SCENE 7

UN SORCIER TRES COOPERATIF

Le temps passait décidemment trop lentement, pensait Ron, impatient de trouver enfin un remède à la malédiction qui frappait son ami. Il le voyait très peu. Harry n'avait pas dormi dans son lit depuis le début des vacances et cela chagrinait Ron au plus haut point. Et chaque fois qu'il réussissait à le repérer au détour d'un couloir, toujours flanqué de Draco, il disparaissait comme par enchantement sans qu'il ait pu même lui parler. Harry et Draco devaient s'être trouvé un lieu protégé par magie pour perpétrer ensemble il ne savait quel rituel malsain ou pire encore --mais Ron n'osait y croire tant cela dépassait l'imagination-- vivre ensemble une relation perverse et passionnelle. Hermione n'avait, quant à elle, aucun doute à ce sujet et elle avait abordé la question avec un sang-froid qui le laissait perplexe. Elle lui avait reproché son étroitesse d'esprit et avait souligné que ce qu'il y avait de moins naturel, dans cette histoire, ce n'étaient pas vraiment ces amours particulières mais bien le fait qu'un philtre magique soit à l'origine de la passion soudaine d'Harry pour son pire ennemi, et réciproquement. Tout cela était bien difficile à admettre pour Ron mais si Hermione pouvait se contenter de cette étrange situation, alors il fallait qu'il fasse cet effort pour elle. Ce qui ne l'empêchait pas de redoubler de détermination à sortir Harry de là, coûte que coûte.

Et aujourd'hui était justement le jour J, celui où Azermius briserait à jamais leurs espoirs ou celui où il tirerait Harry de l'enfer dans lequel il semblait bien être tombé. Hermione était déjà prête à partir pour Hogsmeade quand il entra dans la salle commune des Gryffindors. Il avala un sandwich fait de toasts grillés garnis de marmelade, fit glisser le tout avec une tasse de thé qui faillit l'étouffer et suivit son amie qui s'impatientait. Pas plus que la semaine précédente ils ne rencontrèrent d'obstacles jusqu'à la grille de l'école et c'est avec un sentiment d'espoir mêlé d'une anxiété grandissante qu'ils se dirigèrent vers la masure d'Azermius.

Assis sur son banc, le vieil homme les attendait, arborant sur sa mine sale et édentée une grimace qu'il voulait sans doute accueillante. Les deux amis sentirent leur angoisse s'envoler au vu de ces chicots noircis et parsemés. 'Tout va bien se passer, ' ne cessait de ressasser Hermione en serrant convulsivement la main de Ron. Lui aussi se détendit en apercevant le bonhomme, mais il restait au fond de son esprit comme un germe de mauvaise augure qui s'acharnait à vouloir saper son moral. Avec Harry, rien n'était jamais facile et les épreuves qu'ils avaient subies ensemble, même s'ils les avaient passées avec succès, avaient toutes eu un tragique revers de médaille. 'Très bien ! Chaque problème en son temps,' se dit-il avec philosophie, 'ce qui compte, c'est qu'on s'en sorte cette fois encore, indemnes ou pas.'

'Approchez, mes amis. J'ai ce que vous voulez,' leur annonça le vieux sorcier. 'Avez-vous apporté la somme convenue ? Bien, bien…' ajouta-t-il en soupesant la bourse que Ron venait de lui remettre. Il avait emprunté cet argent à Harry sans le moindre scrupule. Après tout, lui-même n'avait jamais possédé autant d'argent et puis, il n'était que trop juste qu'Harry fasse les frais de sa propre guérison.

'Je vous avais dit que ce ne serait pas facile mais voyez-vous, j'ai en ma possession un vieux grimoire qui m'a souvent été bien utile, même s'il m'a valu des jalousies de la part de mes amis.'

Ron avait peine à imaginer quels sortes d'amis pouvait avoir Azermius, mais il balaya ces doutes pour se concentrer sur ce que le vieux racontait maintenant.

'La partie la plus délicate de cette affaire, c'est à vous qu'elle revient. Vous allez devoir persuader celui qui a avalé la Potion d'Amour Contraignant de boire ceci,' dit-il en leur tendant un petit flacon semblable à celui que Ron lui avait remis une semaine auparavant. 'Et ceci en présence, et avec l'assentiment et la pleine collaboration de l'autre – celui qui fait l'objet de l'obsession, je veux dire ! Vous m'avez bien compris jusque là ?'

'Oui,' déclarèrent Ron et Hermione en cœur, et Ron se dit qu'il fallait déjà pouvoir mettre la main sur eux et que cela n'allait effectivement pas être une mince affaire.

'L'autre devra prononcer une incantation dès que le premier aura fini de boire : c'est une incantation de renfort, ceci au cas où la quantité de potion serait un peu insuffisante. Je ne peux pas faire mieux puisque vous ne savez pas exactement depuis quand les deux personnes sont sous le charme. Et je ne peux pas augmenter la dose, les effets secondaires risqueraient d'être très fâcheux. Voici le parchemin avec l'incantation. N'oubliez pas ! C'est l'autre qui doit la prononcer à voix haute ! Vous m'avez bien compris ?'

'Oui, oui,' répétèrent Ron et Hermione, qui se demandait, un peu vexée, à quel point ils avaient l'air débile pour que le vieux insiste autant.

Leur affaire était faite. Maintenant restait à espérer qu'elle donnerait des résultats. Ron était tout heureux de la façon dont ils avaient rondement résolu 'l'incident'. Tous ses doutes s'étaient envolés et le monde lui sembla soudain très beau, en cette jolie matinée de printemps. Il mit son bras autour de la taille d'Hermione, qui ne le repoussa pas, confiante elle aussi dans l'avenir. Mais elle prit soin de signifier à son ami que plus vite Draco aurait avalé le contenu de la fiole, plus tôt Harry serait libéré de sa déshonorante obsession pour le Slytherin.

'Sais-tu où se cachent les deux amoureux transis ?' lui demanda-t-elle.

'Je crois avoir repéré l'endroit où ils disparaissent. Quant à savoir si je peux entrer dans leur repaire, j'en doute : que ce soit Malfoy ou Harry, ils sont tous les deux très rusés et je n'ai pas eu l'impression que leur intelligence ait souffert de leur obsession. Je serais même tenté de croire le contraire.'

'Autrement dit, il va falloir qu'on les piège si on veut arriver à nos fins ?'

'Mmh mmh ! Il va falloir faire le guet dans le couloir et leur sauter sur le paletot dès qu'ils mettront le pied dehors.'

Le vieux sorcier était ravi de la naïveté de ses clients. Lorsque le jeune Potter aurait prononcé les derniers mots de l'incantation, sa potion entrerait en action. Plus rien alors ne pourrait empêcher le retour en grâce d'Azermius le Sorcier auprès du Seigneur Noir. 'Ad astra' : dans les étoiles, sa gloire s'inscrirait au vu de tous et le Maître reconnaîtrait enfin sa vraie valeur.

Cum abyssus abyssum invocet, communi consilio decrevi

Ignem et furorem amoris, ad libitur, sine prole,

Amantes ad astra eripere.

Cum amor ordinem nesciat, secum alteros eripient.

ITA DIXI