Petit mot de l'auteure : première fois que j'écris sur Gaby, alors que c'est un de mes personnages préférés de SNK. Ouais. Unpopular opinion. Et ouais, Sacha :'( Mais... ce personnage, ce qu'il raconte et dénonce sur les enfants soldats, la propagande, les enfants enrôlés et leur place dans les régimes totalitaires... C'est un personnage touchant, complexe et intéressant. Bref. Je l'aime.
Ce texte a été écrit pour la nuit du FoF sur le thème fissure !
Cela avait commencé par une fissure.
Une toute petite fissure, si petite qu'il avait été tellement facile de l'occulter, de faire comme si elle n'était pas là, devant elle.
Cette petite fissure, c'était le rire de Reiner. Ce rire qu'elle avait tant espéré pouvoir entendre de nouveau, le rire dont elle pensait que les démons insulaires arracheraient de leurs monstrueuses griffes et qu'ils réduiraient en cendres. Et lorsque Reiner était enfin rentré de mission, elle n'avait attendu qu'une chose, qu'il brise la lourdeur de leur vie pour retentir comme lorsqu'ils étaient enfants. Et elle l'avait bien entendu de nouveau, mais ce rire là, il n'avait rien avoir avec celui de ses souvenirs.
Tout d'abord, parce qu'il était précédé d'une phrase aberrante, une phrase que l'ancien Reiner n'aurait jamais prononcée – « au fond, ces démons, ils ne sont pas si différents de nous ». Mais surtout, parce qu'il avait sonné faux, horriblement faux. Avant, Reiner mentait tout le temps, sauf lorsqu'il riait. Il était toujours sincère dans ces moments. Mais là, à cet instant, Gaby écoutait son cousin rire, et tout ce qu'elle ressentait, c'était un immense mensonge.
C'était ça, la première fissure.
Le rire de son cousin qui semblait n'être émis que pour faire passer sa phrase pour une mauvaise plaisanterie.
Mais la fissure était si faible, si petite, si invisible, que Gaby l'oublia bien vite.
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La fissure s'était élargie peu de temps après.
Les démons étaient venus abattre leur colère sur eux, avaient tués des innocents, condamnés à mort des centaines d'autres – car qui paieraient pour cette attaque ? Ce serait elle, sa famille, ses amis, tous les autres du camp. Ces monstres ne pensaient vraiment à rien d'autre qu'à la destruction.
Alors Gaby se faufila dans le dirigeable et abattit le premier démon qui fut à sa portée.
En voyant avoir fait mouche, sa première réaction fut d'être heureuse. Et fière, fière d'avoir montré au monde qu'ils étaient peut-être des monstres, mais pas elle, elle les combattait. Et rassurée, aussi elle venait d'en tuer un, ils ne pourrait pas la tuer, tuer quelqu'un de sa famille, en montrant qu'elle était dévouée, elle avait dispersé le moindre soupçon de trahison de la part des siens. Elle avait sauvé sa famille, affaibli le camp des montres, tout était pour le mieux.
Sa deuxième réaction fut l'étonnement le plus total.
Elle ne fut pas surprise plus que cela d'être arrêtée par les démons et mise aux fers. Elle devait leur reconnaître une certaine force. Non, ce qui l'étonna, ce fut les larmes qui coulaient de leurs joues. Ils étaient réunis autour du cadavre et ils pleuraient. Plusieurs hurlaient de rage, de colère, mais ce que Gaby percevait le plus dans ces cris, c'était la tristesse, celle que l'on ressent devant la perte d'un être aimé.
Comment était-ce possible ?
Les démons étaient des monstres, des machines de guerre sans émotions, créés pour détruire. Ils étaient incapable d'aimer.
Ils étaient incapable d'aimer.
Incapable.
Les mots de ses instructeurs, du gouvernement, de ses parents tournaient encore et encore dans son esprit.
Les démons sont des monstres.
Ils sont incapables d'aimer.
Alors pourquoi pleuraient-ils autant la mort de cette jeune femme ?
Cette fois-ci, Gaby ne put faire comme si elle n'avait pas sentit la fissure. Elle était là, incarnée par cette question qui venait ébranler quinze années d'une vérité qu'elle pensait acquise. Et cette fois-ci, Gaby ne plus oublier la fissure.
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La dernière fissure fut celle du non retour.
Ce fut Arthur Braus qui la provoqua.
Arthur, qui l'avait recueilli, elle et Falco, dans sa maison, qui les avait nourri, logés, protégés. Arthur qui avait agrandit la fissure peu à peu, par sa gentillesse, sa patience, son empathie – autant d'émotion que les démons n'étaient pas censés ressentir. À cette époque, la fissure s'était simplement faite plus présente, mais elle n'avait pas complètement disparue. Gaby se disait toujours qu'il se montrait gentil pour mieux les amadouer.
Mais voilà.
Arthur avait refusé de la tuer alors même qu'il venait d'apprendre qu'elle était responsable de la mort de sa fille.
Arthur, qui s'était agenouillé pour la prendre dans ses bras, et qui lui avait demandé doucement si elle allait bien.
Gaby répondit automatiquement que oui, mais la réponse était non.
Non, elle n'allait pas bien.
Elle n'allait pas bien car la fissure c'était faite si grande que le mur entier s'était effondré. C'était un mur d'années de mensonges, de propagandes, de maltraitances, de peur, d'humiliation, dont chaque brique avait été placée avec une intention claire : soit tu l'utilises pour les blesser eux, soit nous l'utiliseront pour te blesser toi. Mais cela ne sera pas un problème de les blesser, puisqu'ils sont des démons, ils sont incapables d'aimer. Mais Arthur la sert dans ses bras, pleure sa fille tout en s'inquiétant pour son assassin, et ça, ça ressemble pas vraiment à un démon. Juste à un père meurtris et à un homme bon. Et à cet instant là, Gaby ne peut plus ignorer la fissure comme lorsque Reiner avait rit.
Elle doit accepter l'idée de n'avoir été qu'une marionnette naïve, qui a cru tout ce qu'on a pu lui dire, tous les mensonges. Elle doit aussi accepter l'idée d'être une victime d'un état mauvais qui s'est servit d'elle comme de la chair à canon.
Elle doit accepter que les murs d'illusions dans lesquels elle vivait ce sont écroulés.
C'est douloureux.
Très douloureux, même. Elle n'a plus de repères, plus de voie toute tracée, plus aucun idéaux auquel s'accrocher.
Mais si ces idéaux doivent faire pleurer d'autres gens comme Arthur, elle préfère encore évoluer à l'aveugle.
