Retour au Bercail
La porte de la caravane s'ouvrit et un homme aux cheveux blonds coiffés d'un chapeau de cowboy beige entra. Il ferma les yeux et prit une grande inspiration.
«Enfin chez soi!» murmura-t-il pour lui-même.
«Ça va aller?» demanda une voix derrière lui.
Il sursauta et se retourna pour voir Alma Jr. dans le cadre de porte (si nous pouvions appeler cela un cadre de porte...).
«Oui. Ça va.»
Ennis pouvait marcher sans difficulté depuis deux ou trois semaines. Il était resté trois mois chez sa fille. Elle avait été une hôte exceptionnelle et s'était merveilleusement bien occupée de lui, mais il ressentait une immense joie de revenir dans sa maison mobile miteuse, petite et maintenant toute poussiéreuse. Pendant les six mois de son coma, Alma, son ex, était venu dépoussiérer chaque semaine. Lorsqu'il l'avait appris, il avait été très surpris. Son ex-femme haïssait pour mourir sa «maison». Il semblait qu'elle avait eut pitié de son ex-mari comateux. Seulement, pendant qu'il était hébergé par Alma Jr., personne n'avait fait le ménage. Il était tout de même radieux. C'était son chez lui. Sa fille lui sourit avant de remonter dans sa voiture et repartir. Il était enfin seul. Il avait beau aimer ses filles, il préférait décidément être seul. Dès que la voiture de sa fille fut hors de vue, il se dirigea vers l'amoire située au bout de la caravane et en ouvrit la porte doucement, comme si elle pouvait se casser en deux n'importe quand. À l'intérieur, la chemise jaunâtre rentrée à l'intérieur d'une veste en jeans y était toujours accrochée, avec une carte postale affichée au-dessus. Du bout des doigts, il effleura doucement le tissu avant de le prendre pour en respirer l'odeur. Depuis le temps, le parfum de Jack s'était estompé, mais il avait l'impression d'y respirer un peu de lui. Comme il lui manquait!
Une femme d'une quarantaine d'années aux cheveux blonds presque décolorés sortit de sa voiture et claqua la portière derrière elle. Elle eut une légère grimace de dégoût à la vue de cette habitation médiocre. Elle s'avança de peine et de misère, du haut de ses talons aiguilles, dans l'herbe mouillée et boueuse jusqu'à la porte d'entrée. Elle cogna doucement, semblant craindre qu'elle ne s'écroule. Elle entendit des pas, puis un homme du même âge qu'elle, ou peut-être plus vieux de quelques années, vint lui ouvrir. Il la fixa un long moment avant d'avoir un sourire en coin.
«Lureen, hein?»
«Heu... oui.» répondit-elle, surprise qu'il l'ait reconnu, puisqu'ils ne s'étaient jamais vraiment vus.
Il lui fit signe d'entrer. Il referma la porte derrière elle et ce fut alors qu'il remarqua la grande boîte en carton qu'elle tenait dans ses bras. Voyant son regard interrogateur, Lureen commença:
«Vous savez, cela fera presque deux ans que Jack nous a quitté. Son départ m'a chamboulée et chaque souvenir de lui importait beaucoup pour moi. Notre relation s'était grandement détériorée, mais je l'aimais toujours, vous savez.»
«Je comprends.»
«Mais, j'ai dû me rendre à l'évidence que... je n'étais pas l'amour de sa vie. Il m'avait peut-être aimé, au début, lorsque la passion existait encore entre nous, mais j'ai bien vu que son amour s'était envolé en même temps que la passion. Je crois qu'il m'aimait, mais pas comme moi je l'aimais.»
«Je suis désolé.»
«Ne le soyez pas. Si je vous raconte tout ça, ce n'est pas pour que vous vous sentiez mal. Enfin, là où je veux en venir, c'est que j'ai rassemblé plusieurs choses à lui dont je n'ai pas pu me départir jusqu'alors. En fait, toutes ses choses étaient restées là, comme s'il vivait encore. Mais, après deux ans, je crois qu'il est temps de me débarrasser de tout ça. Je me suis dit que vous voudriez peut-être l'avoir...»
Ennis la regarda un moment, ébahi.
«Vous êtes sûre?»
«Oui. Je dois me rendre à l'évidence. C'est vous qu'il aimait.»
«Vous savez, je ne crois pas...»
«Croyez-moi. Peut-être n'en aviez-vous pas l'impression, mais il vous aimait. Il attendait toujours avec impatience vos ''voyages de pêche''. Il m'a fallut du temps avant de le remarquer, mais ses yeux brillaient lorsqu'il parlait de vous. J'ai déjà vu des yeux briller ainsi, que ce soit chez des amies, ma soeur, ou même mes parents. Je savais que cette étincelle signifiait l'amour.»
Elle eut un petit rire en secouant doucement la tête, l'air de se reprocher quelque chose.
«Je dis qu'il m'a fallut du temps pour le remarquer...» continua-t-elle. «En fait, je crois qu'il m'a fallut du temps pour me l'avouer.»
Ennis sentait les larmes lui monter aux yeux, mais il se retint. Il ne voulait pas exploser devant la veuve de Jack. Elle posa la boîte sur la table et le regarda l'ouvrir. Aussitôt que le couvercle fut enlevé, il sentit cette odeur qui lui avait tant manqué. Le parfum de Jack. Un sourire s'afficha aussitôt sur ses lèvres. Il examina un moment le contenu avant de fouiller parmi tous ces trésors. Il le fit avec la frénésie d'un jeune garçon qui venait de retrouver quelque chose qu'il avait perdu si longtemps auparavant. La première chose qu'il prit fut un cahier légèrement défraîchi. Il l'ouvrit doucement, comme si c'était l'objet le plus fragile au monde. C'était le journal intime de Jack. Celui-ci lui avait déjà parlé de ce journal. Il lui avait dit qu'il y racontait ses journées, décrivait ses états d'âme, etc. Il lui avait, bien sûr, interdit d'y toucher disant que, comme l'indiquait le nom, c'était intime. Ennis se sentait tout drôle de le tenir dans ses mains, plusieurs années plus tard. Il reconnut immédiatement l'écriture soignée de Jack. Il en lut rapidement quelques passages. Il reconnut tout de suite le côté poétique du défunt. Puis, il reposa le journal et repartit à la recherche d'autre chose dans la boîte. Il y trouva des tas d'objets qui le firent sourire. Quelques bibelots, un chapeau de cowboy noir, deux ou trois chemises, quelques lettres lui étant adressées qui n'avaient jamais été postées, etc. Puis, il vit une enveloppe au fond. Il eut soudain espoir d'y trouver ce qu'il espérait tant trouver. Il la prit et l'ouvrit. Il crut alors qu'il allait pleurer. Il en sortit une quinzaine de photos. Quoi de plus banal, vous direz-vous. Pas pour Ennis. Il y avait si longtemps qu'il n'avait pas vu son visage. Les photos étaient de différentes époques de la vie de Jack. Il y en avait de lui de dix-neuf ans à trente-neuf ans. Il en trouva même une de lui lorsqu'il avait environ quatre ou cinq ans. Après une longue observation, il les rangea de nouveau dans l'enveloppe qu'il posa sur la table avant de se retourner vers Lureen, qui était restée là tout ce temps. Il chercha longuement ses mots. Ne trouvant rien d'original ou ne serait-ce qu'un peu élaboré, il se contenta de dire:
«Merci»
Alors, les larmes jaillirent de ses yeux. Il tenta de les retenir, de les essuyer discrètement, il n'y parvint pas. Lureen sentit à son tour ses yeux lui piquer. elle cligna plusieurs fois des yeux avant de dire:
«Je crois que je n'ai plus rien à faire ici. Je vais y aller.»
Ennis hocha la tête en lui souriant tristement. Elle lui rendit son sourire avant avant de quitter la caravane.
Le soleil brillait et ses rayons traversaient les rideaux presque en lambeaux accrochés à l'unique fenêtre de la chambre... ou plutôt de l'extrémité de la caravane. Ennis ouvrit lentement les yeux et eut un sourire. C'était aujourd'hui qu'il retournait au travail. Les propriétaires du ranch où il travaillait avant son hospitalisation avaient, bien sûr, trouvé un remplaçant, qui s'était avéré complètement incompétent. Lorsqu'ils avaient appris qu'Ennis était de retour sur le marché du travail, ils l'avaient supplié de revenir. Il ne s'était pas fait prier.
Il s'asseya sur le bord du lit et s'étira longuement avant de se lever et de prendre les vêtements qui traînaient sur le fauteuil miteux à côté du lit. Il avait déjà mis ces vêtements la veille... Il les sentit rapidement pour en convenir qu'il pouvait les mettre une deuxième fois... ou une troisième? Enfin bref! Il s'habilla et déjeuna rapidement. S'il ne se dépêchait pas, il allait être en retard. Il termina de manger et se coiffa de son éternel chapeau de cowboy beige qui, lorsqu'il n'était pas porté par Ennis, était maintenant accroché aux côtés d'un autre chapeau. Noir. Lorsqu'il fut prêt, il se dirigea vers l'armoire et l'ouvrit. Ses doigts frôlèrent doucement le tissu de la veste en jean accrochée sur le côté intérieur de la porte, comme si c'était son trésor le plus précieux, ce qui n'était pas nécessairement faux. Il sourit doucement en regardant la carte postale, à côté de laquelle était maintenant accrochée une photo. Jack, à dix-neuf ans, le regardait avec un sourire narquois. Il l'observa longuement, comme à chaque matin. Étrangement, cette boîte remplie d'objets appartenant à Jack l'avait, en quelque sorte, libéré. Il lui manquait toujours, mais il pouvait maintenant maintenant penser à lui sans que les larmes ne l'envahissent. Il réalisa alors qu'il était déjà en retard. Il prit rapidement sa veste suspendue au fond de l'armoire avant de refermer la porte de celle-ci et de sortir en vitesse de la caravane, en prenant bien soin de verrouiller la porte, même s'il savait bien que personne ne s'y aventurerait en son absence. Personne n'oserait. Personne n'oserait même y penser. Il monta dans son camion et le démarra. Il prit la route du ranch, se sentant de très bonne humeur.
FIN
