Comme toutes personnes proches, ils avaient eu des disputes.
La première qui pouvait être qualifiée ainsi remontait déjà à leur enfance, quelques mois après l'adoption de Kaeya. Ce dernier avait acquis un nouveau lance-pierre tandis que Diluc s'était vu offrir un cheval en bois sur lequel il avait passé énormément de temps. Ils partageaient beaucoup de choses, mais ces jouets-là ne furent jamais échangés entre eux. Alors que le garçon aux cheveux rouges s'était amusé à faire semblant de galoper à travers tout le jardin sur son destrier, son cadet avait chassé les oiseaux, se donnant comme défis d'en battre le plus possible avec son "arme" préférée.
Tout allait bien jusqu'à ce que Diluc passe par mégarde dans le champ de chasse de Kaeya, faisant fuir la proie qu'il était sur le point de viser.
Celui aux cheveux bleus ne s'en rendit compte que trop tard, le lance pierre déjà bandé, ses doigts l'ayant relâché une seconde avant que la vision de son grand frère directement sur sa trajectoire n'atteigne son cerveau. Le caillou percuta immédiatement le crâne roux du garçon qui, prit de surprise, trébucha de sa "monture" et atterrit la tête la première au sol. Kaeya se précipita vers lui pour vérifier que tout allait bien, mort de peur à l'idée de l'avoir blessé. Il ne s'attendait pas à ce que Diluc réagisse aussi violemment et le repousse sous le coup de la colère:
"Tu m'as fait mal, Didi! Qu'est-ce qui t'a pris!"
"Je suis désolé! Ce n'est pas toi que je visais, c'était les oiseaux!" Se défendit Kaeya.
"Pourquoi les oiseaux?! Je t'ai déjà dit de ne pas leur faire de mal!" S'enragea le garçon aux yeux rouges. "Regarde ce que t'as fait! Je suis tout sale maintenant, et Adelinde va encore me gronder!"
"Ce n'est pas grave, on trouvera quelque chose..."
"Ca ne serait pas arrivé si tu savais viser d'abord!" Ne démordit pas Diluc.
"Je sais viser!" Siffla son petit frère, de plus en plus irrité. "C'est toi qui te mets sur le chemin de mon caillou! Tu cours sur ton cheval partout depuis ce matin, alors que le jardin est immense!"
"Je vais où je veux!" Gronda le chevalier en herbe d'un ton qui ne tolérait aucune contrariété.
"Et moi je chasse où je veux! Si tu ne veux pas te faire tirer dessus, tu n'as qu'à aller ailleurs avec ton stupide cheval!"
"Ce n'est pas un stupide cheval, il s'appelle Pompon d'abord! C'est toi qui es stupide!"
"De toute façon il finira au feu, comme tes oiseaux!"Répondit Kaeya avec une pointe de sadisme, prit dans l'engrenage de la dispute.
"Kaeya... Espèce de... de sans coeur! Je te déteste!"
Tout en hurlant ces cruels mots, Diluc attrapa le lance pierre de Kaeya et le brisa en deux en le jetant sur le sol sous les yeux ébahis de son frère. L'objet en lui-même n'avait pas de grande valeur, mais il s'agissait d'un cadeau offert par Crepus pour une occasion spéciale. L'héritier Ragnvindr ne s'en rendit compte que bien trop tard, en voyant le visage décomposé de son homologue face à sa destruction. En une seconde, toute colère et toute douleur disparurent pour laisser place à une vague de culpabilité. Le garçon à la peau mate se mis à genoux pour ramasser les deux morceaux distincts de son jouet dans un silence inquiétant.
Lorsque Diluc voulu lui toucher l'épaule pour le réconforter, il se retourna vers lui avec un regard assassin, son unique oeil débordant déjà de larmes, le faisant tressaillir. Puis Kaeya se leva sans un mot avec les vestiges de son amusement et partit en courant à l'arrière du jardin. Il s'enferma dans la réserve où il avait l'habitude de lire seul pour y pleurer, puis bouder jusqu'au début de la soirée. Ce fut Crepus qui vint le récupérer pour l'heure du dîner, mis au courant de la situation par Diluc qui ne savait pas quoi faire pour réparer les choses. Le garçon à l'oeil bleu ne lui adressa pas la parole de toute la soirée, et ce jusqu'à l'heure du coucher. Il ne vint pas non plus le voir dans son lit une fois les lumières éteint comme il en avait l'habitude.
Ce mutisme dura toute la journée du lendemain jusqu'à ce que Diluc se présentât vers lui avec son lance-pierre passablement raffistolé avec des bandages, mais sa fragilité se voyait.
"... Père a dit que je devais m'excuser en premier pour ce que j'avais fait... On a fait ce qu'on a pu avec Adelinde pour le réparer..." Fit-il maladroitement en tendant le jouet d'une main tremblante.
Kaeya regarda le lancer-pierre, puis son ainé qui semblait sincère malgré tout. Une partie de lui disait de ne pas pardonner si facilement un caprice de Diluc, mais une autre partie lui rappelait qu'il était le premier en faute malgré tout, et qu'il se devait aussi de le reconnaître. Cependant, il ne pouvait s'empêcher de se sentir anxieux, car ce n'était pas tant son jouet qui lui avait fait mal, mais autre chose. Le fait que son grand frère l'ai traité de sans coeur, qu'il lui dise qu'il le déteste... Il avait beau deviner que ce n'était là que des paroles puériles lancées sous la vague de l'émotion, l'écho qu'elles réveillaient en lui ne voulait pas le lâcher.
"Didi... S'il te plaît... Je veux pas qu'on soit fâchés..." Trembla Diluc face à son hésitation. "Je me sens seul..."
"Gege."
Le voyant dans un tel état de détresse, ses grands yeux rouges débourdant de larmes n'osant fixer les siens par honte il décida de laisser de côté ses ressentiments. Il savait que Diluc n'avait pas fait exprès d'être aussi blessant, et sa culpabilité se voyait clairement dans ses mimiques. Il regrettait ce qu'il avait fait, et il ne savait pas comment arranger les choses. Kaeya devinait qu'il souffrait autant que lui de cette situation, et quand bien même la tentation de refuser ses excuses pour le punir un peu plus longtemps était attirante, le visage en peine retira en lui toute envie d'être aussi mesquin. Et puis au fond de lui, Diluc lui manquait aussi, même si ça ne faisait qu'un jour, il avait passé une très mauvaise nuit tout seul.
Il vint prendre son ainé dans ses bras et lui murmura gentiment:
"Je te pardonne Gege... Mais s'il te plaît... Ne me dis plus jamais que tu me détestes comme ça... Et ne casse plus mes affaires."
"C'est promis!" Renifla Diluc en lui rendant son étreinte.
Le soulagement qu'il ressentit n'égalait rien de ce qu'il avait connu avant. Il n'avait jamais vu Kaeya en colère jusqu'à présent, et l'idée de l'avoir perdu l'avait terrifié. Il y avait repensé toute la soirée, guettant la moindre opportunité de réconciliation sans qu'elle ne vienne. De même, il avait attendu longtemps dans le noir de leur chambre sa visite dans son lit avec une boule au ventre, cela l'ayant empêché de dormir une bonne partie de la nuit. Jamais il ne s'était senti aussi anxieux et malheureux en se réveillant le matin, et était parti demander du réconfort et des conseils auprès de son père, perdu sur ce qu'il fallait faire.
Crepus, qui observa la scène depuis son bureau, acquiesça de la tête avec un sourire satisfait.
Quand Diluc était venu le voir, paniqué à l'idée que Kaeya ne lui reparlerait plus jamais, il avait compris que la dispute était sérieuse, mais il y avait aussi vu la formidable opportunité d'inculquer à son fils une leçon importante. À savoir la gestion et le contrôle de ses émotions, au risque de faire des choses qu'il pourrait par la suite regretter, ainsi que la nécessité de reconnaître ses tord. Jusqu'à présent, ses coups de colère n'avaient jamais eu d'impacts émotionnels sur lui, car les domestiques étaient suffisamment adultes et matures pour réagir de manière adéquate. Mais un enfant comme Kaeya n'avait pas encore ce recul nécessaire, et confrontait directement Diluc aux conséquences de ses actes et de ses gestes.
Cet enseignement de vie valait bien de racheter à Kaeya un nouveau lance Pierre, et passer l'éponge sur la maladresse qu'il avait commise.
Diluc et Kaeya devinrent rapidement connus au sein de leur promotion des chevaliers de Favonius, et bien au-delà.
La première année qu'ils passèrent à acquérir les bases finit de construire leur réputation en tant que prodigues, leur classement dépassant de loin les plus doués des promotions précédentes. Leur deuxième année fut ainsi le début d'un traitement spécial, où les premières années leur couraient après pour qu'ils leur donnent des conseils, pendant qu'ils continuaient de surpasser leurs ainés. Comme ils restaient relativement novices par rapport à des chevaliers expérimentés, ils n'avaient pas encore le droit à un traitement spécial, ni à une gradation particulière, mais beaucoup de leurs supérieurs se demandaient s'ils ne devaient pas faire exception car ils avaient largement fait leurs preuves, notamment pour Diluc.
Cependant, aussi doués pour les armes furent-ils, rien ne remplaçait l'expérience du terrain et la maturité des années, et en ce sens, ils restaient encore trop jeunes pour prétendre à un poste à responsabilités.
Mais Diluc était impatient. Certes, il apprenait des choses importantes pendant ses cours et ses entraînements au sein du QG de l'Ordre Favonius, mais les choses n'allaient pas assez vite à son goût. Il se sentait prêt à passer aux étapes supérieures, mais son apprentissage nécessitait de passer des étapes qui lui semblaient interminables. Kaeya lui avait expliqué que ce temps était nécessaire pour les autres qui n'avaient pas son talent naturel dans la compréhension de la théorie et ses acquis au combat, et que tous devaient être mis sur un pied d'égalité. L'héritier Ragnvindr le savait, bien sûr, et il ne voulait pas dénigrer ses camarades, mais cela le frustrait quand même.
"Ce n'est pas en restant bas gradé que je deviendrais un jour Grand Maître!"
"Je sais, mais penses-tu vraiment que le Grand Maître le soit devenu du jour au lendemain? Il a fait ses preuves en commençant au plus bas, comme tout le monde." Sermonna Kaeya, sur un ton néanmoins amusé.
"Il y a tellement de choses à accomplir..." Renchérit son grand frère en regardant le ciel sous l'arbre où ils s'étaient installés pour réviser ensemble. "J'ai l'impression de bouillonner! Je veux sortir de la cité, me battre, défendre les gens et faire mes preuves!"
"En montrant que tu sais obéir aux ordres de tes supérieurs, te tenir au code des chevaliers et suivre la procédure, tu fais tout autant tes preuves, Gege. Être chevalier de Favonius, ce n'est pas seulement se battre contre les monstres, c'est aussi participer à ce pilier qui permet à Mondstadt de prospérer. C'est d'abord une organisation d'individus qui sont tous aussi importants pour faire régner la paix. Les supérieurs finalement... Ils se contentent d'organiser tout ça de derrière leur bureau, ils n'ont pas la partie la plus excitante du travail finalement..."
"Mmhh. Dis comme ça... Mais il n'empêche qu'être Capitaine ou Commandant, c'est quand même plus prestigieux que simple soldat!" Grogna Diluc en repoussant son livre de stratégie d'éclaireur qu'il connaissait par coeur. Il savait qu'il aurait la note maximale aux prochains examens.
"Un titre indigne du grand Diluc Ragnvindr!" Se moqua Kaeya en lui donnant un petit coup d'épaule.
"Idiot, tu sais ce que j'ai voulu dire!" Fit le rouquin en lui rendant la même.
"Oui oui... Le jeune maître Diluc ne veut pas se mélanger avec la populace!" Insista le plus jeune d'un ton exagérément pompeux. "Le jeune maître Diluc mérite attentions et traitements à sa noble personne! Qu'on lui apporte sa claymore sur un plateau d'argent! Que la populace se mette à genoux pour le jeune maître Diluc"
"Toi... Je vais te tuer!"
Kaeya savait que Diluc détestait qu'on souligne son titre familial depuis qu'il avait intégré l'ordre Favonius, car cela lui avait d'emblée confronté à des situations gênantes. Beaucoup de jeunes filles en fleur, plus ou moins âgées que lui, venaient le voir avec une fausse timidité dans le but bien précis de flirter avec lui. Le fait d'être un noble, riche et en plus le plus doué des recrues de l'Ordre Favonius faisait de lui le gendre idéal, sans compter qu'il était en plus très beau, et émanait malgré lui d'une certaine virilité depuis qu'il avait choisi de se spécialiser dans le combat de l'épée à deux mains. Par conséquent, ceux qui, parmi les apprentis chevaliers, ne l'admiraient pas le détestaient pour s'accaparer toute l'attention féminine, le traitant de "petit bourgeois gâté", et sifflant qu'avec l'éducation qu'il avait eut et l'accès à un maître d'armes, ce n'était pas étonnant qu'il soit devant eux, ce qui n'était pas totalement faux.
Parallèlement, Kaeya était plus populaire auprès des garçons, justement parce qu'il brillait par sa capacité à rester dans l'ombre de Diluc. Jamais il ne se mettait en valeur plus que nécessaire, contrairement à son frère qui avait besoin de briller au grand jour tel un soleil de midi. Ce retrait était par choix bien sûr, mais aussi du fait de ses origines faisant de lui un simple orphelin adopté, sans nom, ni richesse qui le rendait bien plus proche des petits gens. Il était également bien plus doué que son aîné dans les relations sociales, et savait exactement ce qu'il fallait faire ou dire pour paraître sympathique auprès de leurs camarades. De ce fait, Kaeya était rapidement devenu le compagnon d'arme idéal, avec lequel il était agréable de faire la fête sous le nez de leurs supérieurs et échanger les derniers ragots
Cet équilibre leur permettait de garder une certaine réputation au sein de leur promotion, même si Diluc était globalement plus exclu que son frère du groupe malgré ses efforts, tout du moins au début, pour s'intégrer.
"Le jeune maître Diluc n'apprécie-t-il pas que son fidèle et dévoué serviteur loue ses qualités? Ô. Maître Diluc, vous êtes tellement fort, et beau, et parfait!" Renchérit Kaeya dans un rire moqueur.
"Oh tais-toi!"
Exaspéré, Diluc se jeta sur lui dans l'intention de couvrir sa bouche avec sa main pour empêcher toute moquerie d'en sortir. Le fait de ne pas être apprécié par la plupart des chevaliers de Favonius au sein de leur formation ne l'atteignait pas plus que cela, car il a toujours été plus ou moins rejeté du fait de son titre de noble, et il s'était habitué à ne pas avoir d'ami. Il était bien plus ennuyé par les traitements de faveur qu'on lui sous-entendait par jalousie, alors qu'il avait travaillé dur comme tout le monde, sans compter l'attention des filles qui le rendait clairement mal à l'aise. Et cela amusait beaucoup Kaeya de le voir perdre ses moyens quand une demoiselle en fleur venait directement louer sa force et son intelligence sur un ton minaudant qui sonnait très fausse.
La bataille entre les deux apprentis fut intense, Diluc essayant tant bien que mal de faire taire son petit frère qui continuait de rigoler en repoussant ses attaques relativement peu efficace. Celui aux cheveux rouges décida de l'attaquer directement pour le plaquer au sol, mais il ne mesura pas le fait que le plus jeune se laisserait faire sous le coup de la surprise, ni l'effet de la gravité de la légère pente sur laquelle ils étaient installés. Ils roulèrent l'un sur l'autre jusqu'à ce que l'héritier Ragnvindr réussisse à prendre le dessus avec peine et lui plaquer les bras au sol par les poignets alors qu'il était totalement allongé sur lui. Il se redressa avec peine pour le regarder.
Il fit face à un visage hilare et peu inquiet de cet état de vulnérabilité dans laquelle il se trouvait.
"Tu es vraiment... insupportable..." Gronda Diluc sans réelle conviction dans sa voix.
"Oh vraiment Gege? Tu me fends le coeur." Répondit Kaeya d'un ton taquin.
Le jeune noble s'était rendu compte que plus son cadet grandissait, plus il devenait sournois, voire fourbe. Malgré sa discrétion apparente en public, le jeune homme à la peau mate avait suffisamment gagné en confiance pour s'affirmer et le titiller juste pour le plaisir de le voir s'agacer. Avec du recul, Kaeya avait toujours eu un côté un peu malicieux depuis leur plus tendre enfance, il l'avait juste caché sous un comportement exemplaire pour rester parfait aux yeux des adultes. Mais avec Diluc, il se laissait de plus en plus aller à montrer aussi d'autres aspects de sa personnalité qui ne seraient pas forcément appréciés par tous.
Le jeune homme aux yeux carmin soupira de lassitude sans pour autant le relâcher.
Ils se rendirent alors compte qu'ils étaient très proches l'un de l'autre, pas uniquement leur corps mais aussi leur visage. Leur souffle se chevauchaient presque, intensifiés par l'effort et la distance minime entre leur visage. Cela faisait assez longtemps qu'ils ne s'étaient pas retrouvé enlacés de la sorte. Depuis qu'ils ne dormaient plus ensemble et que Kaeya avait mis une limite à leurs échanges physiques, la plupart de leurs contacts se limitaient à des étreintes, et de temps en temps leur main qui se frôlait lorsqu'ils s'asseyaient épaule contre épaule dans leur endroit favori. Une pudeur qui s'était installée entre eux avec l'arrivée de l'adolescence et de leur formation en tant que Chevalier.
Diluc mentirait en disant que cela ne lui manquait pas.
Certes, toutes ces choses appartenaient à leurs souvenirs d'enfance, quand ils étaient petits et innocents, et continuer tout ça à leur âge aurait été sans doute étrange, mais parfois, il se surprenait à regretter de ne pas avoir quelqu'un à enlacer quand il dormait. Et personne d'autre que Kaeya ne lui venait à l'esprit à ce moment-là. Il ne restait comme moments intimes que ces séances de révisions à l'ombre d'un arbre du jardin situé derrière le QG de l'Ordre Favonius, qui était leur point de rendez-vous. Ils y passaient parfois des fins d'après-midi à revoir ensemble la théorie, mais surtout à discuter de leurs journées respectives, car malheureusement, ils n'étaient plus dans la même classe depuis leur passage en deuxième années. Kaeya déjeunant avec ses camarades, et Diluc n'aimant pas la foute, ces moments étaient les seuls qu'ils pouvaient partager.
Si Diluc voulait vite monter en grade, c'était aussi pour avoir plus de temps disponible avec Kaeya.
Ce dernier finit par se rendre compte de leur proximité et détournèrent les yeux un instant. Le plus âgé ne savait pas ce qu'il pouvait lire dans la seule pupille visible: de la gêne? De la honte? Cela le rendait triste quelque part, car le Kaeya d'avant lui aurait juste souri. Quelque chose remua dans son estomac alors qu'il voyait les lèvres foncées se tordre légèrement d'appréhension. Elles étaient toujours aussi belles, étaient-elles toujours aussi douces? Il savait que ce n'était pas bien de penser ainsi à celui qui était censé être son frère adoptif mais... Mais il n'y avait personne à cette heure. Ils étaient tous les deux seuls, alors il pouvait se le permettre, n'est-ce pas? Cela faisait si longtemps... Trop longtemps...
"Diluc, qu'est-ce que tu fais?"
La voix blanche de Kaeya le tira de sa torpeur alors qu'il réalisait qu'il avait rapproché machinalement sa bouche de la sienne, perdu dans ses pensées et ses envies. Il lut dans l'oeil glacé qui répondait aux siens qu'il n'avait pas l'autorisation, aussi il recula immédiatement alors que son visage prenait une teinte enflammée. Relâchant enfin les poignets de son petit frère, il s'assit dos à lui et baissa la tête pour cacher son expression faciale derrière ses boucles rouges. Diluc ne savait pas ce qui lui avait pris, peut-être l'accumulation d'autant de frustration avait eu raison de sa retenue. Ou simplement que ses hormones d'adolescent commençaient à le travailler plus qu'il ne le pensait.
Dans tous les cas, il n'était pas bon pour lui de rester si près de Kaeya.
"Désolé Kaeya... Je crois que je vais retourner dans le dortoir..."
Sans lui jeter de regard, le fils de Crepus se releva et se dirigea vers l'entrée du bâtiment, confus et perturbé par ce qui venait de se passer. Il ne vit ainsi jamais Kaeya se redresser à son tour, une main sur la bouche tentant de contenir ses émotions à son tour, ni l'expression perturbée qui peignait le visage borgne de son frère.
Il était rare de voir Kaeya contrarié, car ce dernier faisait toujours de son mieux pour dissimuler ce qu'il pensait réellement.
Diluc s'en était aperçu au fur et à mesure que leur entraînement progressait, et qu'il devenait populaire auprès de leurs camarades. Son cadet affichait toujours ce léger sourire neutre derrière lequel il était impossible de connaître ses véritables sentiments. Était-il triste? Heureux? En colère? Ce mur impassible empêchait quiconque de deviner ce qu'il dissimulait, ce qui aurait pu être source de rejet s'il n'avait pas travaillé en même temps son attitude de sorte de toujours paraître accessible. Cela semblait paradoxal, et pourtant ses mots doux et ses mimiques suffisaient à mettre à l'aise n'importe qui en sa présence, donnant l'impression de s'adresser à un ami confiant et fiable.
Et cela marchait à merveille. Tout le monde louait la sympathie de Kaeya, la mettant en contraste avec l'apparente arrogance de Diluc -qui n'était pourtant qu'une pudeur exaspérée par la solitude -. Kaeya, toujours là pour aider à résoudre un conflit, répondre à une question, débloquer une situation, donner des conseils et même devenir complice de certains coups. Kaeya, qui connaissait bien la vie dure malgré sa vie au sein de la famille Ragnvindr, qui savait ce que les roturiers et plébéiens pouvaient ressentir par leur origine. Kaeya, qui était là pour tempérer les relations entre son frère et les autres chevaliers qui pouvaient parfois être un peu tendues.
Oui, Kaeya était facile à vivre, essentiellement parce que durant toute son enfance, il a dû se forcer à l'être.
Cependant, Diluc avait aussi grandi avec lui, et il y avait des choses que même le talent naturel du garçon aux yeux glace ne pouvait dissimuler. Cela pouvait être une mimique, un mot ou un simple geste qui aura échappé à son contrôle, mais pas à l'intention du garçon aux cheveux roux, qui pouvait alors deviner que quelque chose n'allait pas. C'était subtil, et s'il n'avait pas eu ces années à observer son frère adoptif, cela lui aurait échappé comme aux autres. Il l'avait remarqué depuis quelques jours en croisant son homologue dans les couloirs du QG de l'Ordre Favonius alors que ce dernier l'avait salué.
Kaeya était ennuyé par quelque chose, et il tentait de tout faire pour le cacher.
Son sourire s'estompait très légèrement quand il voyait Diluc, il ratait parfois une question qu'on lui posait à des moments clefs, comme occupé par ses pensées. Depuis le début de leur troisième année, ils arrivaient à avoir quelques moments en commun, notamment lors des entraînements physiques, mais ils restaient encore séparés la majeure partie de la journée. Ils avaient fini par s'y habituer, chérissant d'autant plus les moments pendant lesquels ils se retrouvaient, et aussi parce qu'ils savaient qu'en quatrième année, ils seront suffisamment gradés pour choisir leur corps d'affectation. Et personne ne viendrait contester la réunion de deux si bons éléments pour les patrouilles de Mondstadt.
Mais pour le moment, quelque chose n'allait pas, et Diluc était déterminé à le découvrir.
Ne sachant comment la conversation allait tourner, il décida d'attendre leur retour au domaine de l'Aurore durant le week-end. Derrière le jardin du manoir, ils auront toute l'intimité dont ils ont besoin afin de discuter de sujets plus ou moins tabous lorsqu'ils étaient à Mondstadt.
"Qu'est-ce qui se passe, 'Luc?" Demanda Kaeya en premier d'un ton détendu.
"Je ne sais pas, à toi de me le dire." Attaqua Diluc sans prendre de pincette. "J'ai remarqué que tu n'allais pas bien ces derniers temps. Les autres n'ont rien vu mais moi ça m'a sauté aux yeux."
"Allons, Gege, qu'est-ce qui te fait dire ça?"
"Le fait que tu sois incroyablement distrait quand on te parle, ou peut être juste ta réaction à chaque fois que l'on se croise. Hoffman m'a même dit que tu avais étrangement réagi lorsque vous êtes passés devant le cours en commun avec les premières et deuxièmes années."
"Oh, ça..."
Kaeya semblait comprendre ce à quoi il faisait allusion. Le mystère était maintenant de savoir s'il allait assumer que quelque chose n'allait pas, ou s'il allait tenter de détourner son intention en changeant de sujet. Diluc connaissait cette stratégie, car il s'est souvent fait avoir. Une fois sur deux, il sortait frustré de ne pas avoir ses réponses, et se jurait de ne plus tomber dans le panneau, car le temps de revenir, Kaeya s'était de nouveau armé pour ne plus être accessible. Parfois, discuter avec lui était aussi épuisant que de résoudre l'énigme d'un temple ancestral de Liyue.
Quelques secondes de silence passèrent pendant lesquelles Kaeya se tourna légèrement pour ne plus le regarder, et fixer un point en face de lui. Finalement, il prit la parole après s'être gratté la nuque:
"Tu as plutôt la côte avec les petits nouveaux en ce moment." Fit-il finalement d'une voix qu'il voulait neutre
"Je suppose..." Répondit son ainé un peu incertain de son objectif. "Les professeurs me demandent parfois de les assister pendant des exercices pour donner l'exemple, et c'est plutôt apprécié."
"Oui, un grand frère parfait." Reprit Kaeya avec une pointe d'ironie. "Et ils ont l'air moins hostiles que nos camarades."
"Je crois..."
Cela venait sans doute du fait qu'ils ne le voyaient pas comme un rival potentiel, mais comme un modèle à atteindre.
"Il y en a une qui t'admire particulièrement... Tu sais, la fille du clan Gunnhildr."
"Jean?"
Le nom sortit naturellement de la bouche de Diluc, mais Kaeya se tendit immédiatement en l'entendant. Et cette fois, n'importe qui aurait pu le voir. Le jeune homme aux cheveux rouges fronça les sourcils en croisant les bras, comme s'il ne saisissait pas le problème. Voyant son incompréhension, le plus jeune lâcha un léger soupire en posant ses deux mains sur ses hanches.
"Je vous ai plusieurs fois vu ensemble, tous les deux, alors que d'habitude tu te débrouilles pour écourter tes moments passés avec les autres, fille ou garçon d'ailleurs. C'est la première fois que je te vois passer autant de temps avec quelqu'un, en fait..."
Plus il parlait, et moins Diluc se sentait à l'aise. Chaque mot ressemblait à un poids symbolique que Kaeya portait, et partageait avec lui. Et il se sentait d'autant plus mal qu'il ne comprenait pas ce que son amitié avec Jean pouvait faire à son petit frère au point de le contrarier. Ce n'était pas vraiment une amitié d'ailleurs, plutôt un mentorat. La jeune femme étant particulièrement douée -un prodige de plus au sein de l'Ordre- on lui avait demandé de rester disponible pour l'aiguiller si jamais elle avait quelques difficultés. Au départ réticent, l'héritier Ragnvindr avait été soulagé de voir que sa cadette se comportait normalement avec lui, se contentant de recevoir ses enseignements et conseils sans essayer de flirter avec lui. Elle n'était pas non plus jalouse de son talent ou de sa popularité, ce qui en faisait une compagnie agréable qu'il appréciait, il fallait l'avouer.
"Ne te méprends pas, Gege!" Repris Kaeya, légèrement paniqué. "Ça me fait plaisir que tu aies enfin des relations avec nos camarades! Père serait sans doute aussi content de voir que tu t'entends bien avec l'héritière d'une famille aussi prospère, et aliée à la tienne en plus. Vraiment, je suis content pour toi!"
Diluc n'y croyait pas une seconde.
Le garçon à la peau mate avait beau maîtriser à la perfection sa voix et son expression pour avoir en effet l'air content, il pouvait voir à travers son oeil bleu une émotion bien différente. Cela ressemblait à de la tristesse, avec une pointe de peur. Kaeya n'était pas aussi heureux qu'il le prétendait de le voir se lier avec Jean pour une raison qui lui échappait. C'est en y réfléchissant davantage qu'un souvenir lui revint. Il marchait avec la blonde à côté de lui, et ils avaient justement croisé Kaeya et un autre apprenti chevalier. Pour l'amusement, ce dernier avait fait la remarque qu'ils allaient bien ensemble et feraient un couple mignon. Aucun des trois autres présents n'avait trouvé cela particulièrement drôle, ni même pertinent et l'incident fut vite passé.
Mais en y repensant, c'est depuis ce jour-là que Kaeya avait commencé à agir étrangement.
"Ne me dis pas..." Commença Diluc encore en train de réaliser la chose. "Ne me dis pas que tu penses qu'elle et moi..."
"Haha, ce n'était pas le cas?" Fit son cadet sur un ton à moitié sur la plaisanterie, à moitié sur l'aigreur. "Beaucoup diraient que vous êtes fait l'un pour l'autre."
"En quoi?" S'exclama le rouquin comme s'il était face à la forme la plus pure de l'absurdité. "Juste parce que nous venons de deux clans piliers de Mondstadt et que je l'aide dans sa formation en tant qu'aîné?"
Il avait sincèrement du mal à le croire, mais au vu de l'expression sérieuse de son frère, c'était le cas. Cela le plongeait dans l'incompréhension la plus totale. Depuis quand suffisait-il de côtoyer vaguement quelqu'un pour considérer qu'ils puissent être en couple? Diluc s'était déjà posé cette question justement quand on leur avait fait la remarque, mais il ne pensait pas quelqu'un d'aussi terre-à-terre que Kaeya en soi. Dans ce cas, le plus jeune aussi aurait des comptes à lui rendre à propos de soeur Rosaria. Il l'avait déjà vu discuter avec elle à plusieurs reprises, et ils semblaient vraiment bien s'entendre. Bien plus sincèrement que tous les autres chevaliers avec qui Kaeya sympathisait. Bien plus que lui et Jean.
Diluc avait très envie d'utiliser cet argument, mais il se retint, car ça ne pourrait que mal finir.
"Entre autres. Vous êtes aussi très doués dans vos faits d'armes, vous avez un oeil divin chacun, vous êtes populaires auprès de la population de Mondstadt, vous êtes des prodiges de la cité. Tout le monde serait heureux de vous voir liés."
"Sûrement..." Réfléchit l'héritier Ragnvindr. "Cependant, ils ont oublié un détail qui a son importance."
"Et c'est lequel?"
"Ce n'est pas à elle que je me suis promis."
Kaeya regarda son grand frère avec une expression sincèrement choquée, ce qui était assez rare à voir chez lui. Il en fallait beaucoup pour le surprendre à ce point, et il faisait d'ordinaire tout pour maîtriser les émotions qui transparaissaient sur son visage. Mais Diluc avait lancé l'équivalent d'une bombe en sous-entendant qu'il avait quelqu'un qu'il prévoyait déjà d'épouser, alors qu'on ne lui connaissait à ce jour aucune fiancée, ni même intérêt romantique envers quiconque. Toutes les jeunes filles en fleur qui avaient tenté de l'approcher s'étaient heurtées à un mur infranchissable, et s'étaient rapidement découragées.
Alors bien sûr, ce genre de nouvelle faisait son effet.
"Je... Je vois..." Articula péniblement le jeune homme aux cheveux bleus. "Père... est au courant?"
"Pas encore. J'attends le bon moment pour lui annoncer..."
"Cela a l'air d'être sérieux pour que tu y réfléchisses comme ça."
"Ça l'est."
"Et je peux savoir le nom de l'heureuse chanceuse."
"Kaeya... Tu le fais exprès?"
Ce dernier déglutit alors qu'une goutte de sueur glissait de l'arrière de son oreille à sa nuque à peine découverte par le col de son uniforme. Le garçon à la tignasse de feu le regardait avec des yeux brûlant d'exaspération, comme s'il avait l'impression que son cadet se moquait de lui. Mais ce n'était pas le cas. Kaeya n'allait pas nier toutes les fois où il s'était amusé aux dépens de Diluc, parce qu'il était vraiment mignon à faire tourner en bourrique, et encore plus quand il s'énervait après s'en être rendu compte. Cependant, ce n'était pas le cas en ce moment même, et Diluc dû s'en rendre compte en le voyant aussi tendu, et lâcha un soupir en croisant les bras et détournant le visage pour cacher les couleurs vives qu'il était en train de prendre.
"Quand on était petits, on s'est promis de se marier, et on s'est même fiancés! Je sais que ça remonte à loin, mais quand même!"
Cette fois, Kaeya eut l'impression que Barbatos venait de construire une nouvelle montagne sur lui. Rien ne semblait réel dans ce qu'il venait d'entendre. Ni la voix de Diluc, ni ses mots, ni le sens de ses paroles. Bien sûr, il se souvenait de ce moment, comme tous les moments intimes qu'ils avaient vécus ensemble. Ils restaient au fond de sa mémoire comme un rêve, tant ils lui parurent irréels avec son oeil d'adolescent. Tous ces secrets qu'il considérait comme honteux et sales qu'il partageait avec lui, qu'il s'était efforcé d'éloigner de sa mémoire. Il espérait que le temps les fasse s'évaser pour qu'il ne reste plus rien d'eux sinon des brides à peine distinguables de sorte qu'il puisse un jour se convaincre qu'ils n'eurent jamais lieu.
Il semblerait qu'au lieu de les enterrer pour les oublier, Diluc les avait au contraire chéri comme s'ils n'avaient rien d'interdit ou de dégoûtant.
"Tu... Tu es vraiment resté sur cette promesse?" Réussit à dire le plus jeune à travers sa stupéfaction.
"Évidemment!" Gronda Diluc. "Pourquoi j'aurais changé d'avis ? Les autres... Les autres ne m'intéressent pas. Ils ne m'ont jamais intéressé."
"Diluc, tu ne peux pas être sérieux."
Il y avait tellement de raisons à donner sur le fait que non, vouloir se marier avec lui n'était pas une bonne idée. Le fait qu'ils soient tous les deux des garçons. Le fait qu'ils soient frères par adoption. Le fait que Kaeya soit sans famille et sans nom. Le fait qu'un gouffre social les séparait tous les deux. Le fait que Diluc était promis à un destin héroïque. Le fait que Kaeya, lui, n'était promis qu'à une funeste traîtrise. Le fait que Mondstadt n'appréciait pas les unions mélangées. Le fait que l'Église de Favonius ne bénissait pas les unions de même sexe. Comment Diluc pouvait-il être aussi aveugle à tout cela? Il n'était plus un enfant qui vivait dans son monde de fantasme, il était désormais un adulte, il vivait avec sa réalité tous les jours.
Et il devait forcément voir que dans cette réalité, rien ne tolérait un mariage entre lui et Kaeya.
"Je suis très sérieux. Je me fiche de ce que les autres pensent, ils ne m'ont jamais rendu heureux."
Sur ces paroles résolues, il trouva le courage de se retourner pour faire face à Kaeya, le visage totalement rouge, mais son expression était déterminée. Il fit deux pas afin de se retrouver en face du jeune homme au cache œil , et lui saisit les deux mains sans briser le contact visuel entre eux. Ses paumes étaient brûlantes, envoyant des frissons au plus jeune qui n'avait pas l'habitude d'autant de chaleur concentrée. Depuis qu'il avait son oeil divin pyro, la température corporelle de Diluc était devenue très haute, faisant de lui une bouillotte naturelle. Même pendant l'hiver, il suffisait de partager le lit avec lui pour n'avoir besoin d'aucun feu de cheminée pour être bien.
"C'est toi qui me rends heureux." Affirma-t-il d'une voix assurée, alors que le reste de son corps tremblait de passion. "Quand je serais majeur, j'irais voir Père, et je lui dirais tout ce que je ressens pour toi."
"Luc, je t'en prie, c'est de la folie..." Tenta Kaeya alors que la chaleur qu'il sentait envelopper ses mains étouffait sa résolution. "Qu'est-ce que tu feras s'il ne l'accepte pas? Qu'il te rejette? S'il te déshérite?"
"J'assumerais, cela ne m'empêchera pas d'atteindre mes objectifs. Je n'ai jamais eu besoin d'être un Ragnvindr pour faire mes preuves au sein de l'Ordre Favonius." Répondit l'ainé sans hésitation." Mais s'il m'aime vraiment, et s'il t'aime aussi, alors il comprendra... Après tout, nous sommes ensemble depuis tellement longtemps, est-ce vraiment si étonnant d'en arriver là?"
Kaeya ne pu s'empêcher d'inspirer d'ironie en regardant sur le côté. Non, ce n'était pas surprenant que leur relation se soit autant développée alors qu'ils étaient devenus la seule compagnie de l'autre. Cependant, ils n'étaient pas les premiers enfants à avoir un passé commun comme celui-ci, et tous n'aboutissaient pas à des fiançailles ou un mariage. Dès le début, cela avait été spécial, parce que Diluc avait été spécial pour lui. Le temps n'avait fait que consolider ce lien qui s'était tissé au point qu'ils deviennent inséparables, et ainsi développent d'autres sentiments bien plus ambigües.
Et Crepus l'avait vu bien sûr. Il avait vu ce jeune étranger se rapprocher de son fils pour devenir une partie de son monde et prendre une place considérable dans son coeur. C'était sans doute la raison pour laquelle il avait voulu poser une barrière symbolique à cette relation pour l'empêcher de devenir plus que ce qu'elle aurait dû être. Et quoi de plus efficace de d'instaurer un lien filial entre eux en adoptant Kaeya? Ce dernier était, et serait toujours reconnaissant envers Maître Ragnvindr de l'avoir pris sous son aile, logé, nourrit, blanchit, instruit et même aimé comme s'il faisait partie de sa famille. Mais une partie de lui ne pouvait s'empêcher de penser que cette adoption n'avait pas été si désintéressée que cela.
"Maintenant Kaeya." Reprit Diluc d'une voix moins sûre. "Si tu ne ressens plus la même chose pour moi, la question ne se pose plus."
Jamais Kaeya n'eut autant envie de s'enfuir de nouveau de ce pays.
Il y avait des choses qu'il savait faire avec merveille. Manier l'épée, résoudre des problèmes stratégiques, élaborer des plans d'infiltrations chez l'ennemi, préparer une venue diplomatique. Mais gérer des émotions aussi intenses et contradictoires face à quelqu'un d'aussi résolu était encore hors de son domaine de compétence. Il ne voulait pas répondre à Diluc sur ses sentiments. Non parce qu'il n'était pas sûr, au contraire. Il n'a jamais été aussi sûr de ses sentiments que maintenant, alors qu'il regardait le visage d'ange encadré par des boucles rousses qui le fixait d'un air presque suppliant. Ce visage qu'il ne voulait voir brisé pour rien au monde.
Qu'il soit damné par tous les archons de ne pas réussir à y résister. Heureusement qu'il avait toujours su faire tourner une situation à son avantage.
"Faisons un pacte." Fit-il après s'être débattu intérieurement. "Si à ta majorité, tu es toujours aussi sûr de toi, alors je te donnerais ma réponse, et j'irais moi-même demander ta main à père, comme je te l'ai promis."
"Marché conclu."
C'est ainsi qu'il réussit à gagner quelques années de répit, ne sachant ce qu'il espérait recevoir comme réponse de la part de Diluc d'ici là.
On leur apprenait beaucoup de choses au sein de l'ordre Favonius.
Les bases de techniques de combat, avec spécialisation dans un type d'arme spécifique lorsque cela était demandé. Ils apprenaient les techniques d'espionnage et de filature pour partir en reconnaissance et acquérir des informations. Mais ils devaient aussi se comporter comme un soldat exemplaire au service du peuple de Mondstadt, capable de régler n'importe quels soucis que les citoyens leur soumettraient, exigeant une grande flexibilité dans leurs compétences ordinaires. Ils devaient aussi être capable de se débrouiller pour survivre dans la nature, dans n'importe quelle condition. Et bien sûr, ils devaient avoir une culture générale impeccable et une connaissance parfaite des règles d'honneur et de savoir-vivre lorsqu'ils devaient accueillir un étranger.
Cependant, il y a des choses auxquelles aucune leçon, aucun entraînement ne pourrait les préparer dans ce monde cruel.
Diluc y fut confronté lors d'une mission d'inspection à l'extérieur de la ville. C'était une belle journée venteuse, il était en compagnie d'un camarade de son âge et rien ne prédisait ce qu'il allait devoir affronter. Cela faisait un moment qu'on signalait la présence d'étrangers non identifiés non loin des remparts de Mondstadt, mais personne n'avait encore pu les rencontrer. Quelques patrouilles composées de recrues un minimum expérimentées s'étaient mises en place dans le but de partir en repérage et localiser ces intrus. C'est ainsi que l'héritier Ragnvindr se retrouva à guetter tandis que son compagnon était moins sûr que lui.
La chance voulue qu'ils trouvent par un heureux hasard le campement de ce qui s'apparentait à des pilleurs de trésors.
Les ordres étaient clairs à ce sujet: en aucun cas ils ne devaient engager de combat si jamais ils trouvaient quoique ce soit. Son homologue le savait, bien sûr, c'est pourquoi il suggéra qu'ils rentrent de suite à Mondstadt pour faire leur rapport à leur supérieur, mais Diluc n'était pas de cet avis. Il ne faisait pourtant pas partie de ceux qui insubordonnait, au contraire, il était un parfait exemple d'obéissance. Cependant, l'opportunité en face de lui était trop belle: ils avaient l'occasion d'arrêter des individus suspects, et il se savait capable de battre cette poignée d'hommes à lui tout seul. Le fait est que celui qui l'accompagnait était une véritable épine dans le pied, qui risquait en plus de rapporter ses actes.
Ils n'eurent pas le temps d'y réfléchir davantage qu'ils furent malgré eux repérés par l'un des membres du groupe de pilleurs.
La question ne se posait plus: ils devaient neutraliser ces brigands. Et personne ne pourra dire que c'était de leur faute. Diluc mena le combat, comme il s'y était attendu, mettant K. -Ô les brigands les uns après les autres, son compagnon d'arme servant principalement de soutien moral. Une fois le dernier vaincu, ils purent tous les attacher, et Diluc chargea son camarade d'aller prévenir leur supérieur, comme il l'avait prévu depuis le départ, non sans un certain sarcasme dans la voix. Il pouvait se le permettre: il avait terrassé à lui tout seul un groupe de pilleur de trésor, nul doute que ça allait jouer en sa faveur au sein de l'Ordre, même si ce n'était pas vraiment conventionnel.
Pris dans ses pensées, il faillit manquer les projectiles de glaces qui furent lancés dans sa direction.
Il eut à peine le temps de se décaler et se retourner pour voir son attaquant, et fut surpris de sa forme humanoïde, sans pour autant être un humain. C'était une créature miniature, parée de fourrure aux teintes blanches et bleues sur le haut, et d'une étrange tunique aux motifs de glace sur le bas. Sa tête était toute noire, ressemblant à celle d'un animal, avec des yeux bleus vides de toute forme de vie. Elle tenait un bâton dans ses minuscules mains, avec des intentions clairement malveillantes. Diluc savait de quoi il s'agissant, ayant eu des cours dessus, mais c'était la première fois qu'il en voyait un en vrai.
Un mage des Abîmes.
D'après ce qu'il savait, ces créatures non humaines originaires des ténèbres étaient maléfiques, et maitrisaient une sorte de magie noire qui leur permettait de contrôler les éléments sans oeil divin.
"Eh bien, je suis déçue de ne cueillir que du menu fretin, j'aurais espéré au moins un haut gradé!" Déclara alors la créature d'une voix déformée et profonde.
Diluc fut pris au dépourvu. Personne ne lui avait dit que ces créatures parlaient, et encore moins leur langue. Il pensait avoir affaire à des monstres assoiffés de sang, aussi bêtas que des Brutocollinus, mais il s'était trompé. Cette créature des Abîmes était pourvue d'intelligence, au moins autant qu'un humain pour pouvoir élaborer des embusquades comme celle-ci et communiquer avec eux. Et cela rendait la situation encore plus compliquée... Il tenta de se concentrer sur ce qu'il avait dit et fronça les sourcils:
"C'était un piège?"
"Exactement! Et tu es tombé dedans la tête la première!" Ricana le mage en émanant une étrange énergie bleue tout autour de lui. "Je me contenterais de toi pour envoyer un message de terreur à Mondstadt!"
Le jeune homme aux cheveux rouges empoigna sa claymore, tout d'un coup moins sûr de lui. C'était quelque chose de battre des pilleurs de trésors qui n'avaient aucun pouvoir particulier. Une créature qui contrôlait la magie était une autre paire de manches. Concentré, il évita la première attaque de glace, mais ne pu esquiver la deuxième qui le blessa méchament à l'épaule. Il entendit un rire sombre venir de son assaillant, et il comprit qu'il ne pourrait pas le battre en se retenant. D'un coup de jambe, il bondit en l'air tout en enflammant son arme pour viser le mage. Ce dernier recula au dernier moment et riposta d'une valve de glace qui manqua de toucher Diluc en plein coeur.
Sans réfléchir, il réussit à rebondir sur l'attaque pour attraper un angle mort. Son épée frappa de plein fouet la créature qui fut presque coupée en deux. Le sang gicla sous l'oeil terrifié de Diluc qui se rendit compte de ce qu'il venait de faire une seconde trop tard. Il venait de tuer une créature vivante. Il n'avait jamais tué personne avant, même pas un Brutocollinus, et même les animaux, si ça n'avait pas été de la chasse pour se nourrir, il s'en serait abstenu. Il regarda ses mains, souillées d'un rouge sombre et tout son corps se mit à trembler. Il n'avait pas voulu tuer cet être vivant, aussi mauvais soit-il.
Plongé dans un état de choc, le reste des évènements se déroula comme dans un rêve pour lui, avec l'arrivée des renforts dont Kaeya faisait partie.
Ce dernier écarquilla les yeux en voyant son frère debout à côté du cadavre d'un mage des abîmes visiblement aussi choqué que lui. Diluc entendit à peine ce que lui disaient ses supérieurs lorsqu'il du faire son rapport à l'oral, mais il crut discerner un mélange de remontrances d'avoir agi sans leur autorisation, et de félicitation d'avoir éliminé un mage des abîmes. Ce ne fut qu'une fois hors du bureau, en croisant de nouveau Kaeya qu'il put sortir de sa torpeur. Ce dernier le guida dans un endroit plus calme du QG, où ils ne seraient pas dérangés. Ses vêtements étaient encore couvert de sang et ses yeux restèrent fixés sur ses mains tremblantes.
"Kaeya..." Réussit à dire le plus âgé après un long encouragement. "C'était horrible... Il... Il m'a attaqué... et j'ai réagi pour me défendre mais je ne voulais pas... Je ne voulais pas lui faire de mal..."
"Pourquoi?" Interrogea simplement Kaeya d'une voix froide. "Pourquoi tu ne voulais pas lui faire de mal?" Précisa-t-il ensuite en voyant le début de panique de son frère.
"Parce que... Parce que c'est un être vivant!"
"C'est un ennemi de Mondstadt." Reprit le plus jeune d'une voix froide. "Diluc, tu as fait ce qu'il fallait. Les créatures des abîmes ne méritent pas ta pitié, ni ta gentillesse. Ce sont des monstres damnés qui utilisent la magie noire à de sombres desseins, des pêcheurs dont la rédemption n'est plus possible. Il ne méritent rien de mieux qu'une mort rapide, et encore..."
"Mais... Mais..."
"Tu as faits ce qu'il fallait Diluc." Le coupa le jeune homme à la peau mate en le prenant dans ses bras, sans se soucier de se salir. "Il faut que tu t'y habitues, maintenant que tu es un chevalier de Favonius. Tu vas être confronté à d'autres mages, d'autres ennemis qui te voudront du mal, à toi et à Mondstadt. Ils n'auront aucune pitié pour toi, alors n'en ai pas pour eux."
"Je ne sais pas si je pourrais..." Trembla Diluc en s'accrochant néanmoins à lui.
"Il le faudra. Ne t'inquiète pas, je serais à tes côtés pour t'aider à supporter tout ça, mais tu ne pourras y échapper. Si tu veux protéger Mondstadt, en tant que chevalier de Favonius, tu dois être prêt à éliminer ses ennemis. Peu importe leur forme et leur apparence. C'est comme ça que tu pourras monter en grade, et surtout te protéger. "
Le plus âgé acquiesça en resserrant l'étreinte, partageant le sang témoins de son meurtre sur l'uniforme auparavant immaculé de son frère d'armes.
Les fois qui suivirent cette première expérience furent tout aussi dures pour Diluc, mais Kaeya était toujours là pour le réconforter et le rassurer sur ses actes afin qu'il ne craque pas. Il s'appliquait dans ses paroles à ce que Diluc ressente de moins en moins de culpabilité lorsqu'il tuait un monstre ennemi, que ce soit un brutocollinus, un blob ou un mage des abîmes. Petit à petit, l'héritier Ragnvindr avait appris à s'éloigner de toute forme d'empathie pour ces créatures dites démoniaques afin de forger son propre sens de la justice. Il put ainsi se convaincre, avec l'aide de Kaeya, que de ne jamais laisser quelconque menace pour Mondstadt en vie n'était simplement que son devoir en tant que chevalier de Favonius.
Ce fut une des leçons les plus importantes que Diluc apprit ce jour-là, grâce à un mage des abîmes et à Kaeya.
Les efforts de Diluc finirent par payer.
Après des années à se former en tant que simple Chevalier major sans grade, rétrogradé à la surveillance des portes, et l'accueil de temps à autre de visiteurs étrangers, il avait enfin obtenu sa première promotion en tant qu'aspirant officier. Ce n'était pas grand-chose pour le moment, lui octroyant simplement le privilège de mener d'office une patrouille de surveillance aux alentours des murs de Mondstadt. Mais il s'agissait d'une reconnaissance officielle de ses efforts, et un premier pas vers son objectif. Il était le premier de sa promotion à monter un échelon, et tout le monde louait son talent naturel au combat et son génie incontesté.
Bien sûr, son père avait fêté cela, à la taverne et au manoir, leur permettant même à lui et Kaeya de déguster ce qu'il pensait être leur première coupe de vin.
Il ignorait bien sûr que ses deux fils avaient déjà goûté la boisson alcoolisée il y a bien longtemps, et que le plus jeune des deux faisait régulièrement le mur pour aller discrètement boire à la taverne du coin avec ses camarades. Les deux garçons firent cependant illusion en feignant la surprise à la découverte du goût du vin. Diluc n'eut pas vraiment à jouer la comédie, car contrairement à son cadet, sa première expérience avec l'alcool l'avait dégoûté plus qu'initié à la beuverie. Depuis ce jour, tout alcool était devenu son ennemi, et il goûta le vin de son père par politesse et pour l'occasion rare.
Alors que la fête battait son plein, il sentit néanmoins les effluves de l'alcool commencer à lui monter à la tête.
Ne voulant pas se donner en spectacle, l'héritier Ragnvindr eut la bonne idée de sortir s'isoler par la porte arrière donnant sur le jardin viticole. L'air nocturne lui fit suffisamment de bien pour reprendre une partie de ses esprits, et il décida de rester dehors, aussi parce qu'il n'aimait pas le monde, comme à son habitude. Au bout d'un bon quart d'heure, il fut rejoint par Kaeya qui tenait une coupe pleine de vin en main. Diluc ne put s'empêcher de hausser les sourcils; il ne lui aura pas fallu bien longtemps pour se mettre à l'aise avec l'alcool en présence de leur père. Heureusement que ce dernier, comme une bonne partie des invités, était déjà au minimum pompette, sinon bien ivre, pour s'en rendre compte.
Kaeya par contre avait l'air totalement sain.
"Je peux me joindre à toi? Ils commencent à sortir des anecdotes embarrassantes."
Diluc acquiesça, compatissant pour les pauvres oreilles de son frère d'armes qui a dû entendre des choses qu'il n'aurait pas voulues.
"Félicitation encore pour ta promotion, Diluc." Reprit le garçon à la peau mate avec un sourire. "À ce rythme, tu deviendras Capitaine en moins d'un an. Le siège du Grand Maître est pratiquement à ta portée."
"Mmhh..."
Diluc avec l'habitude des paroles mielleuses suintant d'un certain sarcasme de la part de son cadet désormais. Comme s'il cherchait toujours la petite bête pour déclencher quelque chose. Pourtant, jamais le plus jeune n'avait été engagé dans une quelconque bagarre, réussissant toujours à calmer la colère de ses agresseurs aussi facilement qu'il l'avait provoquée. On n'apprenait pas à manipuler les émotions des gens comme cela au sein de l'Ordre Favonius, c'était un talent naturel qui se développait, et le garçon à la crinière de feu était bien placé pour le savoir, ayant grandi avec lui une bonne partie de son enfance.
Cependant, ce soir-là, il était bien décidé à gagner.
"Kaeya." Commença-t-il en fixant un point invisible devant lui. "Tu penses vraiment que j'y arriverais?"
"Qu'est-ce qui t'arrive?" Demanda le plus jeune, sincèrement surpris. "Ce n'est pas ton genre de douter comme ça."
"Non? Ce n'est juste que... Depuis le début, tout le monde compte sur moi. Père s'est beaucoup investi pour que je puisse devenir un chevalier exemplaire, et tu m'as même rejoint au sein de l'Ordre Favonius pour me soutenir alors une partie de moi a forcément peur de vous décevoir."
Le jeune homme aux cheveux couleur nuit ne su quoi répondre. En ce qui le concernait, il avait totalement confiance en Diluc pour atteindre ses objectifs. Il était fort, intelligent sans être vaniteux, avec suffisamment d'ambition, juste assez pour ne pas se laisser submerger par une suffisance qui lui coûterait. Le fait qu'il soit lui-même devenu Chevalier n'aurait pas changé grand-chose à son humble avis, et malgré tout, il avait aussi pris la décision à l'époque d'infiltrer l'Ordre Favonius pour rendre sa mission originelle plus aisée. Il n'aurait pas imaginé à l'époque qu'il puisse autant s'intégrer, ironiquement plus que son ainé.
Avec un sourire dénué de malice, il posa sa main sur l'épaule de son frère d'armes.
"Tu ne décevras personne, Diluc. Tu as tout ce qu'il faut pour réussir, et rien ne pourra t'en empêcher. Et tout le monde sait que tu fais de ton mieux, même les personnes qui te jalousent."
"Mmmhh..."
Le garçon aux yeux carmin resta fixé sur son point invisible, semblant à moitié convaincu par les paroles rassurantes du plus jeune. Ce dernier ne put s'empêcher de soupirer; il s'agissait d'un jour de fête, d'une célébration propice à la bonne humeur, et non aux angoisses. Une partie de lui regrettait la candeur et l'optimisme aveugle qu'il avait connus lorsqu'ils étaient enfants. Bien sûr, Diluc gardait de manière générale sa passion et son tempérament flamboyant, mais on ne rattrapait pas l'anxiété que des années de solitude avaient forgée. Kaeya ne pouvait s'empêcher de se demander si c'était sa faute, quelque part, si son frère adoptif s'était coupé si tôt des autres.
Peut-être qu'il pouvait faire quelque chose pour rattraper cela.
"Gege, puisqu'aujourd'hui est un jour spécial, j'ai envie de t'encourager à ma manière, et de t'offrir quelque chose." Annonça-t-il d'un coup d'un ton plus joyeux.
Diluc se décida enfin à le regarder, lui offrant un visage aussi intrigué que méfiant. Ce n'était pas la première fois que Kaeya lui jouait un tour en promettant une récompense pour l'appâter.
"Et quelle est cette chose?" Demanda le rouquin, prudent.
"Ce que tu veux. C'est toi qui choisis!"
Le plus vieux le regarda encore quelques secondes, essayant de discerner quelconque trace de fourberie dans ses yeux face à cette soudaine générosité. Son inspection lui ayant visiblement assuré que les attentions de Kaeya étaient sincères, il fit alors mine de réfléchir à ce qu'il pourrait demander comme cadeau. Ce n'était pas tous les jours que son frère cadet lui faisait un présent, encore moins dénué d'arrière pensée. Le pire était son doute que chaque fois lui faisait plaisir malgré tout, le garçon à la peau mate sachant exactement ce qu'il aimait. Cette fois-ci, il pouvait décider de ce qu'il voulait, alors il devait bien réfléchir.
Finalement, Diluc reporta son attention vers Kaeya en hochant la tête.
"Dans ce cas, je veux que tu m'offres... mon premier baiser. Mon premier baiser d'adulte." Précisa-t-il alors que ses joues prenaient la même couleur que ses cheveux.
Kaeya savait qu'il aurait dû être habitué aux demandes farfelues de son ainé, mais ce dernier réussissait toujours à le prendre de court, peu importe à quel point il se préparait.
Cependant, il s'était engagé à offrir au garçon à la peau crémeuse ce qu'il voulait, ce dans le but de lui remonter le moral. Ce serait mal avisé de sa part de se rétracter maintenant, quand bien même ce serait légitime. Mais quand même...
Un baiser. Rien que ça. Cela faisait des années qu'il avait restreint les contactes physique entre eux, tout du moins il essayait. Il ne pouvait pas empêcher la main chaude de Diluc de se poser sur la sienne quand ils flânaient à l'ombre d'un arbre, côte à côte, sans réussir à la repousser. Il ne pouvait empêcher les étreintes sous le coup d'émotions fortes, qu'elles soient négatives ou positives. Il ne pouvait empêcher ces moments où ils étaient collés l'un à l'autre, même quelques secondes, se cherchant des excuses plus ou moins légitimes. Ces touchers furtifs et innocents n'avaient cependant rien à voir avec cette demande.
Après des années à s'être efforcé à retrouver une relation saine, et laisser de côté les fruits de leur curiosité enfantine, voilà que Diluc voulait faire un énorme pas en arrière.
"Pourquoi tu me demandes ça à moi? Je suis sûr qu'il y a des dizaines de filles qui seraient ravis de te faire ce présent."
"Je m'en fiche, je ne veux pas mon premier baiser avec elles. C'est avec toi que je le veux... S'il te plaît?"
Le jeune homme au bandeau soupira de dépit, essayant de chasser l'étrange sentiment mêlant joie et fierté qui s'excitait en lui à l'aveu de son homologue. Il ne devrait pas être si content qu'à leur âge, Diluc soit encore resté sur ces sentiments d'enfant. Il ne devrait pas se sentir si puissant que personne n'ai encore captivé l'attention du rouquin, parce qu'il était resté le seul et unique dans son coeur. Il ne devrait pas acquiescer silencieusement et lui faire signe de le suivre dans un endroit moins éclairé pour être sûr que personne ne puisse les voir. Non, il ne devrait pas, et pourtant, il était incapable de s'écouter à l'heure actuelle.
Ses mains se posèrent sur les épaules peu construites de Diluc, se demandant une seconde comment ce dernier restait aussi chétif avec son entraînement à la claymore. Son oeil divin lui fournissait peut-être la force qui lui manquait. Il oublia rapidement les raisons du physique du garçon pour plutôt l'apprécier de la paume de ses mains à travers son uniforme. Même dans le noir, il pouvait deviner que les yeux rouges en face de lui briller à la fois d'appréhension et d'excitation. Lui-même avait l'impression que son coeur s'emballait de plus en plus vite à l'idée de ce qu'il allait faire.
Soudain, la voix du plus âgé s'éleva, beaucoup plus basse et timide que d'ordinaire.
"Tu... Tu as déjà fait ça?" Demanda-t-il d'une voix transpirant la pureté.
"Non." Répondit honnêtement Kaeya en essayant de reprendre son souffle. "Mais je sais comment on fait, on en parle beaucoup avec les autres, et j'ai déjà vu..."
Il préféra s'arrêter là dans ses explications. Inutile de dire à Diluc qu'il avait déjà vu certains de ses camarades s'adonner à des actes charnels à l'occasion de jeu à boire. Lui-même n'y avait jamais participé, de peur de perdre contrôle de lui-même et faire, ou dire, quelque chose qu'il regretterai. Il se contentait de regarder en modérant sa consommation d'alcool, et faire le juge impassible. C'est notamment grâce à cela qu'il avait plus de la moitié du QG de l'Ordre Favonius dans sa poche, connaissant des secrets que beaucoup ignoraient. Certains l'avaient même approché pour acheter ses informations, en vain bien entendu. Avec ce qu'il savait, la réputation de n'importe qui dans son entourage pourrait être entachée.
Kaeya reprit une bouffée d'air frais pour rassembler ses esprits et se concentrer sur ce qu'il allait faire.
Il y avait un gouffre entre la théorie et la pratique cependant. Il n'était même pas sûr si Diluc savait réellement ce qu'était un "baiser d'adulte", ou s'il en avait juste entendu parler vaguement de la part des domestiques. Son innocence pouvait aller loin après tout. Mais puisqu'il en demandait un, Kaeya ne pouvait pas vraiment reculer. Il essaya de calmer sa conscience en se convainquant qu'il ne faisait que répondre à la demande de son partenaire, et non à son propre désir. Alors même que son coeur s'emballait, comme s'il avait attendu ce moment toute sa vie.
"Je... J'y vais." Prévint-il, autant pour Diluc que pour se donner du courage.
Ce dernier acquiesça, et son cadet supposa qu'il avait très certainement fermé les yeux. Le plus jeune approcha alors son visage, jusqu'à ce qu'il puisse sentir le souffle chaud du rouquin contre sa peau. Lorsqu'il sentit les lèvres chaudes contre les siennes, il ferma à son tour son unique paupière visible. Le contact dura quelques secondes, le temps de s'habituer, de se remémorer la sensation de la bouche de Diluc. Puis il prit son courage à deux mains et sortit sa langue pour lécher les lèvres. Diluc sembla comprendre, tressaillant, et le laissa passer en ouvrant timidement le passage. Kaeya pencha alors sa tête tandis que ses mains remontaient pour encadrer de visage parsemé de boucles rouges.
L'intérieur de la bouche de Diluc était humide et chaude, presque brûlante, qu'il sentait sa langue fondre. Le plus vieux le laissa faire un moment avant de commencer à copier ses mouvements, et venir caresser sa langue avec la sienne. Les deux lâchèrent un gémissement sous le contact qui leur envoya mutuellement une décharge de plaisir le long du corps. Instinctivement, le garçon pâle vint se coller contre son partenaire, ses mains agrippant son uniforme au niveau des épaules. Kaeya le sentit à peine, trop occupé à goûter son ainé à travers ce baiser de moins en moins chaste tandis que ses mains vinrent se perdre dans les cheveux flamboyant pour s'y accrocher.
L'échange dura encore quelques secondes, parsemé de bruits humides et de petits soupires, avant que la plus jeune ne décide d'y mettre fin.
Lorsqu'il se détacha de lui, Diluc émit un grognement qui mêlait désir et déception. La couleur de ses joues se fondait avec celle de ses cheveux tandis que ses yeux carmin brûlaient d'une faim qu'il ne lui avait jamais vue. Il pouvait même distinguer quelques larmes au coin de ses longs cils qu'il n'avait su retenir sous le déluge des sensations nouvelles. Le plus jeune se sentait lui-même très étrange, ayant l'impression que son corps bouillait de l'intérieur d'un besoin urgent. Il voulait recommencer ce baiser. Il voulait enlacer Diluc encore plus près de lui, et ne jamais le lâcher. Il voulait le toucher, le sentir, le goûter... Ce n'était pas bon. Il ne devait pas perdre le contrôle.
Avec ce qui lui restait de bon sens, il réussit à lâcher Diluc et se séparer entièrement de lui, alors que ce dernier tremblait encore sous l'émotion de son premier baiser.
"Merci, Kaeya." Fit-il d'une voix plus profonde qui appelait à venir prendre plus.
Le plus jeune déglutit, cherchant au fond de lui tout le self-contrôle à sa disposition pour ne pas réitérer l'expérience, voire la prolonger. Diluc était là, en face de lui, son visage d'ordinaire si pâle teinté de Rose, ses lèvres gonflées par leur échange et son souffle rauque. Ses magnifiques cheveux rouges détachés avaient été décoiffés, lui donnant un côté indompté. Kaeya devait désormais baisser légèrement les yeux pour admirer les siens. Tout dans ces signaux corporels appelait à plus, et il devait y résister, car ce n'était pas encore le moment de craquer.
Il réussit à taire son corps et son esprit tâché par le désir qui lui hurlait de briser cet interdit qui le liait depuis trop longtemps
"De... De rien... On ferait mieux d'y retourner maintenant, ils vont s'inquiéter."
Ils se dirigèrent vers l'intérieur du manoir, comme si de rien n'était, avec l'accord tacite qu'ils n'en reparleraient plus jusqu'au moment précis où ils devront définir et surtout assumer leur adultes présents à la fête ne remarquèrent pas leur absence, trop emportée dans leurs ragots et leur ivresse. Crepus eut à peine assez d'esprit pour remarquer qu'ils étaient tous les deux montés dans chambres respectives (à la demande de Kaeya), sans se douter de ce qu'ils venaient de faire dans son jardin. La nuit fut longue pour tout le monde, et le petit déjeuner se passa dans un silence gêné qu'aucun ne réussit à briser.
