Enervé, il passe un grand coup sur sa table envoyant valser les verres, journaux, pinceaux et autres babioles qui traînaient là. Il pensait tenir sa vengeance mais elle semblait plus coriace. Un élément doit lui échapper. Il ne comprend pas que la disparition de son fiancé ne l'affecte pas, ne la plonge pas dans les ténèbres. Au lieu de ça, elle roucoule avec Mr FBI, partage des moments complices, dort avec lui. Il fulmine. Et soudain ça lui apparaît, clair comme de l'eau de roche. Il va falloir frapper un grand coup. Il saisit un couteau de cuisine sur l'égouttoir. Se dirige vers la porte qui mène à la cave. Sourit à pleines dents… si jouissif!


Les rayons du soleil passent à travers les rideaux, venant la réveiller délicatement, tranquillement. Pour la première fois depuis très longtemps, elle a dormi d'une traite, sans cauchemars, sans coupures, sans réveil en sursaut ou coups envoyés dans le vent. Un vrai sommeil, profond et réparateur. Elle commence à s'étirer, mettant ses mains au-dessus de sa tête. Son corps se cogne à quelque chose. Elle s'arrête, se demandant ce qui la bloque. Elle ouvre les yeux et voit une main recouvrir son ventre et la tenant sur les côtes. Elle essaie de bouger délicatement. Cela semble éveiller l'extrémité de l'avant-bras ne lui appartenant pas. Avec ce mouvement, une légère caresse la surprend et elle émet un léger cri. Un mélange de surprise et de plaisir.

"-Désolé."

La voix grave et encore endormie de David Rossi la fait sourire. Il va pour enlever sa main mais elle la saisit et la repose là où elle était au réveil. Dans cette étreinte, elle se retourne pour lui faire face. Leurs regards se croisent. Il est encore tout endormi, ses paupières sont toujours closes et un sourire commence à s'étirer sur ses lèvres. En l'observant, elle se rend compte qu'il a un visage dur mais rassurant. Son travail l'avait forgé, l'avait forcé à se créer une carapace. Mais endormi, ses barrières sont baissées. Il se montre détendu et apaisé. Elle imprime son visage dans son esprit, ne comprenant pas pourquoi elle ressent des petits fourmillements dans son estomac. Cela fait longtemps qu'elle s'était interdite de ressentir quoi que ce soit. Même avec Josh, elle n'avait jamais été honnête. Elle se pliait à ses demandes, ne cherchait jamais à contredire ses propos. Elle était lisse et insipide. Là, à l'instant présent, dans les bras de David Rossi, elle se sent vivante et entière. Ressentir cela lui forme une boule d'angoisse dans le creux de l'estomac. Elle est soudain prise de questionnements et d'incertitudes. Comment les choses peuvent-elles être vécues de la sorte avec quelqu'un que l'on ne connaît pas? Ils avaient peu parlé, n'allant jamais plus loin que les barrières de l'autre l'exigaient.

Elle soupire, se frappant mentalement de ne pas profiter de l'instant T. Rossi ouvre les yeux, soudain bien réveillé. Il la sonde, cherchant à savoir ce qu'elle pense. Elle lui sourit faiblement et, tremblante, pose sa main sur sa joue.

"-Bonjour…"

Il sourit à son tour: "-Arrêtez de réfléchir."

Elle rit de bon cœur. Son travail de profiler lui permet de détecter les moindres changements chez les gens. Il est bon, très bon. Elle l'observe, encore pendant de longues minutes, et il fait de même. Ils profitent tout simplement de l'instant intime qu'ils partagent. L'espace de ce temps suspendu les éloigne des crimes, des vengeances, des terreurs.

La veille, ils s'étaient posés dans le salon. Il n'avait pas parlé de l'affaire, il savait qu'elle était suffisamment chamboulée. Elle s'était libérée et avait échangé sur des moments de son enfance, lui racontant les instants où son père lui rendait visite, les journées au ranch après l'école, la cuisine de son grand-père. En l'écoutant, il n'avait pas compris, mais il se sentait totalement subjugué. Il aimait la facilité avec laquelle elle se confiait et l'amenait à se confier lui aussi. Il avait profité de l'instant pour lui parler de l'Italie et de son enfance, de l'immigration aux USA et du changement que cela avait opéré chez ses proches.

Ils avaient enchaîné les cafés, avaient été voir les chevaux tout en continuant de parler. Ils s'étaient posés sur les marches du perron pour regarder les étoiles et leur réverbération dans le lac. Il avait mis sa main sur la sienne. Elle avait enlacé leurs doigts. Et ils ne s'étaient pas quittés. Elle avait commencé à bailler, la tête posée sur son épaule. Il avait déposé un baiser sur le haut de son crâne. Il l'avait incité à se lever et, toujours main dans la main, ils avaient rejoint sa chambre. Ils avaient fait leur petite routine du soir et s'étaient rejoints dans le lit. Ça avait été si simple. Il n'y avait pas d'appréhension. Ils s'étaient blottis l'un contre l'autre, et le sommeil les avait gagnés. C'était simple, c'était doux. Et chacun avait dormi à poings fermés, se sachant en sécurité.

A l'heure actuelle, ils savent qu'ils doivent se lever pour continuer d'enquêter. En parlant la veille, Rossi avait noté des petites choses et il voulait l'amener à se confier plus, pensant que ça pourrait avoir un lien avec leur enquête. Il ne préfère pas lui en parler, pour ne pas lui faire de faux espoirs en pensant être arrivé à la conclusion de cette enquête.

Il caresse sa joue. Elle rit puis détourne son regard. Elle se lève et rejoint la salle de bain. Il se surprend à apprécier ces moments. Cependant il sait qu'il ne la connaît pas et inversement, qu'elle recherche du réconfort suite aux derniers événements. Lorsqu'elle aurait retrouvé Josh, les choses seraient immédiatement différentes… il en mettrait sa main à couper. Il essaie de ne pas y penser et s'habille en vitesse, allant ensuite dans la cuisine pour préparer le petit déjeuner. Il fouille un peu dans les placards, histoire de préparer quelque chose de mangeable. Il remarque bien vite que les placards sont quasiment vides, hormis quelques bocaux qui se battent en duel. Elle ne devait pas être là très souvent… ou elle mangeait peu. Cela ne l'étonnerait pas puisqu'il ne l'avait pas vu manger souvent depuis qu'il était ici. Ils s'étaient arrêtés à une épicerie le premier jour, mais pourtant elle n'avait pas préparé autre chose que du café. Il devrait y remédier, le temps de sa présence.


Une fois prêts, ils prennent la voiture. C'est Rossi qui conduit. Il prend les rênes de la destination, ne les amenant absolument pas vers le poste. Il reçoit, tout comme elle, des coups de fils de l'équipe ou du Capitaine Smith. Mais ils ne répondent pas. Emily lui fait confiance. La main de Rossi posée sur sa cuisse la rassure. Il forme des petits cercles avec son pouce. Elle se surprend à apprécier ce contact. Elle a toujours eu tendance à s'éloigner des gens, à refuser tout contact physique. Avec lui, les choses sont différentes. Et elle est surprise d'agir et réagir ainsi ; elle le connaît à peine et pourrait lui confier sa vie les yeux fermés. Elle ne sait pas quelle sorte de pouvoir il exerce sur elle, mais de toute évidence il sait comment l'apaiser, la mettre en confiance, l'amener à se confier. Pourtant, dès son arrivée, elle l'avait mis dans la case des cons et arrogants de première… les fédéraux et leur égo surdimensionné. C'était bien mal le connaître. Au bout d'à peine quelques jours, il s'était montré présent, analytique, confiant.

Roulant vers une destination qui lui est encore inconnue, elle se laisse aller à regarder le paysage. Des champs à perte de vue. Elle ne sait pourquoi mais elle en vient à se questionner sur sa vie et son exil dans le Montana. Des années auparavant, elle est revenue ici, souhaitant retrouver sa "famille" et exercer le travail qu'elle aimait. Elle avait fait le choix d'aider les autres, pour tenter de transmettre les valeurs toujours inculquées par son grand-père. Il était taiseux, comme elle. Et pourtant, en le regardant faire, tout semblait simple. Il était le premier à aider ses voisins, à accourir à la moindre alerte, à donner aux personnes dans le besoin que ce soit en ville ou à la messe. Il lui avait transmis tout ça, au contraire de sa mère. Cette femme froide et insensible ne voulait qu'une carrière. A la minute où cela avait été possible, elle l'avait abandonné. Emily se remémore le jour où elle a dit adieu à ses parents, leur jetant à la figure les années de souffrances qu'ils lui avaient imposées pour la montrer au monde et servir une image factice de famille parfaite. Et soudain…

"-Arrêtez-vous!"

Le regard surpris de Rossi lui est invisible à ce moment. "-Arrêtez-vous! Vite!"

Il s'exécute, se garant sur le bord de la route. Elle détache sa ceinture à toute vitesse et sort du SUV. Elle regarde les paysages autour d'elle, comme perdue. Elle passe une main dans ses cheveux, les ramenant en arrière, tout en jurant: "-Merde! Mais bordel de merde! Nom de Dieu!"

Rossi apparaît devant elle. Il est inquiet: "-Hey! Ça va?"

Elle secoue la tête: "-Je n'y ai pas pensé. Je n'y ai absolument pas pensé… et tout est de ma faute."

Elle voit dans son regard qu'il est perdu. Perdu et inquiet pour elle. Elle se met soudain à fondre en larmes, sans s'y attendre, se jetant dans ses bras. L'angoisse la submerge. Elle se cache dans son cou, respirant son parfum. Ses mains à lui sont fortes et se calent de part et d'autre de ses côtes. Elle se moule un peu plus dans son étreinte, essayant de retrouver une respiration plus calme.

Quand elle revient à une respiration moins hachurée, elle se détache de lui: "-C'est de ma faute. Je crois savoir qui est responsable de tout ça."

Il la regarde dans les yeux: "-Allons-y par étape, ok? En quoi ce serait de votre faute?"

Elle commence à faire les cents pas: "-À l'ambassade… Mais comment j'ai pu oublier ce détail!?"

Elle s'arrête et lui sourit tristement: "-Quand je suis partie, quand j'ai quitté ce monde politique… ma mère venait de… enfin elle avait fait une "bonne action". Ils ont adopté un enfant."

Rossi la regarde: "-Ca colle… mais vous savez ce que ça implique?

-Il a tué… pour se venger de mon départ… de mon abandon… C'est logique! Je m'occupais tout le temps de lui… on faisait tout ensemble.

-Il s'est senti rejeté une fois de plus…", décrit Rossi. "-Mais vous n'êtes pas responsable!"

Elle secoue la tête négativement. A cet instant, qu'importe ce qu'on tente de lui dire, elle se sentira coupable. Elle est la clé depuis tout ce temps. La réponse est devant son nez depuis si longtemps. Durant ses dernières années auprès de ses parents, elle avait été rebelle, cherchant à leur faire comprendre qu'elle existait. Elle voulait les faire réagir pour qu'ils assimilent que leur image de fille parfaite était une façade. Elle avait longtemps joué avec les services de protection de l'ambassade. Elle avait fui tout ça dès qu'elle avait pu en rejetant la faute sur ses parents. Ils étaient la cause de ses souffrances, de ses incompréhensions. Mais en agissant ainsi, elle avait laissé derrière elle ce frère qui lui avait été présenté. Ils avaient mis longtemps à s'apprivoiser. Chacun jugeait l'autre, sur des actes et dires. Mais c'est l'ambiance pesante de cette vie familiale qui avait créé cette ambiance. Ils avaient fini par le comprendre et s'entendre à merveille. Emily s'était montrée protectrice, confidente. Et elle avait tout envoyé valser.

Ce frère connaissait sa vie dans le Montana. Elle lui en avait souvent parlé, promettant de l'y amener un jour. Elle lui avait expliqué ses camarades de classes, ses moments avec son grand-père, ses concours d'équitation… tout. Il se vengeait de son bonheur. Ces meurtres sont un moyen de lui rappeler qu'il existe, et qu'elle a failli à sa promesse.

"-Il a tué tous ces gens… à cause de moi. Il veut… il veut que je sache qu'il est là."

Rossi acquiesce: "-Pour lui, vous l'avez abandonné et oublié. Il veut vous voir souffrir."

Elle prend ses mots. Ce qu'il dit est vrai. L'espace d'un instant, elle prend conscience qu'elle n'avait plus repensé à lui depuis des années. Elle a refait sa vie, aussi imparfaite soit elle. Il est temps qu'elle se souvienne, qu'elle affronte son passé.

Elle regarde Rossi dans les yeux: "-Qu'est-ce qu'il va lui arriver maintenant?

-Ecoutez… on va le trouver et il va payer pour ses crimes. Vous en êtes consciente?"

Elle hoche la tête: "-Il ne se laissera pas faire… il veut me voir détruite… il ne se laissera pas prendre sans…"

Rossi pose ses mains sur son visage, la forçant à le regarder dans les yeux: "-Il ne vous touchera pas, c'est compris? S'il veut vous atteindre… il devra me passer sur le corps… je ne le laisserai pas faire!"

Elle ne devrait pas mais elle sourit. Cette semi-déclaration la touche, la rend heureuse. Alors, elle ne sait pas pourquoi, mais elle lui répond: "-Je ne le laisserai pas vous atteindre. Jamais."