CHAPITRE SIXIEME
10 ans plus tôt
Réfugié dans un coin de la pièce, Kawaki était recroquevillé en boule, essayant de préserver le peu de chaleur qu'il possédait. C'était déjà l'hiver et la petite maison délabrée où il vivait avec son père n'avait pas de chauffage. Elle était en bois et ne comportait que deux pièces : la salle à manger avec une petite cuisine dans le coin et une chambre. Naturellement, cette chambre ne lui appartenait pas. La plupart du temps, il dormait dans un petit espace de la salle à manger, à même le sol.
Cela faisait trois jours déjà qu'il n'avait pas mangé. Normalement, il arrivait toujours à trouver quelques restes dans le placard. Mais en ce moment, il était aussi vide que lui. Il commençait à penser qu'il ne tiendrait jamais jusqu'à la fin de cet hiver. Son père ne le nourrissait pas et, quand il rentrait, il sentait toujours l'alcool à plein nez. Dans ses bons jours, il se contentait de passer devant son fils sans le regarder. Mais c'était rare.
Kawaki était plus habitué aux mauvais jours, ceux où son père alcoolisé passait ses nerfs sur lui. Ceux où il se réfugiait dans un monde dans sa tête pour ne plus rien ressentir. Il était toujours couvert d'ecchymoses et d'autres blessures qu'il ne pouvait pas soigner, à moins de l'emmener à l'hôpital.
Son corps était déjà en piteux état à l'âge de six ans. Brisé de partout, avec plus de bleus que de peau saine et maigre comme un squelette. Du haut de son petit âge, il avait compris qu'il n'en avait plus longtemps et il en était soulagé. Mais un peu triste en même temps.
Il était content de pouvoir enfin quitter cette douleur constante qu'il subissait depuis tout petit. Il aurait cependant tellement voulu découvrir le monde qui l'entourait. Rencontrer des gens, se faire des amis, rigoler, se disputer, courir, jouer, enlacer, peut être même aimer une fille… Mais cette vie ne lui était apparemment pas destinée. Peut être dans sa prochaine réincarnation ? Si ça existait…
Des marmonnements lui firent relever la tête. Il reconnut la voix de son père mais pas la deuxième voix.
- J'suis surpris qu'un type comme vous veuille acheter c'te p'tite merde. Franchement j'vous l'dis il sert à rien.
- J'aimerai quand même vous l'acheter.
- C'quand même mon fils, ça va vous coûter cher.
- Votre prix sera le mien.
Comme s'il se préoccupait de lui… Il voulait juste en tirer le plus de profit possible.
Ils échangèrent encore quelques murmures inaudibles, quand la porte s'ouvrit. La lumière envahit la pièce et aveugla le jeune garçon. Il se recroquevilla un peu plus et plissa les yeux.
Deux formes adultes se tenaient devant lui. Il reconnut sans mal celle de son père, vieux et gros, une bedaine proéminente et trois cheveux sur sa tête. Le type à côté de lui était tout l'opposé. Une silhouette athlétique, grand, il dégageait une forte aura. Kawaki sentit tout de suite que malgré les apparences, il était plus dangereux que son père.
- Lève-toi p'tit con, lui ordonna son père.
Kawaki ne bougea pas. S'il le faisait, il s'écroulerait. Il était trop faible pour bouger.
- J'ai dit : LÈVE TOI MERDEUX !
Son père lui décrocha un violent coup de pied qui le fit gémir de douleur. Sa vision se troubla pendant un moment et ses oreilles vibrèrent. Encore un peu et il pourrait quitter ce monde…
- Si vous le tuez mon argent vous passera sous le nez, avertit l'inconnu. Je vais me charger de le transporter moi-même.
Kawaki sentit un frisson le traverser. Il avait peur. Il ne voulait pas partir avec cet inconnu. Une aura machiavélique se dégageait de lui. S'il l'emportait, il ne ferait qu'aller simple dans un autre enfer.
" Laissez-moi tranquille " gémit-il dans sa tête.
L'inconnu approcha la main vers lui, sûrement dans une tentative de le soulever pour l'emporter avec lui.
- Non… réussit à souffler Kawaki.
La main s'arrêta. L'inconnu se tourna vers le père.
- Il a encore la force de parler. C'est parfait. Voici l'argent.
Il tendit une bourse, que le père s'empressa de saisir.
- Ravi d'faire affaire avec vous. Vous pouvez l'prendre.
Intérieurement, ce fut la panique dans la tête de Kawaki. Il venait d'être vendu contre de l'argent qui allait être utilisé pour acheter de l'alcool. Sa vie valait moins qu'une boisson. Il avait envie de pleurer mais il n'en avait même plus la force.
Le stress et la peur le traversèrent d'une telle puissance qu'il vit noir et s'évanouit d'un coup.
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" Ses constantes vitales sont corrects, nous lui avons administré le sédatif. "
Le bip constant des machines sonnaient aux oreilles de Kawaki. Il n'osait pas ouvrir les yeux, de peur de découvrir ce qui l'entourait. A tout juste six ans, sa vie était un cauchemar. Il tremblait de tout ses membres et des larmes s'accumulèrent derrière ses paupières. Il aurait aimé n'être jamais né.
- Tu as de la chance, tu es encore un peu trop jeune pour qu'on te fasse passer le test, lui dit une voix inconnu, je te déconseille de faire semblant de dormir au passage.
Le bruit de ses pas l'informèrent que l'inconnu s'éloignait.
La dernière phrase retentissait dans la tête de Kawaki. Pourquoi ne pouvait-il pas faire semblant de dormir ? Quand son père dormait, il avait interdiction de le déranger et de le réveiller. Il pensait donc que s'il le faisait aussi, les méchants ne lui feraient rien.
Au fil des années, il comprit à quel point il se trompait…
Une année après son arrivée, il fut immergé dans une poche remplie de liquide. L'enfant de six ans ne comprenait pas qui se passait. Il n'avait rien demandé et les méchants le forçaient à subir des expériences. Au début, paniqué, il essayait de sortir de cette poche à tout prix. Il tentait d'hurler, de taper, il pleurait mais rien n'y faisait. Le liquide l'empêchait de crier, la poche était incassable et les méchants étaient sans pitié.
Au bout d'un mois, il perdit toute motivation à se battre. Après tout, à quoi rimait sa vie ? Dès sa naissance, il avait été reclus au rang de parasite. Son père ne l'avait jamais aimé, préférant l'utiliser comme punching ball. Au début, il pensait que c'était normal, comme une forme d'affection. Mais en regardant les autres enfants de son village interagir avec leurs parents, il comprit. Son père le détestait et c'était de sa faute. Il n'était pas un assez bon fils. Il ne serait jamais qu'un bon à rien. Il n'avait même pas de mère ! Elle aussi ne devait pas l'aimer pour partir et le laisser seul.
Alors finalement, à quoi bon lutter ? Autant qu'il serve à quelque chose. Ils pouvaient bien le prendre comme cobaye puisqu'il ne valait rien. Quand on perd un papier de bonbon par terre on se retourne pas, parce qu'il est inutile et sans valeur. C'était exactement ce qu'il était.
Etrangement, en ayant cessé de lutter, la douleur reflua. Elle était toujours là mais beaucoup moins présente. Il commençait à s'y faire aux expériences et aux traitements qu'il subissait. De plus, il devait ingérer plusieurs fois par jours des médicaments vraiment pas bon qui l'assommaient. Il vivait sans vivre.
Les années passèrent et les traitements se ressemblaient. Il passait quelques mois dans sa chambre à ingérer toutes sortes de composés chimiques puis le reste de l'année il était dans la pochette de liquide.
Il apprit en écoutant les méchants qu'ils faisaient partis d'une organisation qui se nommait Kara. Dans son état second, il n'avait identifié que quelques membres. Il y avait le chef, celui qui l'avait acheté. Il se nommait Jigen. Il avait des yeux sombres tout comme ses cheveux et quelques tatouages sur le visage. Il lui faisait tout le temps froid dans le dos et Kawaki essayait toujours de se faire le plus petit possible quand il était présent. D'ailleurs, il ne faisait que répéter une phrase sibylline quand il le voyait, que le petit garçon ne comprenait pas :
" Sois sage mon futur réceptacle. "
Il y avait également celui qui lui faisait passer tous les tests et les expériences : Amado. Il n'était pas particulièrement méchant ou gentil. Il se contentait de rester froid et de l'analyser. Il avait les cheveux rasés sur les cotés de son crâne et avait gardé une touffe sur le dessus qu'il peignait toujours minutieusement vers la droite. Contrairement au chef, il était blond avec des yeux bleus. Il portait aussi des lunettes, qui rajoutait sans le vouloir, un air encore plus scientifique. Généralement, Kawaki ne comprenait rien à ce qu'il baragouinait - difficile quand on était constamment shooté.
Il voyait souvent un homme qui se nommait Kashin Koji parler avec Amado. Ils semblaient être proche sans être pour autant amis. Il portait un masque qui lui cachait le haut du visage et qui laissait deviner des lignes rouges descendants de ses yeux à ses joues. Il avait de long cheveux blancs et ne calculait jamais Kawaki. Et c'était tant mieux pour lui.
Enfin, la pire dont il se souvenait était Delta. Elle avait été chargée par Jigen de le surveiller en permanence. Elle ressemblait beaucoup à son père. Elle n'hésitait pas à passer sa mauvaise humeur sur lui. Le cliquetis de ses talons hantaient ses cauchemars, juste à côté des lourds pas de son père.
Quand il eut douze ans, sa vie changea.
Deux garçons de son âge arrivèrent.
- Lâchez-moi bâtard ! Je suis un ninja de Konoha et mon père le Hokage va vous buter !
- Arrrgh libérez-nous !
Les deux garçons étaient énergiques, comme jamais Kawaki n'avait pu l'être. Lui d'ordinaire si taciturne et éteint, découvrait qu'on pouvait être bruyant et plein de vie à son âge.
Celui avec les cheveux blonds ne faisait que crier et se débattre. C'était une pile électrique vivante.
Le brun se débattait aussi mais criait moins. Il plaçait ici et là quelques phrases du genre " Vous n'obtiendrez rien de nous " et " Libérez-nous ! ".
Du haut de sa pochette de liquide, il ne pouvait que contempler la scène sans rien faire ni rien dire. De toute manière, il n'aurait pas pu agir, il était trop faible.
Deux semaines après il sortit de la pochette et Delta le dirigea vers sa chambre.
- T'as un colocataire le môme. Essaye de pas le tuer il nous sera sûrement utile.
Un colocataire ? C'était quoi ça ?
La jeune femme lui ouvrit la porte de sa chambre quand soudain une ombre bondit sur elle.
- Prends ça !
Avec ses poings, le blondinet tenta de frapper Delta. Kawaki sut, avant même que ce soit fini, comment cela allait se terminer.
Elle se tourna légèrement sur le côté, évitant le poing et attrapant son bras. A cause de son élan, le blondinet ne put s'arrêter. Il fut projeté sur le mur en face à une vitesse fulgurante. Avant même d'avoir le temps de se relever, Delta était déjà derrière lui, le tirant par les cheveux et le jetant sans ménagement dans sa chambre.
- Tu feras moins le malin morveux dans quelques temps !
Elle attrapa sans ménagement Kawaki par le bras et le tira dans sa chambre. Il trébucha un peu et, avant même de rétablir son équilibre, il entendit un grand " BAM " retentissant derrière lui. Le cliquetis du verrou de la porte lui indiqua qu'elle venait de les enfermer à double tour.
Kawaki regarda le blondinet se redresser, se tenant la tête avec les deux mains. Delta n'y était pas aller de main morte avec lui.
- Je l'aurais un jour cette vieille femme, murmura-t-il entre ses dents.
- Je te déconseille de l'appeler comme ça devant elle… Le prévint Kawaki.
- Et quoi ? Elle va me frapper ? Je suis un ninja, j'ai vu pire.
- C'est quoi un… ninja ?
- Comment ça c'est quoi ? T'as vécu dans un trou à rat toute ta vie ?
Kawaki baissa la tête et ne répondit pas.
Le blondinet comprit.
- Euh excuse moi je voulais pas…
Le silence s'étira entre eux.
- Ça fait combien de temps que t'es ici ? Lui demanda le jeune homme blond.
- Je sais pas… Je suis arrivée à six ans. J'ai douze ans maintenant.
- Euh mec faut compter hein. Six pour aller à douze ça fait six.
- Et… ? Kawaki pencha sa tête, d'un air interrogateur, ne voyant toujours pas où il voulait en venir.
- Attends, tu connais les maths au moins ?!
- Jamais entendu parler.
Abasourdi, le blondinet resta à le regarder avec de gros yeux. Kawaki se sentit soudainement gêné de son ignorance mais il ne le montra pas.
Vexé d''avoir l'air si bête, il se dirigea vers son lit au fond à gauche de la pièce.
- Eh… je voulais pas te blesser. Je sais pas ce que t'as vécu mais ça me dérange pas de t'apprendre ce que j'ai appris à l'école.
A l'école ? C'était quoi ça encore ?
Devant le mutisme de son colocataire, le blondinet abandonna et se réfugia sur son lit, à l'opposé de Kawaki. Tout deux ne se parlèrent plus du reste de la soirée.
Tard dans la nuit, Kawaki se réveilla aux paroles que le blondinet criait dans son sommeil.
- Nooon ! Pas ça s'il vous plait ! A l'aide papa ! Viens me sauver !
En deux semaines à peine, ils avaient déjà commencé à briser son esprit…
•••
Coucou tout le monde ! Voici le chapitre 6 ! En espérant que ça vous ait plu. C'est la première partie du passé de Kawaki, la deuxième sera au chapitre suivant. N'hésitez pas à me laisser des petits commentaires (bons ou mauvais, je prends tout), ça m'encourage énormément à écrire la suite !
