A la plage

Chapitre 5 : Le Journal du Renard

Hiei ouvrit doucement les yeux. Il avait vaguement entendu quelqu'un frapper à la porte. Sans même lui en avoir donné l'autorisation, l'empêcheur de dormir tranquillement entra. Il allait grogner quelque chose du genre « Barre-toi, tu vois pas que je dors ! » quand il s'aperçut que l'intrus n'était autre que Kurama. Celui-ci le regardait bizarrement. Le jaganshi s'assit sur son lit, son oreiller toujours dans ses bras depuis qu'il s'était couché.

« Qu'est-ce qu'il y a ? » demanda-t-il dans un murmure.

L'androgyne ne répondit pas et se contenta d'approcher du lit à pas souples. De manière féline et sensuelle, il monta sur le matelas et avança à quatre pattes vers sa proie collée contre la tête de lit, le coussin pour seul bouclier.

« Kurama... Qu'est-ce qu'il t'arrive ? » demanda-t-il, le souffle court.

Il ignorait pourquoi mais cette situation le gênait et pourtant il mourait d'envie de savoir ce qui allait lui arriver. Le renard plongea son regard émeraude dans celui rubis de son vis-à-vis. Ce dernier reconnut ce regard, le même que les deux fois précédentes. Un regard de braise. Le kitsune approcha sa bouche de l'oreille du démon du feu:

« Il m'arrive que tu me plais... » chuchota-t-il.

Le koorime frissonna. Non, ça n'était pas possible... Il frissonna de plus belle lorsqu'il sentit un coup de langue sur le lobe de son oreille puis des dents le mordiller. Ses doigts se crispèrent sur le polochon tandis qu'une bouche avide engloutissait son lobe. Un parfum de rose suave et entêtant l'entourait. Ses pensées les plus cohérentes s'enfuyaient au fur et à mesure que les lèvres du voleur déposaient des baisers le long de son cou. Il laissa échapper un soupir malgré lui.

« Kurama... Qu'est-ce que tu fais...? » fit-il faiblement.

« Je prends soin de toi... » susurra son ami avec un sourire coquin.

Sa seule défense -l'oreiller- vola à travers la pièce et atterrit près de la porte. Yohko put s'attaquer à la clavicule qu'il redessina de petits baisers tendres et de légers coups de langue. La vision du hérissé frisait la myopie et ses paupières se fermèrent toutes seules. Des bras enserrèrent sa taille, des mains habiles et fraîches se glissèrent sous son t-shirt, remontant dans son dos et caressant sa nuque. Le corps de Suishi se colla au sien tandis qu'il posait de chastes baisers sur les lèvres entrouvertes du pauvre youkaï perdu dans un océan de sensations et de sentiments inconnus. Il retint un gémissement tandis qu'une langue curieuse entrait dans sa bouche offerte. Ses bras s'enroulèrent d'eux-mêmes autour du cou de Minamino pour approfondir l'échange. Une vague d'un désir intense le submergea alors que les doigts de Kurama couraient vers son entrejambe.

BLAM !

Hiei se frotta l'épaule qui avait heurté le sol. Le coussin l'avait suivi dans sa chute. Quel besoin avait-il eu de tomber du lit alors que son rêve devenait intéressant ? Tout lui avait paru si réel... En fait la seule chose bien réelle était son boxer trop serré. Il se releva et balança l'oreiller sur le lit. Le jaganshi sortit discrètement de sa chambre et se rendit dans la salle de bain. Malgré le jet d'eau glacé sur sa peau, le songe était encore présent aussi bien dans son esprit que dans sa chair. Ce qui ne l'aidait évidemment pas à se calmer. Son corps, ou plus précisément une partie de son anatomie, refusait de redevenir sage comme une image.

« Quelle merde... » marmonna-t-il, son front rencontrant le carrelage froid du mur.

Le démon du feu était en train d'enfiler ses vêtements quand un véritable tremblement de terre ébranla le premier étage de la villa. Il entendit la porte de sa chambre s'ouvrir avec fracas tandis qu'il se jetait sur le battant de la salle d'eau. Il se dirigea vers ses appartements et vit de dos un –« crétin »- grand roux qui fouillait frénétiquement la pièce. S'apprêtant à lui demander ce qu'il venait faire ici, il eut la surprise -pas très agréable- d'être devancé par un hurlement:

« HIIIIEEEEEIIIII ! »

Le koorime se déboucha une oreille et lança un regard plus que noir à cette grande bringue qui venait de le rendre sourd:

« Pas la peine de brailler comme ça, je suis là imbécile ! »

Kuwabara sursauta et se retourna. Bizarrement il lui sourit, chose qu'il ne faisait jamais en temps normal sauf quand il trouvait un truc pour bien l'emmerder.

« Qu'est-ce que tu me veux ? »

« Yusuke m'a dit de venir te chercher, il a trouvé un truc qui pourrait t'intéresser » répondit Kazuma.

Le hérissé haussa un sourcil, la façon dont cette andouille lui parlait étant plutôt suspicieuse. Malgré cela il consentit à le suivre jusque dans le salon où, affalé dans le canapé, Yusuke attendait patiemment, jouant avec un étrange petit cahier.

« Je pense que ça peut te plaire... » dit le mazoku, un sourire malicieux étirant ses lèvres.

« Ah oui. Et pourquoi ça ? »

« Parce que c'est le journal intime de Kurama » annonça Urameshi avec un air de triomphe.

Une annonce qui n'eut pas grand effet sauf peut-être:

« Nani ? C'est quoi un jour... machin truc ? »

« C'est là où Kurama écrit toutes ses pensées et ses sentiments »

Le cœur du youkaï fit un bond gigantesque dans sa poitrine. Sans savoir pourquoi, il avait l'impression d'être contre un mur et qu'il ne pouvait pas reculer plus. Son instinct lui criait de fuir mais il paraissait comme paralysé. Il avala lentement sa salive; sa gorge lui semblait plus sèche que le désert du Sahara. Il devait dire quelque chose, bouger, n'importe quoi et vite vu l'expression qu'avait le brun.

« Et... En quoi ça doit m'intéresser ? » lâcha-t-il enfin.

« Fais pas l'innocent, je sais que tu en pinces pour lui. Ca te dirait pas de savoir si Kurama éprouve les mêmes sentiments que toi ? »

Hiei n'en croyait pas ses oreilles. Comment Yusuke pouvait-il être aussi stupide et aussi naïf ? Il avait l'impression d'avoir en face de lui un clone de Kuwabara.

« Non ça ne m'intéresse pas de le savoir de cette manière. C'est idiot parce que faire ça c'est comme violer l'esprit de Kurama et je trouve pas ça juste ! »

Le semi-ningen resta bouche bée. Pour deux raisons. La première étant qu'il n'avait jamais entendu son ami aligner deux phrases aussi longues. Et la deuxième étant qu'il venait de se rendre compte qu'il s'était probablement mis à dos le plus grand pyromane de tous les temps et qu'il risquait de le payer très cher puisqu'il savait pertinemment qu'on ne plaisantait pas avec les deux personnes les plus chères au cœur de cet adorable maniaque du feu: Yukina et Yohko. Le jaganshi semblait hors de lui, les poings serrés et le visage aussi froid et fermé qu'une porte de prison.

« Comment est-ce que tu as eu ça ? » demanda-t-il dans un grognement presque bestial mais glacé.

Kuwabara, qui avait flairé les ennuis, s'était éclipsé depuis un petit moment.

« Comment est-ce que tu as eu ça ? » répéta-t-il.

« Eh ben... Je l'ai trouvé... C'était sur la table de la cuisine, à côté d'un petit mot de Kurama... Je jure que je n'ai pas fouillé dans ses affaires ! » expliqua Urameshi, conscient de sa bourde monumentale.

« Un mot de Kurama ? »

Visiblement, le koorime n'avait pas remarqué l'absence de l'élu de son cœur. Sa colère grondante se calma aussi soudainement qu'elle avait explosé en lui et la tension qui régnait dans la pièce disparut aussitôt.

« Kurama n'est pas là ? » s'enquit-il, étonné au plus haut point.

« Euh... Oui, il s'est absenté pour faire des courses »

« Ah... »

« Hem... T'es sûr que tu veux pas savoir un peu ? » tenta une nouvelle fois le mazoku, piqué par la curiosité.

« J'ai dit non ! T'es bouché ou quoi ! »

« Juste un peu... On choisirait les passages et si ça te plaît pas, on arrête, juré ! » insista le brun. « Je suis sûr que ça t'aiderait de savoir ce que Kurama pense de toi »

En tout bon démon du feu qu'il était, il se devait de répondre par un véritable retour de flamme mais quelque chose en lui l'empêcha de produire le moindre son lorsqu'il ouvrit la bouche pour répliquer. Urameshi venait de mettre le doigt sur un point auquel il n'avait jamais songé. C'était vrai au fond, il ignorait totalement comment l'ex-voleur le voyait. Est-ce qu'il le considérait vraiment comme un ami ? Est-ce qu'il tenait à lui ? Son regard tomba sur ce petit cahier à la couverture de cuir bordeaux, chaleureuse mais mystérieuse, exactement comme son propriétaire. Devait-il ou ne devait-il pas accepter la proposition de Yusuke ? Deux options s'offraient à lui: soit il cédait et ce serait contre sa façon de penser, soit il refusait et il se torturerait l'esprit à chercher à percer les sentiments de son ange à son égard. Dans les deux cas, il risquait d'être troublé plus que jamais et il avait déjà suffisamment bien à faire avec ses problèmes qu'ils soient diurnes, nocturnes, physiques ou psychologiques.

« Je... Je ne sais pas... » dit-il enfin, se laissant basculer dans le fauteuil derrière lui.

Le hérissé soupira d'un air las puis cacha son visage derrière ses doigts. Il se pencha en avant et soupira encore une fois, les épaules voûtées, comme s'il portait un énorme poids. Le poids de la décision.

« Qu'est-ce que tu ne sais pas ? » se hasarda Yusuke.

« Je ne sais pas ce qu'il pense de moi, je ne sais pas ce que je dois penser de moi, je ne sais pas si je dois lire ou non ce qu'il y a dans ce cahier, je ne sais pas si ça m'apportera quelque chose... Il y a tellement de choses que je ne sais pas... » dit-il doucement, le visage toujours masqué par ses mains.

« Ecoute, on va faire un truc très simple. Je vais prendre une page, juste une, au hasard et je vais lire jusqu'à ce que tu ne veuilles plus rien entendre, OK ? »

Le youkaï écarta ses doigts et fixa intensément le journal. Il ne respirait pas fort pourtant, le mazoku voyait le torse de son compagnon se soulever et descendre énormément et ce à une vitesse incroyable, comme si lorsque son cerveau tournait à cent à l'heure, son corps se devait de fonctionner aussi rapidement.

« D'accord... » murmura-t-il faiblement, ses épaules s'afaissant plus encore.

Le brun ouvrit le petit cahier à l'aveuglette et chercha un point de repère par où commencer. Il s'éclaircit la gorge et débuta sa lecture du passage:

« Nous sommes jeudi. Ca va faire presque une semaine que les garçons et moi, on est dans cette petite villa au bord de la mer. Hiei et Kuwabara passent leur temps à se disputer. Bien sûr, ça ne me regarde pas mais je déteste quand ils font ça. Ce serait tellement bien si Hiei était un peu plus sociable. Mais il est comme ça et je ne veux pas qu'il change le moins du monde. C'est très contradictoire comme façon de penser... En fait, il faudrait qu'il soit juste un tout petit peu plus ouvert... Mais ce ne serait plus lui... J'ai vraiment de la chance d'être si proche de lui. Quand on regarde bien, je ne le connais pas beaucoup c'est vrai. Pourtant il se comporte différemment quand il est avec moi. Il semble moins tendu, moins distant quand on est que tous les deux. Il parle un peu plus avec moi qu'avec Yusuke. Je ne peux pas vraiment dire qu'il dialogue beaucoup avec Kuwabara puisqu'ils ne font que se balancer des noms d'oiseaux. C'est peut-être leur façon de dire qu'ils s'aiment bien, je ne sais pas et je ne saurais probablement jamais. Par contre, ce que je sais, c'est que je veux pouvoir être le plus proche possible de Hiei, être présent pour lui aussi souvent qu'il en aura besoin. De cette manière, j'aurais peut-être la chance de réussir à lui voler un bout de son cœur qu'il garde barricadé et il m'appartiendra un peu, comme j'aimerai lui offrir un bout de mon cœur et lui appartenir un peu... J'espère mais ce n'est qu'un rêve qui ne se réalisera sûrement pas. Je suis trop naïf de croire qu'un jour Hiei voudra bien se laisser apprivoiser. C'est un animal sauvage qui ne supporterait pas d'être enfermé même si les barreaux de sa cage étaient faits d'amitié, de tendresse, d'affection, de dévouement, d'estime, de passion ou d'amour... Je ne peux qu'espérer et souhaiter vainement. Attendre dans l'ombre... »

« Stop, arrête-toi ! »

La couverture se referma aussitôt qu'il eut prononcé ces paroles et Yusuke sortit de la pièce pour reposer le journal à sa place, là où il l'avait trouvé. Hiei se sentait plus désemparé que jamais. Certes, Kurama éprouvait pour lui une affection certaine mais il pouvait s'agir de n'importe quel amour ! Les sentiments qu'il venait d'entendre à son propos pouvaient être aisément pris pour de l'amour fraternel. Ils pouvaient également être la description d'une passion sans borne mais inavouée. Comment savoir ? Tout s'embrouillait dans son esprit: l'androgyne souhaitait qu'il soit à la fois plus ouvert tout en restant lui-même, c'est-à-dire acariâtre et insociable.

« Hiei, ça va ? » demanda une voix.

Le jaganshi émergea du cours de ses pensées en sursautant légèrement. Il leva les yeux vers la personne qui venait de s'adresser à lui, en l'occurrence Kazuma qui, pour une fois, n'avait pas l'air de vouloir l'embêter de quelque façon que se fut.

« Hein... ? »

« Je t'ai demandé si ça va » répéta le rouquin, les sourcils froncés.

« Ouais, je crois... » marmonna-t-il en se levant.

Il se précipita dans les escaliers et s'enferma dans sa chambre. Il se mit à faire les cent pas, tournant et retournant ce qu'il avait entendu dans son esprit. Son histoire commençait à ressembler à un puzzle auquel s'ajoutaient des pièces à chaque fois qu'il semblait presque complet. La première qu'il avait trouvé, c'était Kurama. La pièce la plus évidente. Ensuite, la seconde n'était autre que lui-même. Pas de problème à ce niveau là. Puis entre eux s'était glissée une pièce à laquelle il n'aurait jamais pensé: il était amoureux de Kurama. Aimer secrètement son meilleur ami et continuer à vivre sans le lui dire ne lui aurait pas posé de problème particulier, il se serait habitué comme il s'était habitué à être seul ou à supporter un crétin de première comme Kuwabara, puisqu'il pouvait s'habituer à tout. Et maintenant voilà qu'une nouvelle pièce venait de faire son apparition. Une pièce qu'il n'arrivait à mettre nulle part car elle changeait sans cesse de forme: une seconde ronde, une seconde carrée, la seconde d'après rectangulaire, puis triangulaire pour se transformer à nouveau. Cette pièce était les sentiments de Kurama à son égard. Et tant qu'il n'arriverait pas à donner une forme précise et définitive à cette pièce cruciale, le puzzle ne serait pas achevé et jamais il ne saurait de quelle manière leur relation allait évoluer.

« Je peux entrer ? » fit une tête passée dans l'entrebâillement de la porte.

« Mmmh » grogna-t-il, continuant de tourner en rond.

« J'ai un petit truc à te dire... » commença Yusuke en s'adossant au battant.

Le koorime s'arrêta et soupira. Il venait sûrement l'embêter sur l'histoire du journal.

« J'ai lu un peu plus loin le passage et Kurama exprime plus clairement ses sentiments. Je me disais que tu voudrais peut-être savoir, sauf que cette fois je ne t'y oblige pas »

« Non, je ne veux pas savoir » répondit-il aussitôt, sans même prendre la peine de réfléchir.

« D'accord, comme tu voudras » dit Urameshi en sortant.

Le démon du feu se laissa tomber en travers de son lit, les joues rosies et le cœur battant. Finalement il avait appris une chose: le renard tenait à lui et voulait se rapprocher davantage de lui. C'était bon signe après tout. S'il faisait attention, il arriverait peut-être à resserrer les liens qui les unissaient. Son cœur s'emballa carrément lorsque la voix du voleur s'éleva dans le hall, chantante et claire:

« Les garçons, je suis rentré ! Et j'ai une bonne nouvelle à vous annoncer ! »

Il se rendit dans le couloir et du haut de l'escalier, il observa son ange, qui posait ses paquets, d'un air éperdument béat. L'androgyne leva les yeux vers lui et lui lança un de ses sourires dont il avait le secret et qui ferait fondre n'importe quel iceberg. Oui, finalement il avait peut-être une infime chance. A cette idée, le cœur du youkaï faillit s'envoler.

Chapitre 5 : Le Journal du Renard

Fin