Il attend le moment propice. Il n'a pas besoin de le suivre pendant des semaines, l'ayant déjà fait plusieurs fois ces derniers mois. Il sait que l'homme se lève aux alentours de 6h et qu'il part courir pendant une heure. Toujours le même trajet… lassant selon lui. Il ne comprend pas qu'on puisse sans arrêt avoir les mêmes habitudes, ne jamais vouloir voir autre chose. Il ne comprend pas ce qu'Emily peut lui trouver. Elle avait toujours eu besoin d'action, de folie, d'imprévus. Elle n'était pas le genre de personne à s'installer dans une routine et ne jamais plus en bouger. Il ne comprend pas cet intérêt pour cet homme si prévisible. Mais les choses allaient changer. Elle allait avoir sa dose d'imprévu. Il sourit. Il tape dans ses mains. Il imagine déjà sa tête à la réception du paquet. Si jouissif.


A son réveil, il sent une raideur dans son cou. Il passe une main au niveau de ses cervicales et fait un rapide massage. Il sent également un poids sur son flanc gauche et ouvre les yeux pour comprendre ce qui lui arrive. Il voit une tête brune, cramponnée à sa chemise. Elle est recroquevillée sur le canapé, collée à lui, attachée à sa chemise. Les souvenirs de la veille lui reviennent et il soupire. Emily Prentiss était tétanisée depuis l'appel du médecin légiste. Elle ne comprenait pas qui pouvait lui en vouloir, ce qu'elle avait pu faire pour mériter ça. Malgré les paroles rassurantes qu'il essayait de lui dire, elle ne l'écoutait pas. Plus. Elle était en boucle. N'arrivait pas à décrocher. Il avait fini par l'installer dans le salon, avait allumé le tourne-disque sur des musiques de jazz. Elle s'était arrêtée instantanément de parler. Il s'était installé à ses côtés et… plus rien. Il avait dû sombrer dans le sommeil.

Il soupire encore une fois. Il est épuisé mais en même temps ressourcé. Comme si cette nuit passée sur un canapé lui avait fait du bien. Il secoue la tête, un sourire en coin, trouvant cette dernière réflexion complètement absurde. Il souhaite tout de même se lever, pour pouvoir bouger ses membres engourdis. Il essaie de ne pas la réveiller, bougeant le plus doucement possible. Soudainement un cri se fait entendre et elle sursaute immédiatement. Elle est réveillée, un peu perdue quand même, et s'excuse de s'être endormie sur lui. Il lui assure que ce n'est rien et se lève, saisissant son arme dans la foulée. Il rejoint l'entrée de la maison, Emily derrière lui, et ouvre la porte. Il remarque Declan devant son pick-up, accroupi et les mains sur les oreilles, se balançant d'avant en arrière. Emily le rejoint immédiatement, essayant de l'apaiser et de comprendre ce qui l'a mis dans cet état. Rossi jette un oeil aux environs. Devant l'écurie, un animal gît, du sang partout sur le sol. Sur la porte blanche, des lettres ensanglantées apparaissent. Il s'approche un peu plus.

On commence la partie ?

La phrase est écrite finement, sans aucune hésitation. L'écriture semble rapide, de part l'inclinaison vers la gauche de l'écriture ; cela montre une personnalité tournée vers le passé mais ayant une grande maîtrise de soi. Une présence de conflit intérieur se dessine dans cette écriture, tout comme un besoin de sauver les apparences. Ce qu'il montre au monde ne représente pas ce qu'il est intérieurement ; cela va donc fortement compliquer le profil puisque le moi intérieur et le moi social sont sans aucun doute aux opposés. Demander de l'aide aux habitants serait quelque peu compliqué. Cette personne savait brouiller les pistes. Elle savait se montrer sous un jour différent, pour éviter de dévoiler sa fureur intérieure. La formation de certaines lettres montre une rapidité dans l'enchaînement d'idées et donc une fragilité mentale, une forme d'impatience. L'auteur de cette phrase attend quelque chose, cherche à créer, mais il ne l'a toujours pas trouvé. Rossi est quelque peu dérouté par ce changement. Le tueur voulait provoquer des émotions ; ses mises en scènes provoquaient de l'horreur et du dégoût chez les personnes découvrant les corps. Son M.O était sûr et apprivoisé. Il avait tout fait pour qu'on se souvienne de lui pendant longtemps. Il avait choisi une petite ville où il ne se passait jamais rien qui plus est. Personne n'était habitué à de telles découvertes macabres. Voilà qu'il changeait d'approche. Signe d'impatience. Marque de lassitude.

Il s'approche de l'animal. C'est un cheval. Rossi soupire ; soit l'animal vient de l'écurie en elle-même, soit le tueur en a volé un dans les environs. L'animal est éventré, ce qui explique la mare de sang sur le sol. Le tueur n'a même pas hésité. L'incision est nette et précise. Le tueur a, avant tout, réussi à maîtriser l'animal. Rossi regarde les environs, essayant de comprendre comment l'homme avait pu faire cette mise en scène. L'approche d'une voiture les aurait forcément réveillé. Il avait fallu une source de lumière prolongée pour qu'il puisse voir ce qu'il écrivait et comment il positionnait l'animal. Il y avait trop de part d'ombre, de questionnements. Ce tueur connaissait les environs comme sa poche, arrivait à se faufiler n'importe où, à ne pas se faire repérer. Ils n'ont aucun élément depuis le début ; ce "fumier" - fulmina Rossi intérieurement - ne laissait rien au hasard.

Rossi remarque immédiatement des éléments inconnus dans le corps de l'animal. Il se baisse un peu plus, n'y touche pas: "-Prentiss! Venez là!"

Il l'entend se retourner vers lui et dire quelques mots à Declan. Il perçoit son regard quand il lève la tête ; elle éloigne Declan de toute cette horreur en l'incitant à entrer dans la maison - sans doute se sent-elle coupable de lui faire vivre quelque chose pareil. Elle s'avance alors vers Rossi qui lui fait signe de se baisser. Elle s'exécute et suit du regard ce qu'il lui montre. Elle est horrifiée.


Suite à son appel, l'équipe arrive dans les minutes qui suivent. Morgan et le Capitaine Smith arrivent les premiers. Rossi leur montre la scène de crime. S'en suit JJ et Reid, qui s'excusent du retard.

Rossi leur explique comment ils ont découvert ce massacre: "-C'est le gosse qui a trouvé le corps… Emily ne veut prévenir personne."

Le Capitaine Smith acquiesce: "-Les autres… ils ne l'aiment pas… ils cherchent un prétexte pour la faire partir d'ici.

-Comment ça?", questionne JJ.

"-Dans les petites villes, on n'aime pas trop les changements… les étrangers… enfin tout type de changement en fait.

-Mais elle est de la région… elle a grandi ici.", s'exclame Rossi.

"-Et elle est partie… pour eux, elle a ramené l'horreur ici… on n'a jamais vu des meurtres comme ça vous savez?

-Et le fait que le tueur l'a prenne pour cible…", commence Rossi.

-Hm. Vous avez compris."

Un silence se forme dans le groupe. Chacun analysant les environs. C'est Reid qui brise tout cela: "-Un membre de votre équipe aurait pu faire ça?

-Quoi!? Non!

-Je suis désolé mais on doit voir toutes les hypothèses… le mode opératoire est différent cette fois-ci."

Le Capitaine se passe une main sur le visage. Rossi remarque qu'il est encore plus épuisé que le premier jour où ils se sont vus. Il sait que ce n'est pas facile de diriger une équipe. Il faut combiner avec les humeurs des uns et des autres, avec leur hostilité face à l'étranger, en plus de gérer la hiérarchie complètement déconnectée du terrain qui a des attentes utopistes. Il plaint l'homme. Il pensait sans doute vivre une pré-retraite tranquille et sans embûches. C'est raté.

Morgan s'approche de la porte de l'écurie: "-Vous pensez qu'il a utilisé le sang de l'animal?"

Rossi acquiesce: "-Il a pris son temps. Il a amené la bête, l'a tué et… a écrit ça.

-Il est en plein conflit", souligne Morgan.

"-A quoi vous voyez ça?", questionne Smith.

"-L'écriture est vers la gauche donc vers le passé. Il est tiraillé entre son passé et le présent.

-Vous pouvez dire ça à partir de son écriture?

-La formation des lettres, l'inclinaison de certaines lettres… tout ça nous apporte un peu plus d'éléments sur lui."

Smith est sceptique mais ne dit rien de plus. Rossi note qu'il est dépassé mais qu'il leur fait confiance. Il ne semble pas savoir quoi faire: "-Vous savez, vous êtes excellent dans votre job ! J'ai vu votre dossier… Si on est là, c'est pour aiguiller vos recherches et vous permettre de boucler cette affaire.", explique Rossi.

L'homme lui sourit: "-Je vous avoue que… je suis perdu… tous ces nouveaux éléments…

-Ce n'est pas évident… Notre job est d'apporter une autre perspective et vous permettre de voir tout ça sous un autre regard.", développe JJ.

Rossi hoche la tête et remercie la jeune femme par un regard. Smith reprend: "-Si un membre de mon équipe est… lié… à tout ça…

-Ce n'est qu'une hypothèse.", commence JJ.

Rossi sait que c'est une information qui va le travailler et qu'il va sans doute rester figé dessus. Il essaie donc de ramener tout le monde vers un élément. Il s'accroupit: "-C'est là que ça se passe."

Des mouches commencent à voler au-dessus de la plaie. Rossi leur désigne ce qui les a perturbé avec Emily. Chacun s'abaisse et regarde la plaie béante. C'est Reid qui prend la parole en premier: "-Ce sont… des vêtements?"

Rossi soupire: "-Les siens…

-Vous voulez dire que?", commence Morgan.

"-Je ne sais pas comment mais le tueur lui a volé… ses vêtements… et les a mis à l'intérieur.", éclaircit Rossi.

-C'est qui ce taré? C'est pas possible… toute cette mise en scène...", se scandalise le Capitaine Smith.

"-Attendez…". JJ s'approche un peu plus de l'animal. Elle sort un gant de sa poche et saisit quelque chose dans l'intérieur de la plaie. "-C'est qui là-dessus?"

Rossi n'y a pas fait attention, mais une photo est présente également dans la plaie, au milieu des vêtements imbibés de sang. C'est une photo Polaroid, qui est recouverte de sang. Il prend un mouchoir en tissu dans sa poche et essuie la feuille glacée. On y voit un homme. Attaché et inconscient de toute évidence. Un bâillon sur la bouche, les bras derrière le dossier de la chaise, les jambes attachées par de la corde. L'endroit où il est enfermé est sombre. La photo Polaroid n'est pas d'excellente qualité, ce qui va rendre compliqué la reconnaissance de certains éléments pour localiser la victime. Rossi regarde la photo de plus près: "-C'est pas vrai!"


Il trouve Emily installée sur le plan de travail de la cuisine, assise en tailleur. Une tasse de café fumante dans les mains, les yeux dans le vide, l'esprit perdu dans ses pensées. Il s'approche d'elle et pose une main sur sa cuisse: "-Emily?"

Elle sursaute légèrement et s'apaise en le voyant. Leurs regards se croisent et s'accrochent. Il lui offre un sourire en coin. Elle le lui rend, remet une mèche de cheveu derrière son oreille. Elle pose sa main sur la sienne. Il est surpris. Apprécie le contact.

"Où est Declan?", demande-t-il.

"-Je lui ai dit de rentrer… j'ai prévenu Leanne… il est… bouleversé."

Il hoche la tête, comprenant l'état d'esprit du garçon. Se retrouver face à une scène pareille est vite paralysant, même lorsque l'on a l'habitude de l'horreur. Il soupire. Lève les yeux. L'observe. "-On a découvert quelque chose.", murmure-t-il.

Elle ouvre plus grand ses yeux. Il remarque les billes marrons. Elles ont un certain éclat, recouvert de peur. A l'heure actuelle, la jeune femme est terrorisée. Elle ne doit plus savoir à qui faire confiance, à qui se confier. Son cerveau doit être en train de tourner à plein régime, se demandant qui elle a pu froissé autant. Bien qu'elle semble être protégée par une carapace immense et solide, la découverte de ces différents cadavres la fissure un peu plus chaque jour. Pour comprendre ce qu'il se passe, pourquoi quelqu'un lui en veux autant, ils vont devoir chercher loin. Pas sûr qu'elle accepte qu'on infiltre sa vie, de A à Z. Elle va chercher à se protéger, à dévoiler le strict minimum pour sa survie à elle. Ils vont être contraints de faire des recherches dans son dos… elle ne va pas apprécier. Il est persuadé qu'elle cache des choses dures et innommables. Elle a besoin de se préserver, de se protéger. Il connaît ce sentiment, puisqu'il l'a longtemps habité. Mais il sait que c'est plus douloureux au quotidien ; le fait de ne jamais se lier et se confier vous ronge et vous détruit lentement. Elle allait devoir accepter de fendre l'armure.

"-Quels sont vos rapports avec Josh?", attaque-t-il.

Elle se détache de son contact, ramenant ses jambes un peu plus vers elle, repliée en foetus sur son comptoir. Immédiatement, elle semble plus dure et renfermée: "-En quoi ça vous concerne?"

Il soupire, s'éloigne, s'installe sur l'un des tabourets de la cuisine. Son contact lui manque dans la seconde: "-Ecoutez, ça ne m'enchante pas de fouiller dans votre vie… mais le fait est que vous êtes la cible de ce dingue… si vous ne dites rien…

-En quoi Josh est mêlé à tout ça? Si vous insinuez que c'est lui qui m'en veut, c'est ridicule. Il serait incapable de faire ça.

-Ce n'est pas ce que j'ai dit…

-Alors que dites-vous? Vous le pensez mêlé à tout ça. Je veux bien qu'il soit arrogant, prétentieux, con sur les bords… mais assassin… non!". Elle s'arrête quelques instants avant de reprendre. "-Je m'en serais rendue compte… on a… enfin on vivait pratiquement ensemble…

-Ecoutez… ce n'est pas ce que j'ai dit. Il n'est pas coupable, loin de là."

Elle penche la tête sur le côté. Un éclair passe dans son regard: "-Attendez… qu'est-ce que vous ne me dites pas?"

Il baisse le regard. Désolé. A l'instant où il perçoit son regard, il est navré. Cette nouvelle va la détruire encore plus. C'est la première fois de sa vie qu'il se trouve désemparé face à une victime. Oui, une victime. Il vient de nommer ce qui lui faisait peur. La femme forte devant lui est une victime. Elle est prise pour cible, et pour atteindre son but, le tueur n'avait rien trouvé de mieux que de détruire le peu d'existence qu'elle avait. Il avait remarqué qu'elle ne se liait pas facilement. Mais elle vivait avec Josh. Elle avait fait tomber l'armure, et maintenant il devait lui annoncer que ça avait sans doute été sa faille, ce que le tueur avait perçu pour la détruire un peu plus. Il lève soudain le regard: "-Il veut vous détruire.

-Je vous demande pardon?

-Mais oui, c'est évident!", s'exclame-t-il.

"-Je ne vous suis pas."

Il s'approche d'elle, la force à se décaler un peu et s'installe sur le plan de travail: "-Écoutez… il vous connaît, là dessus on est d'accord… Il a massacré des gens que vous connaissez, en qui vous avez confiance. Je me trompe?

-Et bien…

-Non. Attendez… Vous ne vous liez pas. Ca vous terrifie tout ça… les relations sociales je veux dire.

-Où vous voulez en venir?"

Elle semble agacée. Il essaye de faire abstraction du fait qu'il ne veut pas la blesser. Il sait qu'il énumère des choses qui ne font pas forcément plaisir, mais il faut les dire, il faut qu'elle prenne conscience de son implication dans le plan de l'assassin: "-Il vous connaît. Il connaît votre peur du monde.

-Je n'ai pas peur.", l'interrompt-elle.

Elle remarque soudain les 5 agents présents dans le salon: "-C'est quoi ce bordel?

-Faites abstraction 5 minutes."

Il balaie ses interrogations rapidement et revient au fil de sa pensée: "-Vous contrôlez tout. Ce n'est pas un défaut. Mais vous vous empêchez de vivre… de ressentir… Il vous connaît, il connaît la faille.

-Quelle faille?

-Le peu de confiance que vous avez en l'espèce humaine."

Il laisse les mots en suspens, pour qu'elle prenne la portée de tout ce qu'il vient de lui dire. Il pose sa main sur la sienne. Elle lève les yeux pour se plonger dans les siens: "-Il veut me détruire.

-Oui!

-Il veut… me voir m'enfoncer."

Rossi acquiesce et l'écoute reprendre: "-Il détruit mes repères… il saccage ce que j'ai construit… il…

-Il veut vous voir au plus mal… pour mieux savourer votre mort.", souffle-t-il.

Horrifiée, elle pose une main sur sa bouche. Elle vient de comprendre. Elle assimile la nouvelle. Il va lui enlever chaque personne auquelle elle tient pour venir la tuer ensuite.

"-Il était là quand vous avez découvert votre père… il avait besoin de vous voir vous effondrer… et vous vous êtes relevée.", dit-il, coupant le contact visuel avec elle. Il s'en veut de lui faire revivre cette découverte macabre mais c'est nécessaire.

"-Quoi?

-Vous avez repris le dessus après la visite de Leanne… ou plutôt vous avez fait illusion… mais il ne le perçoit pas comme ça.

-Il pense que ça ne m'a pas atteint.

-Et il va frapper plus fort."

Il lui tend enfin le Polaroid. Maintenant qu'ils ont compris les motivations du tueur, ils vont pouvoir avancer. Le traquer. Le descendre. Il lève soudainement la tête pour la regarder, effrayé par la pensée qu'il vient d'avoir. Pourquoi voudrait-il tuer cet assassin? Ce ne doit être que le dernier recours, s'il ne se laisse pas appréhender, s'il réplique, s'il... Et en se plongeant dans son regard, il comprend: il ne veut pas que quelque chose lui arrive. Il serait prêt à tuer pour elle.