Poste de commandement des FAR, Havenville, très profondément sous terre :

Foaly croqua dans sa carotte d'un air songeur. Elle avait le goût légèrement chimique des produits de la surface, mais elle valait tout de même mieux que les carottes fabriquées en éprouvette dans les laboratoires féeriques.

Il venait de se déconnecter d'un drôle de jeu humain, « Opération FARfadet ». Alors qu'il effectuait sa ronde sur le net, à la recherche d'indices compromettant sur le monde des fées, il était tombé dessus. Depuis, il se trouvait dans un état de perplexité croissante.

Le principe du jeu consistait à incarner un officier de la police féerique, les FAR. On devait alors combattre des trolls, rétablir l'ordre dans la population,et maîtriser des gobelins. C'était suffisant pour alarmer le plus inconscient des employés de la voirie de Havenville, mais Foaly ne parvenait pas à se résoudre à dénoncer le jeu au commandant Root.

Tout d'abord, il existait beaucoup de dissemblances : la ville des fées, nommée Résidella, se trouvait sur la lune. Il y avait plein de créatures abracadabrantesques qui n'existaient pas dans le monde des fées. Et en plus, les FAR possédaient une technologie relativement archaïque (des pistolets laser, on se croirait dans star wars ) .

Pour ces raisons, mais surtout parce que ce jeu passionnant lui permettait de voir ce que vivaient les officiers FAR lorsqu'ils allaient sur le terrain, tandis que lui restait cloîtré dans son bureau, Foaly résolut de taire l'existence d' « Opération FARfadet ».

Dublin, Irlande, jour convenu pour le rendez-vous :

Ignorant totalement à qui elle allait être confrontée, Artémis eut des poussées d'appréhensions qui se muèrent peu à peu en terreur pure. Peut-être allait-elle rencontrer un homme louche… avec sa chance, ce pourrait même être l'ennemi public numéro un. Une petit voix raisonnable lui murmurait que c'était plus probablement un adolescent boutonneux accro aux jeux vidéos, mais Artémis refusait de l'écouter et se perdait dans des conjectures pessimistes. Lorsqu'elle en arriva à envisager un scénario de fin du monde, son téléphone sonna.

« Allo ? » demanda-t-elle d'un ton sec, agacée d'être interrompue en plein délire paranoïaque.

« Liz ?(surnom provenant du second prénom d'Artémis) C'est Bertram. Tu m'avais demandé de te rappeler ton rdv »

« Rdv ? »

« Rendez-vous, banane. »

« Merci de ta sollicitude, et maintenant, laisse moi crever en paix. »

Puis elle raccrocha, furieuse d'être passée pour une idiote. Elle se décida enfin à se changer, parce que quelqu'un qui vous envoie son chauffeur est quelqu'un de très riche et qu'on ne se rend pas chez quelqu'un de très riche en tenue à 5 euros.

Elle sortit donc un ensemble Prada (veste, pull et jupe) qui faisait sa fierté, et qui lui avait coûté la peau des fesses, ainsi qu'un sac Vuitton (1200 euros) et une paire de bottines Jimmy Choo (800 euros). Elle avait acheté ces jolies choses pour les grandes occasions et tout indiquait que ce qu'elle vivait était effectivement quelque chose d'exceptionnel.

Artémis enfila donc ses vêtements qui valaient plus de trois mois de salaire d'un irlandais moyen et se sentit prête à affronter le monde.

Elle fourra dans son sac un portefeuille Dior (qui coûtait autant que ce qu'il contenait), ses clefs, un paquet de chewing-gum à la menthe, son portable Siemens dernier cri (offert par un Mr O'Reilly soucieux de pouvoir joindre à tout moment sa protégée), un petit flacon de parfum (Beyond paradise d'Estée Lauder, son préféré), un gloss Guerlain, mais aussi une bombe lacrymogène et un couteau de l'armée suisse.

Puis elle dévala les escaliers et claqua deux bises sonores sur les joues de Margaret et Rory Blume, une habitude typiquement française qu'elle avait conservée, puis elle sortit dans la rue.

Il était 18h30 tapantes. Une voiture noire se gara juste en face à elle (une Mercedes) et elle devina qu'il s'agissait de son taxi. Un homme gigantesque s'extirpa de la voiture et vint lui ouvrir la portière. Artémis poussa un petit cri de surprise .

« Mais je vous reconnais ! Vous êtes le garde du corps de Mrs Fowl !Vous l'accompagniez à l'orphelinat lorsqu'elle l'a visité ! »(mais alors, la personne qui l'invitait était …)

L'homme s'inclina.

« Comment vous vous appelez ? » demanda Artémis piquée par son incurable incuriosité.

« Je n'ai pas l'habitude de donner mon nom à n'importe qui. »répondit-il d'un ton égal. « Allez-vous monter ? »

Artémis grimpa dans la bagnole à 84 900 euros très vexée d'être considérée comme « n'importe qui ». La question de l'identité du « chasseur » ne la préoccupa plus le moins du monde, complètement chassée par la frustration. Elle mit le temps du trajet au profit pour harceler le chauffeur à propos de son nom.

Au bout de deux heures, l'homme sembla craquer. Il poussa un long soupir et grogna « Vous êtes pire que ma petite sœur. »

« Alleeeeeeez, vous ne mourrez pas de me donner votre nom ! »

Le grossier monsieur l'ignora.

« Bon, que pensez-vous d'un échange ? Je vous communique mon nom, et vous acceptez de me donner le votre. »

Le garde du corps haussa les épaules.

« Si vous y tenez tant. »

« Je m'appelle Artémis Elizabeth Cursedfate. Mes amis m'appellent Liz, c'est moins ridicule .»

« Artémis ? » s'étonna l'homme. Il sembla se reprendre et dit : « Je m'appelle Butler .»

« Butler tout court ?»

« Oui »

« La classe. »

Butler ne fit aucun commentaire. Artémis-Liz décida alors de le laisser tranquille un moment.

Trois minutes plus tard, elle revenait à la charge.

« On va au château des Fowl ? »

« Oui »

« C'est encore loin ?» demanda-t-elle en mettant un accent de désespoir très agaçant.

« Non, nos sommes arrivés »

Effectivement, on voyait se dessiner une colline au sommet de laquelle culminait le manoir. Si Butler espérait voir sa passagère se calmer, il fut très déçu. Elle se mit à gigoter dans tous les sens et se cogna plusieurs fois la tête au plafond. Butler la regardait d'un air inquiet, mais elle lança d'un air désinvolte qu'elle était très malchanceuse.

Il se concentra alors sur la route et réussit à garer la voiture avant qu'Artémis ne démolisse le plafond.

Il lui ouvrit très galamment la portière et elle sortit, un peu chancelante, au grand jour.

Le manoir était gigantesque.