Thalie fut réveillée comme chaque matin par le chant de Fumseck. Et comme chaque matin depuis trois ans, elle fut totalement désemparée par la pénombre sanguine qui régnait dans sa chambre. Elle mit un moment à se remémorer le ciel souillé de Londres, et le cœur serré, elle se résigna à se préparer.

Pour sa sortie au Chemin de Traverse, elle opta pour des vêtements de moldus décontractés et se couvrit d'une cape de dissimulation. Cette variété de cape, sans conférer l'invisibilité, rendait son possesseur totalement insignifiant aux yeux des passants. Ces capes s'achetaient à prix d'or dans la boutique d'Euménides Belphégor et il n'en restait plus qu'une dizaine en stock. Le père de Thalie les fabriquait lui-même.

Thalie dévala les escaliers menant au second étage. Elle habitait un vieux manoir, héritage familial ancestral, et logeait au troisième étage. Elle courut jusqu'à la chambre de sa mère, s'attendant à la trouver encore au lit. Mais son père lui répondit d'une voix ensommeillée qu'elle venait de s'envoler pour le ministère et ne serait pas de retour avant midi.

Thalie rédigea donc un petit mot afin de prévenir ses parents de sa sortie au Chemin de Traverse.

« Droséracée ! » cria-t-elle après s'être préparée de pied en cap.

L'elfe de maison apparut avec un bruit sec.

« Oui maîtresse ? » couina-t-elle.

« Je sors, j'ai besoin d'argent. »

La vieille elfe hocha sa tête ridée et disparut. Lorsqu'elle revint, elle tenait une bourse en cuir de dragon joliment gonflée.

« Merci Droséracée. »

Par habitude, elle s'inclina et déposa un baiser sur le front de l'elfe. Celle-ci, comme chaque fois que sa maîtresse faisait cela, se répandit en remerciements et en hommages à la grandeur de la maison Belphégor. Thalie se mit à rire, puis elle se rendit dans le grand salon où trônait une cheminée gigantesque. Saisissant une poignée de poudre de cheminette dans un bocal de cristal, Thalie s'engouffra dans l'ouverture, piétinant un feu de couleur émeraude.

« Chemin de Traverse » cria-t-elle, avant de se trouver projetée au chaudron baveur.

Elle atterrit sans grand mal, trahissant une longue pratique. Un vieil homme l'accueillit avec de grands sourires et lui jeta un sortilège de nettoyage afin de débarrasser ses vêtements de la suie.

Thalie se dirigea vers le comptoir du bar. Un homme y était occupé à nettoyer des verres à l'aide d'un torchon d'une propreté irréprochable.

« Karl » l'interpella-t-elle « Tu n'aurais pas vu Raphael et Elena ?»

Le barman se gratta la tête.

« Pas depuis l'année dernière. » grommela-t-il.

« Tu es sûr ? » insista-t-elle, soucieuse.

« Certain. Ils t'ont peut-être posé un lapin ? » proposa-t-il avec l'air de quelqu'un qui veut rend service.

« Ce n'est pas leur genre, et tu le sais parfaitement bien. » répondit-elle d'un air inquiet. « Tu n'aurais pas un hibou à me prêter ? »

Karl s'éloigna quelques instant et revint avec une chouette effraie quelque peu déplumée.

« Voilà Alcyone. Elle est rapide pour son âge »

Thalie le remercia et dénicha un bout de parchemin et une plume sur une table du bar. Elle avait peut-être tort de s'affoler pour si peu, mais par les temps qui couraient, un rien semblait suspect. Elle rédigea donc deux petits mots à ses amis, leur demandant où ils se trouvaient ,et les confia à Alcyone.

Elle se sentit ridicule lorsqu'une jeune fille aux cheveux blonds cuivrés entra dans le bar. Elle portait des lunettes à fine monture métallique et sa peau était joliment bronzée.

« Elena ! »s'exclama Thalie en se levant d'un bond pour sauter au cou de sa meilleure amie. Celle-ci éclata de rire en voyant la mine soulagée de son amie.

« Thalie, tu as viré totalement parano. J'ai reçu un machin volant en pleine tronche il n'y a pas plus d'une minute, et à ma grande surprise, ce machin volant était une chouette qui m'apportait un mot de ta part, expliquant ton inquiétude de ne pas me voir arriver. Thalie ! Est-ce que tu as oublié que tu n'as même pas préciser l'heure du rendez-vous ? »

Thalie éclata de rire. Effectivement, elle devenait parano, et maniacodépressive en plus de ça. Mais la présence de son amie eut le mérite de la dérider.

« Alors que fait-on ? »questionna Elena. « On attends Raphael ici ? »

« Oui. J'ai précisé que je ne bougerais pas du chaudron baveur. »

Elena haussa les épaules et engagea une conversation sur leurs vacances respectives. Apparemment, elle s'était bien amusée en Égypte. Leurs magiciens étaient suffisamment puissant pour n'avoir rien à redouter de Crucifel et de ses disciples, aussi Elena avait-elle passé deux mois dans l'insouciance la plus totale. Comme au bon vieux temps.

Mais Thalie n'avait pas bougé de Londres. D'abord parce qu'elle ne supportait pas l'idée de laisser sa mère seule face aux Croquemitaines. Et puis parce que le manoir Belphégor était l'un des lieux les plus surs d'Angleterre, avec Poudlard. Il était protégé par des sortilèges datant du moyen âge, et on pensait que les quatre Grands, comme on nommait les fondateurs de Poudlard, avaient contribué à son élaboration. Le manoir était une place forte, un camp de retranchement. En cas de déclenchement des hostilités, les familles sorcières habitant dans ses environs savaient qu'elles pouvaient y trouver refuge, car la porte était toujours ouverte aux nécessiteux.

Mais surtout, Thalie ne voulait pas manquer l'occasion de brandir la baguette face aux Croquemitaines. Chaque soir depuis trois ans, elle s'entraînait dans la salle d'armes du manoir, avec sa mère, son père, tous les membres de sa famille et parfois un professeur spécialisé, afin de maîtriser l'art du duel. Elle s'était interposée pendant l'été entre un Croquemitaine et un élève de première année à Poudlard. Si elle n'avait pas été là…

« Eh »siffla Elena. « Thalie, tu connais le gars qui vient d'entrer ? ».

Un homme de grande taille, mince, les cheveux noirs, la dévisageait depuis un moment. Il finit par se diriger vers la table où se trouvaient les deux amies et s'adressa directement à Thalie.

« Bonjour mademoiselle. » dit-il d'un ton placide.

Thalie, les sens en éveil, les muscles crispés, se tenait prête à bondir.

« Bonjour. » répondit-elle du ton le plus détaché possible. « Est-ce que je vous connais ? »

L'homme lui tendit une main amicale.

« Je suis Johan Hobbes. Recruteur de mannequin pour le magazine Sorcière Hebdo. »

Thalie lui serra la main. En quelques secondes, elle comprit à qui elle avait à faire et, sortant sa baguette, hurla un sortilège de stupéfixion. Les clients du bar la regardèrent d'un air abasourdi. Sans leur prêter attention et sourde aux protestations de sa meilleure amie, elle se mit à califourchon sur le torse de l'homme à terre et ouvrit sa chemise.

« J'en était sure » souffla-t-elle.

En haut à droite s'étalait une fine cicatrice en forme de X. Pour calmer les sorciers abasourdis qui la contemplaient médusés, Thalie décida de s'expliquer.

« Cette homme est un croquemitaine. » lança-t-elle à la cantonade. « Appelez la brigade des Aurors ! »

Karl s'empressa de tapoter un petit cristal qui se balançait au dessus de sa tête à l'aide de sa baguette. Cinq minutes plus tard, deux Aurors débarquèrent. Thalie les connaissait.

« Thalie ! »s'exclama Matt Auster, un jeune homme qui travaillait sous les ordres de Phèdre Belphégor. « Tu nous a rendu un sacré service ! »

Le croquemitaine, toujours stupéfixé, était transporté par son collègue, un géant à la moustache drue, Charles Hagedorn.

« Il t'as donné son nom ? » demanda Matt.

« Il dit s'appeler Johan Hobbes. »

Le jeune Auror avait l'air abasourdi.

« Hobbes ? Ta mère cherche ce gars depuis belle lurette ! Il fait croire aux jeunes filles qu'il cherche des mannequins et les piège à tout les coups. »

Après le départ des deux Aurors, Elena rejoignit son amie et la questionna avec empressement.

« Comment as-tu fait pour deviner ? » s'exclama-t-elle, totalement bouleversée.

« C'est très simple. Lorsqu'il ma serré la main, j'ai pu tâter discrètement son pouls. Il était totalement inexistant. »

Face à l'air d'incompréhension de son amie, elle expliqua :

« C'est vrai que la plupart des sorciers l'ignorent, mais c'est à ça qu'on reconnaît les Croquemitaines. Ce sont des hommes sans cœur. Au sens littéral du terme, Crucifel le leur a arraché. On ignore ce qu'il en fait, peut-être qu'il les dévore, peut-être qu'il les utilise pour effectuer de la magie noire. »

Elena poussa un petit cri d'horreur. Thalie la comprenait, bien qu'elle se fut habituée à cette vérité. Mais la seule chose qui l'inquiétait réellement, était qu'un croquemitaine l'ait visée directement.

Thalie poussa un long soupir. Crucifel ne la menaçait pas en vain.