Watters sortit dans le couloir le temps d'avertir son capitaine par radio, afin que celui-ci n'envoie à l'avance des hommes disponibles au lieu de rencontre. Cette ancienne gare étant l'ancien lieu de transaction de la bande, Paul la connaissait sur le bout des doigts et irait au dernier moment pour ne pas attirer l'attention ou être vu en compagnie de personnes louches. Peu tranquillisés pour lui étant donné le drame survenu à cause de Marco, Danzig et Graves insistèrent afin de l'accompagner dans son action. Malgré leurs doutes, lui garda confiance.
- Il sera seul, il l'est toujours.
- Mais pas toi ! insista Graves.
- Alors préparez-vous mentalement, on part dans une demi-heure.
Pensant à aller vider la machine à café pour tenir le coup, Danzig regarda discrètement celui qui parlait au téléphone dans le coin de la pièce et murmura :
- Comment ça se fait qu'un flic puisse être aussi collant ? Dans le bon sens du terme je veux dire, on dirait qu'il veut vraiment nous aider et ça fait presque peur.
Amusés, Paul et Alissa leur révélèrent alors la véritable nature de l'homme qui avait été chargé de leur affaire. Surpris, les chanteurs écarquillèrent les yeux en entendant à propos des tatouages, mais Glenn ressentit une grande fierté de savoir qu'un homme droit comme Watters avait indirectement grandi avec eux en les suivant au fil des concerts, et au point de les considérer comme ses "professeurs". Même si Graves avait intégré les "Misfits" bien plus tard et pour plus une courte durée, il s'en trouva flatté. De même qu'il s'était toujours senti "surélevé" dans sa personne lorsque Glenn et lui s'étaient enfin liés d'amitié, car il connaissait l'opinion qu'avait eu ce dernier sur le groupe à son arrivée. Paul pensa à leur dire également que le calme et l'honnêteté de Watters envers Jerry étaient à l'origine de la dénonciation de Marco, mais il se ravisa. Il se refusa à parler de son frère devant Alissa, pas encore.
Lorsque l'infirmière revint chercher le plateau de la jeune femme pour la débarrasser, elle lui donna également de quoi faire sa toilette et confirma son autorisation de sortie. Alors que son regard croisa celui des invités lorsqu'elle les salua, l'un d'eux resta obnubilé par sa silhouette jusqu'à ce qu'elle ne disparaisse derrière la porte.
- Moi je lui ferais bien sa toilette à celle-là.
Tous firent les gros yeux en voyant Glenn l'esprit ailleurs. Un sourire coquin sur le visage, Alissa demanda :
- Tu te sens bien ? Messieurs, je crois qu'on l'a perdu.
Voyant que Glenn était trop dans les nuages pour faire attention à quiconque, Graves claqua des doigts devant lui pour le faire réagir et Paul murmura à sa petite amie :
- J'en connais un qui va aller conter fleurette dans pas longtemps.
- Je crois aussi.
- Ah oui ! S'il sort avant nous, on saura qu'il l'a rejointe quand ça tapera violemment contre une des portes ! approuva Michale.
- Ou alors, elle se retrouvera plaquée sur le lit à hurler de plaisir alors que monsieur la prend furieusement par derrière.
Alors qu'ils commencèrent à rire de lui, Glenn devint tout rouge et leur fit un doigt pendant qu'Alissa tirait l'oreille de son amant. Faussement vexé, Glenn afficha une moue boudeuse.
- C'est comme ça que vous me voyez ?
- Oui !
Cette réponse collective le frustra bien qu'il savait comment pouvaient être ses amis lorsqu'ils parlaient de femmes.
- Avoue qu'elle t'attire. Tu t'es perdu dans tes pensées sordides dans lesquelles tu la laboures et il a fallu que... euh... Eh mec, croise les jambes là ! reprocha Graves d'un air choqué.
Sursautant en sachant où il voulait en venir, Danzig croisa les jambes par réflexe mais il réalisa qu'il n'avait aucune érection et que son ami avait juste voulu l'embêter. En dépit des rires des deux autres, il eut au moins le soutien d'Alissa.
- Foutez-lui la paix, les mômes.
- Merci ma belle, au moins une qui a des neurones. Prenez exemple, bande de nazes.
Watters raccrocha enfin et revint leur faire un compte-rendu. Une brigade était déjà en route, prête à se disperser et à attendre les ordres. Après l'avoir remercié, le groupe chercha à passer le temps avant le moment décisif, mais rien ne leur vint à l'esprit. Alors que le temps défila doucement, tous commencèrent à souffler d'impatience alors Watters demanda à entendre la fin de l'histoire à propos de leur arrêt définitif de la drogue. Par reconnaissance pour son aide, ils acceptèrent de satisfaire sa curiosité car ils lui étaient redevables. Paul perdit sa main dans les cheveux bleus d'Alissa et décida de commencer.
- Les gars ont commencé quand ils avaient le milieu de la vingtaine, et moi bien plus tard. J'étais déjà dans le groupe mais j'étais encore mineur. Et comme Jerry adorait son rôle de grand frère, il a refusé que j'y touche jusqu'à ma majorité. Et quand il se droguait, il ne le faisait jamais devant moi parce qu'il ne voulait pas me tenter.
- Ça c'est ce qu'il te disait, mais c'était différent de ce que tu croyais à l'époque ! contra Danzig.
Tournant la tête vers Glenn, Paul eut un air interrogatif. Son frère lui avait-il menti ?
- Jerry ne voulait pas te donner le mauvais exemple. Il n'arrêtait pas de nous dire que même quand tu serais majeur, il t'interdirait d'y toucher. Il est devenu accro si vite qu'il ne voulait pas de ça pour toi. Il savait qu'il ne pouvait plus faire marche arrière alors il a pensé que si tu voyais de tes yeux ce que ça provoquait comme dégâts, tu changerais d'avis.
Paul afficha un petit sourire sans le vouloir et baissa la tête. Il aimait se remémorer le bon vieux temps avec eux et quant à Watters, il eut l'impression de revivre son adolescence lorsqu'il contemplait ses idoles.
- Mon fameux grand frère avait déjà un côté cinglé avant de toute façon. Mais d'où son instinct trop protecteur dès que des dealers nous abordaient en pleine rue.
- C'est ça, il voulait te préserver.
Watters se mêla à la conversation avec entrain.
- Il a du être débordé, les dealers ne manquaient pas à Lodi.
Après un rire, Glenn serra le poing en traversant doucement l'air.
- Il s'en fichait, il les éloignait à coups de poings et ça le défoulait. Il ne t'a rien dit, Paul, mais il était vraiment déçu quand tu t'y es mis aussi. Il disait avoir échoué dans son rôle de grand frère.
Ce dernier eut une moue navrée mais haussa les épaules.
- Ce n'était pas de sa faute pourtant, je voulais le faire aussi et il le savait. Il aurait pu m'en parler !
- Ça n'aurait rien changé. Tu l'as dit, tu le voulais. En plus, il pensait que ça venait de lui puisqu'il n'a pas pu résister. Tu te souviens de ce gars qu'il a fracassé dans la ruelle ?
- Ah ça...
Trois personnes dans la pièce furent mal à l'aise.
- Wow ! s'exclama Watters avant de souffler.
Il se demanda s'il serait judicieux pour lui d'en demander davantage mais après tout, il s'agissait d'une autre époque et le milieu de la drogue était violent avec ou sans les Misfits. Graves ainsi qu'Alissa restèrent en dehors de la discussion, mais ils échangèrent un regard entendu avec un léger haussement de sourcils. Ce sujet ne sembla donc connu que de Glenn et Paul.
- J'ai le sentiment que quelqu'un a morflé ce jour-là ! reprit l'inspecteur.
Glenn et Paul hochèrent la tête, mais le guitariste eut l'air peiné.
- Disons qu'il s'est passé quelque chose qui a fait péter les plombs à mon frère. C'était le lendemain de mon premier rail de coke, et il ne s'était rien passé de mal alors j'avais eu de la chance. On était en train de marcher dans des rues pas recommandables et un trafiquant est venu nous emmerder en exhibant sa marchandise. Il était complètement défoncé et à moitié à poil. Croyez-moi, j'ai beau être plus grand que Jerry mais c'est lui qui devient impressionnant quand il s'énerve. Il a déjà fait reculer pas mal de groupes de racailles. Mais ce gars-là était seul, très maigre et a failli mourir. Jerry...
Voyant que le plus jeune des Caiafa semblait réticent à l'idée d'enfoncer celui qui avait déjà des problèmes en ce moment, Glenn eut confiance en l'inspecteur et poursuivit à sa place.
- Gerald devenait toujours méchant quand il s'agissait des dealers, mais celui-là s'est permis de nous coller au train pour nous inciter à acheter sa merde. On l'a rembarré plusieurs fois mais à un moment, il a joué le désespéré et il a levé un gros sachet de poudre sous le nez de Paul. Sauf qu'il l'a levé si fort qu'il en a fait sortir et Paul en a eu en pleine figure. Dans le nez, la bouche... il a toussé et Jerry a eu peur. Il a vu rouge à partir de là. Il a chopé le gars par la gorge et l'a traîné dans une ruelle à côté avant de commencer à le cogner. On l'a laissé faire parce qu'on pensait qu'il allait juste lui flanquer une raclée bien méritée. Je savais qu'il était en pétard depuis que son frère avait touché à la came la veille.
- Je n'en savais rien ! dit Paul, troublé en y repensant.
Glenn haussa les épaules.
- Voilà ! Ton frère se sentait responsable. Mais ce gars aurait fini au cimetière si on n'avait pas été là. On regardait autour pour surveiller mais on essayait de le rappeler à l'ordre aussi... pas moyen. Jerry le tabassait avec une telle force qu'on a eu peur qu'il le tue alors on est intervenus. On a du être à quatre pour le dégager.
Après un long moment de silence durant lequel les "inconnus" de l'histoire digérèrent ces perturbants détails, la jeune femme pensa à la personne blessée.
- Il lui est arrivé quoi à ce dealer après ? Vous ne l'avez quand même pas laissé dans la ruelle ?
- J'ai passé un appel anonyme à la police pour déclarer une agression, je leur ai donné l'adresse et j'ai appelé une ambulance. Je l'ai redressé doucement et je l'ai recouvert avec une vieille veste qui traînait sur une des poubelles. Ça caillait et il était en débardeur et en caleçon alors c'était mieux que rien. On est restés au bout de la rue pour regarder. Mais après ça, Jerry avait la main pleine de sang et il tremblait. Il avait un autre poids sur la conscience.
"Voilà pourquoi je n'ai rien compris à l'époque ! Je croyais qu'il était juste d'humeur à tout péter, je ne savais pas qu'il s'en voulait à cause de moi. C'est peut-être parce que j'ai continué que son addiction a empiré, vu qu'il ne le voulait pas pour moi" pensa Paul. En effet, il songea au fait qu'étant majeur, son frère n'avait plus à se cacher pour se droguer et qu'en plus si Paul aimait ce vice, Gerald était donc "perdu" et n'avait plus qu'à y sombrer davantage. Le fait que son frère y eut succombé l'avait probablement dissuadé de faire marche arrière. Pourtant, il balaya cette pensée instantanément, préférant oublier le passé et se concentrer sur le présent.
Entourant le cou de son amant, Alissa murmura :
- Alors il s'en voulait d'y avoir touché, mais il s'en voulait surtout de t'avoir influencé.
- Oui, mon frangin a toujours eu un petit cœur "fluffy".
À la suite de ça, Paul resta silencieux mais il ne vit pas le sourire angélique qui venait d'illuminer le visage meurtri d'Alissa. Paul ne se rendait pas compte de sa douceur verbale à chaque fois qu'il évoquait ce frère avec lequel il avait grandi et avec qui il était devenu un homme. Ken comptait pour eux aussi bien sûr, mais il était toujours resté neutre en tout. Il ne s'était créé ni barrières ni dépendances dans la vie, alors que Paul n'avait pas su faire ses propres choix et s'était laissé influencer par son amour fraternel pour l'aîné. Gerald les avait préservés aussi longtemps que possible lui et Ken, et ce dernier avait choisi la voix la plus sage alors que par amour mais surtout par goûts communs, Paul avait suivi son grand frère.
- Sacrée époque quand même ! dit Glenn avec nostalgie.
- Oui ! Quand j'ai enfin eu le droit à mon premier shoot, j'ai vraiment aimé ça. Les gars étaient tous là, je me rappelle. Jerry avait tellement peur qu'il m'arrive une merde dès la première dose qu'il ne m'a jamais laissé le faire seul. Je me suis drogué pendant des années en réussissant à ne pas devenir trop accro et je n'ai jamais fait une seule overdose. J'aimais ça et les autres aussi, mais on a fini par réaliser qu'on voulait aussi une vie normale. Avoir une femme, des enfants...
Il s'arrêta le temps de déposer un baiser sur la main d'Alissa en échangeant un sourire radieux.
- En se droguant, ce n'est pas facile de garder une famille ou même de respecter les gens. On devient dingues, c'est ce qui est arrivé à mon frère. On a presque tous arrêté en même temps mais Jerry ne faisait que des conneries. En plus de se shooter personnellement, il servait de cobaye tellement il aimait ça.
Intéressé par le mot, Watters répéta :
- Cobaye ?
Les anciens du groupe hochèrent la tête et Glenn précisa :
- Il était le testeur officiel de Marco.
Alors que Watters regarda Paul en plissant les yeux, ce dernier hocha la tête. Il était en train de faire le lien avec l'appel téléphonique.
- Il goûtait à toutes sortes de saloperies pour lui, mais il a arrêté à cause d'une overdose qui l'a presque tué. On sait qu'il est à fleur de peau en ce moment, mais on ne pensait pas qu'il aurait recommencé. Surtout pour devenir un violeur au final...
- Il n'a pas voulu ça et tu le sais ! dit Glenn.
- Comment tu peux prendre sa défense après lui avoir fait la gueule pendant trente ans ?
Sous la lassitude, la voix de Glenn resta neutre.
- Ne change pas de sujet. La seule chose que tu peux réellement lui reprocher, c'est d'avoir caché ce qu'il ressentait pour Alissa et c'est ça qui te bouffe de l'intérieur.
- Et hop, c'est reparti ! souffla la chanteuse.
Malheureusement, les deux hommes montrèrent volontiers leur entêtement et Paul se pencha en avant dans une posture provocatrice.
- Jerry a toujours été un peu tordu dans sa tête mais il ne s'est jamais comporté comme ça avec une seule femme dans sa vie.
- Jusqu'à hier ! cracha Doyle.
- Sous l'effet d'une came trafiquée injectée par un homme en qui il avait confiance. Imagine un peu ce qu'il a ressenti aussi.
- Aïe, aïe, aïe !
Michale préféra se renfermer dans le fond de sa chaise, bras et jambes croisés.
- Hier était un cas à part, redescends sur Terre ! riposta Glenn.
- Pas tant que ça, et Clarice ?
- Oh mais quoi Clarice ? Rappelle moi c'était quand !
Les regards d'Alissa et Michael se croisèrent, ils constatèrent être aussi blasés l'un que l'autre que ce sujet ne soit éternellement ravivé comme un incendie. Ils décidèrent après un mince sourire de les laisser faire le temps de se calmer eux-mêmes. Décision également adoptée par l'inspecteur qui ne sembla pas à l'aise.
- Il était incapable de lui montrer de l'attention.
- Pour la forcer à s'éloigner de lui, il n'était pas amoureux d'elle. Elle le savait mais elle insistait alors il a préféré se montrer froid plutôt que de jouer avec elle, ce que je trouve un peu plus noble.
TOC TOC
Sans s'exprimer, la personne qui avait frappé entra. C'était Renée qui avait décidé de venir soutenir son amie, et malgré son choc évident lorsqu'elle vit son visage tuméfié, elle fondit sur elle pour la prendre dans ses bras. Étonné de voir qu'elle avait laissé son frère seul en compagnie d'indésirables alors qu'elle-même n'avait pas confiance, Paul la questionna sur la sécurité de l'étage. Il y avait encore eu un changement d'équipes annoncé car le capitaine avait eu vent du comportement limite d'Allen. Malgré le fait que ce dernier s'était repris avec leur prisonnier, il avait été envoyé à la gare pour être remplacé pendant le changement. De plus, trop de visages inquisiteurs se faisaient voir au public et c'était étrange pour un hôpital.
- Rassure-toi, il n'est pas seul. Ça remuait d'un peu partout quand je sortais, on aurait dit que personne ne savait où aller. Ils n'ont aucune organisation, ces flics.
Michale demeura inquiet cependant.
- Mais qui le surveille ?
- Le couloir n'est pas vide, et la drogue est bien partie de son organisme. Il sait que je vais revenir alors il n'essaiera plus de fuir. Deux gars de la sécurité sont arrivés juste avant mon départ pour prévenir tout le monde du chamboulement. Comme Alissa est en sécurité maintenant, ceux de votre étage vont partir. Apparemment, voir trop souvent les mêmes personnes sans blouse attire l'attention. Ils n'arrêtent pas d'aller dehors pour fumer.
Pensif, Paul se frotta le menton et dit :
- Ça chamboule le bon vieux cliché du donut !
Après un petit rire, Glenn exprima son opinion.
- Peut-être que le directeur flippe à l'idée que les patients n'en parlent à leurs familles !
Allen ainsi que les autres avaient donc été envoyés vers la gare et remplacés par seulement deux hommes. Lorsqu'il entendit ce détail dont il n'avait pas eu connaissance, Watters leur demanda plus de précisions sur le comportement de l'agent et souffla. Il n'eut guère l'air étonné.
- Il ne faut pas en vouloir à Allen, vous savez ?
- Il crevait d'envie de tirer sur mon pote ! grogna Glenn.
- Il a changé son fusil d'épaule quand les médecins lui ont dit que votre ami avait été drogué contre son gré. Allen est impulsif mais il sait différencier le bien du mal. Faut dire qu'il a enduré un tas d'horreurs, et surtout il a été abusé étant enfant. Et comme si ça ne suffisait pas, sa femme a été victime d'un viol collectif il y a quelques mois. Alors c'est un sujet qu'il ne connaît que trop bien.
Heurtée par ce sujet qui laissa la peur remonter en elle, Alissa baissa la tête mais sentit Paul l'attirer contre lui en lui murmurant des mots rassurants. Michale serra les poings et croisa le regard attristé de Renée. Révolté par l'être humain, Glenn demanda avec peine :
- Vous êtes sérieux ?
- Oui, il a été orchestré par les membres d'un gang dont Allen avait abattu le chef dans une fusillade la semaine précédente. C'était une vengeance de leur part.
Submergé par la haine, le groupe fut choqué mais compatit de savoir que même un représentant de l'ordre pouvait subir des épreuves aussi dramatiques.
- Du jour au lendemain, on ne sait pas comment ni par qui mais tous ces gars ont été retrouvés brûlés vifs dans un de leurs squats.
Encore énervée d'avoir entendu une chose pareille, Alissa pesta :
- Bien fait pour leurs gueules.
- Dommage, il aurait fallu leur couper les couilles d'abord ! dit Renée.
- Ça oui, on peut dire que justice a été rendue. Le responsable n'a jamais été démasqué mais il nous a rendus service.
- Mais cette femme, qu'est-ce qu'elle est devenue ?
Sortie de son mutisme, Alissa chercha au moins à être complètement rassurée maintenant qu'elle avait entendu le pire.
- Elle a fait une longue dépression, alors son mari est resté près d'elle tout ce temps et ils ont eu tout notre soutien. Sauf que maintenant, Allen a une haine viscérale des violeurs alors il a tendance à ne plus réfléchir avant d'agir dans ces moments-là, mais on le surveille. Il ne savait pas que monsieur Caiafa avait été forcé d'agir, croyez-moi.
Tous restèrent silencieux après cela. Tout comme la police avait du le soupçonner, la possibilité que l'officier Allen soit l'auteur de l'incendie ayant causé la mort des membres du gang les traversa, mais ils n'en dirent rien. Chacun d'entre eux aurait probablement agi de la même manière pour venger la personne aimée et bien qu'ils n'aimaient pas la police, ils savaient que le fait de porter un uniforme ne rendait pas un homme invulnérable. L'inspecteur sortit de la chambre et y revint dix minutes plus tard, avertissant les amis du départ imminent pour la gare. Regardant sa petite amie avec amour, Paul lui embrassa la main avant de lui promettre un retour sans blessure.
- Rallonge-toi et repose-toi un moment.
- Je vais rester avec elle de toute façon, le temps que vous reveniez à la gare ! assura Renée en souriant.
- Merci ma belle, je vais revenir très vite. Je t'aime.
- Je t'aime aussi. Fais attention à toi.
Paul lui fit un clin d'œil en guise de réponse puis suivit les autres.
ooOOoo
Se montrant à la gare juste à l'heure, ils agirent comme autrefois et allèrent entre les wagons. Glenn se montra en restant décontracté puisqu'il connaissait Marco. Cependant, lorsque ce dernier se fit apercevoir au bout d'un wagon, il ne sembla pas rassuré par le dépassement en nombre imprévu, et la présence de celui qu'il ne connaissait pas personnellement. Lorsqu'il s'avança vers eux, Michael put le détailler en fulminant de l'intérieur. L'homme avait des cheveux longs, marrons clairs et attachés. Il portait des lunettes fines et avait la cinquantaine bien fatiguée. Pour ne pas qu'il se méfie, Paul s'approcha doucement en souriant et lui donna leur accolade habituelle. Rassuré par sa spontanéité, Marco s'approcha des autres.
- Je te connais de visage. T'es Graves, c'est ça ?
- Oui, salut mec !
- Salut, appelle-moi Marco ! Et Glenn... viens par là.
Danzig le salua également mais eut tout le mal du monde à ne pas lui briser la nuque.
- Salut, vieux frère.
Le dealer se tourna rapidement vers Paul.
- Tu as les numéros des gamins ?
Il n'avait pas changé, son intérêt passait avant tout. Le trio commença à se demander si Watters n'avait pas raison en supposant que l'appât du gain aurait fini par prendre le dessus avec le temps. Paul fourra une main dans sa poche pour en ressortir un morceau de papier plié qu'il lui tendit. Comme il l'espérait, l'homme à lunettes n'attendit pas avant d'ouvrir mais fronça les sourcils immédiatement. En effet, sur le papier était écrit "Gerald". Relevant un visage méfiant vers les trois hommes, il demanda :
- Qu'est-ce que ça veux dire ?
- À toi de nous le dire !
Paul s'adossa au wagon pendant que ses deux amis encerclèrent le dealer. Pourtant, il décida de ne pas parler du pire pour permettre à son ancien ami de tout balancer par lui-même afin que cela ne serve de preuve. En effet, Caiafa portait un micro à sa ceinture.
- Tu crois franchement que j'aurai incité des gamins à se foutre en l'air ? Ce n'est pas pour rien que j'ai arrêté.
- Ben alors pourquoi tu m'as donné rendez-vous ici ? Et c'est quoi ce papier ? Où est Jerry ?
- Il a disparu ! mentit Paul.
S'il lui avouait que Jerry était surveillé à l'hôpital pour un crime arrivé par sa faute, Marco nierait immédiatement l'avoir piqué. Il contourna donc la soirée du drame et prétendit juste que son frère était arrivé chez Renée complètement drogué avant de repartir.
- Il va mal en ce moment et il est extrêmement sur les nerfs, alors je me demandais si tu n'avais pas recommencé à lui vendre de la came ? Il se comporte comme autrefois alors je sais qu'il en prend. Comme au bon vieux temps, j'espère juste qu'il n'a pas pris de la merde chez le premier junkie du coin. Déjà qu'à nos âges, c'est de plus en plus dangereux...
À son grand étonnement, il vit le dealer baisser les yeux en tournant en rond.
- Non, il ne touche à rien. Jerry est tout ce qu'il y a de plus clean.
Paul partagea un regard sérieux avec Glenn et Michale. Marco sembla sur la voie de la vérité pour le moment.
- Quand il m'a téléphoné, il bégayait. Il m'a tout de suite demandé si j'avais quelque chose. Alors pour qu'il trahisse son vœu de sobriété, je lui ai d'abord demandé pourquoi. Et là, il m'a juste dit "chagrin d'amour". J'ai rigolé parce que pour moi, ce n'était pas sérieux. Il évitait la raison. Je lui ai demandé ce qu'il voulait et il m'a répondu "tout". Coke, héroïne... Il voulait s'y remettre alors j'ai eu peur pour lui. Mais peu importe ce qu'il avait en lui, il lui fallait quelque chose pour le chasser alors au cas où son problème aurait été passager, je ne voulais pas le replonger dedans inutilement. Je lui ai proposé d'essayer ma nouvelle came de synthèse à la place, parce qu'il me fallait à tout prix des avis. Je te l'ai dit tout à l'heure, je n'ai plus un seul testeur. Ton frère a répondu oui, mais à une condition. Si elle lui plaisait, il voulait pouvoir m'en demander quand il veut sans avoir droit à des sermons. J'ai accepté, il me fallait quelqu'un à tout prix et j'avais été trop loin pour reculer. Alors je lui ai donné rendez-vous chez moi et il s'est pointé le soir même. Il était débraillé et il tremblait de froid, je l'ai assis en lui filant de quoi le recouvrir. Mais c'est là qu'il a commencé à s'agiter et tu me connais, je ne laisse jamais un homme se shooter s'il n'est pas complètement relax. Mais ton frère était aussi agité qu'un chien dans un chenil. Il a changé d'avis une fois assis alors pour une fois, c'est moi qui ai insisté.
Glenn mit en cause le côté expérimental et dangereux de sa nouvelle trouvaille, mais Marco nia.
- Tu te trompes, c'est juste que je voulais un cobaye à tout prix et le fait qu'il me lâche au dernier moment me faisait prendre du retard. Je ne pouvais pas continuer à produire si c'était de la merde. Sauf que si c'était bon, je ne pouvais pas m'arrêter dans la production.
- Alors je tiens à t'en informer, c'est vraiment de la merde. C'est ni fait ni à faire, ça lui a bousillé le cerveau. Il s'est pointé chez moi en pleine nuit et le mot "défoncé" a perdu tout son sens à ce moment-là. Il a pris la fuite...
Paul sentit une main se poser sur son épaule et se calma. En effet, il parlait trop et le dealer n'avait pas encore avoué son acte. Il expira donc et fit comme si de rien n'était. Par chance, le coupable prit l'initiative de vider son sac.
- C'est pour toi qu'il s'est retenu, Paul.
- Pardon ?
Stupéfait, Caiafa fut perdu et se mit à réfléchir à plusieurs raisons.
- Oui, il avait peur de l'opinion que tu aurais de lui. Il n'est pas du tout sentimental, mais ça l'a marqué quand tu lui as tourné le dos la dernière fois. Alors il a refusé fermement. Il était en panique, je ne le reconnaissais plus. Mais j'ai eu les boules et pas qu'un peu... je n'avais pas d'autre cobaye et il casse mon projet au dernier moment. Il fallait vite que j'ai un avis, pour savoir si je pouvais en reproduire. Je me suis levé en lui faisant croire que j'allais reposer la mallette, mais je l'ai ouverte discrètement... et j'ai piqué Jerry aussi vite que j'ai pu. Je n'ai pensé qu'à ma gueule sur ce coup-là, c'est vrai.
Outré par sa trahison bien qu'il connaissait déjà la vérité, Paul répéta juste :
- T'as piqué mon frère ! Si tu savais...
- Où ça ? coupa Glenn.
Il avait empêché son ami de sortir de ses gonds avant que l'endroit ne soit dévoilé.
- Dans le cou. Je l'ai piqué dans le cou, je voulais une réaction instantanée. C'était la seule zone que je pouvais atteindre et si j'avais tenté un bras, il m'aurait arraché la gorge. Mais il a sursauté si fort que je n'ai pas pu tout lui envoyer dans le sang. J'ai perdu la tête, pardon mec !
- T'excuser ne servira à rien, il a fait une overdose chez Renée après avoir fait du mal à quelqu'un d'autre ! pesta Glenn.
Déglutissant, Marco perdit son peu d'assurance et souffla dans ses mains plusieurs fois.
- J'ai pas pu le maîtriser, il a paniqué comme une bête encerclée par des chasseurs. Il s'est relevé et il m'a regardé en se tenant le cou, il disait que je l'avais trahi... et c'est vrai. Je me suis excusé et j'ai essayé de le retenir en lui disant que j'allais calmer ça, que c'était risqué pour lui d'aller dehors avec ça dans le sang. Mais il n'avait plus confiance et il s'est tiré en courant, alors je ne peux même pas te dire ce que ça lui a fait. Le pire c'est qu'il était venu à pied. Tu as dit qu'il s'était pointé chez toi, non ? Qu'est-ce qu'il a...
À cet instant, Paul le plaqua brutalement contre le wagon et les autres n'intervinrent plus. Désormais, peu leur importait qu'il ne subisse une déferlante de coups de la part du guitariste car il l'aurait bien mérité.
- Oh mais rassure-toi, tu vas le savoir très vite. Je venais tout juste de partir en pleine nuit en laissant Alissa toute seule dans le garage.
Fronçant les sourcils, le dealer demanda :
- Alissa ?
Il ne connaissait pas la jeune femme.
- Ma petite amie... ESPÈCE DE MERDE !
PING
Après avoir frappé trois fois de suite celui qui avait trahi leur promesse en attaquant son frère, Paul se saisit d'une pierre sur le sol mais cette fois, il se sentit attiré en arrière par les siens. Ce fut à cet instant que tous les agents dissimulés sortirent de leurs cachettes pour venir arrêter le coupable. Glenn ceintura alors son ami pour l'empêcher de se jeter sur Marco et finir au poste inutilement. Déjà que ce dernier commença à faire le lien entre tous... "Eux, ils ont appelé les flics... J'ai à ce point mérité un truc pareil ?" pensa t-il. Marco avait déjà fait de la prison il y a longtemps, mais il fini par avoir le bras long alors s'il devait y retourner, il aurait confiance sur la durée car il savait quel avocat joindre. Cependant, il regrettait d'y retourner pour avoir nui à un de ses plus vieux amis. Quant au plus jeune des frères, il cracha sa rancune en tentant de le frapper à nouveau, Glenn intervenant de justesse. Tétanisé de voir tous ces "suppôts du système" l'encercler, Marco ne put que se laisser faire lorsque des menottes se serrèrent durement autour de ses poignets Il sut à cet instant qu'il était fait et cela à cause de sa cupidité. Alors qu'un officier commença à l'emmener, Marco se tourna vers les hommes afin de savoir de quoi il était plus personnellement accusé, autre que d'avoir piqué un homme contre son gré.
- Jerry est venu chez moi parce qu'il voulait tout me dire mais quand il a vu Alissa, il a essayé de détourner les yeux. Elle a commis l'erreur de lui crier dessus et là il... eh bien je te laisse imaginer.
Apeuré à l'idée de demander, Marco plissa les yeux sans plus oser le regarder.
- Il l'a frappée ?
- Oh, s'il s'en était tenu à ça... il l'a embrassée d'abord.
Devant le mystère de ces mots vides de sens pour lui, le dealer resta pantois.
- Pourquoi ?
Alors que Paul serrait à nouveau le poing, Glenn prit le relais.
- Ce fameux chagrin d'amour dont Jerry parlait, c'était vrai et c'était Alissa. Il a été incapable de se contenir et quand elle s'est débattue, il l'a violée et tout ça à cause de ta putain de came trafiquée. Maintenant il doit vivre avec ça et elle aussi. Tu as foutu en l'air la vie de deux personnes, Marco.
Gardant la tête baissée en pensant aux personnes citées, l'homme à lunettes tenta vainement de s'excuser.
- Je ne voulais pas ça, je te demande de me croire. Paul, il faut que tu me croies. Pour ta meuf Alissa, je n'av...
- NE PRONONCE PAS SON NOM, ELLE AURAIT PU MOURIR À CAUSE DE TOI.
Ils entendirent une dernière fois ses excuses alors que l'attroupement d'insignes le conduisait hors des voies ferrées, après les avoir remerciés de leur aide. Le regardant disparaître derrière le wagon,
- On sait au moins que Jerry n'a pas recommencé à se droguer.
Bien qu'il savait que son frère restait coupable aux yeux de Paul, Glenn chercha au moins à le décharger d'un peu de responsabilité. Mais ce qu'il ignorait, c'était que Paul n'en pensait pas moins. Il venait d'innocenter son frère et en était fier, cependant il aurait du mal à se comporter normalement avec lui le temps que la "tache" ne disparaisse de son âme. Le plus jeune se sentit coupable d'avoir levé la main sur son aîné en l'accusant d'avoir replongé. Sentant ses yeux s'embrumer par les larmes, il fit un pas en avant mais se jambes fléchirent avant qu'il ne sente les bras de Glenn et Michael le maintenir. Perdu dans ses pensées, il ne pensa qu'à son frère et à Alissa, et à la façon dont leur vie pourrait redevenir normale. Paul ne savait pas comment son frère vivait tout ça mais il le comprenait de tout cœur, car lui-même ne savait pas ce que Jerry pouvait endurer comme supplice sentimental. Aimer une personne éperdument tout en sachant qu'elle était intouchable, inaccessible et par-dessus tout la petite amie de son frère... Il s'était donc forcé à prendre ses distances avec sa propre famille pour ne pas approcher Alissa, sans pouvoir en parler à personne jusqu'à ce qu'il ne rencontre enfin une femme qu'il aima suffisamment pour le faire : Renée Connelly. Il avait été honnête sur tout et Renée avait été patiente avec lui, voyant que sa solitude recherchée au départ allait le mener au bord du gouffre. Cet aspect de lui parmi tant d'autres avait conduit Renée à s'attacher, avant d'en tomber amoureuse. Malgré leurs sentiments communs et l'appui de Renée, Jerry était resté prisonnier de ce sentiment qui lui broyait le cœur au point qu'il avait hésité à replonger dans la drogue rien que pour oublier celle qui appartenait à son petit frère.
Le jour où Paul avait présenté Alissa à ses parents, c'était le jour où Jerry l'avait connue également. Venant à peine de divorcer à l'époque, Jerry était immédiatement tombé sous son charme. Ses parents aussi mais il en avait été différemment pour eux, notamment monsieur Caiafa. Il avait enchaîné bon nombre de taquineries pour son plus jeune fils. Les blagues sur leur différence d'âge ainsi que la beauté clinquante de la jeune femme avaient fusé, mais Alissa s'était immédiatement attachée à eux. Gerald Caiafa premier du nom avait même plaisanté sur la couleur bleu qu'auraient les cheveux d'un éventuel bébé à la naissance. Bien qu'à table, Paul en avait recraché sa nourriture, Alissa s'était sentie très à l'aise avec la famille de son compagnon et avait ri sans modération. Un seul était resté muet toute la soirée sans même attirer leur attention tant la joie les avait transportés.
Se sentant relevé par ses amis, Paul se rendit compte qu'il s'était mis à pleurer en se perdant dans ses pensées et pris de honte, il souffla en s'essuyant les yeux. Fronçant les sourcils, il alla même jusqu'à s'excuser, ce que ses amis n'acceptèrent pas du tout.
- Ne t'excuse pas. Ta famille est touchée alors c'est normal. Tu crois que je ne pleure jamais moi ? demanda Graves.
Son regard fut si éloquent que Paul n'osa pas le contredire et de toute façon, son ami n'était pas un menteur. Malgré son éternel visage impassible et ténébreux, Danzig laissa luire son regard sous la tristesse des événements.
- Ma mère disait toujours qu'un homme qui ne pleure pas n'est pas un homme. J'avoue que ça m'arrive de le faire mais le plus souvent, j'en ai honte alors je me cache. On est des humains, pas des cyborgs. Accroche-toi, aussi bien à ton frère qu'à Alissa. Même si ça te prend du temps, tu lui pardonneras parce que je sais comment tu es. Ce n'était pas de sa faute, à Jerry. Il a été trahi par un vieux pote alors il a perdu la raison, il a même failli en mourir. Il a eu peur de cette drogue inconnue et des effets qu'elle a eus sur lui, mais il s'est retrouvé face à Alissa dans cet état. Ça n'aurait jamais du arriver, mais c'est de la faute de Marco uniquement.
Pendant ses mots qui lui avaient remonté le moral, le guitariste s'était laissé aller mais il dut bien se l'avouer, pleurer lui avait fait du bien.
- Merci les mecs !
- Mais de rien !
- On est là pour ça.
Alors que ses deux amis lui posèrent les mains sur les épaules, Paul sentit son portable vibrer dans sa poche et l'en sortit en toute hâte. Vérifiant ses messages avec une appréhension contagieuse qui se dessina sur les visages des autres, il finit finalement par afficher un grand sourire en leur faisant voir les mots d'Alissa. "Plus que trois heures et je pourrai enfin sortir de là, mon chouchou. Je t'aime et j'ai hâte". Laissant éclater leur joie, Danzig et Graves lui tapèrent sur les épaules en lui sautant dessus et Paul se sentit beaucoup mieux.
Lorsqu'ils repartirent vers l'entrée de la gare, Graves se tourna vers Paul et lui demanda :
- Chouchou, hein ?
à suivre...
