Elena et Thalie attendirent encore une heure avant de pouvoir serrer Raphael dans leurs bras. Le jeune homme avait les cheveux d'un châtain sombre et des yeux d'un bleu d'acier, presque gris. Thalie fut frappée par les changements opérés en lui durant les vacances. Il avait perdu ses airs de jeune adolescent et prenait les traits d'un homme. Il arborait toujours un visage séduisant mais dur, impitoyable.
Quand il apprit que Thalie était parvenue à démasquer un croquemitaine il y avait de cela une heure, il la dévisagea avec stupéfaction et l'étreignît avec force.
Thalie se dégagea en riant et contempla les yeux de Raphael où brillaient fierté et inquiétude.
« Tu vas finir par faire de la concurrence à ta mère. » remarqua-t-il.
Le cœur léger, ils s'engouffrèrent dans le Chemin de Traverse. Elena insista pour aller à Fleury et Bott en premier lieu, et personne n'y trouva à redire.
Thalie se sentait renaître, coincée entre ses deux meilleurs amis qui discutaient allégrement de choses et d'autres, tout en évitant judicieusement les sujets délicats. Devant une boutique de Quidditch, ils rencontrèrent Marlene Lovegood et son arrière-grand-mère, Luna Lovegood. Cette dernière était une femme de 117 ans incroyablement dynamique pour son âge. Le trio la salua respectueusement et elle leur adressa un large sourire, les yeux perdus dans le vague.
« C'est un vétéran de la guerre contre Voldemort. » déclara Thalie, émue. « Elle s'est battue lors de l'affrontement final, et elle a survécu pour nous transmettre l'héritage d'un martyr. »
Elena et Raphael demeurèrent silencieux, pensant au héro de la grande guerre dont tous ne cessaient de leur parler. Harry Potter, le seul être à avoir survécu à un avada kedavra et qui avait débarrassé l'humanité du fléau voldemorien. Hélas, Harry Potter n'avait pas survécu longtemps au mage noir, et s'était éteint à l'âge vénérable de 20 ans.
Ils parvinrent à Fleury et Bott perdus dans des pensées douloureuses et ne remarquèrent pas l'attroupement devant l'un des stands de la boutique.
Ce fut Elena qui les arracha de leurs réflexions en s'exclamant : « Amélia Faris (1) est là ! Elle distribue des autographes ! »
Raphael et Thalie se sentirent électrisés. Amélia était la seule personne à être parvenue à s'échapper des griffes des Croquemitaines vivante et en état de raconter ce qui lui était arrivé.
Elle avait écrit un livre, « Mémoire de captive », qui s'était vendu à des millions d'exemplaires. La belle jeune femme était devenue aveugle, mais son fiancée, Olivier Dubois (2), ne la quittait plus et la guidait en toute circonstances. Un lien insaisissable les unissait, un lien renforcé par l'horreur vécue et vaincue par deux êtres soudés dans l'adversité.
Elena se précipita vers le stand pour tenter d'apercevoir la célèbre écrivain, poussant sans ménagement les badauds et abandonnant ses amis derrière elle.
Thalie prit Raphael par la main et se dirigea vers une bibliothèque qui couvrait la totalité d'un mur. Elle y trouva le best seller d'Amélia Faris et parcourut le résumé, Raphael lisant par-dessus son épaule.
« Le récit d'une captivité insoutenable. Amélia Faris dévoile avec méthode la cruauté des croquemitaines et raconte les sévices subis. Cobaye pour des expériences de magie noire, elle a perdu la vue lorsqu'on la força à contempler l'enfer de face. La dernière image qu'elle conserve de ce monde est le tournoiement des flammes infernales. »
Thalie sentit l'ouvrage lui glisser des mains. Un dégoût immense s'empara d'elle et elle s'accrocha fermement à Raphael pour ne pas tomber.
Lorsqu'elle leva les yeux vers lui, leurs regards ne se quittèrent pas pendant un long moment. Une brûlure foudroya Thalie au niveau de l'estomac, et elle comprit. Un cœur ne bat pas aussi vite pour un ami.
Désorientée, elle se demanda comment elle avait put ignorer ce sentiment depuis si longtemps.
Et puis un désespoir écrasant s'abattit sur elle. Raphael était courtisé par la moitié des filles de l'école, et il n'avait jamais témoigné d'attention à aucune d'elle. Peut-être était-ce pour cela qu'elle n'avait jamais osé le considérer autrement que comme un ami.
Désemparée, Thalie se demanda pourquoi une telle prise de conscience s'opérait en elle à ce moment précis. Elle se dit que l'amour que se vouaient Faris et Dubois la contaminait.
« Thalie ? Est-ce que tout va bien ? » s'inquiéta Raphael en la sentant vaciller.
Incapable de répondre, elle baissa son visage qui s'enflammait. Raphael la saisit par les épaules et la ramena près de la file d'attente. On entendait Elena glapir et sautiller sur place.
« Thalie, je m'occupe de réunir les manuels scolaires pour tout le monde. Je reviens dans quelques minutes. » cria Raphael en tentant de couvrir le brouhaha qui régnait dans la boutique.
Thalie hocha faiblement la tête. Elle était abasourdie par la trahison que venait de lui faire son cœur . Il s'affolait à la vue de son meilleur ami. Et un incendie se déclarait au creux de son estomac lorsqu'il lui parlait, ses mains devenaient moites lorsqu'il la prenait par le bras. Thalie s'assit sur une pille de livre, l'esprit torturé par un amour naissant.
Elle ne réagit pas lorsqu'Elena la tira jusqu'au stand de l'auteur.
Amélia Faris se tenait droite sur sa chaise. Une aura émanait de cet être inébranlable. Thalie, le cœur battant à lui en défoncer la poitrine, fut submergée par un flot d'émotions contradictoires. De l'admiration, de la peine, de la douleur, de la fierté, de la colère, de la tristesse, de l'amour…
Amélia lui prit la main et sourit.
« Tu es amoureuse » dit-elle avec douceur.
Thalie fixa ses grands yeux morts qui voyaient dans son cœur. Alors elle porta la main à ses lèvres, l'embrassa tendrement et murmura un « oui » inaudible.
Amélia se mit à rire doucement.
« Ça fait mal » s'étrangla Thalie.
« C'est que c'est sincère. » répondit Amélia amicalement. « Et très fort. Suffisamment pour sauver une vie. »
Thalie ne comprit pas ce que la jeune femme voulait lui dire. Mais une mégère l'écarta brutalement en hurlant que c'était son tour et le contact fut rompu.
Elena, qui n'avait pas suivit la scène, détailla Thalie d'un air critique.
« Tu as la tête de quelqu'un qui a rencontré un mort vivant. »
« Tu n'y es pas du tout » soupira Thalie.
Malgré les questions incessantes de son amie, elle se tint coite et tenta d'emprisonner son amour au plus profond de ses entrailles. Mais même là, il continuait de la tourmenter.
Parce que Raphael n'était pas un garçon comme les autres. Parce qu'elle connaissait trop bien son secret et qu'elle savait que les loups-garous n'ont pas le cœur facile.
