Bureau du principal, collège Gillingham, Dublin, Irlande (retour à notre petite Artémis)
Lorsque Artémis Elizabeth Cursedfate entra dans le bureau du principal, l'appréhension lui nouait le ventre. En effet, elle était terrifiée à l'idée qu'on puisse lui reprocher le petit incident survenu en cours de chimie quelques jours plus tôt. Elle avait trouvé amusant de fabriquer un cocktail Molotov avec les alcools et les solvants qui traînaient en laboratoire. Mrs McFlaharty avait fait une attaque et se trouvait encore à l'hôpital. Pourtant, ce n'était pas partit d'une mauvaise intention. C'était juste une blague…de mauvais goût, certes, mais qui avait le mérite d'être originale.
Mr O'Reilly, en voyant entrer cette fille de douze ans (et demi), les cheveux châtains, les yeux noirs d'encre et la mine inquiète, fut d'abord frappé par son aspect frêle et raffiné. Une longue existence de malchance l'avait rendue menue, semblable à une petite souris, mais elle possédait un port de tête fier, qui montrait qu'elle portait son fardeau résolument. Il se demanda combien de cellules grises était enfermées dans cette tête.
Artémis, tandis que le principal détaillait sa carcasse avec attention, se mordait l'intérieur des joues en pensant aux petits incidents qu'elle accumulait en classe. Il fallait croire que sa malchance n'avait pas tout à fait disparu, comme pouvaient en témoigner certains faits indiscutables. Il est tout de même rare qu'un être humain sente s'écrabouiller sur sa tête trois pommes pourries en deux jours, que les couteaux de cuisine aient une fâcheuse tendance à lui taillader les doigts et que les ménagères attendent qu'il passe sous leur fenêtre pour lui balancer leurs assiettes, si ce n'était leurs ordures, sur la tête. Mais enfin, se dit Artémis avec un long soupir, ça n'avait rien à voir avec son ancienne malchance qui entraînait fractures et mort d'homme .
Mr O'Reilly réfléchissait à la meilleure façon d'exploiter le génie de cette fille lorsqu'elle se sentit obligée de rompre le silence d'une toute petite voix :
« Vous vouliez me voir monsieur ? »
«Oui, oui…hem (il se racla la gorge) Alors, c'est toi Artémis Cursedfate… J'ai lu ton dossier … Intéressant, très intéressant.»
Artémis se balançait d'un pied sur l'autre, ne sachant visiblement pas quelle attitude adopter.
« Ah »
Ce fut tout ce qu'elle trouva à dire. Cependant, son cerveau fonctionnait à toute vitesse. Elle était persuadée à présent que le principal allait lui reprocher ses petites incartade en physique, chimie, biologie, économie, français, anglais, allemand, histoire, géographie, mathématiques et éducation sportive. Elle s'activa à élaborer des excuses totalement tarabiscotées.
Mr O'Reilly continua de l'observer à la dérobée, puis il prit une grande inspiration et se jeta à l'eau.
« Parle moi de tes hobbies»
Surprise, Artémis répondit sans réfléchir : « J'aime écrire, lire, dessiner jouer de la musique, sortir avec des amis … »
Le principal leva la main pour l'interrompre, les yeux brillants.
« Tu aimes écrire… Excellent. Joues-tu aux échecs ? »
« Un peu. » admit Artémis.
« Tu t'y connais en informatiques ? »
« Pas trop monsieur. Je n'ai pas d'ordinateur .»
« Nous allons y remédier. » claironna Mr O'Reilly avec une lueur de triomphe dans le regard.
Maison des Blume, Dublin ouest, Irlande
Margaret et Rory Blume était le jeune couple qui accueillait Artémis sous leur toit. Âgés d'une trentaine d'années, ils avaient toujours rêvé d'avoir une fille, aussi la couvraient-ils d'attentions. Mais ces derniers temps, Margaret se faisait du soucis au sujet d'Artémis. Depuis que le principal lui avait fait part de son désir de la voir rejoindre le club de jeux d'échec, celui de littérature et d'informatique, on ne la voyait quasiment plus. Elle était toujours plantée devant son ordinateur dernier cri VAIO (généreusement offert par l'administration du collège Gillingham) soit à taper des histoires qu'elle mettait en ligne, soit à disputer des parties d'échec avec des internautes de tous horizons. Elle élaborait même un site Internet où il était question d'un projet de jeu vidéo, qu'elle concevait seule, entièrement, aussi bien dans le domaine des graphismes 3D, de la programmation que du scénario.
Margaret Blume se dit qu'Artémis était très intelligente. Elle ne pouvait pas se douter qu'elle était loin du compte.
En réalité, Artémis avait finit de concevoir le jeu vidéo en question, qu'on pouvait télécharger pour la somme de un euro, et il avait un tel succès qu'elle ne tarda pas à amasser une somme plutôt rondelette . Elle eut l'idée de mettre un catalogue de solutions payantes en ligne. Des publicitaires, apprenant le succès de sa petite entreprise, s'empressèrent de proposer leurs bannières. Au final, ses gains se chiffrèrent en milliers d'euros. Cela lui donna le vertige.
A la fin de l'année, Artémis fit concourir son site pour le tournoi d'informatique, elle participa à l'épreuve d'écriture, à celle de dessin et au concours d'échecs.
Elle remporta toutes les épreuves haut la main . Sauf une. Quelqu'un lui avait volé la première place aux échecs. Quelqu'un qui avait réussit à la battre en six coups.
Artemis Fowl.
