La nuit vient de tomber. Il regarde la rue, agitée et lumineuse. Des gens rient, discutent, profitent de leur soirée. Il les hait. Du plus profond de son être. Il aimerait être cet homme qui fait rire le groupe d'amis. Il voudrait être ce couple qui se murmure des mots d'amours. Il voudrait être cet enfant que ses parents regardent avec amour et fierté. De colère, il casse le crayon qu'il triturait quelques minutes auparavant dans ses mains. Il jette les morceaux sur le tableau de bord. Il ne doit pas se laisser prendre par ses émotions. Elles sont néfastes pour le reste de cette opération. Il observe plus longuement, essayant de voir des personnes s'éloignant des différents groupes. Pour téléphoner. Chercher un verre ou à manger. La proie qui sera plus facile à piéger et intégrer dans son plan.

Aujourd'hui avait été une bonne journée. Il avait été déterrer de vieux cadavres, pour les rendre plus visibles. Et il avait fait un cadeau. Une nouvelle victime mélangée à tout ça qui allait faire plonger un membre de cette équipe dans le brouillard. Il rit. Il avait si hâte que la découverte soit faite. Elle allait s'effondrer. Ce serait beau. Magnifique. Si jouissif.


Un bruit le sort du sommeil. Il se réveille sans savoir où il est. Il tente de recoller les morceaux et ses yeux se portent sur le dossier qui lui a servi d'oreiller. Il secoue la tête en réalisant qu'il est dans le Montana, que l'affaire en cours l'a obnubilé toute la nuit et qu'encore une fois il n'a pas été raisonnable.

Un second bruit, similaire au premier, surgit de l'extérieur. Il regarde sa montre. 03h45. Il soupire ; encore une nuit ratée. Depuis quelques mois, il a de plus en plus de mal à dormir. Peut-être les affaires jouent-elles sur son moral. Peut-être les soucis de la vie deviennent trop présents. Toujours est-il que son sommeil devient plus léger, et il sait qu'il ne tiendra plus très longtemps. Les affaires peuvent parfois être complexes et le sommeil est nécessaire pour pouvoir récupérer, pouvoir marquer une pause. Et y voir plus clair. Mais il est dans l'incapacité de couper. Dès qu'il ferme les yeux, les victimes lui reviennent en mémoire. Il est assailli par leurs plaintes, par le fait qu'il ne soit pas venu les sauver plus tôt. Jamais dans sa carrière, les choses n'ont été si dures et éprouvantes.

Encore ce bruit. Il décide de se lever de sa chaise. De l'extérieur, un filet de lumière se projette sur son mur. Il ouvre la fenêtre. Et c'est là qu'il la voit. Emily est dans le manège à faire travailler un cheval. Elle claque un lasso sur sa jambe pour le faire trottiner. Le cheval suit ses mouvements, ses paroles silencieuses. Il observe ce dialogue entre l'animal et la jeune femme. Il se demande pourquoi son ranch n'est pas devenu sa priorité, pourquoi elle a eu besoin de travailler dans la police. Plus il la regarde et plus un mystère l'entoure. Il n'arrive pas à cerner sa personnalité. Au commissariat elle semble froide, exclue. Ici elle apparaît en communion avec l'animal, posée et souriante. Il la regarde encore quelques secondes avant de retourner à son bureau, se saisit de son ordinateur et regarde - encore une fois - le dossier envoyé par Garcia concernant la jeune femme.

Le résumé est assez succinct, presque une page blanche. Elle est fille unique, d'une mère ambassadeur et d'un père chargé de communication, reconverti après avoir quitté le Corps des Marines. L'emploi de sa mère lui a imposé un mode de vie de baroudeuse. Il peut voir qu'elle a vécu dans plusieurs villes d'Europe et du Moyen-Orient. Ses parents avaient fini par divorcer. L'enfant qu'elle était avait eu peu de contact avec son père. Et depuis de nombreuses années, aucun contact avec sa mère... comme si une rancœur quelconque s'était installée dans les rapports de la famille. Ensuite viennent les coupures de presse. En l'espace de 7 ans, elle a réussi à se faire une place dans le milieu judiciaire. Il peut voir qu'elle a participé à beaucoup de gros coups qui ont permis de serrer des barons de la drogue, des trafiquants d'armes et autres. Elle a, semble-t-il, collaboré avec plusieurs services et plusieurs grands noms. Il est surpris de lire le nom de l'un de ses vieux amis de l'école de police, il ne l'avait pas remarqué dans sa lecture initiale du dossier. Il se promet de l'appeler pour lui demander des informations complémentaires. Il parcourt les différentes affaires, certaines ayant fait trembler les États-Unis. Il se demande comment elle a fait pour se retrouver dans un commissariat au fin fond de Montana. Avec un tel CV, elle aurait dû se retrouver chef d'équipe, voire agent dans une unité comme le FBI, la CIA ou autre grande agence du pays. Et même une agence à l'internationale, songe-t-il. Il essaye de lire entre lignes, voir si une information ne se glisserait pas pour expliquer les raisons de cet éloignement. Dans les informations transmises par Garcia, le blanc de deux ans le taraude encore. Même leur grande analyste n'avait pu trouver d'informations, chose anormale pour la hackeuse de génie qu'elle était. Il garde cela dans un coin de son esprit, pour tenter de trouver une réponse en posant quelques questions discrètes par-ci par-là.


Il se réveille, quelques heures plus tard, assis sur la chaise du bureau. Il se frotte le visage et regarde son portable. 06H58. Il soupire et se lève. Il ouvre la fenêtre pour prendre le temps d'admirer le paysage. L'air est encore frais, bien que le soleil commence à se montrer. Aux alentours, la seule vue donne sur des montagnes verdoyantes. La maison d'Emily donne directement sur d'immenses prairies – qu'il soupçonne être sa propriété. En bas du terrain une rivière coule, offrant de doux bruits d'eau clapotant contre les cailloux. Dans un terrain non délimité par des barrières, des chevaux gambadent ou se nourrissent de ce que la nature offre. Il sourit face à cette liberté, cette plénitude. Son ventre commence à gargouiller et il décide de rejoindre la cuisine. Le calme de la maison est assez réconfortant. Les seuls bruits qui parviennent jusqu'à lui sont des chants d'oiseaux qui se mêlent aux craquements de parquet.

Une fois dans la cuisine, aucune trace d'Emily. Il pense qu'elle doit encore être avec un animal de son ranch ; il a entraperçu une écurie en contrebas. Il se sert du café et saisit une pomme dans la corbeille à fruits. C'est à ce moment que son regard se porte sur le frigo, et plus précisément une feuille aimantée dessus.

Je n'ai pas voulu vous réveiller.

Une voiture est à disposition, les clés sont dans le salon. E

Il se dépêche de boire son café et se rend au salon. Il trouve les clefs posées dans une petite coupelle et lorsqu'il se relève, la photo de la veille l'attire. Il s'approche pour la regarder, et le regard rieur de l'enfant lui rappelle combien l'enfance et son insouciance sont importants. Il rejoint ensuite sa chambre pour prendre une douche et enfiler des vêtements propres. Une fois fait, il sort de la pièce en même temps qu'un bruit de sonnette se fait entendre au rez-de-chaussée. Il va ouvrir la porte d'entrée au visiteur et tombe nez-à-nez avec un homme en costume cravate, un sourire prétentieux collé au visage. Dès qu'il aperçoit Rossi, il se décompose. Il entrouvre la bouche mais aucun son ne sort.

"-Bonjour."

L'homme se ressaisit et sert la main que David lui tend.

"-Emily est là?

-Non, dit Rossi avec un petit rire. Il semble qu'elle soit partie tôt ce matin.

-Je peux savoir qui vous êtes?"

Un crissement de pneu l'empêche de répondre. Un 4x4 rouge, délavé et ancien, se gare devant la maison. Un jeune homme blond, en salopette trouée et t-shirt noir, en sort. Il enlève son chapeau pour les saluer et s'approche d'eux: "-Vous devez être David? Emily m'a prévenu de votre arrivée."

L'homme "Costard-Arrogant" manifeste sa présence: "-Declan, ce n'est pas comme ça qu'on accueille quelqu'un."

Le jeune Declan tourne la tête, un regard méprisant: "-La ferme Josh! Tu n'es pas mon père! Et je croyais qu'Emily t'avait dit de foutre le camp.

-Tu es mal informé champion!

-Et je devrais te croire sur parole!? La blague!"

Amusé, Rossi observe la discussion que se livre les deux hommes. Il aurait tendance à être du côté de Declan, n'appréciant pas l'air suffisant du dit Josh. Il voit que la posture du jeune arrivant traduit un certain mépris pour Josh. Il se tient en arrière, bras croisés, comme s'il cherchait à se protéger de cet homme. Rossi décide d'intervenir, ne souhaitant pas que cette pseudo discussion ne s'envenime: "-Monsieur, vous devriez partir.

-Je vous demande pardon?

-Je dirais à Emily que vous êtes passé.

-Pour qui vous vous prenez?"

Josh commence à montrer des signes de colère. Son image "propre sur lui" disparaît pour laisser place à sa vraie nature. Rossi s'avance sur le perron, lui précisant de manière plus insistante qu'il devrait partir. L'homme s'énerve quelques instants avant de remonter dans sa voiture.

Declan, silencieux jusqu'ici, l'interpelle: "-La prochaine fois que tu m'appelles champion, je te pète toutes les dents bouffon!"


Rossi invite Declan à prendre un café à l'intérieur. Le jeune homme, surpris, le remercie mais décline, préférant se mettre tout de suite au travail. Face à tant d'entrain, Rossi demande à l'accompagner pour voir un peu les environs. Le jeune homme se dirige vers les écuries où de nombreux boxs attendent d'être nettoyés. Declan prend le temps de saluer chaque cheval, offrant une petite tape ou une sucrerie à certains. Rossi sourit en voyant que l'image est totalement différente des cinq minutes précédentes. Declan est calme, détendu, faisant attention au bien-être des animaux. Ses gestes sont doux et précis. Rossi comprend parfaitement qu'au contact des animaux on puisse se sentir apaisé, surtout dans un cadre pareil. Du fond des écuries, il peut apercevoir les grandes plaines vertes et ensoleillées. Soudain, son téléphone émet un bip. L'un des chevaux donne des coups dans la porte de son box, visiblement apeuré. David s'excuse et sort le plus rapidement possible.

Voyant le message laissé par Morgan indiquant une adresse, il s'empresse de l'appeler.

"-Morgan, qu'est-ce qui se passe?

-On ne sait pas. Elle a reçu un appel et… des corps seraient présents à l'adresse que je vous ai envoyé.

-Que disait l'interlocuteur?

-Rien. Il s'est présenté comme étant Justice et a donné une adresse.

-Justice? C'est quoi ça?

-On en a aucune idée mais votre copine là, elle est déjà en route.

-Merde! Personne ne l'a arrêté?

-Elle est plutôt solitaire vous savez? Personne ne l'a empêché, et personne ne l'a suivi. Et c'est elle que le tueur a contacté.

-Bon ok. On se rejoint tous là-bas, avec Smith et quelques agents. On va avoir besoin de monde."

Il raccroche et soupire. Il est épuisé face à tant d'horreurs, et quand le tueur en question joue avec eux c'est pire. L'affaire est déjà au point mort alors que la découverte de la veille est suffisamment macabre. Ils n'ont fait aucune avancée, mais ils pensaient avoir un peu de temps avant une nouvelle découverte.

Il rentre dans la maison, se saisit des clés et rejoint la voiture. Il saisit l'adresse envoyée par Morgan dans le GPS et quitte le ranch.


Arrivé sur les lieux, Rossi est surpris par le calme environnant. Il n'avait vu aucune voiture de patrouille, aucune trace de son équipe ou d'Emily. Le lieu indiqué est aux abords d'une forêt, il ressent un froid parcourir son corps. Il n'avait jamais aimé ces endroits… Au loin, il voit un grand drapeau rouge. "Le tueur n'aurait pas fait ça?", s'indigne-t-il.

Prudemment, la main sur son arme, il avance vers l'indication. Et il la voit. Au milieu des herbes hautes, s'appuyant sur un arbre, il la voit pleurer. Il s'avance un peu plus, voulant la rejoindre, et c'est là qu'il voit les corps. A vue d'œil, il doit y en avoir 8 ou 10. Le M.O. est le même mais cette fois-ci c'est le tueur qui les "offre". Il avait appelé pour qu'ils les trouvent. Il voyait cela comme un jeu maintenant, et rien ne pouvait être plus horrible pour l'enquête. Quand on commence à découvrir des assassins, on attend qu'ils fassent une erreur pour pouvoir les arrêter. Maintenant le tueur de ces personnes appréciait cette attention malsaine. Il en jouait.

Il regarde d'un peu plus près. Les corps sont à peine cachés mais l'un d'eux est placé en position assise sur toutes les autres. Pris d'angoisse, il fait un pas en arrière. Et c'est là, en voyant cette victime, qu'il comprend pourquoi Emily pleure, agenouillée par terre. Il s'avance le plus vite possible d'elle. Il se met face à elle, place sa main sous son menton et remonte lentement son visage pour qu'elle le voit. Dès qu'elle réalise qu'il est là, elle se jette dans ses bras. Il ne sait pas quoi dire dans un moment pareil ; sa terreur, sa tristesse sont si compréhensibles. Il la voyait comme une femme froide, mais c'est tout l'inverse.

Ils restent dans les bras l'un de l'autre pendant de longues minutes. Elle ne cesse de pleurer, et Rossi ne trouve pas la force de l'éloigner de tout cela. Ils entendent, au loin, des sirènes. Ils savent que leurs collègues vont arriver. Rossi commence alors à vouloir s'éloigner, avant qu'Emily ne le retienne en tirant sur sa chemise et en lui murmurant au creux de l'oreille: "-Ne partez pas… s'il vous plaît."

Il resserre son étreinte, tout en essayant de la relever: "-Il faut que vous veniez avec moi, souffle-t-il. -Vous ne pouvez pas rester là."

Elle comprend ce qu'il suggère et coopère. Le seul moyen de rejoindre l'une de leurs voitures est de passer devant les corps. Il le sait, elle le sait. Rapidement elle n'arrive plus à respirer: "-Hey! Regardez-moi. Ne regardez que moi.", lance-t-il dans un murmure.

Quand il parle, il place ses mains de part et d'autre de son visage. Elle s'exécute alors, et il essaye de lui faire reprendre un rythme normal dans sa respiration en lui faisant faire des petits exercices pour calmer ce genre de crise de panique. Quand il sent qu'elle reprend sa respiration normale, il la colle à son flan gauche et la fait avancer. Il lui murmure des mots réconfortants, tentant de lui faire oublier cette scène d'horreur.

Ils parviennent à atteindre la voiture au moment même où leurs collègues arrivent. Il l'installe côté passager et saisit la couverture qui traîne à l'arrière. Il la lui tend. Il se rend compte qu'elle tremble de tous ses membres. Ses dents claquent, ses mains n'arrivent pas à saisir l'objet tendu. Il pose une main sur son épaule et positionne la couverture de sorte que ça puisse l'aider à aller mieux. A avoir un effet de protection. A la réchauffer également.

Il se décale, pour pouvoir accueillir tous les collègues. Les premiers à sortir sont son équipe ainsi que la Capitaine Smith. Il leur explique l'itinéraire macabre du tueur, montrant le drapeau derrière lui: "-Il… Il faut que je vous prévienne…"

Tout le monde reste suspendu à ses lèvres, attendant qu'il continue. Il se permet un regard vers Emily. Dans la voiture, ses pleurs ont repris de plus belle. Elle a positionné sa main sur sa bouche et laisse l'émotion la submerger.

"-L'une des victimes est… Thomas Edgar Prentiss."

Tous les regards se tournent alors vers la jeune femme en pleurs dans la voiture. Elle ne les remarque pas, mais tous ont compris sont état actuel.

"-C'est son père."