Résumé

« Au bout de plusieurs longues minutes de marche, Cal finit par cesser de se demander où Prauf l'emmenait. Il cessa de se poser des questions, sauf celle de savoir s'il allait s'effondrer ou faire encore un pas de plus. L'énergie dont il s'était senti empli lors de leur fuite du Septième Ciel l'avait quitté. Arrivé à l'épuisement total, il continua. Ses pieds étaient couverts d'ampoules à cause de ses bottes trop petites, et la marche était un véritable supplice. Chaque nouveau pas était plus douloureux que le précédent et il souffrait le martyre. »


Chapitre 6 – Hébergé

C'est un piège.

Son esprit tentait de l'avertir du danger, mais Cal était trop fatigué pour réagir. Après tout, il ne connaissait ce « Prauf » que depuis quelques heures.

Et si c'était un piège ? Et si sa gentillesse et ses sourires n'étaient qu'une façade cachant un autre Darzay ?

Cal observa le dos de Prauf qui marchait devant lui d'un pas rapide. L'Abednedo ne savait pas pour ses pouvoirs. Il n'avait pas vu ce qui s'était passé dans le bureau de Darzay. Ou alors, s'il avait vu, il n'avait pas compris.

Où allaient-ils ? Devait-il faire demi-tour et s'enfuir ? Mais pour aller où ?

Au bout de plusieurs longues minutes de marche, Cal finit par cesser de se demander où Prauf l'emmenait. Il cessa de se poser des questions, sauf celle de savoir s'il allait s'effondrer ou faire encore un pas de plus. L'énergie dont il s'était senti empli lors de leur fuite du Septième Ciel l'avait quitté. Arrivé à l'épuisement total, il continua. Ses pieds étaient couverts d'ampoules à cause de ses bottes trop petites et la marche était un véritable supplice. Chaque nouveau pas était plus douloureux que le précédent, et il souffrait le martyre.

Cal s'apprêtait à s'écrouler en pleurant comme un bébé quand Prauf s'arrêta enfin devant un petit immeuble terne et discret. Après une courte pause, l'Abednedo entra sans hésiter dans le bâtiment, et Cal le suivit à l'intérieur. Ils empruntèrent un escalier en béton gris qui les mena au premier étage. Le couloir où ils arrivèrent ressemblait à n'importe quel couloir d'immeuble défraîchi. Cal nota sans rien dire la légère odeur d'urine qui flottait dans l'air. La misère était partout sur Bracca.

Prauf poursuivit son chemin jusqu'à la deuxième porte à droite. Il s'arrêta de nouveau et sortit une carte magnétique pour déverrouiller la serrure.

« Bienvenue chez moi, annonça Prauf en poussant la porte avant d'inviter Cal à le suivre dans son appartement. Ce n'est pas le grand luxe mais je suppose que c'est mieux que tout ce que tu as connu ces derniers temps. »

Il n'avait pas tort. Cal ne pouvait pas dire que sa caisse sous l'escalier ou sa paillasse inconfortable du Septième Ciel lui manquaient.

Le garçon inspecta la pièce d'un regard circonspect. L'appartement était plus accueillant et plus confortable que ce à quoi il s'attendait. Une kitchenette occupait la moitié de ce que Cal supposait être la pièce de vie. L'autre moitié était composée d'un vieux canapé brun et d'une large table basse. Un magnifique tapis aux complexes motifs aldéraaniens recouvrait le sol. Deux portes – une au fond à gauche et l'autre sur le mur de droite – menaient probablement à la chambre et à la salle de bain.

« - Tu vis seul ? demanda Cal avec curiosité.

- J'ai été marié, répondit mornement Prauf. Mais elle est partie. J'étais ingénieur, avant. Quand l'Empire est arrivé, j'ai perdu mon emploi – comme tous les aliens. Elle n'a pas accepté de devoir réduire son train de vie. Je n'ai pas pu me résoudre à quitter Bracca. »

Lorsqu'il se rendit compte que Cal le regardait, Prauf haussa les épaules puis changea de sujet, essayant d'adopter un ton plus enjoué.

« Si tu as faim, i manger dans le frigo. Et la salle de bain est là-bas, ajouta-t-il en pointant le doigt vers la porte de droite. Je dois filer, je suis déjà en retard pour le travail. Ne t'inquiète pas, tu ne risques rien. Personne ne peut entrer ici à part moi. Demain je t'emmènerai voir le recruteur de la Guilde. En attendant repose-toi. Allez, à toute à l'heure. »

Prauf lui fit un petit salut de la tête et sortit. Cal entendit le cliquetis caractéristique d'une porte qu'on verrouille. Il n'eut alors plus ni la volonté ni la force de se retenir, et il s'écroula sur le vieux canapé, faisant grincer tous ses ressorts. Il resta là un long moment, immobile, jouissant de la cessation du mouvement, sans savoir s'il parviendrait à se relever et sans s'en soucier.

Soudain, il sentit comme un courant d'air frais caresser sa peau, hérissant tous ses poils un par un. Il se redressa brusquement, en sueur. Son cœur battait la chamade. Combien de temps avait-il dormi ? Darzay allait le tuer…

C'est alors qu'il se rappela où il était et ce qui s'était passé.

Meurtrier.

Chassant la petite voix qui murmurait dans un coin de sa tête, Cal se leva sans bruit et marcha silencieusement jusqu'à la fenêtre. Dehors il faisait nuit, et les néons qui éclairaient la rue projetaient leurs lumières colorées sur la foule des travailleurs qui rentraient chez eux. Il resta un moment à les regarder, hypnotisé par le flot humain qui se déversait sous ses yeux, comme une immense rivière vivante.

Il finit par détacher ses yeux de la fenêtre pour regarder l'horloge fixée au mur. Prauf n'était pas encore là, mais il n'allait sûrement plus tarder. Et s'il en profitait pour prendre une douche ?

Cal se dirigea vers la salle de bain. Il entra prudemment, inspectant la pièce du regard pour s'assurer qu'il ne courrait aucun danger. Elle était remplie d'un bric-à-brac monumental – un loth-cat n'y aurait pas retrouvé ses petits. Il parvint tout de même à trouver une serviette propre dans le fatras de vêtements entassés là. Puis il se déshabilla et pénétra dans la cabine de douche. Depuis combien de temps n'avait-il pas pris une vraie douche ? Depuis l'Albedo Brave. Depuis—

Cela lui semblait une éternité.

Lorsque l'eau chaude commença à couler, Cal ne put retenir un soupir de soulagement. C'était tellement agréable. Il était seul depuis si longtemps qu'il avait oublié cette délicieuse sensation de l'eau tiède ruisselant sur sa peau, de la chaleur réchauffant son corps glacé par la pluie qui tombait presque continuellement sur Bracca. Après toutes les épreuves qu'il venait de traverser, il pouvait enfin se permettre d'espérer retrouver une vie normale. Une nouvelle vie.

A cette pensée, il ne put retenir les émotions qui tentaient de se déverser hors de son cœur trop plein. Il essaya de retenir ses larmes, mais sans résultat car celles-ci se transformèrent en sanglots qui le secouaient violemment. L'eau chaude emporta avec elle la crasse et les larmes accumulées par Cal durant cette dernière année.

Enfin, le cauchemar était fini. Enfin.

Lorsqu'il n'eut plus de larmes à verser, Cal coupa l'eau et sortit de la douche. Il se sécha rapidement sans oser dévisager son reflet dans le miroir par peur de faire face à l'ombre du Padawan qu'il avait été, et il revêtit ses vieux vêtements avant de peigner maladroitement ses cheveux avec ses doigts. Ils avaient tant poussé depuis… depuis ce jour.

Quand il sortit de la salle de bain, Prauf était rentré. Il l'attendait dans la cuisine. Il avait posé sur la table deux bols fumants et deux petites miches de pain. Il invita Cal à le rejoindre d'un geste de la main. Le garçon s'approcha sans rien dire et s'assit à table avec lui. Il huma la bonne odeur de soupe qui émanait de son bol avant de le saisir en prenant bien garde à ne pas se brûler. Il garda le bol entre ses mains, profitant un instant de cette chaleur réconfortante, avant de boire son contenu.

Hmmm. C'était délicieux. Jamais de sa vie il n'avait mangé une soupe aussi bonne.

« Hé, moins vite, fit gentiment remarquer Prauf. Tu risques de t'étouffer. »

Cal s'arrêta juste à temps, évitant que la prédiction de Prauf ne se réalise. Puis il prit le pain posé devant lui. Il s'agissait d'un simple pain réhydraté auquel il n'aurait accordé aucune attention lorsqu'il était encore Padawan. Aujourd'hui c'était le mets le plus appétissant qu'il ait vu depuis des mois. La croûte dorée croustilla avec délice sous ses dents. La mie moelleuse et encore tiède était encore meilleure.

Une nouvelle vie. Une vie normale.

Sans raison semblait-il, les larmes lui montèrent aux yeux et coulèrent lentement sur ses joues avant qu'il ait pu les refouler. Il ne pouvait pas les essuyer sans révéler sa faiblesse. Alors il baissa la tête, et ses longs cheveux roux lui voilèrent le visage.

Il ne savait pas que Prauf avait vu les gouttes briller sur ses joues couvertes de taches de rousseur, puis se perdre aux commissures de ses lèvres. L'effrayante épreuve qu'il venait de traverser, les terribles mois de servitude qu'il venait de vivre – s'en était assez pour briser même le plus fort.

Comme pour briser le silence embarrassant qui s'était installé, Prauf se râcla la gorge avant de reprendre la parole.

« Attends-moi ici et retire ton haut. Je reviens avec de quoi soigner tes blessures. Il faut que tu fasses bonne impression au recruteur de la Guilde demain. »

Prauf se leva, et Cal en profita pour essuyer discrètement ses larmes et terminer sa soupe. Il reposa son bol vide sur la table alors que Prauf revenait avec un vieux tube de bacta presque vide. Cal enleva sa tunique tandis que l'Abdnedo tirait une chaise pour se mettre face à lui. Prauf ouvrit le tube, et un gel transparent aux reflets bleutés en sortit.

Lorsque Prauf effleura sa peau pour mettre le gel, Cal eut un mouvement de recul. Il voûta ses frêles épaules, comme s'il cherchait à se protéger des coups. Comme si le moindre contact physique risquait de le brûler.

Prauf dû remarquer sa réaction, car il se fit plus doux. Il étala le plus délicatement possible le gel sur les coupures et hématomes qui recouvraient le corps du garçon. Cal frissonna au contact du gel frais sur sa peau. Le bacta fit rapidement effet, apaisant ses blessures. Il soupira une nouvelle fois de soulagement.

« La plupart des hématomes devraient avoir disparu demain, dit doucement Prauf. Et les coupures devraient avoir commencé à cicatriser. »

Apparemment l'Abednedo aimait bien faire la conversation seul, ce qui arrangeait bien évidemment Cal. Moins il parlait, plus il avait de chances de rester en vie.

« Par contre je ne peux rien faire pour cette vieille cicatrice dans ton cou. Je ne sais pas qui l'a soignée, mais il n'était pas très doué. Elle n'est pas belle. Comment tu t'es fait ça ? »

Cal se figea brusquement à cette question et rentra la tête dans ses épaules. Prauf ne pouvait savoir. Il ne devait pas savoir. Comme il ne pouvait guère commenter ces paroles, Cal sourit tristement sans répondre.

« - Bah c'est pas grave, reprit l'alien en refermant le tube avant de le poser sur la table à côté de lui. Comment te sens-tu ?

- Je vais très bien. Merci », affirma Cal en essayant de se retenir de grimacer à chaque mouvement qu'il faisait.

Il voyait bien le doute dans les yeux de l'Abednedo, mais celui-ci ne dit rien.

« - Allez, maintenant on va passer aux cheveux, annonça Prauf.

- Aux cheveux ? demanda Cal, surpris.

- Oui. Tu as besoin d'une bonne coupe de cheveux. Ils sont abîmés et emmêlés. Je te rappelle que tu dois faire bonne impression si tu veux avoir ce job. La Guilde veut un gréeur en bonne santé, pas un gringalet maladif qui lui fera perdre plus d'argent qu'en gagner. »

Prauf se retourna pour saisir une longue paire de ciseaux dans un tiroir, puis il se plaça derrière Cal.

Tchk. Tchk. Tchk.

Seul le bruit des ciseaux rompait le silence qui était revenu s'installer entre eux.

Cal sentait les mèches de cheveux frôler ses épaules nues, tombant par terre comme les feuilles tombent des arbres à l'automne. Il regarda les mèches d'un roux flamboyant éparpillées au sol, reflétant la lumière du néon de la cuisine.

Une nouvelle vie. Une vie normale.

« Voilà, j'ai terminé », annonça fièrement Prauf en reposant les ciseaux à leur place.

Cal passa sa main dans ses cheveux pour appréhender sa nouvelle coupe. Le regard pétillant, Prauf le regarda faire, un sourire amusé aux lèvres.

« Je t'ai laissé un peu de longueur. J'ai cru comprendre que vous, les humains, étiez attachés à vos cheveux. Je n'ai jamais bien compris ce que vous leur trouviez, mais bon. » Il fit une courte pause, observant Cal retenir un bâillement, avant de reprendre. « Tu devrais aller te reposer. Une grosse journée nous attend demain. »

Prauf avait raison. Cal était épuisé.

Suivant son conseil, le garçon se leva, remit sa tunique et souhaita une bonne nuit à Prauf. Une fois l'Abednedo dans sa chambre, Cal s'allongea sur le vieux canapé. Il resta un moment à fixer les fissures qui lézardaient le plafond blanc, cherchant un sommeil qui ne venait pas. Les images de ces dernières heures tournaient dans sa tête comme un tourbillon sans fin. Il revoyait le Septième Ciel, Vurtchaa le guidant dans le couloir aux riches tapis, l'immense porte en bois sculpté, le bureau métallique lui rentrant dans le ventre, Darzay débouclant sa ceinture, le trophée en bronze vacillant sur l'étagère…

Une nouvelle vie. Une vie normale.

Est-ce qu'il pouvait vraiment l'espérer ?

Il ferma les yeux.

Meurtrier.

Non.

Même s'il était enfin libéré de Darzay, Cal savait au fond de lui que ce dernier ne cesserait jamais de hanter ses cauchemars les plus sombres.