Résumé

« Ben voilà, c'était pas si compliqué. Et pas besoin de t'inquiéter. La Guilde n'a que faire de ton âge, de ton nom ou de ton passé. Peu importe qui on est ou qui on a été. Tout ce que qu'on a à faire, c'est travailler dur et faire profil bas. Surtout quand on cherche à échapper à l'Empire. »


Chapitre 7 – Recruté

« Allez viens. On va voir le vieux Drench. »

Cal emboîta le pas de Prauf, observant avec curiosité les rues illuminées par le soleil matinal qui se levait timidement. Il était encore tôt, et les premiers travailleurs commençaient tout juste à apparaître.

Le District 32 ressemblait en tous points au District 21. Les mêmes rues aux pavés à moitié recouverts de boue, les mêmes bâtiments aux lumières colorés, les mêmes nuages gris annonciateurs de pluie, les mêmes visages fermés et fatigués, la même pestilence rappelant la misère qui régnait en maîtresse sur Bracca. Il en déduisit que tous les Districts avaient été construits sur le même modèle. Y avait-il ici aussi un "Darzay" ? Ou l'Empire et la Guilde se faisaient-ils obéir avec plus de respect qu'au District 21 ?

Peu importe. Cal se rappela ce que Prauf lui avait répété tout au long du petit déjeuner. Il devait faire bonne impression. Mais à mesure qu'il approchait de son but, il sentit son courage fondre comme neige au soleil.

Lorsqu'ils arrivèrent devant le local de recrutement, Cal s'arrêta, laissant Prauf entrer seul dans le petit immeuble aux murs décrépits. Seul le logo au-dessus de la porte d'entrée indiquait qu'il s'agissait d'un bâtiment de la Guilde des ferrailleurs.

Un vent froid souffla sur l'âme de Cal. Pendant un instant, il avait oublié qu'il était un Padawan en fuite sur une planète sous contrôle impérial. La conscience lui en revint avec toute sa force. Il n'avait pas de famille, pas d'ami, personne en qui faire confiance et personne pour le protéger. Les mêmes interrogations que celles de la veille lui revinrent. Et si c'était un piège ?

A côté de la porte, un gamin de son âge se tenait assis par terre, tendant la main vers les passants dans l'espoir d'obtenir quelques crédits. Il était pauvrement vêtu, et d'une maigreur qui rivalisait avec celle de Cal. Ses grands yeux bleus étaient des miroirs qui renvoyait à Cal son image, et soudain ce qu'il y vit lui déplut. Il baissa la tête devant ces yeux suppliants et battit des paupières pour refouler ses larmes. Serrant les dents et les poings, il fit un pas en avant et entra résolument dans le bâtiment.

La pièce dans laquelle il pénétra était sombre et miteuse. Il pouvait voir les particules de poussières soulevées par son entrée danser devant la lumière tamisée des néons crasseux et grésillants. L'endroit sentait la moisissure. Prauf était là, en train de discuter avec un vieux droïde de protocole installé derrière un comptoir. Cal arriva juste à temps pour entendre la fin de leur conversation.

« Vous avez de la chance, il n'y a personne à part vous aujourd'hui. Monsieur Drench va le recevoir immédiatement. »

Prauf se retourna vers Cal.

« - Allez gamin, je te souhaite bonne chance. Je t'attends dehors. »

- Merci Prauf », répondit Cal.

L'Abednedo ébouriffa tendrement les cheveux de Cal puis disparut dans la lumière de la rue. Cal déglutit et se retourna vers le droïde. Il était seul de nouveau. De nouveau, il ne pouvait compter que sur lui-même.

Le vieux droïde l'invita à le suivre et le guida dans un dédale de couloirs sombres jusqu'à une porte rouillée. Il frappa deux coups et ouvrit la porte grinçante avant de s'adresser poliment à quelqu'un que Cal ne voyait pas de là où il était.

« - Monsieur Drench, voici le garçon qui vous a été recommandé.

- C'est bon, ZO-P6. Fais-le entrer, répondit une voix éraillée mais dynamique. Et retourne à ton poste, espèce de vieux tas de boulons. »

Sans relever l'insulte, le droïde s'inclina poliment et fit demi-tour, laissant Cal seul dans le couloir.

« Ben vas-y, entre, ne reste pas planté là », ordonna sèchement la voix.

Cal obéit docilement et pénétra dans une petite pièce remplie d'un bric-à-brac sans nom. Il faisait une chaleur étouffante. Un petit homme tout desséché à moitié recroquevillé sur lui-même était assis sur une chaise à côté d'une table.

« Assieds-toi », ordonna le vieil homme d'un ton autoritaire – Cal supposa que c'était Drench – en indiquant une chaise vide face à lui.

Cal obéit encore une fois sans rien dire. Il dévisagea le vieillard. Il avait des cheveux gris emmêlés et des yeux noirs comme la nuit.

« Pas très loquace, hein, fit remarquer Drench. Pas que j'm'en plaigne remarque. J'préfère le silence aux blablas. Bon allez. Prénom, nom, âge. »

Cal cligna des yeux sans comprendre, confus.

« - J'ai dit prénom, nom, âge, répéta le vieux Drench d'un ton légèrement agacé.

- Cal Ke— »

Attends ! Réfléchis ! le prévint une voix intérieure. Réfléchis à ce que tu vas dire !

Cal prit une profonde inspiration et reprit.

« Caleb Kenobi. Seize ans. » Il avait répondu la première chose qui lui était passée par la tête.

« Mouarf ! Tu as beaucoup appris, gamin. Mais pas assez. »

Les yeux de Cal s'étrécirent, incrédules. Le vieillard émit un bref éclat de rire qu'il réprima immédiatement, dardant un regard moqueur vers Cal.

« - Imbécile ! Si tu veux apprendre à mentir, apprend à le faire correctement. Je répète. Prénom, nom, âge.

- Cal Kestis. Quatorze ans », marmonna Cal en baissant honteusement la tête.

Le vieillard eut un grand sourire, révélant une bouche édentée, comme un trou noir et béant.

« Ben voilà, c'était pas si compliqué. Et pas besoin de t'inquiéter. La Guilde n'a que faire de ton âge, de ton nom ou de ton passé. Peu importe qui on est ou qui on a été. Tout ce que qu'on a à faire, c'est travailler dur et faire profil bas. Surtout quand on cherche à échapper à l'Empire. »

Stupéfait par ces paroles qui frappaient si juste, Cal fixa le vieillard, tentant de deviner ses intentions. Il n'y parvint pas. Avait-il compris qui était vraiment Cal ?

« Gaucher ou droitier ? » demanda subitement Drench.

Cal le regarda encore une fois avec confusion.

« - Tu es gaucher ou droitier ? dit le vieil homme exaspéré. Ou alors complètement sourd ? se marmonna-t-il pour lui-même.

- Droitier », répondit Cal sans comprendre où il voulait en venir.

Sans prévenir, le vieillard lui saisit le bras droit et lui imprima une torsion avant de le plaquer sur la table et de refermer deux entraves métalliques sur son poignet et son coude. Cal poussa un petit cri de surprise et tenta de se libérer, mais il était pris au piège. Prauf et Drench l'avait eu ! Il sentit la panique monter dans sa gorge sèche.

« Hé, du calme gamin, lui ordonna le vieil homme. C'est juste pour éviter que tu bouges pendant que je fais ton tatouage. Sinon je risque de foirer mon travail, et je devrais recommencer. »

Cal le regarda, surpris.

« - Mon tatouage ?

- Ton ami qui t'a amené ici ne t'as pas dit ? Tous les membres de la Guilde ont un électro-tatouage. Il sert de carte d'identité et de passe d'entrée sur les chantiers. Entre nous, ça sert surtout à la Guilde pour savoir où se trouvent ses membres et vérifier qu'ils sont bien au travail. »

Drench prit un outil dans sa longue main osseuse. Cal frissonna en remarquant la longue aiguille au bout. Mais il n'eut pas le temps de s'inquiéter davantage car Drench commença immédiatement son œuvre. Lorsque l'aiguille s'enfonça dans la peau tendre de son avant-bras, Cal ne put réprimer un petit gémissement. Cet outil avait déjà servi pour de nombreux ferrailleurs avant lui, et leurs souvenirs lui revenaient comme un écho au travers de la Force.

Un Ithorien regarde la longue aiguille qui s'apprête à s'enfoncer dans son bras, se demandant si cela va faire mal. Une vieille femme coiffée d'un chignon strict relève fièrement le menton pour prouver qu'elle est encore capable de travailler malgré son âge. Un homme à la peau noire espère que cet emploi de ferrailleur lui permettra de gagner assez pour s'acheter un billet pour Nar Shaddaa. Une Zabrak avec une corne cassée baisse la tête, honteuse d'en être réduite à travailler pour la Guilde après des années passées au poste d'ingénieur. Une orpheline aux cheveux blonds un peu plus âgée que Cal regarde bravement les yeux noirs qui la scrutent avec attention pour ne pas montrer qu'elle est terrifiée…

Appréhension, désespoir, détermination, peur… A chaque entrée de l'aiguille, Cal ressentait ce que ses prédécesseurs avaient ressentis eux aussi. Toutes ces émotions se mêlaient les unes aux autres dans un maelström de souvenirs confus et indistincts, jusqu'à la nausée.

Cal serra le poing droit et enfonça ses ongles dans sa paume, comme si cela pouvait faire disparaître la douleur – celle du tatouage qui prenait forme sur son avant-bras, mais aussi celle de son âme blessée – frissonnant des efforts qu'il faisait pour réprimer ses émotions.

Il ferma les yeux et respira lentement, comme si chaque expiration pouvait chasser la douleur et chaque inspiration le remplir de confiance.

Lorsque Drench reposa enfin son outil et libéra son bras, Cal ne put retenir un soupir de soulagement. Il frotta son poignet endolori avant de regarder l'étrange tatouage noir qui ornait désormais son avant-bras.

« T'es plutôt coriace pour un freluquet dans ton genre. »

Sa voix était-elle railleuse ou sincère ? Cal releva la tête et scruta intensément le visage du vieillard sans pouvoir en décider. Les yeux du vieillard, seules fenêtres sur son âme, étaient froids et impénétrables.

« Maintenant déshabille-toi entièrement. »

Drench se leva et se dirigea vers une grande armoire. Il l'ouvrit et fouilla à l'intérieur en marmonnant tandis que Cal obéissait sans rien dire. Une fois nu comme un ver, le garçon resta debout, attendant d'autres instructions. Embarrassé, il tenta piètrement de cacher sa nudité de ses deux mains. Malgré la chaleur qui régnait dans la pièce, il se surprit à frissonner.

« Il est trop petit et trop maigre, grommela Drench pour lui-même. Ça ne lui ira jamais. Je crois qu'il me reste un modèle pour Ugnaught quelque part. Ça fera bien l'affaire le temps qu'il grandisse. Ah, le voilà ! »

Il jeta à Cal des sous-vêtements neufs, un pantalon et une tunique d'un épais tissu bleu sombre, ainsi qu'un poncho identique à celui de Prauf et une paire de bottes. Le garçon les enfila rapidement, pressé de couvrir son corps nu.

« Ne t'inquiète pas pour tes vieux vêtements. Je les brûlerai. Et voilà une paire de gants de travail et une ceinture à outils, ajouta Drench en posant le matériel sur la table. Tu es affecté à l'équipe Resh-13. Ton chef d'équipe te fournira tes outils mais ça sera à toi de les entretenir. Tu as le droit à deux tenues neuves par an et à deux médikits par mois. Leur coût est déduit de ton salaire. Tu touches 300 crédits par mois, plus les primes éventuelles pour les missions dangereuses ou les découvertes de valeur. Si tu as besoin d'un logement, il me reste une chambre libre dans un immeuble de la Guilde. »

Cal hocha la tête, acceptant sans rien dire l'offre de logement qui lui était faite.

« - Le loyer est de 200 crédits par mois, déduits aussi de ton salaire, continua Drench en lui tendant un papier. Tu trouveras l'adresse sur cette note. Tu commences aujourd'hui. Les horaires sont sept heures – dix-neuf heures, avec trois pauses d'une demi-heure chacune. Tu as le droit à un jour de repos dans la semaine. A voir avec ton équipe. Tu as d'autres questions ?

- Je dois signer un contrat ? demanda innocemment Cal.

- Un contrat ? Quel contrat ? répondit le vieillard en étouffant un gloussement. Tu appartiens à la Guilde désormais, Cal Kestis. Bienvenue au Purgatoire ! »

Face au sourire édenté du vieux Drench, Cal ressentit un certain malaise, comme s'il avait reçu un cadeau dont il savait au fond qu'il n'en était pas un, et qu'il craignait la facture à payer par la suite. Redoutant, s'il restait un instant de plus dans cette petite pièce étouffante, de s'effondrer, révélant sa faiblesse et sa peur, il se retourna et quitta la pièce en murmurant un petit "au revoir". Dans le couloir, il se mit à courir, comme pour fuir le regard inquisiteur du vieillard à l'inquiétant sourire.

Lorsqu'il sortit enfin dans la rue, il fut accueilli par une pluie fine et glacée. Les mots du vieux Drench résonnaient encore dans ses oreilles.

« Ça s'est bien passé ? » demanda Prauf en le voyant.

Mais cette question restait lointaine, semblant moins réelle que la soudaine sensation de fraîcheur sur son visage. Cal leva son visage vers le ciel, fermant doucement les yeux pour mieux sentir les gouttes de pluie rafraîchir sa peau fiévreuse. Il se sentait vivant. Etrangement vivant.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, il se tourna vers Prauf et sourit timidement. Puis il ouvrit la bouche, étonné de s'entendre parler d'une toute petite voix tendue.

« Je suis prêt. »