal s'endormit cette nuit-là, confiant, persuadé que demain serait un jour meilleur.
