Chapitre 5 : Faire une pause
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« C'est toujours le plus idiot des deux qui s'en prend à l'autre. »
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La première chose à faire c'était de se mettre debout.
Merle rejeta l'édredon, posa ses jambes par terre et se leva.
Avant de retomber immédiatement.
Il tenta instinctivement de se raccrocher au bord du lit. Avec sa main droite. Il s'effondra au sol en criant, tout son bras parcouru par un éclair de douleur.
Il se retrouva à fixer le plafond en tenant son moignon contre sa poitrine, haletant.
« Putain de putain de bordel de putain de merde… » marmonna-t-il.
Il se releva péniblement à l'aide de sa main gauche et se retrouva assis sur le bord du lit, observant ses jambes d'un air incrédule.
Il était donc si mal en point que ça ?
Son hébétement se changea rapidement en obstination farouche. Il avait décidé qu'il se lèverait et il allait se lever, nom de Dieu ! Il attrapa les vêtements sur la chaise et entreprit de s'habiller.
Merle découvrit alors que se vêtir d'une seule main était beaucoup plus complexe qu'il ne l'avait imaginé. Rien qu'après avoir enfilé le caleçon et le pantalon, il se sentait si fatigué qu'il aurait pu se rendormir sur le champ. Il décida de laisser tomber les autres habits pour l'instant. Il fit une nouvelle tentative pour se mettre debout, plus prudemment cette fois-ci. Il avait les jambes en coton et dut immédiatement se retenir au mur.
Il ne sentait pas mal à proprement parler, juste… incroyablement faible. C'était une sensation bien plus désagréable pour lui que la douleur.
Mais au moins, il avait gagné. Il était debout.
Il fit quelques pas, hésitants, comprenant rapidement qu'il avait besoin de s'appuyer contre le mur en marchant s'il ne voulait pas retomber.
« J'espère que ces connards n'ont pas la salle de bain à l'étage », grommela-t-il.
Heureusement pour lui, elle était juste au bout du couloir, tout de suite après le salon.
Lorsqu'il en ressortit, il se sentit de nouveau totalement épuisé. Il se traîna le long du mur et finit par s'arrêter au beau milieu, incapable de faire un pas de plus. Il avait terriblement envie de s'asseoir et de se reposer un instant.
« Si tu fais ça, tu te relèveras plus, espèce de débile ! » se sermonna-t-il à haute voix.
Il entendit alors le bruit de la porte d'entrée.
« Merle ? »
C'était la voix de la fille.
Il entendit le bruit de quelque chose qui tombait par terre (probablement des sacs) et sa voix se rapprocher.
« Houhou, Merle ? »
Elle apparut au bout du couloir.
« Hey ! T'aurais pu attendre que je sois là. Je t'aurais aidé.
- J'suis capable d'aller pisser tout seul, rétorqua-t-il.
- Félicitations, t'es un champion. Bon maintenant s'te plait, retourne t'asseoir avant de te casser la gueule. T'es trop lourd pour que je puisse te relever si tu tombes.
- Et si tu t'occupais de ton cul ?
- Et si t'arrêtais d'être con ? »
Merle ne répondit rien, parce qu'il avait besoin de toute sa concentration pour empêcher ses jambes de démissionner. La fille franchit rapidement les quelques pas qui les séparaient, pris son bras et le passa par-dessus son épaule. Il la laissa faire – c'était ça ou tomber – et marcha en s'appuyant sur elle.
« Tu sais quoi, Merle ? T'es vraiment lourd. Au propre comme au figuré.
- Ta gueule. »
Elle l'aida à marcher jusqu'au salon.
« Nan, pas le lit, fit Merle. La chaise. »
Elle poussa un soupir exaspéré.
« Le fauteuil ? » proposa-t-elle.
Il réfléchit une seconde. Ça semblait un compromis acceptable.
« Ok. »
Elle le laissa tomber dans un des gros fauteuils.
« File-moi le reste de mes fringues et mes godasses, ordonna Merle.
- Pour aller où débile ? Tu tiens à peine debout !
- Ta gueule et donne-moi mes putain de chaussures !
- Certainement pas. T'es censé te reposer.
- Je me suis assez reposé ! Occupe-toi de ton cul et fous-moi la paix !
- Dis-moi Merle, t'es toujours aussi désagréable avec les gens, ou bien seulement avec ceux qui t'ont sauvé la vie ?
- Tu m'as rien sauvé du tout connasse !
- T'as failli crever, tu comprends ça ou pas, andouille ? T'as perdu plus de sang que j'aurais jamais cru qu'un être humain puisse perdre d'un coup ! Ton moignon était tellement infecté que je pouvais en sentir l'odeur avant même de le voir ! Si je t'avais pas bourré d'antibiotiques immédiatement tu serais mort à l'heure qu'il est ! Ça s'est joué à un cheveu, et c'était pas un cheveu épais ! Même moi j'en reviens pas que tu sois vivant et pourtant je te promets, j'suis du genre optimiste ! Tu sais pourquoi j'ai pas pris le temps de te trouver d'autres habits ? Parce que j'étais sûre à 80% que t'allais y rester !
- Et alors ?! T'es pas ma mère que j'sache ! Je t'ai rien demandé !
- Arrête ce petit jeu, Merle, je ne joue pas.
- Quel jeu ?
- Tu sais très bien de quoi j'veux parler. Le jeu de celui qui pisse le plus loin. Ça ne m'intéresse pas.
- Alors arrête de vouloir pisser plus loin que moi et donne-moi ces foutues chaussures ! » rétorqua-t-il.
Elle leva les yeux au ciel et se pencha vers lui, s'arrêtant à quelques centimètres de sa figure.
« Merle. Pourquoi est-ce que tu tiens tellement à te compliquer la vie ? Pourquoi tu t'acharnes à faire du moindre truc un foutu rapport de forces ? Tu veux pas juste… faire une pause ? Je veux dire… t'as rien à me prouver ok ? Je te connais pas, j'ai aucun lien d'aucune sorte avec toi et j'm'en tape totalement de qui tu es, de comment tu te comportes. Arrête… c'est franchement fatiguant pour moi, et pour toi ça doit être absolument exténuant. Alors… relax. Laisse-toi un peu aller. Sorti de cette pièce, tout le reste du monde promet d'être totalement merdique, encore plus maintenant pour toi, avec une main en moins. Alors, tant que t'es là, repose-toi vraiment. Je t'offre un répit alors profites-en. »
Elle le prit par les épaules et plongea ses yeux dans les siens.
« Je m'en fous que tu m'apprécies ou pas, je te demande pas d'être sympa avec moi, j'en ai rien à branler. Que tu sois reconnaissant envers moi, que tu me dises merci, que tu me rendes la pareille, je m'en tape totalement. Tu ne me dois rien, je ne te demande rien du tout, aucune contrepartie. C'est pas un échange, ou un marché, ou je ne sais quoi. C'est gratuit. »
Il regarda un moment son visage, ses yeux terriblement cernés. Elle avait vraiment l'air fatigué.
Il se rendit compte à ce moment-là que tout ce qu'elle avait fait depuis trois jours avait probablement été uniquement pour lui, et qu'elle ne s'était pas ou presque soucié d'elle. Il se rappelait vaguement l'avoir eue à ses côtés absolument toutes les fois où il avait été conscient. Et, pour ce qu'il en savait, son dernier repas s'était limité à cinq raviolis.
Ce qu'il était en train de faire avec cette fille en ce moment, c'était pas cracher dans la soupe, c'était y déverser des barils entiers de produits chimiques, pisser dedans et y foutre le feu. Un désagréable et très rare sentiment commençait à se frayer doucement un chemin dans son estomac. Et c'était de la culpabilité.
Il pensa à ce qu'elle venait de dire. Faire une pause.
« C'est des conneries tout ça, rétorqua-t-il en la repoussant. Personne ne fait jamais rien sans contrepartie. La solidarité gratuite, ça existe pas. Ça existait déjà pas avant quand le monde était normal, et ça existe encore moins maintenant.
- Et ben dis-toi que t'es tombé sur l'exception qui confirme la règle. Dis-toi que je suis la dernière personne au monde assez humaniste pour faire ça.
- Alors c'est que t'es complètement conne ! »
Elle haussa les épaules.
« Vois ça comme ça si ça te plait. En attendant je suis là et tu ferais mieux de saisir ta chance. T'as besoin d'aide, je t'aide. C'est tout.
- J'ai pas besoin de ta putain d'aide ! »
Elle le considéra quelques secondes.
« Très bien. Comme tu veux », dit-elle.
Elle alla chercher ses chaussures et le reste des habits et les posa sur le bras du fauteuil. Elle prit ensuite son sac et en tira quelques objets qu'elle lui jeta sur les genoux : des boîtes de médicaments, un rouleau de sparadrap, des ciseaux, des bandes et des compresses.
C'est seulement lorsqu'il la vit enfiler son sac à dos, suivi du sac rempli de carreaux qu'il comprit. Son sentiment de victoire se changea d'un seul coup en stupéfaction.
« Qu'est-ce que tu fais?
- Je pars, répondit-elle simplement en prenant l'arbalète. J'ai plus rien à faire ici. Je te laisse la bouffe, t'en as assez pour quelques jours. »
Merle en resta bouche bée.
Elle partait comme ça ? Aussi facilement ?
Elle s'avança jusqu'à la porte d'entrée, tira un trousseau de clefs de sa poche qu'elle utilisa pour déverrouiller la porte, avant de l'envoyer rejoindre le reste sur les genoux de Merle. Elle lui adressa un sourire sincère, sans trace d'animosité.
« Bonne chance, Merle. »
Sans même attendre de réponse, elle se retourna et posa la main sur la poignée.
« Attends ! »
Elle suspendit son geste et se tourna lentement.
« Attends… répéta Merle. Tu peux pas juste… partir comme ça. »
Il avait senti une sorte de panique l'envahir d'un seul coup en comprenant qu'il allait se retrouver seul. De nouveau.
« Je sais même pas comment tu t'appelles.
- Tu ne me l'as pas demandé », fit-elle remarquer.
Elle avait toujours sa main posée sur la poignée de la porte.
« Mais je te le demande maintenant », insista-t-il.
Lâche cette putain de poignée !
Elle le dévisagea un instant.
« Je m'appelle Vi », répondit-elle.
Elle retira sa main de la poignée.
« Vi »
Il goûta la sonorité de ce nom. Vi.
« On… n'est pas vraiment parti du bon pied tous les deux j'crois bien. On pourrait p't'être… »
Il cherchait désespérément ses mots.
« … reprendre du début ? »
Elle parut réfléchir un moment et finit par sourire.
« Ça me va. »
Elle posa l'arbalète, laissa glisser ses sacs par terre et referma la porte à l'aide du verrou qui s'y trouvait en supplément de la serrure. Elle resta un moment sans rien dire.
Merle était à la fois soulagé et gêné, ne sachant pas trop quoi faire à partir de maintenant.
« J'ai grave la dalle, moi, finit par déclarer Vi. Pas toi ?
- Si, confirma-t-il, heureux de la voir prendre l'initiative.
- Super ! Ça tombe bien, j'ai fait des putain de courses de la mort ! Figure-toi qu'aujourd'hui j'ai trouvé la toute dernière crème fraîche encore mangeable du monde ou peu s'en faut ! Et du lait ! Et des fruits en conserve ! Et une demie-tonne de thon en boîte ! Et des tas d'autres trucs extra ! Alors, c'est la classe ou bien ? »
Son enthousiasme était tellement communicatif que Merle ne put s'empêcher de sourire.
« Ah ben, finalement un petit sourire ! C'est pas trop tôt ! » s'exclama Vi, radieuse.
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Quelques minutes plus tard, il était toujours assis dans le même fauteuil, mais beaucoup plus détendu, et avait complété sa tenue d'un teeshirt. Il se gardait le reste, chemise, chaussettes et chaussures pour plus tard.
Il pouvait entendre les bruits venant de la cuisine où la fille – non, Vi, rectifia-t-il, elle s'appelait Vi – était en train de préparer Dieu sait quoi à base de crème fraîche en faisant un boucan improbable et, d'après ce qu'il entendait, en se parlant toute seule.
Étrangement, il était en train de s'apercevoir que la présence de cette gamine bruyante et énergique avait un effet reposant, presque rassurant. Il n'était pas tout seul, il avait quelqu'un à qui parler. De la compagnie.
Et, du peu qu'il en avait vu, Vi semblait aussi stupide qu'inoffensive. Il repensa au petit dessin qu'elle lui avait laissé. Comment une ahurie pareille avait-elle pu survivre ?
En tous cas, il se sentait mieux maintenant. Il avait réussi à la faire rester sans être obligé de s'abaisser à s'excuser ou à avouer qu'il avait besoin d'elle. Il commençait à se dire qu'il pouvait se permettre de, comment elle avait dit déjà ? Faire une pause.
Pas lui faire totalement confiance évidemment, il n'était pas con à ce point. Mais au moins saisir l'occasion qui lui était offerte de se reposer correctement. Puisqu'elle avait l'air suffisamment bonne poire pour lui filer un coup de main sans rien exiger en échange, autant en profiter.
« Risotto à la crème au curry et origan accompagné de son thon qualité supérieure pêché en haute mer ! annonça fièrement Vi d'une traite en apportant deux assiettes.
- Tout ça ? demanda-t-il, amusé.
- Et t'as même pas encore vu le dessert ! » répliqua-t-elle en lui tendant son assiette avant de s'asseoir à son tour dans le second fauteuil, juste à côté de lui, croisant les jambes.
Soit parce qu'il était de bonne humeur, ou bien parce qu'il avait vraiment faim, ou encore parce qu'il avait presque totalement oublié ce que ça faisait de manger quelque chose de réellement cuisiné… il trouva ça absolument délicieux. L'association curry et thon paraissait un peu improbable au premier abord, mais finalement, ça se mariait très bien.
Et la quantité astronomique de bouffe que contenait l'assiette était en soi un plaisir. Il se goinfra comme il avait eu rarement l'occasion de le faire au cours des dernières semaines. Vi, qui s'était servi une portion plus petite, termina bien avant lui et se contenta de le regarder manger d'un air amusé et satisfait.
« Monsieur désire-t-il la carte des desserts ? proposa-t-elle une fois qu'il eut vidé son assiette.
- Ça dépend, y a quoi ?
- Je vous conseille la spécialité du jour : flan au caramel maison sur lit fondant au Nutella.
- Où est-ce que t'as trouvé du flan encore bon ? s'étonna-t-il.
- Je ne l'ai pas trouvé, je l'ai fait. Tu sais, les préparations en poudre où il suffit de rajouter du lait. Ça se périme jamais ces machins-là.
- Ok, envoie. »
Elle lui apporta un verre à pied avec une strate de Nutella, une strate de flan et le caramel au-dessus pour finir. Elle avait ajouté un petit parasol décoratif. Le tout sur un plateau.
« Alors toi quand tu dis que c'est la classe, tu fais pas semblant, fit-il remarquer, amusé.
- C'est pas souvent que j'ai de la compagnie pour manger, j'en profite. Et puis faut fêter ta résurrection ! J'voulais rajouter une bougie dessus, mais j'en ai pas trouvé. Faut croire que les gens qui habitaient cette baraque ne fêtaient pas leur anniversaire », répliqua-t-elle, radieuse.
Elle leva son propre verre de flan pour trinquer.
« À toi ! »
Merle hésita une fraction de seconde.
Après tout, pourquoi pas ?
« À moi », dit-il en entrechoquant son verre au sien.
Merle mangea son flan caramel-Nutella, en jetant des regards à la dérobée sur sa voisine. Cette dernière semblait avoir terminé de manger, elle délaça ses chaussures, les retira et se laissa aller dans le fond du fauteuil, à moitié affalée, jambes croisées.
Elle avait une respiration étrange, sifflante, un peu laborieuse. Merle pouvait résumer son apparence physique en un seul mot : catastrophique. Il avait pu se faire une idée plus précise de sa silhouette lorsqu'il s'était appuyé sur elle, et elle était encore plus maigre qu'il ne le pensait. Poser la main sur son épaule était comme toucher une poignée de porte. Elle exhalait une odeur de crasse et de sang mêlés et vu l'état de ses mains et de son visage, ne s'était pas lavée depuis des jours, voire des semaines. Ses cheveux bouclés étaient dégoûtants et remplis de nœuds. La seule différence entre elle et un rôdeur, c'était qu'elle ne mordait pas (et aussi que les rôdeurs étaient moins doués en cuisine).
Elle ne semblait pas avoir l'intention de faire le moindre effort pour démarrer une discussion. À vrai dire elle paraissait surtout se concentrer pour ne pas s'endormir.
Merle était vraiment curieux de savoir pourquoi elle était dans un état si lamentable. Ce n'était pas seulement la maigreur, la fatigue et la saleté, il y avait autre chose. Il était suffisamment observateur pour deviner immédiatement que quelque chose clochait chez elle. C'était discret mais ça se voyait, dans ses gestes, sa manière de se tenir, de se déplacer, sans parler de sa respiration.
« T'as pas l'air en forme. C'est quoi ton problème ? »
Elle répondit sans même tourner la tête vers lui.
« Ta main c'est pas mes oignons, et ce que j'ai comme problème, c'est pas les tiens non plus. »
Il était plutôt contrarié qu'elle refuse de satisfaire sa curiosité mais il pouvait difficilement le lui reprocher, étant donné que, comme elle l'avait fait remarquer, lui non plus n'avait pas l'intention de parler de lui.
Elle bailla à s'en décrocher la mâchoire. Alors qu'elle mettait la main devant la bouche, il remarqua qu'elle tremblait légèrement.
« Depuis combien de temps t'as pas dormi ?
- Longtemps, répondit-elle simplement. Au moins deux jours.
- Ah ouais, quand même. »
Elle sourit.
« Tu m'as pas laissé fermer l'œil plus de vingt minutes depuis que je t'ai ramassé dans la rue. T'avais le sommeil plutôt bruyant, ça nous a attiré quelques cadavres, je pouvais pas vraiment me permettre de roupiller. De toute façon, c'est pas comme si j'avais l'habitude de dormir beaucoup depuis que je suis seule.
- T'es seule depuis longtemps ?
- Depuis le début.
- Le début ? De l'épidémie ?
- Ouais. »
Il la dévisagea, les yeux écarquillés. Elle semblait parfaitement sérieuse. Cette fille était vraiment seule depuis que toute cette merde avait commencé ? Elle avait survécu des semaines dans cet enfer sans personne pour l'épauler ? Si c'était vrai, alors soit Vi était la fille la plus chanceuse du monde, soit elle était bien plus résistante que son apparence ne le laissait penser.
Peut être qu'il devait réviser quelque peu son avis à propos d'elle. Elle était peut-être moins stupide et inoffensive qu'il ne l'avait cru.
L'air incrédule de Merle paraissait beaucoup l'amuser, elle sembla sur le point de dire quelque chose, mais elle fut coupée dans son élan par une quinte de toux soudaine, d'abord normale, puis de plus en plus forte.
Cela fit remonter un souvenir à la surface. Quand il avait été malade, il avait entendu ce bruit, plusieurs fois, et il se rappelait ce moment où il s'était brièvement réveillé et où il l'avait aperçue, toussant jusqu'à en tomber par terre. Sa toux était anormale, de toute évidence, et paraissait particulièrement douloureuse d'après la façon dont elle se pliait en deux et se tenait la poitrine.
Lorsqu'elle se calma finalement et retira la main de devant sa bouche, il tressaillit en voyant que sa paume était pleine de sang.
« T'es infectée ! s'exclama-t-il.
- Mais nan, je suis pas infectée ! » répondit-elle en essuyant distraitement sa main sur le devant de sa chemise, ajoutant une tache de sang aux précédentes.
Il allongea la main et la lui plaqua sur le front. Lequel était plus chaud qu'il ne l'aurait dû.
« T'as de la fièvre ! T'as été mordue !
- Putain mais non, bordel ! Y a pas que l'infection qui donne de la fièvre, connard ! Je suis malade !
- Malade ?
- Oui tête de nœud, malade. C'est pas contagieux, c'est pas un virus, j'ai juste des problèmes de santé. J'étais déjà malade avant l'épidémie. »
Il la regardait d'un air suspicieux.
« Tu voulais savoir ce que c'était mon problème, non ? Ben voilà, maintenant tu sais. J'ai une maladie. J'étais à l'hôpital quand l'épidémie a démarré.
- Et c'est quel genre de maladie qui fait tousser du sang ?
- Le genre chronique, rétorqua-t-elle. Et c'est bon, pas besoin de me regarder avec cet air dégoûté, c'est pas contagieux j'te dis. »
Elle prit une bouteille d'eau à côté d'elle et but longuement.
« Bon ben au moins, ça m'aura réveillée », dit-elle en se levant et en remettant ses chaussures.
Elle s'étira et fit craquer ses doigts. Elle pointa les boîtes de médicaments sur la table de nuit l'une après l'autre.
« Vicodin, Oxycontin, Paracétamol – si t'as de nouveau de la fièvre, lista-t-elle. Sers-toi comme ça te chante mais vas y mollo avec l'Oxy, pas plus d'un à la fois, il a un dosage de cheval, c'est le mien. En plus je t'en ai donné y a moins de six heures. »
Du coup, il comprenait mieux pourquoi il s'était réveillé défoncé. Il se repassa son avertissement dans la tête. Comment ça, le sien ? Elle prenait des trucs aussi balaises ?
Le temps qu'il réfléchisse, elle était déjà à l'autre bout de la pièce et chargeait son sac à dos et les carreaux sur ses épaules.
« Attends, où tu vas ? demanda Merle.
- T'inquiète, fit-elle avec un petit sourire. Ce coup-ci j'ai l'intention de revenir. Tout à l'heure en revenant du supermarché, j'ai vu une pharmacie, annonça-t-elle en prenant l'arbalète. Mais il y avait un peu trop de morts à mon goût dans les parages et j'étais déjà super chargée alors j'ai décidé de me la garder pour plus tard. Ça va me faire une petite promenade digestive. »
Ça ne lui plaisait qu'à moitié de la voir partir, mais il n'avait pas franchement d'arguments à lui opposer, ni de solution de rechange. Il se contenta de hocher la tête.
« Ah au fait, il reste quatre autres flans sur la table de la cuisine si tu veux. De toute façon faut les finir rapidement. Tu veux que je te les apporte ?
- Nan.
- Ok, bon ben à tout à l'heure alors. Je ferme à clef, ça te va ? »
Il hocha la tête.
« Repose-toi bien et sois sage. Ciao ! » lança Vi avec un coucou de la main.
Elle ouvrit la porte, prit le temps de vérifier que la voie était libre, et referma derrière elle.
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Et voilà pour cette fois ! Rendez-vous au chapitre suivant, avec au menu : du whisky, de la marijuana et une couverture.
