Chapitre 2 : Sang et Fumée

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Et si vous aviez pu observer le visage d'Achab, cette nuit-là, vous auriez pensé que deux antagonistes se livraient combat en lui. Tandis que sa jambe vivante éveillait sur le pont des échos de la vie, chaque coup de sa jambe morte clouait un cercueil. C'est sur la vie et sur la mort que marchait ce vieil homme.

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Merle descendit les escaliers prudemment, muni du marteau qu'il avait récupéré parmi les outils abandonnés sur le toit.
Il traversa silencieusement un couloir avoisinant des rangées de bureaux. Alors qu'il pénétrait dans une sorte de salon, ou de hall de réception, deux zombis se tournèrent dans sa direction.
Il leur défonça le crâne à coups de marteau sans peine, l'un après l'autre. Avisant une hache d'incendie dans une vitrine sur un mur non loin, il laissa tomber le marteau et alla la récupérer.
Il parcourut l'étage sans rencontrer d'autres rôdeurs.
Il était encore sous le coup de l'adrénaline, laquelle lui offrait une réserve d'énergie pour le moins bienvenue, mais il savait que ça ne durerait pas. Malgré le garrot, sa blessure continuait de saigner abondamment, remplissant comme une éponge le teeshirt qu'il avait enroulé autour. Il devait absolument stopper l'hémorragie au plus vite s'il ne voulait pas s'écrouler sous peu.

Il finit par entrer dans une cuisine, où il trouva exactement ce qu'il cherchait. Les brûleurs de la gazinière fonctionnaient, ce qui lui fit penser, non sans ironie, que c'était son jour de chance aujourd'hui.
Il farfouilla à la recherche de l'objet adéquat et finit par trouver une espèce de fer à repasser. Il le mit à chauffer sur la flamme.
Ce qu'il s'apprêtait à faire le faisait déjà frémir de douleur rien que d'y penser, mais il savait que c'était la seule chose à faire et qu'il n'avait pas d'autre moyen de s'empêcher de se vider de son sang.
Mais la différence entre cautériser sa plaie et se couper la main, c'est que là-haut, sur le toit, il avait pu hurler tout son soûl sans se préoccuper d'attirer les rôdeurs. Cette fois-ci c'était différent, il devait absolument s'empêcher de crier.

Il trouva un torchon qu'il replia plusieurs fois et plaça entre ses dents. Il retira le teeshirt de la plaie, défit sa ceinture, saisit le fer et l'appliqua sur la chair, appuyant fortement, en mordant dans le torchon de toutes ses forces.
Les larmes lui montèrent aux yeux instantanément, en même temps qu'un long cri, qui se changea en mugissement plaintif à travers son bâillon improvisé.
Il entendit une sorte de sifflement provenant du fer, et une odeur de chair brûlée lui remplit les narines, lui donnant envie de vomir.
Il prit soin d'appliquer l'instrument sur toute la surface de la plaie, au prix de douleurs atroces et d'un véritable concert de gémissements étouffés.
Lorsqu'il reposa le fer à repasser, il ne put s'empêcher de remarquer les bouts de peau et de chair brûlés qui s'y étaient collés, et grimaça de dégoût. Quand à l'aspect de son moignon à présent, mieux valait ne même pas y penser. Il évita de regarder trop en détails, sous peine de se mettre à dégobiller. À vrai dire, il avait eu l'occasion de voir des plaies plus moches que ça depuis le début de l'épidémie, et même avant ça… mais quand on le voyait sur soi, ça faisait clairement pas le même effet. Il emballa le tout dans un pansement de fortune, constitué d'un grand torchon blanc.

Quand il eut terminé, la tête commençait à lui tourner sérieusement. Il ne savait pas si c'était la fatigue, la perte de sang ou simplement un contrecoup des gros chocs physiques, visuels et psychologiques qu'il venait de subir. Dans tous les cas il ne se sentait pas franchement bien… il était urgent qu'il se bouge le cul s'il voulait pouvoir sortir de cet immeuble. Sortir de cette ville.
S'il voulait survivre, il devait absolument réussir à quitter Atlanta au plus vite.
Et vu le nombre de rôdeurs qui se baladaient dans les rues et l'odeur de sang frais que Merle dégageait, parvenir à sortir de la ville sans avoir à se battre était de l'ordre de la science-fiction.
Mais heureusement pour lui, lorsqu'il s'agissait de se battre, il était en terrain connu. Défoncer du mort-vivant était devenu une seconde nature chez lui, c'était même son domaine d'expertise, et il s'y adonnait dés que l'occasion se présentait.

Pour Merle, depuis son plus jeune âge, la réponse à la peur avait toujours été la colère. La colère et la violence.
Quels que soient l'angoisse et le doute qui s'emparaient de lui, la fureur avait toujours eu un effet libérateur, rassurant. On n'a pas peur quand on est en colère.

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Lorsque Merle arriva au campement, à pied, couvert de sang et épuisé, il contempla, hébété, le spectacle de désolation qui s'offrait à lui. Le sol était jonché de cadavres, il y avait plusieurs tombes fraîches en bordure du camp, et surtout, les lieux étaient totalement déserts.

Il avait réussi à trouver un autre teeshirt, un peu à manger et à boire en cours de route, et avait pris le temps de dormir, dans une maison abandonnée, une petite poignée d'heures. Il avait également perdu la hache en chemin et l'avait remplacée par une longue et épaisse barre de fer, du genre de celles qu'on utilisait pour faire le béton armé.
Il avait tué tellement de rôdeurs au cours des dernières vingt-quatre heures qu'il était incapable d'en déterminer le nombre exact.
Il traversa ce qui avait été à peine quelques jours plus tôt un campement plein de gens, de familles, d'enfants, un endroit que chacun croyait à peu près sûr… Désormais, ce n'était plus qu'un cimetière.

Merle aperçut une voiture de sport rouge qui ne se trouvait pas là lorsqu'il était parti. Sur la portière, bien en vue, se trouvait un message dans une pochette en plastique, scotchée avec du duct tape.
Il le prit et le lut à voix basse.

« Morgan
On va au CDC
Trop dangereux ici.
Rick »

Le message était écrit au dos d'une carte routière.
Rick ?
« Y a pas d'Rick au camp », murmura-t-il, intrigué. Et il n'avait jamais non plus entendu parler d'un Morgan qui était censé les rejoindre.

En tous cas, ce dont il était quasiment sûr, c'est que Daryl était encore vivant. Il ne pouvait pas être dans une de ces tombes.
Parce que sinon, cela voudrait dire que les autres étaient partis en emportant leur tente, sa moto, la camionnette de Daryl et toutes leurs affaires. Et aucun d'entre eux n'aurait fait ça, ils n'avaient aucune raison de s'emmerder à charger la Triumph à l'arrière du truck, ni de replier la tente.
C'était forcément Daryl qui avait fait tout ça.
Et si son frère était resté avec les autres, il avait de bonnes chances de pouvoir le trouver à ce CDC.

Tout le monde savait ce qu'était le CDC, ils en avaient parlé sur toutes les chaînes de télé, le Président l'avait même cité dans son communiqué officiel. C'était là que les plus grands scientifiques du pays étaient censés trouver une solution à l'épidémie, trouver un remède, ou un vaccin, quelque chose pour mettre fin à tout ce merdier.
Mais la question c'était… est-ce que Daryl avait suivi le reste du groupe ?

Merle s'assit sur le capot de la voiture rouge et se creusa la cervelle, se forçant à réfléchir malgré la fatigue.
Daryl le croyait mort, c'était évident. C'était ce que les autres avaient dû lui raconter en revenant d'Atlanta sans lui, ils avaient monté un bobard, raconté qu'il s'était fait bouffer ou quelque chose dans le genre. Ils n'auraient jamais eu les couilles de lui dire la vérité. Et surtout, s'ils l'avaient fait, s'ils avaient avoué qu'ils l'avaient abandonné sur ce toit, menotté et bien vivant, Daryl serait immédiatement venu le chercher, il serait arrivé pour le libérer le jour même. Merle n'avait pas le moindre doute là-dessus.
Donc, son frère le croyait mort. C'est pour ça qu'il n'était pas venu à son secours, et que le message que Merle avait trouvé était adressé à un certain Morgan et pas à lui.

Soit.
Daryl ne le chercherait pas.
C'est donc lui qui devrait le trouver, s'il le pouvait encore.
Et donc, retour à la première question : où était-il allé ?

Ce qui était sûr, c'est que Daryl était probablement furieux contre les autres, ceux qui avaient laissé son frère mourir à Atlanta. Merle ne doutait pas une seconde que son petit frère s'était chargé de coller une bonne raclée à celui ou ceux qu'il considérait comme responsable, ou au moins avait essayé.
Mais après ? Avait-il été en colère au point de quitter le groupe ?
Probablement pas, se dit Merle.
Son frère n'était pas stupide, il savait qu'il avait bien plus de chances de survivre au sein d'un groupe que seul. Connaissant Daryl, il avait dû les suivre. En les insultant, en tirant la gueule, mais il les avait suivis.

« CDC, donc », déclara Merle à haute voix.

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Quelques heures plus tard, il marchait au milieu de la route, sous un soleil de plomb, et il se demandait combien de temps il allait pouvoir continuer comme ça.
Les autres n'avaient rien laissé au camp, aucun véhicule utilisable, pas de vivres, aucune arme, absolument rien qu'il puisse récupérer. Tout ce qu'il avait, c'était sa barre de fer, celle qu'il avait trouvée à Atlanta.
Merle s'était donc mis en route, à pied, sans perdre de temps. Il ne savait pas combien d'avance avait le groupe par rapport à lui. Pour ce qu'il en savait, ils étaient peut-être bien déjà arrivés au CDC. Il ne pouvait pas se permettre de se reposer, qui sait combien de temps ils allaient rester sur place, s'ils ne trouvaient rien là-bas ? Et qui sait où ils iraient ensuite ? Non, Merle n'avait vraiment pas le temps de traînasser.
Tant pis pour la faim, la soif, tant pis pour son bras qui lui faisait souffrir le martyr et pour la fatigue qui se faisait plus lourde à porter à chaque pas. S'il voulait retrouver son frère, c'était peut-être bien sa seule chance.

Depuis des heures, il espérait en vain pouvoir trouver un véhicule, un endroit où dénicher quelque chose à boire, de quoi manger. Il refusait de se reposer, mais il était bien conscient qu'il n'irait pas bien loin s'il ne parvenait pas à reprendre des forces à un moment ou un autre.
La tentation était terriblement grande de s'arrêter quelques minutes au bord de la route, juste quelques minutes, juste s'assoir un peu, une poignée de minutes à peine.

« Pauvre con ! Si tu t'arrêtes, si tu t'assois, même juste une putain de seconde, tu te relèveras plus ! se sermonna-t-il à haute voix. Alors tu fais pas ta tafiole et t'avances, nom de Dieu ! »

Il essayait de se persuader que c'était pas si dur, qu'il était capable de le faire, qu'il avait vécu pire… mais la vérité, c'était qu'il n'avait jamais rien connu de tel. Il avait vécu un tas de situations totalement merdiques au cours de sa vie, où il avait dû se montrer endurant, résistant, tenace… mais putain, celle-là battait tous les records !
Il ne s'était jamais senti épuisé comme il se sentait épuisé maintenant. Et il n'avait jamais ressenti une telle douleur de toute sa vie.

C'était comme si tout son bras était en feu, comme si de l'eau bouillante coulait dans ses veines en lieu et place de sang. La souffrance était comme un cœur qui frémissait, qui battait frénétiquement à l'extrémité de son bras et qui pompait de la douleur à travers son corps, le long du bras, dans sa poitrine, remontant jusque dans son cerveau et y faisant pulser un mal aigu, vrombissant, obsédant.
Mais le pire, c'était que ce qui lui faisait mal, ce n'était pas son moignon, c'était sa main. Elle n'était plus là, mais il la sentait, il la sentait très nettement, aussi incroyable que cela puisse paraître, il pouvait sentir chacun de ses doigts, et toute sa paume pulser de douleur...

Il se demandait s'il était en train de devenir fou.
Un moment, il s'imagina sa main coupée, là-bas sur le toit à Atlanta, en train de bouger toute seule pendant que lui, ici, la sentait clairement remuer. Cette vision était si absurde qu'il ne put s'empêcher de rigoler doucement, plus par nervosité que par humour.

« Ouais, c'est bien ça…, murmura-t-il. Chuis en train d'dev'nir taré… »

Il se dit qu'il aurait dû la prendre avec lui au lieu de la laisser là-bas, comme ça il aurait pu en avoir le cœur net et vérifier si elle bougeait toute seule.
Il rigola de nouveau, plus franchement.
Au point où il en était, autant se marrer.

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Quelques kilomètres plus loin, il finit par trouver plusieurs maisons isolées au bord de la route. Il y trouva également plusieurs rôdeurs. Il leur explosa la tête à coups de barre de fer sans trop de peine, après quoi il se sentit plus fatigué que jamais. Il entra dans la maison la plus proche et la première chose qu'il fit fut de se précipiter pour ouvrir le robinet de la cuisine et boire longuement.

Il était si soulagé de pouvoir enfin étancher sa soif qu'il baissa sa garde momentanément et n'entendit pas le mort-vivant entrer dans la pièce. Lorsqu'il s'en rendit compte, le rôdeur était déjà en train de se jeter sur lui.
Merle tomba sous son poids, brandissant la barre de fer dans un geste de défense instinctif. Les mâchoires du rôdeur se refermèrent sur l'arme improvisée, donnant à Merle le répit nécessaire pour contre-attaquer. Ne pouvant pas se permettre de lâcher la barre, il fit l'unique chose possible : il asséna un coup dans la tête de son assaillant avec son moignon, de toutes ses forces, pour l'écarter de lui et pouvoir se dégager. Il avait frappé instinctivement, sans réfléchir, comme il l'aurait fait s'il avait encore eu sa main droite pour balancer un coup de poing.

La douleur le submergea d'un seul coup, comme un choc électrique, et il se mit à hurler. Il avait néanmoins réussi à se dégager et il recula en balançant des coups de pieds paniqués au rôdeur qui était déjà en train de revenir à la charge. Il finit par lui mettre un coup de barre de fer sur le crâne et recommença, frappant le plus fort possible, encore et encore, jusqu'à ce que la tête du cadavre ne soit plus qu'un amas de chairs et d'os sanguinolents.

Merle se traîna en marche-arrière sur le carrelage de la cuisine, haletant et l'esprit complètement embrumé par la douleur, serrant son bras droit contre sa poitrine en gémissant. Il finit par sentir un meuble contre son dos. Il lutta pour retrouver son souffle et regarda son moignon. Son bandage de fortune était en train de se remplir de sang, signe qu'il venait de rouvrir la blessure.
L'adrénaline était déjà en train de retomber et il se sentit soudain totalement à bout de forces. Il fit de son mieux pour garder les yeux ouverts, en vain.
Il finit par s'affaisser le long du meuble, basculant lentement vers le sol.
Il sentit la fraîcheur du carrelage contre sa joue et tout le reste sombra dans le noir.

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Lorsqu'il revint à lui, la pièce était plongée dans l'obscurité et baignait dans un silence de plomb.

Merle eut du mal à se rappeler où il se trouvait, puis se souvint progressivement. Lorsqu'il toucha son bandage, prudemment, il le sentit gorgé de sang. Il y avait également une odeur bien particulière, un parfum douceâtre qu'il ne pouvait que reconnaître. La blessure était en train de s'infecter.
Il se sentait bizarre, un peu froid, un peu chaud, un peu désorienté. Il comprit rapidement pourquoi. Il était brûlant de fièvre.

Il retourna jusqu'à l'évier pour y boire de nouveau, tâtonnant dans le noir, butant au passage sur le cadavre. Il ne voyait absolument rien. Il longea les murs des pièces, heurtant meubles et objets sur son chemin, et finit par retrouver le seuil de l'habitation. Dehors, la nuit était très sombre, le ciel, couvert de nuages lourds, ne laissait paraître aucune lune. Impossible de savoir quelle heure il était, combien de temps il était resté inconscient.
Merle comprit qu'il était dérisoire d'espérer trouver de quoi s'éclairer dans cette maison inconnue, tout ce qu'il risquait d'obtenir, c'était de faire du bruit et d'attirer d'autres rôdeurs. Et reprendre la route de nuit aurait été un véritable suicide.
Tout ce qu'il pouvait faire était attendre le jour.

Il retourna à la cuisine et, à force de tâtonner, finit par mettre la main sur des torchons propres et une paire de ciseaux. Il se confectionna un nouveau pansement (ce qui, dans le noir et avec une seule main, lui prit un temps infini), qu'il serra le plus fort possible, faute de pouvoir cautériser la plaie à nouveau – même s'il avait pu trouver la cuisinière et l'allumer, si toutefois elle fonctionnait, il était hors de question de cautériser une blessure infectée. Il fallait absolument qu'il trouve de quoi se soigner correctement, dès que possible.

Il monta à l'étage de la maison, trouva une chambre et s'y enferma à clef. Il passa le reste de la nuit allongé sur le lit, enroulé dans la couverture, serrant la barre de fer contre lui, bien trop nerveux pour pouvoir espérer trouver le sommeil.

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L'aube le trouva exactement dans la même position, il n'avait pas bougé d'un poil et pas fermé l'œil de la nuit. Il se sentait gelé jusqu'aux os malgré la couverture et il avait l'impression que sa blessure lui faisait de plus en plus mal. Sa fièvre n'avait pas baissé, bien au contraire.

Il fouilla la maison de fond en comble, cherchant en priorité des médicaments, et en second lieu de la nourriture. Malheureusement pour lui, les occupants avaient visiblement pris le large en vidant soigneusement leurs placards et leur armoire à pharmacie. Tout ce qu'il trouva, c'était des trucs absolument inutiles, du genre sirop pour la toux, et, comme nourriture, uniquement des choses périmées, immangeables.

Il eut un peu plus de chance dans les maisons alentour, où il parvint à dénicher une boîte de haricots qu'il dévora froide sans même chercher à la faire cuire, et des pêches au sirop, qu'il expédia en quelques bouchées. Mais ici aussi, il était évident que les gens avaient eu le temps de quitter leur domicile avant que l'épidémie ne les frappe, ils avaient emporté absolument tout ce qui pourrait leur être utile, et donc, ce qui aurait pu lui être utile à lui : armes, vivres, médicaments et véhicules. Tout ce qu'il trouva pour se soigner, ce furent des cachets d'aspirine, mais pour enfant. Il avala la boîte entière, sans trop d'espoir.

Il finit par trouver une voiture dans l'un des garages. Niveau essence, elle était déjà sur la réserve, mais c'était toujours mieux que rien, ça pourrait au moins lui permettre d'avancer un peu.
Il troqua sa barre de fer contre une hache et glissa un marteau dans son pantalon, avant de reprendre la route.

Etrangement, conduire d'une seule main était moins difficile qu'il ne l'aurait cru. Ça demandait un peu de souplesse et d'habitude, mais pour le reste, ça allait.

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Alors qu'il n'était plus qu'à une vingtaine de kilomètres du CDC, Merle aperçut un immense nuage de fumée noire monter dans le ciel. Il arrêta la voiture en plein milieu de la route et resta un moment à contempler la nuée sombre, la poitrine serrée par un très mauvais pressentiment.
C'était pile dans la direction où il devait se rendre. Ça ne pouvait pas être une coïncidence.

La voiture tomba en panne d'essence quelques kilomètres avant le CDC, et il se retrouva à pied, une fois de plus.

Lorsqu'il arriva en vue ce qui était de toute évidence le Centre de Contrôle des Maladies, totalement en ruines, soufflé par une explosion monumentale, encore fumant, Merle se mit à courir, incapable de se retenir, hurlant le nom de son frère à pleins poumons.
Mais avant même d'avoir pu atteindre le bâtiment, il avait déjà compris qu'absolument rien de vivant ne pouvait avoir survécu à une telle explosion. Il se laissa tomber à genoux dans la pelouse devant le centre, au milieu des cadavres, et pleura longuement, incapable de se contrôler plus longtemps, assailli de fatigue, de douleur, de fièvre et de désespoir.

Son dernier espoir de pouvoir retrouver Daryl venait de partir en fumée, littéralement, une épaisse fumée noire, qui remplissait le ciel, noyant tout dans un brouillard sombre, tout comme le chagrin et le découragement étaient en train de le remplir lui, de le submerger.

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Merle était dans un brouillard absolu de fièvre et de douleur.

Il ne savait même pas depuis combien de temps il errait ainsi, marchant droit devant lui, au hasard des rues, sans but. Il n'arrivait plus à penser, plus à décider quoi que ce soit.
Il se demandait vaguement pourquoi il se traînait comme ça, pourquoi il se laissait aller ainsi, au lieu de faire quelque chose de précis, quelque chose d'intelligent, comme se soigner, se mettre à l'abri, faire ce qu'il fallait pour survivre.

Survivre.

C'était ce qui l'avait poussé à lutter, à accomplir l'inimaginable à peine deux jours plus tôt là-bas sur ce toit, c'était pour survivre qu'il avait coupé sa propre main, qu'il avait tenu bon, qu'il s'était démené pour sortir de l'enfer qu'était devenu Atlanta.
Tout ça semblait remonter à des années lumières. Cette révolte, cette volonté qu'il avait eue, cette colère et ce courage… tout cela lui paraissait si loin.
Désormais, il n'y avait plus que la fatigue, une fatigue immense, pas seulement physique, mais aussi morale. Il se sentait épuisé, à bout de forces, totalement vidé, l'esprit complètement embrumé.

Cela semblait si facile deux jours avant. Il suffisait de se battre, d'arrêter le sang, de retourner à la carrière. Il suffisait de se venger, de laisser éclater sa colère, de se laisser porter par elle. Il suffisait de retrouver son frère, de récupérer sa pharmacie personnelle dans la sacoche de sa moto, et de se bourrer de cachets jusqu'à faire fondre totalement cette douleur, la dissoudre dans la défonce comme il avait dissous tous ses autres problèmes, toute sa vie durant.
Mais rien ne s'était passé comme il l'avait prévu.

Il était vivant et Daryl était probablement mort.
Il était sorti d'Atlanta et ne savait pas du tout où aller.
Il avait réussi à scier sa propre main pour survivre et sa blessure était en train de le tuer.
Il avait épuisé toute sa colère et il était en train de se rendre compte qu'il n'avait rien d'autre.
Il était vide.
Il était seul.

Plus seul qu'il ne l'avait jamais été.

Il était en train de longer les rues d'une sorte de quartier résidentiel. Il était si fiévreux qu'il n'arrivait pas à savoir si ce qui était en train de se passer était bien réel, ou une sorte de cauchemar flou qu'il faisait. Peut-être que c'était ça, en fait ? Peut-être que rien de tout cela n'était vrai ?
Il sentit son pied heurter quelque chose et baissa les yeux.

Par terre, devant lui, se trouvait un cadavre, ou plus exactement un rôdeur, immobile. Il avait plusieurs longs objets fichés dans le corps – deux dans la poitrine et un dans la tête, et Merle les reconnut immédiatement. C'étaient des carreaux d'arbalète.
Son frère était passé par ici, ça ne pouvait être que ça, qui d'autre que Daryl aurait pu utiliser une arbalète à proximité du CDC ? C'était forcément Daryl.
Un espoir fou s'empara de lui. Et si son petit frère était encore vivant ? Si, par une chance incroyable, il avait survécu à l'explosion ? S'il était encore dans les parages ?
Merle scruta plus attentivement le décor qui l'entourait. Il vit un nouveau cadavre à quelques mètres du premier, également transpercé par plusieurs carreaux. Puis un autre encore.

Soudain, il entendit un grognement et vit un rôdeur clopiner dans sa direction, depuis l'autre côté de la rue. Merle leva la main et se rendit compte qu'il ne tenait plus la hache, il avait dû la laisser tomber sans même s'en rendre compte. Il se souvint alors du marteau qu'il avait et l'empoigna.
Lorsque le mort arriva sur lui, il fut sincèrement surpris d'être encore capable de lever le bras pour frapper. Le coup qu'il donna lui parut ridiculement lent, sans aucune force. Pourtant, le côté arrache-clou du marteau s'enfonça dans l'orbite de son agresseur et ce dernier tomba par terre, définitivement immobile, emportant l'outil avec lui.
Un second mort-vivant était en train d'arriver droit sur lui et Merle comprit qu'il n'aurait pas le temps de récupérer son arme.

Cette fois-ci, c'était véritablement la fin.

Le rôdeur se jeta sur lui, il se sentit basculer en arrière et tomber à la renverse. Son crâne heurta le sol et tout devint noir l'espace d'un instant.
Il cligna des yeux, désorienté, se demandant confusément où le mort était en train de planter ses dents. Il se dit alors que, de toute façon, ça n'avait pas grande importance, il avait si mal qu'une morsure n'allait pas y changer grand-chose.
Il le sentait peser de tout son poids sur lui, son odeur de décomposition le prenant à la gorge.
Plus la peine de lutter, plus la peine de se débattre. Il était mort.
Il ferma les yeux et se laissa aller, résigné, presque soulagé. Trop épuisé même pour avoir peur.

Mais au bout de quelques secondes, il se rendit compte que quelque chose clochait. Le rôdeur ne bougeait pas. Il était aussi immobile, silencieux et lourd qu'une pierre. Et il ne l'avait toujours pas mordu.
Merle ouvrit les yeux et se força à relever la tête.
Il vit l'arrière du crâne du rôdeur, dans lequel était planté un carreau d'arbalète.
Il se laissa retomber, la poitrine soudain gonflée de soulagement.

Daryl.

Maintenant il pouvait vraiment se laisser aller, parce que tout irait bien. Parce que son frère était là.

Il entendit un bruit de pas, un bruit de course plus exactement, alors que Daryl se rapprochait de lui.
Il sentit que le corps du rôdeur basculait, le libérant.
La silhouette de son frère se découpa dans son champ de vision, floue, imprécise.
Il cligna de nouveau des yeux, s'efforçant de faire la mise au point.
Il eut un hoquet de surprise.

Ce n'était pas Daryl.
C'était une jeune fille.

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Rendez-vous au prochain chapitre avec : une arbalète, une seringue et des mains froides !