SCENE 3

Une petite conversation bien utile

Un matin, Harry se réveilla de bonne heure, frais et reposé, et surtout l'esprit libre. Et quoique sa première pensée fût pour Draco, iI ne se souvenait pas d'avoir rêvé de lui, ce qui ne s'était pas produit depuis plusieurs semaines.

'C'est encourageant,' se dit-il. 'La malédiction commence peut-être à s'estomper ! Il était temps ! J'ai bien cru un moment que j'en deviendrais fou… Il faut immédiatement que j'en discute avec … Draco ! Vite ! Debout ! Il doit se demander pourquoi je ne l'ai pas encore rejoint.'

Il se leva et s'habilla en toute hâte, avec une seule idée en tête, un seul visage à l'esprit : celui de Draco. Bizarrement, il ressentait maintenant au creux de l'estomac comme un point brûlant qui le poussait à rejoindre au plus tôt la salle de bain des préfets. Cette sensation était nouvelle, et fort inquiétante. Il lui semblait soudain que l'urgence qu'il ressentait d'habitude à rejoindre Draco s'était cristallisée durant la nuit en une petite boule chaude et vivante, qui habitait son ventre. L'espace d'un instant, il imagina : 'Je suis enceint', et cette idée ridicule, loin de l'amuser, lui fit dresser les cheveux sur la tête.

'Je deviens fou ! A l'aide, quelqu'un ! Il faut que je réagisse avant que cette … chose ne me dévore de l'intérieur ! Lupin ! Je dois lui parler au plus vite.'

Réfrénant à grand peine l'irrésistible besoin de se rendre à son rendez-vous matinal habituel, il dirigea ses pas vers l'appartement du professeur de DADA. Ses jambes lui semblaient tout à coup bien lourdes, comme douées d'une volonté propre, contraire à la sienne. C'était clair : la malédiction avait bien commencé à prendre une nouvelle forme, terrifiante et terriblement dangereuse. Il était véritablement en train de perdre le contrôle de son propre corps. La peur qui l'envahit à cette idée l'aida à reprendre sa marche. La concentration qu'il devait mettre à faire obéir ses jambes faisait perler la sueur sur son front. Enfin, la porte de Lupin apparut à ses yeux. Il respira plus librement, et frappa.

La porte s'ouvrit brutalement, et le pria d'entrer. Assis devant un bureau chargé de liasses de parchemins, Lupin paraissait fatigué. Il avait probablement passé une bonne partie de la nuit à travailler. Harry se surprit à penser que la vie de professeur, fusse-t-elle à Hogwarts, ne devait pas être aussi excitante que les élèves se l'imaginaient généralement. Sur un geste de son professeur, Harry s'assit en face de lui, dans un profond fauteuil de cuir défoncé qui l'avala presque tout entier. Intimidé, il se redressa le plus possible et toussota.

'Alors, Harry, tu te lèves de bon heure, à ce que je vois ! Un entraînement de quidditch prévu ce matin ?'

'Non, professeur. En fait, je voulais vous voir à propos de… d'un ami … enfin de quelqu'un que je connais qui a des ennuis. De sérieux ennuis.'

'Je t'écoute. Tu sais que tu peux tout me dire… Les ennuis, ça me connaît !'

'Voilà ! Euh, c'est difficile. Je ne sais pas très bien par où commencer. L'ami en question a eu l'imprudence de goûter à quelque chose …euh … d'interdit. Le problème, c'est que ça a très mal tourné. Il ne sait pas comment s'en sortir. J'ai même l'impression qu'il veut de moins en moins s'en sortir. Et puis, il y a une autre personne en jeu. Vous comprenez ? Et cette autre personne commence elle aussi à ressentir la même chose et…'

'De quoi parles-tu exactement ? Sois plus clair ! N'aie pas peur d'appeler un chat un chat.'

'D'amour, il s'agit d'amour !' Harry se tue. Il retomba comme un ballon qui se dégonfle, au fond du grand fauteuil. Il lui sembla qu'il avait tout dit. Lupin comprendrait. Lupin l'aiderait. La boule qui remuait dans ses entrailles disparaîtrait et il pourrait recommencer à haïr Draco, son ennemi juré. La vie serait belle à nouveau. Les injures, les bassesses, les échauffourées à la sortie des cours. Chez Slytherin et Gryffindor, les deux fan clubs reprendraient enfin leurs saines activités sous la direction de leurs duellistes vedettes respectifs. Il eut un vague sourire, ou était-ce une grimace…

Lupin lui aussi s'était adossé à son haut fauteuil de cuir rouge. Il regardait ce gamin effaré, mal à l'aise dans ses seize ans, qui venait vraisemblablement de découvrir les premières atteintes de l'amour et qui se croyait irrémédiablement perdu.

Penaud, Harry commença à raconter comment la perte de substance voulue par 'l'ami' en question s'était transformée en un amour si fort qu'il faisait perdre tout sens des réalités, non seulement au dit 'ami' mais aussi à 'l'autre personne'.

Lupin n'écoutait que d'une oreille. Le regard d'Harry lui rappelait tant celui de son père, James, au même âge, quand il avait pris conscience qu'il était amoureux de Lily. Mais Harry ne subirait pas de sa part ce que la bande des maraudeurs avait fait endurer à James. Leur immaturité et leur malice les avaient fait se conduire en parfaits salauds envers leur ami, qui d'ailleurs n'en avait pas trop souffert, enfermé qu'il était dans un nouveau monde où gamineries et plaisanteries de potaches n'avaient pas plus d'impact que son premier sarbacano-gomme. Il eut un petit gloussement en revoyant la tête de Dumbledore quand il avait sorti ce nouveau bonbon dans son cours. Son tout premier sarbacano-gomme, bonbon à mâcher qui faisait fureur à l'époque de ses onze ans, était censé envoyer sur le jeune Severus Snape une boule de matière présumée indélébile qui avait lamentablement échoué au milieu de la classe. Le seul effet notoire de ce bonbon, maintenant interdit par le règlement de l'école, avait été visible des années durant sous la forme d'une tache verdâtre sur le sol de la classe de DADA.

'Il faudra que je vous parle un jour des effets à long terme de certaines substances. Tu sais, mon garçon, rien n'est jamais éternel et même les plus mauvaises plaisanteries ont une fin. Ce que tu me dis là, Harry, ne me semble pas bien méchant, au fond. Je connais bien ce genre de choses et je peux t'assurer que tout rentrera dans l'ordre très vite. L'essentiel, c'est d'apporter un soutien indéfectible à ton 'ami'. Confiance ! Mais avant tout, agissez avec discrétion. Inutile d'ébruiter ce qui risquerait de porter préjudice à la bonne réputation de l'école. Bien ! Content d'avoir ta confiance, Harry ! Maintenant, tu m'excuseras, mais je dois aller chercher …'certaine potion' auprès de notre spécialiste local ! Discrétion, mon garçon, discrétion !'

Sur ce, Lupin se leva, indiquant de la main la direction de la porte à un Harry entièrement rasséréné. Lupin l'avait compris, Lupin allait l'aider. Une potion, il allait leur commander une potion qui arrangerait tout. Bientôt, le cauchemar prendrait fin. Un large sourire aux lèvres, il rejoignit en courant celui qui l'attendait inévitablement dans la salle de bain des préfets.

Un léger sourire nostalgique flottant sur ses lèvres, Lupin retourna à son travail. Il lui fallait donner toutes les indications nécessaires à sa plume correctrice, afin qu'elle lui fasse un compte-rendu succinct de chaque copie, avec ses points forts et ses faiblesses, lui évitant ainsi la fastidieuse lecture des platitudes sans cesse répétées des élèves. Puis il déposa la pile de parchemins à noter sur son bureau. Tandis que véloce et sans état d'âme, la plume s'affairait sur les premiers devoirs, Lupin s'attardait à la fenêtre, les yeux levés vers la lune encore visible dans le ciel matinal. Il lui faudrait aller trouver le brave Snape aujourd'hui, pour la potion qui le protégerait de son maléfice à lui, l'empêchant une fois encore d'abandonner sa conscience et son corps au loup-garou. Lupin fronça les sourcils à l'idée d'avaler le déplaisant breuvage, dont il lui semblait que l'amertume allait croissant au fil des mois. Il se demanda si Snape y avait sa part de responsabilité, ayant trouvé ainsi un moyen sournois de se venger des tourments que lui et ses amis lui avaient infligés dans leur jeunesse, ou si son propre corps commençait à montrer de dangereux signes de rejet au remède. 'Décidemment,' pensa-t-il, 'mes malheurs sont autrement plus sérieux que ceux de ce cher Harry.'

Comment aurait-il pu se douter un instant, aveuglé qu'il était par ses propres soucis, que le jeune homme était effectivement au bord d'un tel gouffre que toute autre contingence, comparée à celle-ci, paraîtrait bientôt ridiculement insignifiante ?