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Chapitre DeuxièmeDans les tréfonds de son vieux manoir décrépit, délabré, en ruines, pour ne pas dire miteux, Lord Voldemort s'était résolu au pire, à l'impensable, à l'insoutenable : confier la mission à Macnair de lui mitonner un slogan. Il faut préciser pour sa défense que tous les autres Mangemorts s'étaient défilé quand ils avaient appris qu'il recherchait un autre écrivain, et il soupçonnait Bellatrix d'être à l'origine de cette révolution passive.
Oh elle jouait très bien les innocentes, et allait jusqu'à frissonner d'horreur au seul mot de slogan, quel que soit son interlocuteur. Mais quelque chose disait à Voldemort qu'elle ne faisait que jouer la comédie et qu'elle rêvait secrètement d'être à nouveau assignée à cette tâche. Sans nul doute possible, elle avait trouvé le moyen de dissuader quiconque d'accepter la mission… Mais comment ?
Personne ne se bousculait donc au portillon pour accomplir cette délicate mission, sauf Pettigrow, au grand dam du Lord d'ailleurs, qui avait vu avec angoisse le petit homme venir le harceler méthodiquement chaque matin au réveil, jusqu'au jour fatal où son Maître avait presque cédé à sa mauvaise humeur matinale en lui accordant le job.
Presque.
Ce jour-là, Voldemort avait décidé que cela ne pouvait durer, au risque de voir Pettigrow le contraindre par la torture psychologique du réveil matinal en trompette de le laisser s'essayer à la publicité.
Un fol espoir était alors venu à l'esprit du mage noir : peut-être pourrait-il échapper au tissu d'imbécillité que n'allait pas manquer de lui servir cette vermine insidieuse… Peut-être que des boules Quiès dans le pire des cas ? Ah non… Il s'était promis personnellement de ne jamais utiliser d'accessoires moldus… La peste soit de son humeur de l'époque qui l'avait entraîné à prendre telle résolution !
A ce moment, l'épineux problème avait littéralement donné la migraine au Lord. Et il avait failli ordonner à Severus de rentrer au bercail pour s'occuper de la campagne de pub. Et puis il s'était rappelé que c'était impossible, puisque le pauvre professeur de potions était en pleine préparation des examens. Or, la dernière personne à l'avoir dérangé à un tel moment de l'année avait terminé avec la peau rouge à étoiles roses fluo parsemées de paillettes dorées. Et le Maître des Ténèbres tenait à conserver un semblant de dignité, et savait pertinemment que le professeur de potions se vengeait d'abord et s'inquiétait de l'identité de sa victime après.
Et puis Macnair s'était présenté, faisant son rapport mensuel comme à son habitude. Et alors était venue l'illumination ! Macnair était un Mangemort comme il fallait : cruel, sanguinaire et dévoué. Et, chose importante : il avait travaillé un bout de temps au ministère, en tant que bourreau certes, mais tout de même ! Cela lui donnait plus de cachet qu'aux autres, et comme Lucius avait eu la bonne idée de se rendre à Azkaban pour quelques années de villégiature…
Et le grand jour attendu avec impatience était arrivé : Macnair devait venir faire sa présentation… Et maintenant, Voldemort, plus grand mage noir de tous les temps, descendant de Salazar Slytherin en chair, en os, et surtout en magie et en mâle beauté (selon le principal intéressé), Voldemort donc, ni plus, ni moins, angoissait. En effet, comment un homme aussi mal dégrossi que Macnair pourrait comprendre l'harmonie pure et glaciale des lettres ? L'inquiétant scintillement des menaces ? La brûlure mordante d'un discours enflammé ? Il était dévoué et sanguinaire… bestialement parlant.
Car Macnair semblait à Voldemort plus être un fidèle animal de compagnie qu'il pouvait lâcher sans risque d'état d'âme sur ses ennemis, plutôt qu'un homme sur lequel il pouvait compter pour obtenir le fruit d'une froide intelligence. Or, c'était justement de quelque chose d'intelligent et de mortellement convaincant dont le mage noir avait besoin. Pour le mortel, d'accord, c'était le rayon de Macnair, mais le reste ?…
Avec un soupir, il se dit que ce ne pourrait pas être pire que les pitreries de l'Animagus-rat qu'il avait vu esquisser quelques brouillons pour les affiches de sa campagne, à sa plus grande horreur. Non, franchement, il ne supporterait pas de voir des affiches de lui en robe blanche et le sourire le plus éclatant du monde à tous les coins de rues.
Enfin, Macnair entra dans la salle d'audience.
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Dans les toilettes de Mimi Geignarde…
« Franchement, Harry, il faut persuader Herm d'arrêter les auditions de propagande ! C'est insupportable ! Par Merlin, je préfèrerais encore aller à un cours de Rogue plutôt que d'entendre à nouveau Colin déblatérer sur ton courage gryffondoresque ou Lavande sur tes folles mèches couleur d'ébène voletant au vent en pleine bataille ! Et ça nous oblige à nous réunir tous les trois dans les toilettes au lieu d'être tranquillement dans la Salle Commune ou même la bibliothèque de peur que l'un de ces écrivains nouvellement promus ne nous coince dans un coin ou derrière un rayonnage !
Harry soupira et opina du chef en direction de son meilleur ami :
- J'en ai tout autant assez que toi de toute cette histoire, Ron, mais elle refuse absolument d'en démordre, et tous les autres sont avec elle ! Même un million d''Oubliettes' ne parviendraient pas étouffer l'affaire !
-Bien sûr ! fit la jeune Gryffondor, arrivée à pas de loup dans leurs dos.
Les deux garçons se retournèrent vers elle d'un air confus, tandis que Mimi éclatait de rire en se jetant dans l'une des cuvettes de toilettes.
-Herm ! Je savais pas que tu étais là… marmonna Ron, mal à l'aise. Tu sais, c'est pas que ton idée soit mauvaise, mais les résultats sont pas à la hauteur de nos espérances… Et … de toute façon, Harry était d'accord avec moi, alors si on vote, on aura raison ! termina-t-il sur un air de défi.
Mais la jeune fille ne l'écoutait pas, plongée dans ses réflexions, et au moment où il mettait la note finale et l'accent savamment dosé sur le fait qu'il était sûr d'avoir raison, elle sauta au cou de Harry en riant :
-Harry Potter, tu es gé-nial !
Les deux garçons froncèrent les sourcils et s'interrogèrent du regard.
-Tu veux dire… commença lentement le Survivant, que j'avais raison en disant que c'est bien d'arrêter toute cette histoire ?
-Arrêter ? Oh mais non, Harry, s'exclama-t-elle, pas quand on est sur le point d'atteindre notre but !
Perplexes, les deux autres la fixèrent d'un œil inquiet.
-Colin t'as jeté un sort pour que tu trouves sa dernière idée géniale ? hasarda Ron.
-Colin ? Mais non voyons ! s'amusa la Gryffondor. Réfléchissez un peu : il nous faut quelqu'un capable de forger une réputation d'enfer à Harry pour séduire les gens, les amener à lui faire confiance et à l'aider. Et qui, parmi les gens que nous connaissons, a réussi à s'attirer les bonnes grâces de toutes les sorcières qui le connaissent ?
-Dumbledore ?
-Ne sois pas bête, Harry, il n'a pas assez de charisme. Fais un effort, c'est toi qui m'as mise sur la voie tout à l'heure en parlant d'Oubliettes !
Ron afficha une mine effarée :
-Rassure-moi, tu ne veux tout de même pas parler de Lockhart ?
-Mais bien sûr que si : c'est LUI l'homme de la situation !
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Le visage figé en un rictus mi-incrédule, mi-horrifié, le Maître des Ténèbres s'interrogeait sérieusement sur le soin qu'il avait mis à recruter ses fidèles Mangemorts : avait-il donc été aveugle à une part de l'ego de chacun ? Tout d'abord Bellatrix, égocentrique au possible alors qu'il croyait qu'elle ne vivait que par et pour lui. Pourquoi avait-elle donc supporté toutes ces années à Azkaban si elle avait plus d'intérêt pour elle-même que pour son Maître ?
Et maintenant Macnair…
Macnair qui venait de lui présenter un …slogan ? poème ? truc ?
Un frisson rétrospectif submergea le mage noir au souvenir de la chose :
« Dans la nuit, parmi les armes,
Dans la fièvre et le vacarme
Le bourreau fourbit sa lame,
Chantonnant sa mélopée :
Après toutes ces années
Au manoir des Jedusor
Malgré ce moldu de décor
Tous scandent le nom de Voldemort !
Déchiquetant vos âmes
Les Détraqueurs vous feront honneur
Et le bourreau fourbit sa lame
Car sur le billot de l'horreur
Vos têtes tomberont…
A vos sangs se mêlera le poison
Fourni par le Maître des Potions,
Et tous ensemble nous vaincrons !
Suivons le Maître ! »
-Macnair… commença-t-il laborieusement, regrettant presque la proposition de Bellatrix.
-Oui, je sais, Maître, vous allez demander : « mais pourquoi la rime en –ée ? » Eh bien c'est très simple : je n'avais pas trouvé de rime en –a. Et vous remarquerez que j'avais déjà un peu triché pour la première strophe, alors je réfléchissais, je réfléchissais et tout d'un coup, l'illumination ! Il me suffisait de relier les deux premières strophes ! Et….
-SILENCE ! tonna le Lord, les yeux rouges de rage. D'où que tu as péché le nom du Manoir ! C'est une gaffe que tu n'as pas intérêt à ébruiter ! écuma-t-il.
- Mais Maître, je n'ai fait que lire le nom sur la porte d'entrée !
-SILEEENCEUH ! Si cette… chose était colportée dans tout l'Angleterre, Dumbledore – que sa barbe s'enflamme ! – aurait tôt fait de savoir où nous avons notre quartier-général, bougre de Scrout ! Et si le décor te déplait, eh bien tu vas y remédier : ton sang décorera les murs de TOUTE cette immonde bâtisse ! Et sache que si nous nous basons ici, c'est uniquement pour tromper l'ennemi : ces maudits traîtres à la Magie ne nous chercheraient jamais dans un endroit pareil ! Et d'ailleurs… pourquoi je me justifie devant toi, hein !
Le Lord inspira profondément et se recomposa un visage… enfin… façon de parler.
-Je veux attirer les sorciers de notre côtés, et ce que tu me proposes ici est un échec ! Je ne veux pas que l'on me craigne… Enfin si, mais pas plus que d'habitude, il fallait appâter le Troll, et on ne fait pas ça avec des promesses de coups de massue, Macnair !
-Mais je peux peut-être recomposer quelque chose, les deux dernières strophes sont bien quand même, il suffit que je m'en imprègne… Et puis si je garde « Le bourreau fourbit sa lame » en guise de refrain, ça pourrait faire une jolie ballade, réfléchit le serviteur, concentré, en prenant des notes à l'aide d'une plume à papote…
Le Lord émit un gargouillis étranglé.
« Et tu révèleras à tous que toi, les Détraqueurs et Snape êtes à ma botte ! Mais qu'est-ce qu'ils ont tous dans la cervelle ? s'écria-t-il en balançant sa main vers l'un des énormes vases posés non loin de son trône. La collision fut brutale et le vase vola dans les airs… avant que Pettigrow ne surgisse miraculeusement de nulle part et le rattrape au vol, évitant tout dégâts.
Avec un sourire triomphant, l'Animagus se tourna vers son Maître, certain d'être récompensé pour ses réflexes incroyables, mais la gratification ne fut pas l'offre tant attendue de reprendre le travail de Macnair.
En effet, ce soir-là, ce furent Pettigrow et Macnair qui entonnèrent en un sublime duo éraillé une nouvelle version du Doloris Majeur pour Mangemorts punis pour lequel Bellatrix avait déjà donné le ton quelques semaines plus tôt.
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La mine sombre, Ron et Harry entrèrent dans les toilettes des filles en traînant les pieds.
« Oh bonjour Harry ! s'écria Mimi Geignarde en venant flotter vers lui. Quelle triste figure tu fais ! Tu reviens d'un enterrement ? Ne t'inquiète pas, j'ai ce qu'il te faut pour te remonter le moral : la solution pour éviter celle de la Miss Je Sais Tout ! Je t'ai écrit un texte, rien que pour toi ! Et tu n'auras pas à supporter les méchancetés de ce méchant bonhomme de Lockhart !
-C'est bien la seule fille qui ne soit pas dingue de ce type ! remarqua Ron en s'asseyant sur des toilettes après en avoir rabattu le couvercle.
-Oh il ne faut pas s'y tromper ! s'exclama vigoureusement le fantôme. Il me rend folle, oui, folle DE RAGE ! Il a osé venir dans mes toilettes quand il était professeur ici et il prétendait découper les morceaux de porte où il y avait des inscriptions à son honneur, sous prétexte qu'il en faisait collection ! Ce n'est qu'un sale bonhomme PERVERS qui joue les voyeurs en s'appropriant les pensées secrètes des filles ! Mais ces toilettes, ce sont MA maison, MON territoire ! Et je l'en ai chassé en inondant les toilettes ! Ah ça ! Il ne voulait pas mouiller ses mocassins fuchsias en peau de sphinx !
-Il avait vraiment des mocassins roses ? fit Harry, ébahi.
-Il avait vraiment des mocassins en peau de sphinx ? lui fit écho Ron. Oh zut, si j'avais su, j'aurais pu en glisser deux mots à Papa pour qu'il rapporte ça au Département des Créatures magiques ! Les sphinx sont une espèce protégée ! Ca nous aurait débarrassé de ce prof bien plus vite !
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