Chapitre 10 : Trouver le Nord
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Adieu à vous ! Je ne vous reverrai pas de sitôt, m'est idée, à moins que ce ne soit devant le Grand Tribunal.
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Quelques minutes après, ils aperçurent une grande surface dédiée au sport et loisirs. Ils n'eurent même pas besoin d'utiliser le pied-de-biche pour s'y introduire, quelqu'un était visiblement passé avant eux et avait levé le grillage et explosé une des vitres de l'entrée.
Merle avait espéré que le magasin possédait un rayon dédié à la chasse, et c'était le cas, mais comme il le pressentait, le ou les précédents visiteurs avaient vidé le stock d'armes et de munitions.
Ils trouvèrent tout de même quelques couteaux de chasse décents, Merle remplaça celui qu'il avait précédemment et Vi en sangla un autour de sa taille. Il rigola en constatant qu'elle était si mince qu'elle devait percer un trou supplémentaire à la ceinture pour la maintenir en place. Elle trouva également un carquois digne de ce nom et de nouveaux carreaux – enfin, d'après Merle, il s'agissait de flèches, mais elles s'adaptaient quand même à son arbalète.
Merle se choisit la Rolls Royce des chaussures de randonnée, que Vi laça sans faire de commentaire.
Le magasin était une petite mine d'or niveau équipement de camping, c'était même surprenant que personne ne soit passé profiter de l'aubaine. La jeune fille remplaça le réchaud à gaz qu'elle avait laissé dans la maison par un nouveau, plus petit et ergonomique, et changea son sac à dos pour un sac de randonnée plus gros.
Merle se choisit également un sac et il alla faire un tour pour se trouver de nouveaux habits, plus tout terrain, pendant que Vi se chargeait de transvaser les affaires.
Lorsqu'il revint, il constata qu'elle avait tout séparé en deux piles, divisant nourriture, matériel et médicaments et reconstituant les sacs.
Il fut un peu étonné de voir qu'elle mettait la majeure partie de la nourriture et du matériel médical dans le sien. Et surtout, elle lui confiait la boîte avec la cocaïne. Mais il n'allait pas s'en plaindre, loin de là, même si ça ressemblait fortement à une manœuvre pour lui faire porter les trucs les plus lourds – c'était lui qui se retrouvait avec presque toutes les conserves. Enfin, après tout, c'était lui le plus fort des deux, c'était plutôt logique.
Il vit qu'elle commençait à entasser du matériel de camping – ustensiles de cuisine, lampes, sacs de couchage…
« Attends, c'est pas la peine de trop se charger, lui dit-il. On va se trouver une bagnole et on reviendra ici après se prendre une tente et du matos. »
Elle secoua la tête.
« Tu reviendras seul, déclara-t-elle. C'est ici qu'on se sépare.
- Quoi ?
- T'es parfaitement en forme maintenant, t'as plus besoin de moi. En fait, t'es même nettement plus en forme que moi. »
Elle eut un petit rire.
« Alors il est temps de se dire au revoir. »
Merle était absolument stupéfait.
« Attends, t'as pas l'intention de rester avec moi ?
- Non, répondit-elle le plus naturellement du monde. Pourquoi, tu voudrais que je reste ?
- Ben, j'ai réfléchi tu vois, et je m'suis dit qu'on pourrait faire équipe, enfin, rester ensemble quoi. T'es pas franchement ce qu'on pourrait appeler une partenaire idéale, mais bon, j'ai pas vraiment le choix, j'ferai avec.
- J'suis censée prendre ça comme un compliment ?
- T'es censée prendre ça comme une aubaine ! C'est dans ton intérêt de rester avec moi ! T'es p't'être débrouillarde, et j'dois avouer qu't'es moins stupide que t'en as l'air, mais t'es gaulée comme une canne à pêche, ça t'ferait pas de mal d'avoir quelqu'un de costaud à proximité.
- C'est plein de bon sens, j'avoue.
- Alors on fait comme ça, tu me colles au train et on s'entraide, j'assure tes arrières, t'assures les miennes, tu me laces mes pompes, tu te rends utile et moi en échange j'te tape dans le dos quand tu tousses et si tu te fais assaillir par un troupeau d'chats j'te défends. J'dis pas que j'vais devenir ton meilleur pote, ni ton chevalier servant, mais c'est la fin du monde, et faut faire avec c'qu'on a, et pour l'instant, c'que t'as, c'est moi. »
Vi sourit, amusée.
« Ça me touche que tu veuilles bien de moi, vraiment. Honnêtement si je devais choisir un partenaire pour la fin du monde, je serais ravie de pouvoir te choisir toi. Mais malheureusement, je vais décliner l'offre. Je pars de mon côté. »
Merle commençait à s'énerver sérieusement. Non seulement cette sale morveuse ne semblait pas vouloir de lui, mais en plus elle se foutait de sa gueule par-dessus le marché. Est-ce qu'elle se rendait compte, au moins, cette débile, de l'effort que ça lui demandait de dire un truc aussi simple que « on s'entraide » ?
« Mais t'es complètement conne ou quoi ? C'est quoi ton putain de problème ?
- J'te l'ai dit, j'aime pas les gens et j'veux pas d'un groupe.
- J'te parle pas d'un groupe, j'te parle de toi et moi là !
- Et bien c'est non quand même. »
Vi commençait visiblement à être agacée et tenait à avoir le dernier mot.
« Tu m'fais pas confiance, c'est ça ? cracha Merle.
- Ça n'a rien à voir avec ça ! Je suis mieux toute seule, c'est tout, c'est pourtant pas compliqué, même un con comme toi peut se le foutre dans le crâne !
- Alors c'est qu't'es stupide, parce qu'il faut vraiment être stupide pour se balader toute seule dans ton état ! T'es une vraie épave, tu tiendras pas deux jours sans moi !
- J'ai tenu deux mois toute seule avant de te rencontrer ! J'suis capable de me démerder !
- Pauvre conne, sans moi tu serais morte étouffée dans ton propre sang !
- Tu veux vraiment aller sur ce terrain-là, Merle ? Tu veux que je te rappelle où toi tu serais sans moi ? »
Il se retrouva pris de court un instant, sans rien trouver à répondre à ça. De rage, il envoya un grand coup de pied dans la chaise de camping dans laquelle Vi était assise quelques minutes auparavant, l'envoyant voler à plusieurs mètres de là.
La jeune fille ne cilla même pas, continuant à le toiser, les mains sur les hanches.
« Ok, très bien connasse ! explosa-t-il. Reste toute seule puisque tu te crois plus maligne que tout le monde ! J'te souhaite de crever vite fait ! »
Elle éclata d'un rire moqueur.
« Tu crois p't'être que je sais pas pourquoi tu tiens tant que ça à rester avec moi ? C'est bon, pas besoin de te la jouer humaniste, j't'ai mis toute la coke dans ton sac, tu peux te barrer et arrêter de faire semblant avec ton joli discours sur l'entraide !
- Pauvre conne, si j'avais voulu, j'aurais pu tout te piquer dès le premier jour et me tirer !
- Et ben c'est p't'être ce que t'aurais dû faire, au moins tu serais loin d'ici à cette heure-ci, et pas en train de me casser les couilles à vouloir rester avec moi ! Putain, c'est la dernière fois que j'aide quelqu'un, ça apporte que des emmerdes !
- Ah ouais, c'est moi qui te créé des emmerdes ? C'est la meilleure ! Qui c'est qui s'est ramené à la maison avec deux cent morts au cul ?
- Espèce de sac à merde, si j'avais pas dû rester coincée ici des jours durant à cause de toi et si j'avais pas dû me taper quarante allers-retours en ville pour trouver de quoi nourrir ton gros cul, ce serait pas arrivé ! J'ai failli crever quinze fois aujourd'hui pour ta gueule, Merle ! D'abord les autres connards qui me tirent dessus, après les morfales, et maintenant toi qui me pompes l'air ! »
Elle prit son sac à dos et l'enfila.
« Putain, elle se termine quand, cette journée de merde ? Allez, salut, j'me casse ! Bon vent !
- Non, ça pas question ! »
Il l'empoigna par l'épaule.
« Tu pars si tu veux, mais d'abord, tu me dis pourquoi.
- Parce que c'est pas dans ton intérêt de t'attacher à moi. T'as rien à faire avec quelqu'un comme moi. »
Merle poussa un grondement exaspéré et se mit à le secouer comme un prunier.
« Parce que tu crois p't'être que j'ai l'intention de m'attacher à toi ? Mais j'en ai rien à foutre de toi, t'entends, connasse, rien du tout ! Tu peux bien crever, ça me fera ni chaud ni froid !
- Et ben on a au moins ça en commun, parce que c'est pareil pour moi ! »
Il était à quelques centimètre à peine de son visage, totalement furieux, et lui serrait l'épaule si fort qu'il devait certainement lui faire mal, pourtant elle ne semblait pas le moins du monde impressionnée, elle continuait de le défier du regard et ça, plus que tout le reste, le mettait hors de lui. Il n'avait jamais laissé qui que ce soit avoir le dernier mot face à lui, et c'était pas aujourd'hui qu'il allait commencer.
« Tu sais quoi, Merle ? La vérité c'est que t'as peur d'être tout seul ! Tu crois p't'être que j'm'en suis pas rendu compte ? Tu t'la joues gros dur mais c'est toi qui as besoin de moi, pas le contraire ! »
Il lui envoya une gifle si forte qu'elle en tomba par terre. Il se baissa et l'empoigna par le devant de la chemise, la soulevant à moitié, s'apprêtant à la frapper de nouveau.
Mais il se retint au dernier moment, lorsqu'il se rendit compte qu'elle n'avait pas esquissé un seul geste pour se défendre.
Merle lâcha sa chemise et se releva.
« Très bien ! Dégage puisque c'est c'que tu veux ! Puisque t'es tellement mieux toute seule qu'avec moi, fous le camp ! »
Il était furieux, mais pas seulement. Il se sentait aussi déçu et blessé. Il avait vraiment cru que Vi était différente, qu'elle appréciait sa compagnie comme il appréciait la sienne, qu'elle se sentait bien avec lui. Mais finalement, elle était comme tout le monde. Elle ne voulait pas de lui.
Vi le regarda droit dans les yeux et quand elle parla, ce fut d'une voix normale, sans trace de colère.
« Merle, c'est pas toi le problème, c'est moi.
- J'm'en fous, j'en ai rien à foutre ! Prends tes affaires et casse-toi !
- Je suis en train de mourir. »
Il se figea, complètement pris de court.
La tension entre eux tomba d'un seul coup, en même temps qu'un silence de plomb.
Vi reprit finalement la parole.
« La maladie que j'ai, ça va me tuer, j'ai plus beaucoup de temps à vivre, j'suis déjà en train de crever à petit feu et ça va empirer. Voilà pourquoi t'as rien à faire avec moi. Je ne suis pas en train de chercher un moyen de survivre, je m'en tape de trouver un endroit sûr, de faire de nouvelles rencontres, ou quoi que ce soit d'autre. Tout ça, ça n'a plus de sens pour moi. »
Elle avait parlé d'une voix neutre, les yeux baissés, dans le vague. Elle releva la tête et fit face à un Merle stupéfait.
« Tu vois, Merle, c'est pas contre toi, mais là où je vais, personne peut me suivre. Parce que moi, je ne vais nulle part. Alors… c'est mieux que j'y aille seule. »
Son visage ne trahissait aucune tristesse, à peine une ombre de mélancolie.
« Tu vas mourir… ? » répéta Merle, doucement.
Elle lui fit un petit sourire.
« Et toi tu vas vivre. On va clairement pas au même endroit, on fait que se croiser. Il est donc temps que nos chemins se séparent.
- Mais combien… combien de temps il te reste ?
- Je ne sais pas, quelques mois, quelques semaines, peut-être moins, c'est dur de savoir. Ça pourrait même être dans quelques jours, qu'est-ce que j'en sais. »
Merle hocha la tête, sans trop savoir à quoi exactement.
La donne venait effectivement de changer du tout au tout. Rester avec Vi n'était plus d'actualité, il n'était pas altruiste au point de l'accompagner dans ces conditions, il se retrouverait à traîner un boulet au fur et à mesure que son état se dégraderait et ce n'était pas son genre. Il était prêt à faire un petit effort pour s'adapter un peu à ses petits soucis de santé, mais s'adapter à une agonisante, c'était trop lui en demander.
« Pourquoi tu me l'as pas dit avant ?
- J'en sais rien, répondit-elle à voix basse. J'voulais pas en parler, c'est tout. J'voulais juste prendre le temps de t'aider à te remettre sur pieds, et qu'on parte chacun de notre côté, sans se compliquer la vie. Qu'on se quitte de bonne humeur, pas comme ça, en s'engueulant. »
Il se pencha vers elle et lui tendit la main. Elle la prit et il l'aida à se remettre debout.
« Désolée », murmura-t-elle.
Il n'arrivait pas à savoir si elle disait ça par rapport à leur dispute, au fait ne pas pouvoir rester avec lui comme il l'aurait voulu, ou pour autre chose.
« C'est bon, sois pas désolée, c'est pas grave, » dit-il, mal à l'aise.
Ils se regardèrent quelques secondes tous deux, sans trop savoir quoi dire.
Ou peut-être qu'il n'y avait rien à dire de plus, tout simplement.
Vi finit par sourire, avec son air habituel, cette espèce d'ironie joyeuse, comme si tout ça, au final, était juste une vaste blague.
Il sourit aussi. Qu'est-ce qu'il aurait pu faire d'autre ?
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« Où est-ce que tu vas aller ? demanda Merle, une fois qu'ils se retrouvèrent de nouveau dehors, sacs au dos, prêts à partir chacun de leur côté.
- Vers le Nord, sauf que je sais pas où c'est, alors j'suppose que j'vais juste marcher un peu au pif en attendant de trouver une direction.
- Le Nord est par là, dit-il en pointant son doigt dans la bonne direction.
- Comment tu sais ça ? »
Merle sourit et plaça ses bras de chaque côté d'elle, la faisant pivoter sur elle-même de façon à tourner le dos au soleil.
« Le soleil se lève à l'Est et se couche à l'Ouest. Comme c'est l'après midi, il est à l'Ouest, et du coup, ton ombre, là, devant toi, elle pointe vers l'Est. »
Il la fit pivoter de nouveau.
« Ça veut dire que si tu gardes ton ombre à ta droite, comme ça, le Nord est devant toi. »
Le visage de la jeune fille était émerveillé.
« Putain, c'est génial ! Merci ! Merci tout plein ! Ça va carrément m'aider ça !
- Pas de quoi », répliqua Merle avec un sourire.
Il était amusé de voir qu'elle ignorait quelque chose d'aussi basique. Lui savait parfaitement se diriger sans boussole depuis qu'il était tout jeune, même de nuit, et il avait un excellent sens de l'orientation. La candeur et l'ignorance de Vi, typiques d'une fille de la ville, lui inspiraient presque de la tendresse.
Encore une fois, il se demanda par quelle chance ou caprice du destin quelqu'un comme elle avait pu survivre toute seule si longtemps, et comment elle comptait s'y prendre pour mourir de maladie et pas dévorée vivante.
Mais Vi ne semblait pas le moins du monde s'inquiéter de son sort, à voir son air tranquille et son expression souriante, on aurait pu croire qu'elle s'apprêtait à faire un petit tour du pâté de maison avant de passer à table, ou bien à partir en vacances, et sa propre mort paraissait lui inspirer autant de désagrément qu'une bière tiède.
Merle se dit que finalement, c'était peut-être bien Vi qui avait la meilleur Poker Face.
Enfin, même s'il lui donnait autant d'espérance de vie une fois seule qu'un chat à deux pattes dans un élevage de pitbulls, au moins, maintenant, elle savait trouver le Nord. Petite consolation.
« Bon, dit-elle. C'est maintenant qu'on se dit adieu, alors ?
- On dirait bien. »
Il ne savait pas trop ce qu'il devait dire ou faire, s'il devait lui serrer la main ou bien lui donner une tape sur l'épaule ou quelque chose dans le genre.
Nom de Dieu, il détestait les adieux.
« Et ben, heu… Bon voyage, hasarda-t-il, mal à l'aise.
- Toi aussi, mais j'me fais pas de soucis pour toi. T'es une force de la nature, tu vas t'en sortir comme un chef. T'as besoin de personne.
- Vi… pour tout ce que j'ai dit tout à l'heure, c'était… je l'pensais pas. Et la baffe… »
Il peinait à expulser les mots hors de sa gorge.
« J'étais énervé, mais j'ai pas… j'voulais pas, tu sais bien… j'voulais pas t'faire de mal. »
Il se maudit pour ne pas être capable de faire des excuses moins foireuses. Vi le regarda et, pour la première fois, son sourire n'était ni ironique, ni moqueur, mais empreint de tendresse.
Elle fit un pas vers lui, ouvrant les bras.
« Hey… Viens là. »
Avant qu'il ait pu réagir, il se retrouva enveloppé dans les bras de Vi, alors qu'elle le serrait contre elle.
« Tu prends bien soin de toi, ok Merle ? prononça sa voix tout près de son oreille.
- Ok », répondit-il en lui rendant son étreinte.
Il avait bien envie d'ajouter autre chose, comme par exemple toi aussi, mais vu les circonstances, ça aurait été un peu cruel. Ou bien tu vas me manquer, ou encore c'était sympa ces quelques jours avec toi… Ou je ne t'oublierai pas.
Mais avant qu'il ait pu trouver le courage de dire quoi que ce soit de plus, Vi le lâcha et se recula de quelques pas.
« Allez, adieu, Merle, dit-elle en prenant son sac. Bon courage avec tes lacets, ajouta-t-elle avec un grand sourire moqueur.
- Profite bien de ton agonie, sac d'os, et envoie-moi une carte postale de l'au-delà. Et ne te perds pas, rétorqua-t-il.
- Aucun risque, je sais où est le Nord maintenant. »
Ils se séparèrent là-dessus, Vi lui fit un dernier au revoir de la main, auquel il répondit d'un hochement de tête, après quoi elle partit de son côté, d'un bon pas, sans se retourner.
Il fit de même dans la direction opposée, se forçant à regarder droit devant, à ne pas céder à la tentation de jeter un œil en arrière, et quelque chose lui disait qu'elle était en train de faire exactement la même chose.
Il avait la sensation d'avoir complètement foiré ses derniers moments avec elle, mais au moins, il lui était reconnaissant pour une chose. Visiblement, elle n'aimait pas les adieux, elle non plus.
Une chose de plus qu'ils avaient en commun.
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Merle marchait dans les rues totalement désertes de la ville.
Ce qui était le pire, dans la fin du monde, c'était le silence.
Il n'y avait absolument aucun bruit. Pas un ronronnement de moteur, pas l'ombre d'une voix, aucune rumeur étouffée d'un appareil électrique quelconque, ni poste de télévision à travers une fenêtre, ni mélodie échappée d'une radio au loin, pas un seul bruit de fond, pas un seul signe de vie.
Rien que ses pas foulant l'asphalte, et un silence total, écrasant.
Tout était figé, arrêté, mort, bloqué pour toujours. Même l'air semblait immobile, pas le moindre souffle de vent pour soulever un papier par terre, faire bruisser les feuilles d'un arbre.
C'était ce qui l'avait le plus frappé lorsqu'il s'était retrouvé coincé sur ce toit d'immeuble, à Atlanta.
Ce silence de mort, cette solitude extrême, cette sensation horrible d'être seul au monde.
Merle se mit à siffler pour tenter de créer un peu de son, de se changer les idées. Les quelques notes qui s'échappèrent de ses lèvres lui semblèrent tellement tonitruantes, si dérisoires au sein de tout ce silence, qu'il s'arrêta immédiatement, intimidé.
Il essayait désespérément de ne pas penser à Vi. Mais c'était impossible, ses pensées revenaient toujours à elle. Elle, elle aurait parlé, elle aurait fait du bruit, elle aurait fait reculer tout ce silence, rien qu'en étant là.
Au cours de ces quelques jours qu'il avait passés dans cette maison, il ne s'était jamais senti seul, pas une fois. Même quand elle n'était pas dans la pièce, quand elle était en train de dormir dans sa chambre à l'étage, il pouvait sentir sa présence.
Il mit la main dans sa poche, machinalement, et fut surpris d'y trouver un morceau de papier.
Il le déplia. C'était le dessin qu'elle lui avait laissé à son réveil, celui avec les raviolis.
Il se rappela alors les mains froides sur son front alors qu'il était brûlant de fièvre. Vi qui lui refaisait son pansement. Qui le rassurait et l'aidait à respirer. Vi qui lui tendait le joint et le whisky en souriant. Les flans au caramel. Le thon, la crème, la cocaïne, la partie de poker et les lacets. Le pied-de-biche arrivant de nulle part, juste à temps pour empêcher le rôdeur de le mordre.
Il se sentit alors pris d'un mélange d'émotions confus. Dépit, regret, culpabilité, colère. Surtout de la colère. Contre lui-même.
Elle avait fait tellement pour lui. Et lui, qu'est-ce qu'il avait fait en retour ? Absolument rien !
Il donna un coup de pied rageur dans une poubelle se trouvant au bord du trottoir. Elle tomba et roula sur la route avec fracas, répandant son contenu et il continua à shooter dans les déchets furieusement, jusqu'à ce que sa colère passe.
Après quoi il resta juste là, debout au milieu de la rue.
« Je ne l'ai pas remerciée », murmura-t-il.
Il n'avait pas eu un seul mot de gratitude pour elle.
« Je ne lui ai même pas dit merci. Pas une seule fois… Même pas un merci. »
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Au prochain chapitre, si vous le voulez bien : une explosion, un cours particulier et le roi du barbecue.
