Certains d'étonneront du changement, mais c'était nécessaire, et il me semble que c'était préfiguré dans le chapitre précédent... enfin, ce n'est pas ma partie préférée, mais je crois que c'est celle qui ressemble le plus au Rufus Shin-Ra qui apparaît dans le jeu.
Onze ans
-Qu'est-ce qu'on fait de lui, Rufus?
Je sens mes épaules se hausser. Est-ce que c'est vraiment moi qui bouge? Est-ce vraiment moi qu'on regarde? Est-ce vraiment ma réponse qu'on attend? Alors je vais parler, leur dire ce qu'ils veulent entendre, c'est ce qu'il faut, non?
-Amusez-vous, faites ce que vous voulez, les gars.
Je me retourne; je ne veux plus rien voir, de toute façon c'est trop tard. J'entends des coups et des cris. Pauvre garçon. Il a fait l'erreur de ne pas être d'accord avec moi. Mes amis me l'ont amené pour que je le juge. Tout va très vite dans ces cas-là.
Mes amis. Je comprends très bien les enfants, maintenant. Trop bien, on pourrait dire. Mes amis, ce sont ceux qui m'obéissent. Et il y a aussi les autres, ceux qui n'ont pas cette chance. Ceux qui peuvent finir comme le pauvre garçon d'aujourd'hui.
-Hé, c'est la classe d'armes, après la récré. Tu voudras bien te mettre en équipe avec moi?
-Non, avec moi! Rufus, tu m'avais promis!
-Je n'ai rien promis à personne, voyons!
Ils se bagarrent pour moi. Ils sont fous. Je les déteste comme au premier jour, mais je le cache si bien que j'ai l'air de les aimer, et qu'ils me croient. Et qu'ils me donnent beaucoup de choses en échange.
Tu vois, maman, je crois que je les ai subjugués. Ils sont à moi, maintenant. J'ai cette force que tu voulais que j'aie, la force des mots, la force de l'esprit, la force de l'intelligence, la force de la ruse. La force à côté de la force, au fond.
C'est fou ce que tu me manques… maman…
-Vous êtes une bande de tarés, les gars, arrêtez de vous chamailler comme des chiens…
Ils se relèvent, honteux, sales. C'est fou comme je les méprise… pourquoi sont-ils aussi bêtes? Pourquoi je les tolère encore à mes côtés? Probablement pour ne pas être seul… pour faire battre les autres avant qu'ils ne me frappent… pour ne pas me salir les mains…
OoOoO
Je m'ennuie… tout est trop facile… cette école est une blague, je me demande bien comment certains font pour échouer. Ils sont lamentables, et moi je suis supérieur, c'est évident…
-Monsieur Shin-Ra, venez au tableau résoudre l'équation, je vous prie.
-Bien.
Je me lève. Je sens qu'on me suit des yeux. Il y a mes amis. Il y a quelques filles qui admirent ma gueule d'ange et qui soupirent d'insignifiance. Il y a ceux qui me détestent et qui souhaitent que je rate la question. Et il y les indifférents. Ce sont eux qui me plaisent le plus.
Je résous facilement l'équation, et je retourne à ma place alors que le professeur me félicite. Les professeurs m'aiment bien. Ils sont presque aussi faciles à berner que les enfants. Les chemins à prendre sont un peu plus détournés, mais la direction reste la même. Les professeurs me servent comme mes amis.
OoOoO
Je vais aux toilettes, seul. C'est quand je suis seul que je suis enfin heureux, enfin, pas vraiment heureux, mais… serein…
Mes pas résonnent étrangement dans les couloirs gris, vides. Mon ombre se reflète partout et nulle part à la fois. J'en aurais presque peur. Je me retourne, par réflexe, je sais que ce n'est pas mon imagination, je sais que je ne suis pas tout à fait seul, je sais que je suis suivi.
C'est le garçon de ce matin. Il court vers moi.
-Hé, Shin-Ra!
J'évite son premier coup de poing, mais je ne peux pas répliquer, et il en profite pour m'en donner un deuxième, en plein sur le nez.
-T'es qu'une sale brute, Shin-Ra!
-Je vais pas m'excuser, ça sert à rien. Et tu vas payer ça dès demain.
J'essuie mon nez qui dégouline de sang et je me relève avec autant de dignité que j'en suis capable.
-Au moins je vais payer pour quelque chose!
Il veut me donner un autre coup, mais je le bloque et je lui envoie mon genou dans le ventre. Il tombe par terre et se replie, son souffle est coupé.
-C'est quoi, tu pensais que je ne suis rien sans mes amis, hm? C'est plutôt eux qui ne sont rien sans moi.
Je sors mon couteau de mes poches. Je l'ai toujours sur moi, mais je le sors rarement. Et je ne m'en suis jamais servi. Ce n'est que pour impressionner. Ça fait partie de ma façade, comme mon visage menaçant, comme ma violence. Au fond de moi il n'y a rien. Je comprends parfaitement ce garçon, je ne lui en veux même pas. C'est dommage pour lui, au fond.
-T'es malade, Shin-Ra?
Il se relève malgré son souffle coupé et s'enfuit. Il va peut-être me dénoncer, mais ça ne changera rien. Mon père me protège, et la politique de l'école rend toute dénonciation inutile de toute façon. C'est un endroit malsain pour rassembler des enfants. Cette règle crée un milieu horrible, bien trop extrême… maman, j'ai de la chance que tu m'aies donné ta force, mais…
J'entre dans les toilettes, j'ouvre un robinet et j'asperge d'eau mon visage taché de sang. Puis je me regarde dans le miroir. Je déteste ce que je vois. La façade, je la déteste. Maman, je ne fais ça que parce que je t'aime.
Je tâte le pendentif dissimulé sous ma chemise. L'attaque, la meilleure défense.
Je serai fort. Peu m'importe le reste.
OoOoO
Mais à la guerre, le petit princeLaissa son âme derrière lui
Dans les enfers brûlants et mortels
Mais il était trop tard, bien trop tard
Pour se retourner et la reprendre.
Ainsi son âme devint damnée.
Ainsi, le prince au visage d'ange
Gagna des ailes de démon, noires
Aussi noires que son nouveau coeur.
Ainsi l'enfant qu'il était se mit à pleurer.
