- Sibylle Trelawney n'est pas aussi fantoche que ce que mon oncle en dit, murmura le jeune homme à son mentor sur un ton inquiet. Il devrait se méfier, vraiment.
Il avait espéré qu'Alexandros, son pédagogue depuis qu'il était enfant, le comprendrait mieux que le reste de son entourage. Cependant, le vieil homme eut une moue sceptique qui indiquait clairement ce que lui-même pensait (ou affectait de penser) de la chose.
C'était dit, mais Elias n'en démordrait pas. Il avait entendu parler de cette femme par des sources qui lui semblaient parfaitement sérieuses et restait convaincu qu'à la malmener et la sous-estimer ainsi, le célèbre Ikenokos se rendait coupable d'hybris. A verser ainsi dans la démesure, il s'exposait à ce que les événements lui retombent dessus.
C'était en tout cas ce que sa famille lui avait toujours appris.
Elias pratiquait la divination depuis son adolescence, une discipline dans laquelle il s'était perfectionné à force de travail, transformant un don au départ aléatoire en une faculté totalement reconnue, quoique modeste au regard de celle de grands pontes comme Ikenokos. Et à force de travail, il avait eu l'honneur d'être suffisamment reconnu par ses pairs pour être invité à assister à ce colloque international qu'il espérait enrichissant.
Pourtant, ce soir et alors qu'il discutait dans cette rue passante avec son précepteur, un peu à l'écart de la foule, Elias se sentait totalement perdu. Lui attendait depuis longtemps l'occasion de rencontrer Sibylle Trelawney dont on disait justement qu'elle pratiquait un art différent de celui d'Ikenokos, un art qui lui semblait posséder bien des similitudes avec le sien. Cependant, à son grand désarroi, il était apparu ce soir qu'il ne faisait pas bon la côtoyer si on voulait rester dans les bonnes grâces du chef suprême de la discipline.
Aussi, Elias Ikenokos n'éprouvait pas grand-chose d'autre que du dépit après avoir assisté à l'ouverture de son premier colloque.
Petit, il admirait son oncle pour son charisme et pour la finesse de son art. Mais après des années de pratique, il se sentait aussi différent de lui que désabusé par son arrogance et sa cruauté impitoyable.
Qu'il puisse être différent, il l'avait toujours su et accepté : il avait conscience depuis sa plus tendre enfance qu'il ne serait jamais aussi puissant, ni aussi illustre. Pourtant, il s'était pris à rêver et avait persévéré dans l'espoir de se faire sa propre place dans le milieu des oracles.
Et ce soir, la situation l'écœurait plus que jamais, celle qu'il espérait rencontrer avait du encaisser des critiques humiliantes sans broncher, d'autant que personne ne l'avait défendue alors que lui-même savait que, si son oncle faisait autorité dans le milieu, il ne faisait pas l'unanimité et que d'autres pratiques que la sienne existaient en toute légitimité.
Alexandros lui-même le pensait, cela Elias le savait parfaitement. Mais tant que son oncle resterait cette ombre menaçante planant sur la carrière du vieil homme, celui-ci se tairait, aussi doué soit-il lui-même.
- Ne fais pas montre de la moindre rébellion, lui conseilla d'ailleurs Alexandros d'une voix douce qui fit soupirer Elias d'exaspération.
Les deux hommes en étaient encore là, discutant à voix basse dans l'air chaud de cette soirée de cette fin de printemps lorsque le crissement des pneus d'une voiture à quelques dizaines de mètres d'eux, un bruit de choc et des cris de frayeur poussés dans tous les sens les firent sursauter :
- Que… Souffla Elias à la fois surpris et inquiet.
Sans attendre l'approbation du vieil homme qui l'accompagnait, il se précipita au milieu de la rue, là où l'incident venait de survenir et où une voiture de couleur bleue était arrêtée en plein milieu de la chaussée.
Il sursauta cependant une nouvelle fois lorsque, devant lui et étendue sur le macadam, il vit Sibylle Trelawney qui venait de tout évidence de se faire heurter par une voiture et gémissait de douleur.
Horrifiée, la conductrice venait d'ailleurs de sortir de son véhicule et Elias l'entendit crier quelque-chose en allemand tandis qu'un badaud sortait un petit objet de sa poche et, après l'avoir tapoté quelques instants, le portait à son oreille.
Il voulut se rapprocher encore, mais soudain une poigne de fer se referma sur son avant-bras et il se retourna surpris mais sachant déjà qui l'arrêtait ainsi dans son élan.
Son oncle en personne venait en effet de l'empoigner et le tirait en arrière avec fermeté :
- Cesse de te rendre ridicule, ordonna t-il. Que les moldus s'en chargent eux-même… Puisqu'elle les aime tant…
Elias n'osa pas résister et le suivit avec appréhension. Il frissonna lorsque, après l'avoir éloigné de la scène, son oncle le fit transplaner jusqu'à leur demeure familiale.
Les vrais ennuis commençaient pour lui, car il ne doutait pas que son oncle savait déjà exactement ce qu'il pensait.
