Texte écrit dans le cadre du calendrier de l'avent "Un Calendrier de Glace et de Feu"


Quand Lire Devient un Plaisir :


Ils n'avaient pas besoin de se mettre spécialement en condition pour le faire. Généralement, Jaime tirait la manche de Jon, le regard timide, et fixait ses pieds sans rien dire. Jon le prenait dans ses bras et lui demandait ce qu'il voulait faire. Ils ne se changeaient pas, n'avaient pas besoin de beaucoup d'accessoires à chaque fois, ni même de se rendre dans une pièce en particulier.

Ce jour-là, ils s'installèrent sur le canapé du salon, à la lueur d'une lampe de lecture et enveloppés dans la douce chaleur d'un feu de cheminée que Jaime avait lancé en rentrant du travail. Jon travaillait toujours plus tard. A vrai dire, Jaime faisait au moins moitié moins d'heures que lui : il avait demandé un mi-temps thérapeutique à cause de son handicap, sa main perdue dans un accident qui avait également coûté la vie à sa soeur jumelle. Il avait mis des années à s'en remettre, son petit frère l'avait grandement épaulé dans cette épreuve… Puis il avait rencontré Jon. Un gamin de vingt ans de moins que lui, sérieux comme une pierre tombale. Et bizarrement, ils s'étaient plus. Ils s'étaient accordés. Jon avait tempéré Jaime, ses sautes d'humeur, son humour parfois trop insultant, sa vie gérée comme un 36 tonnes lancé à grande vitesse conduit par un conducteur complètement ivre et drogué. Et Jaime avait apporté un grain de folie, une étincelle de vie, de la spontanéité aux jours beaucoup trop mornes de Jon. Le Lannister s'était finalement posé, et le nordien avait retrouvé le sourire.

Mais Jaime avait eu des problèmes avec son père, un veuf aigri qui les avait élevés beaucoup trop à la dure, son frère, sa soeur et lui. Il avait eu une enfance un peu sombre et malheureuse, malgré sa fratrie aimante… trop aimante, et toxique, au vu de sa liaison avec sa soeur qui avait duré jusqu'à la mort de celle-ci. A vrai dire, à part une incartade avec une amie proche, Jon était seulement la deuxième personne de sa vie. Il n'avait jamais réussi à se débarrasser des séquelles de cette maltraitance psychologique, mais Jon avait été d'accord pour essayer quelque chose qui le rassurait et le calmait mieux que tout ce qu'il avait pu essayer avant.

Ce soir-là, donc, après le repas, ils s'étaient installés dans le salon avec un livre. Un livre pour enfants. Un grand livre à la couverture rigide, avec de belles illustrations colorées, et peu de texte par page. Jaime ne se mettait pas sur les genoux de Jon, pour des raisons évidentes, mais il était lové contre lui, sentait le corps de son compagnon épouser son dos et sa tête posée sur son épaule, ses boucles brunes chatouillant sa joue pendant qu'ils tournaient les pages ensemble, et c'était rassurant au delà de tout. Même le papier dont étaient faites les pages était doux et chaleureux. Jaime aimait passer sa main restante dessus, alors que Jon tenait le livre, et regarder les images. Il n'avait jamais eu de livres comme ceux-ci quand il était petit. Son père avait décidé de régler son problème de dyslexie avec une violence et une intransigeance rare mais correspondant à son caractère. La méthode avait fonctionné, mais Jaime en était ressorti traumatisé par la lecture et n'en avait jamais tiré aucun plaisir avant que Jon n'accepte de jouer un rôle de père pour lui. Ainsi, même les livres pour adultes étaient devenus moins effrayants, et il avait pu se découvrir un nouveau loisir tout à fait plaisant.

Ils allaient d'ailleurs souvent à la librairie ensemble. Quand ils prenaient des livres pour enfants, les libraires pensaient que c'était pour un cadeau qu'ils avaient choisi avec soin et minutie et demandaient souvent s'ils souhaitaient qu'ils l'emballent. Ils se souriaient en coin, et répondaient par la négative. Des fois, Jon offrait des livres à Jaime. Peu souvent, pour ne pas lui faire peur. Mais certains attiraient son attention et il était certain qu'ils plairaient à son amant, ce qui était toujours le cas. Jaime était impatient comme un gosse, et quand ils rentraient d'un passage à la librairie ou qu'il recevait un cadeau, il demandait toujours à le lire dès le soir-même, parfois l'après-midi. Il était impatient dans sa lecture aussi, il mangeait les syllabes, sautait des mots, les lettres se mettaient à se mélanger devant ses yeux et il finissait souvent par se figer et bégayer, voir fondre en larmes. Jon était toujours là pour le consoler. Il le serrait dans ses bras, lui disait que ce n'était pas grave, et quand Jaime s'était un peu calmé, lui proposait de recommencer plus lentement. L'important n'était pas la vitesse. L'important n'était même pas de finir le livre. Ce qui comptait c'était d'y trouver du plaisir et du réconfort.

A leur lecture, ce jour-là, il n'y eut pas de crise de larmes. Jaime s'emballa un peu et avant qu'il panique, Jon ferma doucement le livre, le marque-page bien en place, et lui caressa les cheveux.

-On fait une petite pause, mon chéri ?

-Oui, Daddy. Merci.

-Bois ton chocolat avant qu'il ne soit froid.

Jaime hocha la tête, prit délicatement sa tasse et la porta à ses lèvres. Il restait toujours moins assuré de sa main gauche, malgré les années de pratique.

Ils s'étaient fait des mugs de chocolat chaud avec des mini guimauves à la surface. C'était très agréable de boire près du feu tout en lisant des aventures extraordinaires. Aujourd'hui, ils lisaient les aventures d'un duo de pirates, capitaines d'un bateau qui sillonnaient les océans à la recherche d'un trésor caché.

-Tu crois que les héros sont amoureux, comme nous, Daddy ? demanda Jaime.

-Je ne sais pas mon chéri. Tu en penses quoi ?

-Ils vivent ensemble…

-Ils sont obligés : ils sont sur le même bateau.

-Oui, mais je les trouve très proches. Et ils n'ont pas de petites amies.

-Peut-être qu'ils sont juste très amis ?

Jaime fronça les sourcils.

-Je préfère imaginer qu'ils sont ensemble, comme toi et moi. Je veux lire la suite, peut-être qu'on le découvrira !

-D'accord, mais tu lis doucement.

-Oui Daddy.

Ils posèrent leurs tasses quasiment vides, et Jon rouvrit le livre. Jaime s'aida de son doigt pour faire la lecture à haute-voix. C'était plus simple pour lui ainsi, même s'il aimait épater son "daddy" en se passant de cette aide.

A la fin de l'histoire, Jaime pialla de joie : il se trouvait que les deux capitaines pirates étaient bels et bien amoureux ! Il en fut si excité que le livre vola et renversa les tasses, répandant un peu de chocolat chaud sur la table basse et par terre. Jaime posa la main sur sa bouche et regarda avec anxiété son daddy : peut-être allait-il se fâcher, ou pire, le punir ?

Mais Jon se contenta de le repousser pour qu'il se lève :

-Va chercher l'éponge pour nettoyer, tu veux bien, mon poussin ?

Il ébourrifa ses cheveux blonds avec tendresse et Jaime se sentit aussitôt rassuré. Il fila à la cuisine, et Jon alla déposer leurs tasses dans le lave-vaisselle. Quand tout fut propre, Jon conclut :

-Tu as très bien lu aujourd'hui. Tu as le droit à un bonbon avant d'aller au lit.

Il alla chercher une belle jarre en verre fermée par un énorme bouchon de liège et Jaime l'enleva non sans difficulté, impatient comme toujours.

-Je peux choisir celui que je veux ?

-Oui mon chéri.

-Merci Daddy !

Jaime plongea sa main dans la jarre et fouilla à la recherche d'un bonbon meringué au citron, ses favoris. Il ne mit pas longtemps à ouvrir le papier et à l'enfourner dans sa bouche sous le regard attendri et plein d'amour de Jon.

Celui-ci alla reposer la jarre, et vint se coller à Jaime, posant son front contre le sien. Son compagnon baissait la tête quand lui la levait. Ils restèrent un long moment dans cette position, fermant les yeux, dans les bras l'un de l'autre à respirer l'odeur de l'être aimé, à écouter sa respiration, à sentir son souffle sur leur peau.

-Ça t'a plu ?

-C'était parfait. Merci mon amour.

Jaime avait repris sa voix d'adulte. Il se pencha un peu plus vers Jon et l'embrassa avec douceur et conviction. Le baiser s'approfondit. Bientôt, ils ne purent plus y tenir, et se précipitèrent dans leur chambre, s'arrachant leurs vêtements avec des éclats de rire joyeux.