Partie 6 – Règlement de compte

C'était maintenant officiel : Ezekiel Pedrad m'évitait. Oh, il passait quand même beaucoup de temps avec moi, seulement juste quand je n'étais pas seule. Dès qu'on se retrouvait ensemble, il bégayait une excuse minable et fuyait. Je me sentais nulle, j'avais dû lui faire peur avec ce que je pensais être enfin mon premier baiser de sa part. Heureusement, j'étais devenue bonne amie avec Lauren et Carl, et même Phillip était plaisant pour passer le temps. Il n'empêche, j'étais en colère contre Zeke et son comportement pathétique.

Le stade 1 prit enfin fin, avec un examen terrible. Non seulement nous dûmes affronter toutes nos peurs dans un temps record, il fallut en plus le faire accompagner de notre partenaire. Ainsi, je dus aider Carl à affronter des abeilles, un public (sur ce coup-là, on faisait dur les deux, mais je pense qu'on a réussi à s'en sortir pas si pire), la mort (rien de moins!), une intoxication alimentaire, la nudité, et quelques autres. On pouvait maintenant dire qu'on se connaissait très bien, moi et Carl. J'espérais que ceux qui ne s'entendaient pas bien entre eux ne soient pas trop traumatisés par l'expérience.

Sous mon aile, Carl réussit à se dégêner, et il augmenta dans le classement. Le soir du score final, il fut classé 23e. Il poursuivait donc l'aventure. J'étais fière de lui, un peu comme lorsque j'étais fière d'Hector ou de Lynn. J'obtins moi-même le 6e rang, et Zeke le 10e. Lauren était 5e, et Quatre était premier. Ce gars semblait vraiment fort.

Le stade 2 commençait aujourd'hui. Il s'agissait de celui que je craignais le plus, le stade physique. Je m'étais renforci des bras énormément. Mes jambes avaient toujours été ma force, étant une coureuse émérite. Bon, je n'étais peut-être pas la meilleure, mais j'avais été dans le club de course durant toute mon adolescence, et j'étais dans les premières presque tout le temps.

On nous emmena dans la salle d'entraînement. Là, on avait installé un «ring» au milieu, où les élastiques étaient rouge vif et les poteaux noirs d'encre. Le sol qui le délimitait était couvert de tapis minces et blancs. Autour du ring, plusieurs «punching bag» rôdaient.

Le sergent Anderson nous rassembla tous autour de lui.

- Félicitations à vous tous, vous avez réussi le stade 1. Mais le repos est de courte durée : à partir d'aujourd'hui, vous aurez à démontrer vos talents pour vous défendre physiquement. Je tenterai de vous aider en analysant vos techniques, mais ce sera principalement vous qui ferez en sorte de réussir ou d'échouer. Chaque jour, vous affronterez vos collègues sur le ring. Les règles sont simples : Le combat est gagné soit lorsque l'autre est à terre et incapable de continuer, ou lorsque l'autre déclare forfait. Plus vous accumulerez les victoires, plus haut vous serez dans le classement. Toutefois, j'évaluerai aussi vos techniques, ainsi, même si vous perdez, vous pourriez faire des points. Des questions?

Dexter, le partenaire à Zeke, leva la main. Après l'autorisation, il demanda :

- Tous les coups sont permis?

- Oui. Attention, on aimerait éviter les dommages définitifs, toutefois. Agissez en policier qui veut maîtriser l'autre, s'il vous plaît, et non pas en mécréants qui veulent tuer l'autre.

- Il y a déjà eu des morts? ne put s'empêcher de demander Matthew.

- Une ou deux fois, répondit le sergent. Les risques du métier.

J'espérais qu'il nous mentait, mais je n'en étais malheureusement pas certaine. Ce fut plus fort que moi, je jetai un coup d'œil sceptique à Zeke. Celui-ci me regardait, une lueur de défi dans le regard. Nous allions nous battre, comme dans le bon vieux temps. Seulement, cette fois, j'étais fâchée. Je détournai le regard.

- Les combats du jour seront affichés sur l'écran au-dessus du «ring». Je vous appellerai lorsque votre tour viendra. En attendant, entraînez-vous!

Mon nom s'afficha en 4e combat, contre Phillip. J'allais me faire écraser, c'était presque certain, vu la carrure du type. J'allais devoir faire preuve de vitesse.

Zeke commençant à avancer vers moi, je me dépêchai à aller trouver Lauren. Ensemble, nous nous installâmes un peu plus loin, où deux «punching bag», où nous pratiquâmes nos coups.

Bien trop tôt à mon goût, on appela mon nom et celui de Phil. Je devais paraître minuscule face à lui, alors qu'habituellement j'étais plutôt grande. Ça partait mal, cette intimidation.

- Bonjour, Phil, le saluai-je néanmoins.

- Salut Shauna, répondit-il avec un sourire. Prête à tomber?

- Tu seras surpris, répliquai-je, sans être convaincu.

- Trois, deux, un… frappez! annonça Anderson.

Aussitôt, je pris mon élan et lui assénai un grand coup de pied au visage. Surpris, il recula d'un pas, et j'en profitai pour tenter un coup de poing dans le ventre. Pas de chance, je ne fis que le frôler avant de recevoir son poing dans la mâchoire. Je battis aussitôt en retraite en me mettant en position défensive.

Je réussis à bloquer deux coups, avant de voir une ouverture et d'essayer un coup de genou dans les parties. Trop évident, il me repoussa facilement. J'atterris dans les élastiques, et il en profita pour me donner un coup de tête. J'étais maintenant étourdie. À l'aveuglette, je réussis à frapper son côté, mais sans doute trop faiblement pour avoir un quelconque effet. L'instant d'après, j'étais sur le sol, les jambes dans les airs. Je voyais des étoiles.

- Shauna, ça va? crus-je entendre.

Peu à peu, je recommençai à voir le plafond. Sur le coin, à droite, le crâne chauve de Phillip se détachait du gris uniforme. Ses sourcils étaient froncés.

- J'y suis allé trop fort?

- Mais non, c'est le jeu, marmonnai-je. Mais pardonne-moi, j'aurais besoin d'une pause, là là.

Il me tendit sa main, que j'acceptai avec joie. Il m'aida à descendre de l'estrade, et Zeke apparut soudainement à côté de moi, me soutenant. J'acceptai le support 30 secondes, avec de me détacher de lui.

- Merci, mais je vais bien. C'était bien ma chance, de devoir affronter le plus costaud de tous la première fois.

Zeke me lâcha à contrecoeur, mais sourit de ma remarque.

- Tu t'es très bien débrouillée, je trouve, me dit-il.

- Pas du tout, répliquai-je. J'ai été très mauvaise. Mais je m'améliorai.

- Tu es trop dure envers toi-même, me dit Phillip. Je ne suis pas facile à battre, tu sais.

- La prochaine fois, c'est TOI qui prendras ma main pour te relever, lui promis-je avec confiance.

Les deux partirent à rire, ce qui me donna mal à la tête. Je retournai dans mon coin où Lauren était, et nous continuâmes l'entraînement, quoique beaucoup plus tranquillement. Je m'arrêtai pour observer le combat de Zeke contre un gars qui s'appelait Justin. Zeke gagna, et je lui fis un «thumbs up» d'où j'étais. Il me fit un clin d'œil en retour.

- Mon party aura lieu ce samedi, m'annonça alors Lauren. Tous les aspirants policiers sont invités, quoique je n'ai pas lancé l'invitation officiellement à ceux que je ne parle pas.

- Je viendrai, et sûrement que Zeke aussi.

- Si tu as des idées de jeux, ça sera super! Et amenez votre alcool. Il y a un endroit où en acheter, à une rue de chez moi.

- J'ai hâte! Ça me fera un bien fou de me détendre.

- Et moi donc! s'exclama-t-elle.

X x X

Le mercredi, ce fut à mon tour d'affronter Zeke. Je ne lui avais pas vraiment parlé depuis ce jour à l'étang, et j'éprouvais une forte envie de me défouler sur lui. Je détestais qu'il me traite comme si j'avais fait quelque chose d'affreux. Je n'avais rien fait, sauf mal interpréter un geste que j'espérais malgré moi. Nous n'avions même pas déjeuné ensemble, ce matin. Mon nom fut appelé en premier. Je grimpai sur la plateforme et attendis qu'il fasse de même.

Mon cœur battit un peu plus vite en le voyant. Il avait des cernes sous les yeux, et ses cheveux étaient ébouriffés, comme s'il avait passé son temps à se passer la main dedans au lieu de dormir. Mais pourquoi ne me racontait-il pas ce qui le tracassait à ce point? Je croisai son regard sombre.

- Salut Shauna, dit-il doucement.

Je plissai les yeux. Il ne pouvait pas ne pas voir que j'étais fâchée contre son attitude de merde. C'était inscrit partout sur ma face.

- Écoute, je…

- Pourquoi tu m'évites? l'interrompis-je brusquement.

- Tu m'évites tout autant! se défendit-il.

J'entendis vaguement le sergent Anderson nous dire que le combat était commencé. Bien. J'en profitai pour faire mon premier mouvement : je le frappai directement au visage, vers l'œil. Sa tête partit en arrière et il lâcha une exclamation de surprise. Je me sentis coupable, mais c'était ce qu'on devait faire, après tout. Et ça me défoulait.

- Tu as commencé, et ça m'a fâché. Énormément.

Je pris mon élan pour lui donner un coup de pied sur la hanche. Je le touchai, mais il se recula assez pour que ça ne lui fasse pas vraiment mal.

- Shauna, tu…

Mon poing se dirigea à nouveau vers son visage, mais cette fois, il vit venir le coup et le para. Il me poussa assez fort pour me faire reculer sans me faire tomber.

- Merde, écoute-moi! se fâcha-t-il soudain.

Je plissai les yeux, tout en guettant une ouverture. Il avait trois secondes avant que je le réattaque.

- J'étais mal et j'ai créé un malaise, et vu que tu comptes beaucoup pour moi, j'ai eu peur de perdre ma meilleure amie.

Mauvaise réponse. Aussitôt, je visai son ventre. Je l'atteignis, mais mon coup n'était pas assez fort pour le déconcentrer. Il manqua à peine de souffle.

- Et en m'évitant, tu pensais me garder? ricanai-je.

- Je ne savais pas comment m'excuser! s'écria-t-il, exaspéré. Tu t'es mise en colère pour une joke que tu as mal prise, et je me suis senti nul! J'ai merdé en tant que meilleur ami! Je le reconnais, je suis loin d'être ton frère! Je sais comment la famille est importante pour toi, surtout depuis que tu as perdu tes parents, et je voulais en faire partie, juste un peu, c'est tout. Désolé de m'y être mal pris, ronchonna-t-il.

Il évitait de m'accuser d'avoir créé le malaise, moi avec ma stupide envie de l'embrasser. C'était chevaleresque de sa part, et devant son air misérable, je sentis ma colère et mon embarras s'envoler. S'il était prêt à oublier mon moment d'égarement, pour rien au monde je ne le chasserais de ma vie.

Je donnai à nouveau un coup de pied, vers le genou cette fois. C'est alors que je me rendis compte qu'il n'avait fait que se défendre jusqu'ici, et que c'était très mauvais pour son score. Il était hors de question qu'il commence à me considérer comme une fille sur le «ring», alors que chaque coup était important pour rester dans cette école.

- Ce n'est pas en me laissant gagner que je te pardonnerai, le provoquai-je.

Je vis de la surprise passer dans ses yeux sombres. Je lui fis un sourire en coin, pour lui montrer que je le pardonnais. Il me le rendit, et soudain, tout fut comme avant. Ou presque. Parce que maintenant, je savais que j'aspirais vraiment à plus, mais que je ne l'aurais jamais.

- Comme si tu pouvais gagner contre moi, ria-t-il. Je suis plus fort que tous les Avengers réunis.

- Bonjour Thanos, répliquai-je en fonçant à pleine vitesse sur lui.

Sans trop savoir comment, nous nous retrouvâmes sur le sol, à se bagarrer comme deux gamins dans une cour de récré. Il me donna de nombreux coups, et je fis de même, jusqu'à ce que soudainement, je me retrouve sous lui. Ses jambes retenaient mes jambes, ses mains mes bras, et son souffle erratique me chatouillait le visage. Refusant d'admettre ma défaite, je me contorsionnai de tous les côtés pour m'échapper de ses prises. Mais plus je tentais de me libérer, plus son regard se faisait sérieux. Et brusquement, je sus que j'avais perdu. J'arrêtai de me débattre, et fixai mon meilleur ami, le cœur battant, essoufflée. Mon regard s'égara vers ses lèvres, et je vis du coin de l'œil qu'il faisait de même. Sa tête s'approcha imperceptiblement de la mienne, et malgré ma résolution d'un peu plus tôt, je ne pus m'empêcher d'espérer que… peut-être…

- Victoire à Ezekiel, déclara alors le sergent Anderson.

Je clignai des yeux, étonnée. Mon environnement se rappela peu à peu à moi ; l'atmosphère chargée de sueur, la chaleur moite, les lumières des néons… il n'y avait rien de romantique à cette salle d'entraînement. Heureusement, personne ne nous prêtait vraiment attention, hormis Anderson. Zeke recula et me fit un grand sourire espiègle. Je ressentis un soulagement ; il n'allait pas fuir, cette fois.

- Thanos qui récolte toutes les pierres pour son gant de l'infinité, c'est bel et bien moi!

- Fais attention, dans la partie 2, il échoue, rouspétai-je pour la forme.

Il me tendit la main pour m'aider à me relever. Je l'acceptai avec joie.

- Mais je dois admettre que tu étais pas mal, Black Widow.

Je levai les yeux au ciel. Il me raccompagna à mon «punching bag», et je me dis que pour une fois, perdre n'était pas si mal.