Chapitre 12 : Mécanique et électricité

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J'en vins à me dire qu'après tout je nourrissais peut-être des préjugés malséants sur ce harponneur inconnu. Je vais attendre un moment, me dis-je il ne saurait tarder. Alors je le dévisagerai attentivement, et peut-être que nous pourrons être de bons compères après tout… on ne peut pas savoir.

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« J'ai jamais été en prison », annonça Vi, souriante.

Merle fit une espèce de grimace, leva la bouteille de whisky et en but une longue rasade avant de la reposer.
Ils étaient assis l'un en face de l'autre, avec la lampe entre eux, ainsi que le paquet de pistaches et les deux bouteilles, celle de vodka pas encore entamée, et celle de Ballantine's à demi vide. Vi était assise en tailleur avec le sac de couchage enroulé autour d'elle et Merle s'était déjà offert son premier rail de la soirée.
La fatigue aidant, ils commençaient à être sérieusement ivres, surtout elle.

Ils étaient en train de jouer à « Je n'ai jamais », à l'initiative de la jeune fille. Les règles étaient simples : ils énonçaient tour à tour quelque chose qu'ils n'avaient pas fait, et si l'autre l'avait fait, il était tenu de boire.

« Ahah ! Je l'savais ! s'exclama Vi. Et c'était pour quoi ?
- Boarf… des trucs à la con.
- Allez vas-y, balance, j'veux savoir.
- Bahhh j'y suis pas allé qu'une fois.
- La première fois c'était pour quoi ?
- Les centres de redressement pour mineurs, ça compte comme de la prison ? »

Elle réfléchit un instant.

« Ouais.
- Alors la première fois c'était pour vol. J'avais quatorze ans.
- T'as volé quoi ?
- Une voiture.
- Sérieux ?
- Je m'étais embrouillé avec un type plus âgé que moi, il m'avait foutu une putain de raclée en public, jusqu'à me tirer du pif quatre sortes de morves différentes. Ce connard était plutôt populaire, pour la simple raison qu'il avait une voiture, c'était la campagne là où on vivait à l'époque, c'était pas courant et en plus sa caisse était vraiment belle, son père était une espèce de bourge. Il passait son temps à frimer avec sa bagnole, les gonzesses se battaient pour y monter. Alors pour me venger, le lendemain, j'ai volé sa voiture et je suis allé lui aplatir contre un arbre. »

Vi applaudit, admirative.

« Joli.
- Le plus marrant c'est que j'avais pas l'intention de la foutre sur l'arbre à la base. Je voulais faire un tour avec, m'amuser et après la balancer dans le lac. Mais j'étais plutôt petit pour mon âge et je savais même pas que les sièges de voiture pouvaient se régler. En fait je touchais à peine les pédales et je voyais pas trop où j'allais. Du coup je suis pas allé très loin, j'ai même pas fait un kilomètre avant de percuter l'arbre.
- C'est mignon !
- Mouais. Les autres fois où je suis allé en taule, c'était pour des trucs moins mignons.
- Genre ?
- Coups et blessures, drogue, vols, ce genre de trucs. Allez à moi. Heuuuu… j'ai jamais ouvert une fenêtre avec ma tête !
- Pfff, elle était facile celle là, fit Vi en attrapant la bouteille.
- Dans ce cas, poursuivit-elle après avoir bu une longue rasade de whisky. J'ai jamais eu d'érection matinale.
- Ah ouais, toi quand tu fais facile, tu fais vraiment facile !
- Ben quoi, le but c'est de te faire boire nan ?
- Certes. Bon alors… je ne me suis jamais maquillé.
- Ah ! Tu l'as dans l'os ! Moi non plus ! s'écria Vi, triomphale.
- Quoi, jamais, jamais ?
- Jamais jamais.
- J'y crois pas ! J'aurais pas cru que t'étais gouine.
- T'es con ou quoi ? Ça n'a rien à voir. J'ai jamais eu envie de me tartiner la tronche pour plaire, c'est tout. Ça fait pas de moi une lesbienne.
- Ouais ouais, c'est ça. Tu sais y a pas de mal à aimer brouter le minou.
- Tu sais quoi, laisse tomber… Allez, à moi. J'ai jamais fait de moto.
- Comment tu sais que j'étais motard ?
- Je le savais pas, j'ai dit ça comme ça. Tes fringues quand je t'ai trouvé, ça faisait un peu biker, tu sais, le truc sans manche, le bracelet en cuir, tout ça. Du coup je t'imaginais bien sur une moto.
- Ouais, bien deviné. J'en avais une superbe ! C'était une Triumph Bonneville, un vrai bijou.
- Ah, et c'est chouette ça, une Triumph ? » demanda Vi, qui n'y connaissait absolument rien en moto.

Il eut une sorte de reniflement méprisant.

« C'est pas chouette, c'est mille fois mieux que ça ! Je l'ai entièrement refaite à neuf, ça m'a pris des années. Cette moto valait plus que tout ce que j'avais à l'intérieur de ma baraque ! »

Il avait l'air terriblement fier en disant ça, elle pouvait voir à quel point ses yeux brillaient. Nul doute qu'il était en train de causer de ce qu'il avait de plus précieux. Pour sa part, elle avait toujours trouvé ces trucs de motos complètement beaufs, mais elle se garda bien de le lui dire.

« Et toi, t'es vraiment jamais montée sur une moto ? s'étonna-t-il. Même pas derrière quelqu'un ? »

Ça avait l'air de le scandaliser, comme si elle venait d'avouer qu'elle n'avait jamais eu l'électricité ou qu'elle s'était toujours lavée à l'eau froide. Elle secoua la tête en souriant.

« Mais c'est le meilleur putain de truc du monde ! Tu peux pas mourir sans avoir jamais fait de moto ! Et ça prétend vouloir profiter de la vie avant de crever ! Tu sais quoi morveuse, prends ta foutue liste des trucs que tu dois faire avant de mourir et rajoute : faire une putain d'excursion en moto ! »

Elle éclata de rire.

« Tu sais quoi Merle, puisque c'est toi qui me le dis, et ben je l'ferai ! Promis, si j'trouve une moto, je testerai !
- T'as intérêt ! Tu le regretteras pas tu verras, je suis sûr que tu vas adorer ça. La vitesse, le vent dans les cheveux… mets pas de casque surtout, c'est pour les tafioles ! »

Elle rigola de nouveau.

« C'est noté. Compte sur moi. Allez c'est à toi de jouer. Et oublie pas de picoler pour le coup de la moto. »

Alors qu'il buvait, il essaya de trouver un truc à dire, mais il n'avait plus vraiment d'inspiration. À vrai dire, le fait de penser à sa Triumph lui avait rappelé cruellement qu'il ne pourrait plus jamais la conduire, et ça le rendait franchement triste. Il y avait peu de sujets sur lesquels il s'autorisait à être sentimental et sa moto en était un.

« Magne-toi, j'ai soif, fit Vi en sortant sa pipe de sa poche.
- Ah tiens ! »

Il venait soudain de retrouver l'inspiration.

« J'ai jamais fumé la pipe.
- Tu te fous de moi ?
- Nope. Un p'tit cigare de temps en temps, ça j'dis pas non, mais la pipe, c'est vraiment un truc de vieux moisi. D'ailleurs, que tu fumes un truc aussi fort alors que t'es si jeune, ça me dépasse. Comment tu supportes le goût de ce machin ?
- Boarf, moi j'trouve ça bon. Au début c'est sûr, j'ai trouvé ça dégueu. Mais maintenant j'aime bien, je trouve ça bien meilleur que la clope, le tabac à pipe est bien plus goûteux. Et j'adore tout le côté rituel qui va avec la pipe, c'est beaucoup plus chouette que de fumer une cigarette, il faut la bourrer, l'entretenir, il y a plein d'objets sympas qui vont avec, c'est comme une sorte de jeu d'adulte. »

C'était vrai que Vi prenait vraiment soin de sa pipe, ou plutôt, des ses pipes, parce qu'il lui en avait vu fumer au moins deux différentes. Elle avait tout un petit sac avec ses ustensiles, grattoir, cure-pipe, tasse-braises et les trucs pour les nettoyer, ce qu'elle faisait régulièrement. Étrangement, elle était aussi soigneuse avec ses pipes que bordélique et laxiste avec tout le reste.
Il se dit que sa pipe était peut-être un peu sa Triumph Bonneville à elle.

« C'est la première fois que je vois une nana fumer la pipe. »

Elle rigola.

« En fait moi aussi !
- Et ça t'es venu comment ?
- Et ben, c'est mon grand-père qui fumait la pipe, il en avait une petite collection. Quand il est mort, j'avais treize ans et c'est moi qui les ai récupérées, parce que c'étaient de beaux objets. Quelques années plus tard, quand j'étais ado, j'ai eu soudain très très envie d'emmerder le monde, particulièrement mes parents, et il fallait que je trouve un truc bien rebelle et bien stupide à faire, quelque chose qui allait vraiment les faire chier. » Elle gloussa. « J'aurais pu me mettre à fumer des clopes, mais mes deux parents fumaient déjà comme des putain de cheminées, ça les aurait pas franchement impressionnés. Et puis tout le monde au lycée fumait, ça aurait franchement pas été original. Nan, il me fallait un truc plus extrême. Alors je me suis mise à fumer la pipe. »

Merle éclata de rire.

« J'aurais bien aimé voir ta tête la première fois que t'en as fumé une ! »

Elle l'imita.

« Ouais c'est clair, ça valait le spectacle ! Nom de Dieu, j'ai été malade comme un chien. J'ai vomi à peu près toutes les couleurs existantes j'crois bien. Mais j'ai persévéré, même si je détestais ça, je faisais semblant d'adorer, malgré les crises d'asthme que je me tapais. T'aurais dû voir la gueule de mes parents ! Et de mon médecin ! Parce que j'étais déjà malade à cette époque-là.
- Ouais, j'imagine bien la tête qu'ils ont dû faire.
- Et le plus marrant c'est qu'un jour, je devais avoir, je sais pas, dix-sept, dix-huit ans, ma mère passe la tête dans ma chambre et elle fait, hey Vi, je vais acheter des clopes, tu veux que je te prenne du tabac ? Et là j'me suis dit bon ben voilà, ça a fini de la faire chier, maintenant je peux arrêter de fumer cette putain de pipe. Et là, je me suis rendu compte que j'aimais vraiment ça et que j'étais accro à la nicotine. »

Merle rigola de plus belle.
Le visage de Vi s'éclaira.

« Hey dis voir, ça te dit de tester la pipe pour la première fois ? Regarde, j'viens juste de la préparer, et en plus elle est toute propre, j'ai même encore eu le temps de baver dedans. Moi je fais de la moto, et toi tu fumes la pipe, qu'est ce que t'en dis ?
- Mouais tiens, pourquoi pas ? »

Il la prit et la mit en bouche. Vi se pencha et l'alluma.

« Tire, tire, plus fort que ça sinon elle va s'éteindre. »

Merle goûta une bouffée de tabac et souffla la fumée lentement.

« Alors ?
- C'est… pas si mal. C'est moins dégueu que ce que je pensais. »

Vi sourit triomphalement.

« Je préfère quand même les clopes, finit-il par dire après quelques bouffées en la lui rendant.
- Chacun ses goûts », admit-elle.

Elle tira sur sa pipe et fit un rond de fumée.

« Bon, alors c'est à moi. »
- Vas-y, envoie du lourd !
- Oh, j'en ai une terrible ! J'ai jamais pissé dans une casserole !
- Et alors ? Moi non plus ! »

Elle le regarda avec un sourire méphistophélique.

« Bois ! ordonna-t-elle.
- Quoi ?! N'importe quoi ! Quand est-ce que… ? »

Son sourire s'allongea d'une oreille à l'autre.
Il commençait à comprendre.

« Me dis pas que t'as fait ça !
- Qu'est-ce que tu crois, que tu t'es retenu pendant deux jours entiers ? »

Elle éclata de rire en voyant la tête qu'il faisait.

« Oh nom de Dieu, espèce de…. Saloperie ! Putain de saloperie ! »

Vi se roulait par tête de rire.

« Arrête de te marrer, connasse ! Arrête ou je te déboîte la mâchoire ! »

Elle lutta pour reprendre son souffle.

« Aha… ahaha ! La tête que t'as faite ! c'était trop…. Aha !... aaaaaaah, j'vais mourir…
- Dernier avertissement, t'arrête tout de suite ou bien…
- Oh ça va te vexe pas, c'est pas la première fois qu'une fille te touche la bite, si ?
- Ouais ben…. Pas comme ça !
- T'as même pas bandé, j'étais terriblement déçue, plaisanta Vi.
- Est-ce qu'on peut parler. D'autre. Chose. Merci. »

Elle leva les mains.

« Croix de bois, croix de fer, tu bois ton coup et on n'en parle plus jamais. »

Il attrapa la bouteille en grommelant.

« Aaaaaaah, j'adore ce jeu ! déclara Vi. Allez, venge-toi ! »

Il se creusa la tête pour trouver quelque chose de vraiment humiliant à lui balancer. Mais rien ne lui venait. Il aurait pu parler de sa santé, du fait qu'elle allait mourir sous peu, de son état physique déplorable, de son addiction évidente aux médicaments… mais tout ça, elle le prenait totalement à la légère.

« Alors ? J'attends. »

Il décida de balancer un truc évident. S'il ne pouvait pas la mettre mal à l'aise, au moins il pouvait la faire boire jusqu'à l'étendre raide. Elle pesait quoi ? Au moins 30 kilos de moins que lui !

« J'ai jamais fait d'études supérieures, annonça-t-il.
- Ah bon ? Et ben moi non plus. J'ai même pas fini le lycée.
- Ah ouais ? »

Il était franchement étonné.

« Ben ouais. Qu'est-ce qui te fait croire que j'ai fait des études supérieures ?
- Ben… chais pas. Tu m'as l'air plutôt du genre… intelligente. Instruite quoi. »

Elle était éloquente, aimait faire des phrases alambiquées, était très sûre d'elle et connaissait de toute évidence beaucoup de choses. Et puis elle lisait. À ses yeux, Vi était forcément une sorte d'intellectuelle, c'est-à-dire le genre de personnes qu'il avait fait mine de mépriser toute sa vie tout en les enviant un peu, secrètement.
Elle lui adressa un sourire amusé.

« Ça veut dire quoi, que si on n'est pas allé à l'université on n'est pas intelligent ? »

Il haussa les épaules. Ça, c'était un truc qu'il regrettait de ne pas avoir fait, les études. Il n'était pas si mauvais, à l'école, avant de commencer à mal tourner et à faire des conneries. Il aurait pu aller à l'université. Il n'avait pas vraiment d'idée précise de ce qu'il aurait bien pu y étudier, mais il était sûr que ça lui aurait plu, qu'il y aurait appris des trucs. Il avait tellement entendu répéter autour de lui que les gens qui n'avaient pas fait d'études étaient des crétins qu'il l'avait un peu intégré, malgré lui. Il en avait gardé une sorte de complexe inavoué.

« Pourquoi t'as pas fait d'études ? demanda Vi, comme si elle lisait dans ses pensées.
- Boarf, je sais pas trop, j'avais pas envie. Après le lycée, j'ai commencé à travailler direct. »

Mais bien sûr, ce n'était pas vraiment la vraie raison. Il ne voulait pas se l'avouer, mais il le savait parfaitement bien. S'il avait voulu faire des études, il aurait dû partir, quitter la maison. Et Daryl serait resté seul avec son père. C'était aussi simple que ça.

« Tiens d'ailleurs… qu'est-ce que tu faisais comme boulot ? Avant l'épidémie, je veux dire. Tu faisais quoi ?
- Bah, j'ai été dans l'armée un moment, mais j'y suis pas resté. J'ai des… problèmes avec l'autorité.
- Oh ? J'aurais jamais cru, fit Vi ironiquement.
- Après ça, j'ai fait toutes sortes de petits boulots, j'en ai jamais gardé un très longtemps. »

Il évita de préciser pourquoi. Il n'avait pas franchement envie de raconter ce qui rendait sa vie chaotique, ses fréquents allers retours en prison, ses efforts et ses rechutes avec la drogue, et surtout le fait qu'il n'avait jamais réussi à réellement s'attacher quelque part. Tout finissait toujours par se barrer en sucette, avec les gens, avec la drogue, avec le boulot, avec tout.

« J'ai été barman, garagiste un peu, j'ai bossé sur des chantiers, dans des usines, dans une papeterie aussi une fois.
- Waow ! Tu dois savoir faire des tas de trucs différents alors ! » s'écria Vi.

Elle semblait sincèrement admirative.

« Tu te fous de ma gueule ? demanda Merle, sur la défensive.
- Mais non, arrête de te sentir tout le temps agressé, merde, c'est chiant à force ! C'est chouette d'avoir fait plein de choses différentes dans ta vie, t'as dû connaître des tas de gens, apprendre des tonnes de trucs utiles ! T'as dû avoir une vie passionnante ! »

Il sourit malgré lui.
Il avait toujours trouvé son parcours chaotique, bancal et merdique, mais elle avait l'air de trouver ça particulièrement enviable et enrichissant. Pour lui, n'avoir jamais eu un boulot fixe voulait dire qu'au final, il ne savait rien faire correctement. Pour elle, ça voulait dire qu'il savait faire une infinité de choses.

« Je t'envie, moi c'est exactement ce que j'aurais voulu faire ! continua-t-elle, les yeux brillants. Et de tous les trucs que t'as fait, c'est quoi qui t'as le plus plu ? Le truc que t'as le plus aimé faire ? »

C'était typiquement une discussion de personnes bourrées. Lorsqu'on commençait à se passionner pour ce genre de détails. Mais ça lui convenait très bien, vu qu'il était effectivement bourré. Toute cette conversation l'attendrissait étrangement. Vi le faisait parler de lui, elle semblait sincèrement s'intéresser à lui, comme s'il était le mec le plus fascinant du monde et c'était agréable.
Mais pas seulement. Il y avait autre chose.
Ses mots continuaient à flotter dans son esprit.

T'as dû avoir une vie passionnante !

Et une petite voix dans sa tête lui soufflait qu'il y avait bien plus derrière cette simple phrase qu'il ne semblait. C'était une phrase prononcée par une fille qui allait mourir. Et mourir terriblement jeune.

Vi… elle aura vécu moins de trente ans.

Il y avait quelque chose de plus profond derrière les blagues de Vi, derrière son sourire, quelque chose d'intense derrière ses yeux brillants lorsqu'elle parlait avec admiration de sa vie à lui, Merle, si passionnante.
Et elle lui demandait ce qu'il avait préféré faire. Il eut envie de lui répondre le plus honnêtement possible.

« Je crois… la mécanique. Ouais, c'est ça, j'ai beaucoup aimé faire le garagiste. Réparer les trucs. Savoir comment les choses fonctionnaient. Les faire marcher. Ouais vraiment, mettre chaque pièce à sa place, faire que les choses se comportent comme elles doivent… c'était… bien. »

Il s'étonna lui-même. Un discours aussi passionné, ça ne lui ressemblait pas. Mais c'était vrai pourtant, c'était vraiment ce qu'il pensait.

« Oh Merle… »

Vi le dévisagea avec des yeux remplis d'émotion, comme s'il venait juste de lui faire une déclaration d'amour.

« On est pareils ! s'exclama-t-elle. Moi, mon boulot, ce que je faisais avant, c'était électricienne! Moi aussi j'adore ça, savoir comment les objets marchent, faire ce qu'il faut pour qu'ils fonctionnent, comprendre comment ils sont faits. Démonter, remonter, réparer, résoudre les problèmes ! J'ai toujours aimé ça ! C'est ce que j'ai toujours voulu faire ! C'était ça mon boulot. »

Elle avait un sourire radieux sur la figure et une émotion intense dans la voix.

« Chaque chose à sa place, le bon truc au bon endroit, le bon outil au bon moment ! L'équilibre parfait des choses qui fonctionnent ! C'est tellement beau ! »

Ok, toi tu es ivre morte, songea Merle.
Et pourtant… il comprenait très bien ce qu'elle voulait dire. À vrai dire il le partageait.
Pour la première fois, il regardait Vi, et elle lui semblait différente.
Une drôle d'émotion fit surface dans son esprit. Cette fille… ce n'était plus une étrangère. Elle lui ressemblait. Pas seulement à cause de leur amour du bricolage, à cause de tout le reste aussi.
Ils avaient quelque chose en commun, ils partageaient quelque chose. Même si c'était quelque chose de minuscule et de complètement stupide, il eut l'impression que quelqu'un le comprenait.

Peut-être… qu'ils avaient d'autres points communs, elle et lui.
Peut-être que pour une fois il pourrait se sentir proche de quelqu'un.
Peut-être que ça valait le coup d'essayer, finalement, même si ça devait n'être que momentané.
Ou bien peut-être qu'il était complètement bourré et qu'il délirait à pleins tubes. C'était plus que probable.

Mais lorsqu'il regardait au fond des yeux de cette fille, ce qu'il y voyait… ça avait du sens pour lui.

Après tout, il n'avait nulle part où aller.
Alors il pouvait aller n'importe où.

« J'ai changé d'avis, déclara-t-il abruptement.
- Hein ? À propos de quoi ?
- De ce que je vais faire. Je ne vais pas partir de mon côté. Je vais rester avec toi. »

Elle le regarda, bouche bée.

« Mais… finit-elle par murmurer. Là où je vais…
- Je m'en tape de là où tu vas. Je viens avec toi. »

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Un pari stupide, deux médecins et de l'enthousiasme, voilà ce qui se trouve au prochain chapitre !