SCENE 6

LES LIENS D'EROS

Ce premier matin de vacances ne fut pas une délivrance pour Draco. Il avait passé une nuit agitée, hantée de sombres formes vaporeuses qui rôdaient autour de lui en un tourbillon incessant, se rapprochant inéluctablement. Des doigts immatériels avaient cherché sa gorge, des éclairs noirs avaient tenté de percer ses yeux. L'image fugace du visage d'Harry ne cessait d'apparaître et de disparaître, tantôt fendue d'un rictus sauvage, tantôt déformée sous l'effet d'une souffrance insoutenable. Chaque fois qu'au seuil du réveil il avait lutté pour émerger de cet océan de douleur, un engourdissement surnaturel s'emparait de lui et l'entraînait à nouveau plus profond. Enfin, ses rêves l'avaient abandonné épuisé, couvert d'une sueur glacée. Il tremblait de tout son être et il lui fallut prodiguer de douloureux efforts de volonté pour quitter la couette, la chambre vide et la maison Slytherin, dont il semblait qu'il était aujourd'hui le seul occupant. Ses camarades avaient presque tous rejoint leurs familles pour ces vacances de printemps mais il n'en avait cure. Il avait préféré rester seul, en proie à son obsession croissante, plutôt que de retrouver le domaine familial, une mère trop occupée à ses mondanités et un père dont il sentait le pesant mépris l'écraser un peu plus année après année.

Il se traîna jusqu'à la salle de bain des préfets, les tempes douloureuses et la tête emplie du battement sourd qui lui était devenu si familier depuis cette nuit dans la forêt où il avait rencontré Potter. Vêtu d'un seul peignoir qu'il serrait contre lui convulsivement, il prononça l'ordre d'ouverture de la porte d'une voix blanche. Il entra, pris subitement de panique à l'idée qu'il ait oublié de demander à Harry de le rejoindre. Ses tremblements s'accentuèrent encore et ses jambes manquaient de s'écrouler sous lui à chaque pas. Il atteignit la baignoire et réussit à se glisser dans l'eau chaude et parfumée. La sensation d'apesanteur lui procura un répit bienfaisant et son esprit retrouva un instant de clarté. Il se laissa couler dans l'eau, les yeux ouverts, et se sentit mieux pour la première fois depuis des siècles.

'Potter, Gryffondor de malheur, je te hais tant que j'ai envie d'en mourir. Tu es ma némésis. Harry, ma tourmente, ma souffrance, rejoins-moi ! J'ai besoin de toi !'

Il ferma les yeux, pris du désir impérieux d'en finir là, maintenant, pour ne pas ressentir un instant de plus l'infamie de cet amour abominable. Mais la nausée s'empara de lui et il sortit la tête de l'eau. Devant lui se tenait Harry qui le fixait de ses yeux verts.

Draco sentit son corps s'enflammer, son sang bouillant dans ses veines martelait ses tempes. De nouveau ce sentiment d'amour irrépressible l'envahissait tout entier. Comment avait-il pu haïr ce garçon ? Il était sa raison de vivre, son souffle vital, sa destinée.

Harry se glissa jusqu'à lui. Il sentit le remous de ses mains qui cherchaient son corps. Puis ses mains sur sa peau. Depuis quelques jours, un rituel s'installait. Harry venait nicher son nez dans son cou, à la naissance de son oreille et son souffle chaud lui procurait un plaisir si vif que son sexe se dressait instantanément, mais Harry ne réagissait pas. Alors il l'attirait contre lui, l'emprisonnait dans ses bras, tentait de n'être plus qu'un avec lui. Il aurait tant voulu fusionner avec lui pour toujours et faire taire la voix au fond de son âme qui rappelait que la séparation était chaque fois plus cruelle, plus insupportable. Harry semblait moins avide que lui de perdre sa propre identité. Il prenait un plaisir évident aux caresses, au contact prolongé de leurs deux corps dans l'eau chaude, comme deux jumeaux inséparables dans le sein du liquide amniotique. Mais c'était toujours lui qui s'arrachait le premier à leur chaste étreinte. Aujourd'hui, Draco maintint Harry contre lui quand il sentit venir le moment du déchirement redouté.

'Reste encore un peu, s'il te plaît. J'ai fait un rêve cette nuit qui avait l'air si vrai que je l'ai encore à l'esprit. Aide-moi à chasser ce mauvais rêve, Harry. Ne pars pas encore, nous avons tout notre temps aujourd'hui.' Sa voix s'était faite suppliante, caressante et sensuelle.

Harry eut l'air pensif. 'Le temps, c'est lui qui nous a,' remarqua-t-il. 'Tu ne trouves pas bizarre que les heures passent aussi vite quand on est ensemble ?'

'C'est parce que nous sommes si bien tous les deux…', murmura Draco à l'oreille d'Harry, avant de lui mordiller le lobe. Mais il continuait ses avances en pure perte.

Harry se dégagea, repoussant gentiment Draco. Son esprit s'était mis en route. Il sentait clairement ce matin que sa perception des choses avait changé mais n'arrivait pas à cerner le problème. 'Pour …pourquoi ai-je l'impression que … qu'avec toi les heures sont des minutes? Et toi et moi, ensemble… est-ce que c'est normal, dis-moi ? Et ces rêves que nous faisons …' Il sortit de l'eau et commença à s'habiller. 'Tu ne penses pas que quelqu'un a pu nous jeter un sort ?'

'Je ne te comprends pas, Harry. Tu te poses trop de questions. Pour moi, c'est simple : on s'aime et c'est tout.' Draco se dépêcha de suivre Harry. Le sang battait très fort à ses tempes et il se remettait à trembler de tout son corps à l'idée d'être éloigné d'Harry. 'Je ne me sens pas très bien. Accompagne-moi dans ma chambre s'il te plaît.' Il s'agrippa à son bras.

Harry finit par se laisser persuader qu'ils n'étaient victimes d'aucun sort, que tout était parfaitement normal. Par moment, des images floues lui venaient à l'esprit, dont il ne savait pas si elles appartenaient à son passé ou à ses rêves. Il avait des visions étranges : Draco lui crachant des insultes ; Draco venant d'avaler le contenu d'un flacon et l'embrassant de force ; Draco son ennemi juré. Mais il savait à quel point c'était ridicule. Il était attaché à Draco depuis toujours. Il aimait Draco. Il l'avait toujours aimé.

La journée passa si vite que c'en était troublant. Harry se sentait vivre au ralenti. Mais la nuit tombait et peu à peu, une seule chose s'imposait à lui : il voulait dormir dans les bras de Draco.

Il frissonna. Un froid mortel se répandait en lui. Il avait son origine dans la boule qui habitait dans son ventre. Draco lui prit les mains : 'J'ai tellement froid ! Réchauffe-moi Harry !' Il l'amena vers le lit. Ils se glissèrent sous la couette et s'enlacèrent. Mais ils ne se réchauffaient pas. Ils arrachèrent leurs vêtements et se lovèrent l'un contre l'autre. Alors seulement ils sentirent le froid reculer. Accompagnant leurs caresses, des vagues de chaleur les balayaient. Bientôt, c'était un feu brûlant qui les dévorait. Leurs lèvres tentaient vainement d'éteindre ce feu ravageur et lorsqu'enfin leurs corps n'en firent plus qu'un, Draco sentit couler en lui la lave bouillonnante qu'Harry déversait entre ses reins. Ils firent l'amour toute la nuit, chauffés à blanc par les vagues successives de leur passion.

Le matin les laissa épuisés, tremblant de fièvre et de fatigue. Ils s'endormirent dans les bras l'un de l'autre. Ce fut le froid du soir qui les réveilla. Un froid qu'il fallait repousser…