Chapitre 7 : Suffocation et optimisme

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Toutefois un bon rire est chose excellentissime, une bonne chose par trop rare, ce qui est d'autant plus regrettable. De sorte que si un homme paie de sa personne pour fournir la matière à une bonne plaisanterie, qu'il n'en soit pas rebuté, mais en fasse les frais en riant le premier, avec générosité, vous pouvez être sûrs que cet homme a plus d'étoffe que vous n'auriez pu le croire.

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Vi s'était endormie en laissant le joint en équilibre sur le goulot de la bouteille de whisky posée par terre, à côté du paquet de clopes et du briquet. Merle ralluma le joint et retourna s'asseoir dans le fauteuil un moment, laissant ses pensées voguer au gré des vapeurs d'alcool et de cannabis qui lui emplissaient le cerveau. Il était plutôt euphorique. Le bilan de la journée était positif, de son point de vue. Il était dans un endroit à peu près sûr et franchement confortable, sa blessure allait beaucoup mieux, il était repu et reposé et venait de faire une rencontre qu'il devait bien qualifier d'intéressante.

Une fois le pétard terminé, Merle passa en revue les médicaments qu'elle lui avait laissés. Les flacons étaient du genre de ceux qu'on trouvait dans les pharmacies des hôpitaux. Il était de plus en plus curieux de connaître le reste du contenu du sac de Vi. Si elle avait dévalisé un hôpital, ça risquait d'être très intéressant.
L'espace d'un instant, l'idée lui traversa l'esprit : maintenant qu'il tenait sur ses jambes, il pouvait lui prendre son sac, ses armes, sa bouffe et se tirer en gardant tout pour lui, il avait beau être blessé, elle n'était clairement pas de taille à se défendre contre lui, surtout maintenant qu'elle dormait.

Il chassa rapidement cette pensée. Merle Dixon n'était pas exactement ce qu'on pouvait appeler un brave gars, mais il n'était pas mauvais à ce point-là. En tous cas pas au point de faire un pareil coup de pute à quelqu'un qui ne lui avait pour l'instant causé aucun tort.

Le paquet de clope que Vi avait laissé contenait cinq joints déjà roulés, du tabac, des feuilles et pas mal d'herbe. Il s'alluma un nouveau joint et fit le tour de la maison pour passer le temps. Le jour commençait à baisser, la pénombre s'installant graduellement.

La maison était celle d'une famille de classe moyenne tout ce qu'il y avait de plus normal. Les parents et leurs enfants, un adolescent et une fillette, souriaient depuis leurs photos aimantées sur le frigo. Tout dans la maison racontait une vie de famille paisible, heureuse. Typiquement le genre de vie que Merle n'avait pas connu. Des impacts de balles et des traces de sang dans le couloir venaient contredire le tableau familial idyllique.

À l'étage, le lit des parents était couvert de sang. La chambre de la petite fille était propre, intacte, elle n'avait probablement pas bougé depuis la dernière fois où la gamine y avait dormi. Le lit était défait et des jouets traînaient par terre. Dans la chambre d'à côté, le lit contenait le cadavre en décomposition d'un jeune garçon, le corps marqué de morsures profondes et la tête percée d'une balle, juste entre les deux yeux.

Merle le dévisagea avec une sorte de fascination macabre, se demandant vaguement lequel de ses deux parents avait eu le courage de lui coller une balle dans le crâne. Ses pensées dérivèrent malgré lui. Est-ce que quelqu'un aurait les couilles de faire pareil pour lui, maintenant qu'il n'avait plus Daryl à ses côtés ? Il s'en voulut immédiatement d'y avoir pensé. Cela lui rappela à quel point il était passé près de la mort ces jours-ci. Et à quel point il était seul désormais.
Pour la première fois, Merle se demanda sincèrement si ça valait bien la peine de perdre une main pour pouvoir survivre dans ce monde-là. Peut-être qu'au lieu d'utiliser cette foutue scie pour se libérer, il aurait dû se trancher une artère, peut-être que ça aurait mieux valu…
Il referma la porte de la chambre et regagna le rez-de-chaussée, bien décidé à se changer les idées par n'importe quel moyen.

Alors qu'il venait de descendre l'escalier et traversait le couloir menant au salon, un bruit derrière lui le fit sursauter. Il se retrouva nez à nez avec un gros chat roux à poils longs, qui vint se frotter contre ses jambes en ronronnant.
Il se pencha et le gratouilla derrière les oreilles. L'animal n'avait pas l'air particulièrement affamé. Il devait y avoir une chatière quelque part qui lui permettait d'aller se nourrir dehors.
Il avait toujours entendu dire que contrairement aux chiens, les chats s'attachaient aux lieux et pas aux personnes. Ça semblait vrai pour celui-ci. L'animal avait l'air heureux de le voir comme s'il le connaissait depuis toujours. Il ondulait entre ses jambes, cherchant les caresses en ronronnant comme un petit moteur.

« Alors comme ça c'est toi qui empêches la gamine de respirer correctement ? » demanda-t-il, amusé, avant de se relever.

Il fit l'inventaire de la nourriture et chercha tout ce qui pouvait servir d'arme, pour s'occuper l'esprit. Le gros chat le suivit, curieux et ravi d'avoir de la compagnie. Il ne trouva pas grand-chose à part une hache dans le garage et un couteau dans son étui en compagnie de sa pierre à aiguiser, n'ayant apparemment pas été utilisé depuis longtemps. Heureux de cette occasion de passer le temps, il retourna au salon et entreprit de lui rendre son tranchant. Comme 80% des trucs qu'il avait fait couramment toute sa vie sans même y penser, le simple fait d'aiguiser un couteau devenait un vrai casse-tête maintenant qu'il n'avait qu'une main à disposition. Et si au moins ça avait été la bonne main ! Mais non, il avait fallu que ce fils de pute de shérif lui menotte la droite !

Merle se rendait bien compte qu'il avait plutôt intérêt à devenir gaucher, et vite fait.

Après avoir fini avec le couteau, il réfléchit à ce qu'il pourrait faire d'autre pour exercer sa dextérité. Il décida de s'entraîner à rouler des clopes d'une main.
Il était suffisamment défoncé pour rester focalisé là-dessus des heures, le cannabis donnant à cette simple tâche une dimension fascinante. Merle ne vit pas le temps passer et, quand il finit par s'allumer la première vraie cigarette qu'il avait réussit à rouler (plutôt informe, pour être sincère), goûtant une bouffée de tabac qui avait un arrière-goût de victoire, la nuit était tombée depuis un certain temps et il avait allumé la lampe électrique qui se trouvait sur la table et appartenait de toute évidence à Vi.

Il entendit quelque chose marmonner dans son dos. Se retournant, il se rendit compte que Vi était maintenant sur le dos, à moitié hors de la couverture. Il s'approcha doucement.

« …. Un coca et des frites… » marmonna-t-elle, les yeux fermés, profondément endormie.

Merle sourit.

« Sur place ou à emporter ? demanda-t-il.
- S' place… »

Il rigola doucement. Daryl aussi parlait en dormant parfois, particulièrement quand il était plus petit, et on pouvait avoir de véritables conversations avec lui certaines fois, qu'il avait totalement oubliées à son réveil.

« Y a quoi dans ton sac ? » continua Merle.

Vi soupira en lui tournant le dos. Elle marmonna un truc presque incompréhensible, les seuls mots que Merle reconnut furent « trop loin » et « mon frère ».

« T'as un frère ? »

Elle fronça les sourcils, se retournant nerveusement dans son sommeil.

«Meilleure moitié… déclara-t-elle gravement.
- Si tu le dis »

Elle éternua bruyamment.

« … tuer l'chat… » marmonna-t-elle.

Merle décida de lui ficher la paix. Il n'avait pas l'intention de la réveiller et de toute façon il n'avait rien pigé à ce qu'elle disait.
Sa blessure commençait à lui faire mal, il décida de s'offrir une nouvelle dose d'antidouleurs. Vi n'avait pas menti à propos du dosage de l'Oxycontin. À peine quelques minutes après en avoir ingurgité un comprimé, l'effet se fit sentir. Il se laissa tomber sur le lit, bras écartés, fixant le plafond avec un sourire émerveillé. Tout ce qui l'entourait lui semblait confortable, rassurant, passionnant, paisible et fabuleux à la fois. Même l'air qu'il respirait lui paraissait doux et particulièrement délicieux.

Il demeura longtemps dans cette position, sans bouger d'un millimètre, goûtant une sérénité et un bien-être que seuls les psychotropes pouvaient lui apporter, oubliant tout le reste, momentanément en paix avec lui-même et l'univers. Il finit par perdre la notion du temps et à s'endormir.

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Lorsqu'il se réveilla, il faisait encore nuit et il était incapable de dire combien de temps il avait dormi. Les piles de la lampe étaient quasiment mortes. Une pendule au mur lui indiqua qu'il était 4.45AM Il prit alors conscience de ce qui l'avait réveillé.
La respiration de Vi avait changé.

Il se retourna et constata que tout le bas de sa figure était couvert de sang et qu'elle suffoquait dans son sommeil. Apparemment, elle s'était mise à saigner du nez et elle se retrouvait à s'étouffer dans son propre sang, qui avait dû certainement lui couler aussi dans la gorge. Elle respirait de plus en plus mal mais ne se réveillait pas pour autant.
Merle se demandait ce qu'il convenait de faire, s'il devait attendre qu'elle se réveille d'elle-même ou bien… il se leva, hésitant.
Vi roula sur elle-même, se retrouvant sur le dos, ce qui aggrava encore son cas, empêchant totalement le sang de s'évacuer. Elle commençait à hoqueter.

« Merde merde merde ! »

Merle se précipita et la secoua en criant.

« Réveille-toi ! Debout ! T'es en train de t'étouffer abrutie ! »

Il l'attrapa par le col de sa chemise, la forçant à se mettre assise. Elle ouvrit les yeux, surprise, encore à moitié endormie. Elle porta la main à son visage et sursauta en la voyant couverte de sang, hoquetant de plus belle, commençant à paniquer.

« T'as du sang plein le nez ! Souffle ! »

Elle ferma la bouche et souffla du mieux qu'elle pouvait, expulsant un flot de sang épais mêlé de caillots, puis cracha ce qui lui obstruait la gorge.
Elle réussit finalement à respirer de nouveau, luttant pour reprendre son souffle. Elle continuait à saigner du nez abondamment, elle se moucha longuement, directement dans sa manche évacuant encore plus de sang et de bouts sombres de Dieu sait quoi.
Merle avait vu un certain nombre de trucs dégueulasses au cours de sa vie, mais il n'avait encore jamais vu une fille se transformer en geyser.

« C'était quoi ça bordel ? Il s'est passé quoi ? »

Vi le regarda, le nez dans sa manche.

« … saigné du gnez… dit-elle simplement.
- Ah sans déc' ? Putain, merci de me le dire, j'avais pas remarqué ! »

Elle continuait à respirer très mal. De plus en plus mal à vrai dire. Sa respiration produisait un sifflement étrange. Elle tâtonna à la recherche de son sac, l'ouvrit et en sortit un objet qu'elle se mit dans la bouche.

« C'est pas vrai ?! T'es asthmatique en plus ? »

Vi se contenta de le fixer, une main tenant son nez à travers le tissu de la chemise, l'autre tenant l'inhalateur. Merle aurait juré voir un soupçon d'amusement dans son regard. Comme si même ça, ça lui semblait marrant.

« C'est toi qui m'as réveillé ? demanda Vi entre deux bouffées de Ventoline.
- Qui d'autre à ton avis, abrutie ! Putain j'ai failli faire une crise cardiaque ! C'est quoi ton putain de problème ? Tu pouvais pas me prévenir avant, merde ?! »

Vi respirait de nouveau normalement, elle posa l'inhalateur et retira sa chemise, qui était trempée de sang. Dessous, elle avait juste un débardeur, dans lequel elle flottait comme une gamine trop maigre qui aurait mis des habits d'adulte.

« Première fois que ça arrive…. Un saignement de nez, pendant une crise d'asthme, pendant que je dors. J'en ai déjà eu deux ensemble, mais les trois combinés c'est inédit. Je savais même pas que c'était possible, y'avait quoi, une chance sur dix mille ? Enfoiré de chat ! »

Merle la dévisagea, surpris. Elle n'avait pas l'air choquée de ce qui venait de se produire, elle avait l'air…. amusée ?!

« Alors j'ai failli mourir… » dit-elle doucement, avec un léger sourire, regardant pensivement sa chemise pleine de sang.

Elle se tourna vers lui avec une expression émerveillée.

« Ben merde alors, tu m'as sauvé la vie, Merle ! C'est fabuleux ! T'es un héros ! »

Elle lui sourit de toutes ses dents. Qui étaient encore ensanglantées.
Elle se leva… et tomba immédiatement par terre.

« Waw ! Ok, mauvaise idée », constata-t-elle.

Elle se passa la main sur la figure.

« J'ai dormi combien de temps ?
- Plus ou moins sept heures.
- Putain de merde ! gémit-elle. Pas étonnant que j'ai aussi mal, sept heures sans médocs ! »

Elle tenta une nouvelle fois de se mettre debout, plus lentement, avec succès cette fois-ci.

« J'avais pas dormi aussi longtemps d'un coup depuis des semaines. »

Elle s'étira longuement avec un gémissement de plaisir.

« Allez, pour fêter ça, petit déjeuner ! » annonça-t-elle, radieuse.

Merle découvrit alors que pour Vi, petit déjeuner signifiait sortir de son sac un nombre conséquent de boîtes de médicaments et d'aligner une bonne dizaine de cachets et de comprimés divers sur la table.

« T'es en train de faire quoi là ? Te suicider ?
- Nope, j'me soigne. »

Elle pointa les boîtes les unes après les autres.

« Asthme, asthme, corticoïdes pour l'asthme, anti inflammatoire, fièvre, antidouleur, antidouleur, antibiotique, antihistaminique. »

Il écarquilla les yeux.

« Et t'as vraiment l'intention d'avaler tout ça en même temps ?
- Ben ouais. »

Ok, cette gonzesse avait le cerveau totalement fondu. Pas étonnant qu'elle soit aussi souriante et insouciante. Deux antidouleurs différents (dont les Oxycontin dont il venait d'éprouver l'efficacité) et à des doses de cheval. Il se demanda ce qu'elle comptait faire du reste de sa journée après ça. À part se laisser tomber par terre et fixer le plafond en rigolant, évidemment. Ou bien mourir dans son vomi.

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À peu près une heure plus tard, Vi n'était pas morte dans son vomi. Elle n'avait pas non plus roulé sous la table.
Elle avait fait du café, fait à manger (« Oh tu m'as laissé un flan ! T'es trop chou ! ») et refait le pansement de Merle. Il n'avait pas eu à bouger le petit doigt pour quoi que ce soit. Non pas qu'il ait eu l'intention de le faire, soit dit en passant.
Vi était énergique, empressée, attentionnée et serviable. Et d'une bonne humeur communicative.

« Ça m'a l'air parfaitement bien, annonça-t-elle gaiement après s'être occupé de sa blessure. T'as passé le plus dur là. Encore un ou deux jours de repos et tu seras de nouveau sur pieds. Le truc maintenant, ça va être de s'habituer à avoir qu'une seule main, ça va prendre du temps mais je suis sûre que tu vas y arriver, t'es un dur à cuire, ça se voit ! »

Il sourit doucement.

« Optimiste, hein ?
- Complètement, confirma-t-elle.
- C'est quoi ton truc pour être aussi enthousiaste ? demanda Merle, franchement amusé.
- Chais pas, je suis comme ça c'est tout. Tu sais, voir le bon côté des choses, penser positivement, ce genre de conneries…
- T'es du genre à voir le verre à moitié plein, en gros ?
- Nan, moi je suis du genre à dire hé ! Mon verre était beaucoup plus rempli que ça ! Et plus gros aussi ! Sers-moi en un autre ! »

Merle éclata de rire.

« Jolie philosophie ! J'aime bien ! »

Il devait bien admettre qu'il ressentait de la sympathie pour cette gamine. Sa spontanéité, sa façon de ne rien prendre au sérieux, son franc-parler… ça lui faisait l'effet d'une bouffée d'air frais. Ça et se sentir mieux d'heure en heure.
Se sentir revivre.

Vi était bavarde, parlait de tout et de rien avec enthousiasme, sans que son sourire quitte jamais son visage. Pour Merle, c'était à la fois déroutant et agréable, il aurait presque pu se croire revenu à son ancienne vie, en train de papoter dans un bar avec une fille peu farouche autour d'un verre. En tous cas, son interlocutrice avait la parlotte facile… mais il remarqua rapidement qu'elle parlait de tout et n'importe quoi, sauf d'elle. Et elle ne lui posait toujours pas de questions à propos de lui.

Au fil de ce premier petit déjeuner qu'ils passèrent assis l'un en face de l'autre, devant leurs tasses de café, un pot de Nutella, des biscottes et des chips au bacon (Merle n'était pas amateur de petits déjeuners sucrés, contrairement à Vi qui semblait prendre un grand plaisir à manger le matin comme une gosse de huit ans), une sorte d'accord tacite sembla prendre forme, celui de ne pas se poser trop de questions. Merle comprit que s'il voulait satisfaire sa curiosité, elle allait à son tour exiger des réponses de sa part. Et il ne voulait rien dire à propos de sa main, de Daryl, du CDC, de son ancien groupe ou de lui-même.
Soit, il lui ficherait donc la paix.
Après tout, maintenant que Vi semblait s'être décidée à rester, il allait avoir tout le temps pour mieux la connaître, ce n'était pas pressé.

Elle eut une nouvelle crise d'asthme à la fin du petit déjeuner, qu'elle calma à coup de Ventoline comme la première.

« Comment t'as bien pu survivre tout ce temps en respirant aussi mal ? s'amusa Merle.
- Je suis allergique aux chats, pas aux rôdeurs, répondit-elle. Ils me posent pas trop de soucis, ils sont lents et cons comme des tables, suffit d'éviter les dents. Les chats par contre, ça c'est vraiment dangereux, si un putain de chat s'asseyait sur ma tête, je pourrais bien en crever. »

En parlant de chat justement, Merle sentit une forme familière se frotter contre sa jambe.
Il se pencha et caressa l'animal.

« Salut, toi. »

Vi suivit son regard et se pencha à son tour.

« Nom de Dieu de bordel ! s'écria-t-elle. L'enfoiré de chat, je l'savais bien qu'il était dans le coin ! »

Elle bondit de sa chaise, le chat détala et elle se lança à sa poursuite.

« Reviens ici salopard ! »

Alors que Merle se marrait, il entendit un bruit de course à travers la maison et des chapelets de jurons entrecoupés de miaulements.
Il termina ce qui restait de son café d'une traite et décida de terminer de s'habiller en vue de la journée qui commençait, ce qui consistait à enfiler la chemise que Vi lui avait fournie et à mettre ses chaussures.
Hasard ou choix délibéré de la part de la jeune fille, la chemise était déjà en grande partie boutonnée et il eut juste à se glisser dedans sans devoir se battre avec les boutons.
Par contre, lorsqu'il se retrouva assis sur le bord de son lit, devant ses chaussures, il se rendit compte que c'était la première fois qu'il devait nouer quelque chose depuis son amputation et qu'il ne savait pas du tout comment se débrouiller pour faire ses lacets d'une seule main.
Il avait beau retourner le problème dans tous les sens, il ne voyait aucune solution.

Alors qu'il se creusait la cervelle, Vi déboula dans la pièce.

« Le p'tit salopiaud, il a filé par la chatière de derrière ! M'en vais clouer une planche en travers vite fait, enfoiré de saleté de… »

Elle s'arrêta et son regard alla de Merle aux chaussures.
Elle se remit à sourire.

« Besoin d'aide peut-être ?
- Nan ! » La réponse fusa immédiatement, sèche, têtue.

Vi pencha légèrement la tête sur le côté, amusée de le voir aussi buté.

« Il va bien falloir que quelqu'un fasse ces lacets, tu sais ? fit-elle remarquer posément.
- J'ai pas b'soin de toi ! » cracha-t-il.

Elle sourit malicieusement.

« T'as bien raison, ce serait tellement humiliant qu'un vrai mec viril comme toi se fasse aider pour lacer ses chaussures, je suis bien d'accord avec toi. Se promener tout le reste de sa vie en chaussettes, c'est beaucoup moins dégradant. »

Merle lui lança un regard noir. Si on avait pu tuer les gens rien qu'en les regardant méchamment, Vi aurait été victime d'une combustion spontanée dans l'instant.
Il regarda de nouveau ses pieds. Puis elle. Il aurait donné n'importe quoi pour effacer son sourire de sa figure, il était à deux doigts de lui en coller une. Mais, se rendit-il compte amèrement, lui taper dessus n'allait pas régler son problème de lacets.

« Fais-les, siffla-t-il furieusement. Mais tu ferme ta gueule, j'veux plus t'entendre. »

Vi s'agenouilla avec un sourire jusqu'aux oreilles et laça les deux chaussures sans rien dire, après quoi elle se releva et recula de quelques pas, admirant le travail.
Merle se releva à son tour et se rendit soudain compte que c'était la première fois qu'elle et lui se trouvaient debout en même temps, à part les deux fois où elle l'avait aidé à marcher. Mais cette fois-ci, alors qu'il la voyait pour la première fois face à face sans avoir à se préoccuper de ne pas se casser la gueule par terre, la taille de Vi le frappa.
Comme il l'avait pressenti, pour une fille, elle était vraiment grande.

Il eut un doute soudain.
Elle n'était quand même pas grande au point de…
Il devait absolument en avoir le cœur net.

Il alla se planter devant elle, tira ses épaules légèrement en arrière, se haussant de toute sa stature, cherchant à gagner le moindre centimètre supplémentaire et resta là à la toiser méchamment, les bras croisés.
Elle fit un pas vers lui, au point que leurs visages se touchaient presque, et elle fit exactement comme lui, dégageant ses épaules, redressant son dos, levant le menton, droite comme un i.

Vi sourit de toutes ses dents.
Elle le dépassait de quelques centimètres.
Cette pisseuse était plus grande que lui !

Sans cesser de sourire, elle baissa les yeux. Il suivit son regard et constata qu'elle se tenait sur la pointe des pieds.
Vi éclata de rire et se remit normalement, cessant de tricher, lui accordant les quelques cinq centimètres qu'il avait de plus qu'elle.

« T'inquiète pas ! lança-t-elle gaiement. C'est toi le plus grand ! »

Elle lui donna une tape sur l'épaule et s'en alla sans rien ajouter de plus, en rigolant.

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Ouf, on a frôlé l'accident diplomatique. Mais que vous réserve le prochain chapitre ? Une crise d'angoisse, des éternuements et un ami nommé Georges, et voilà.