Le retour à la conscience fut long.
Long et douloureux.
Le premier réveil de Boya ne dura que quelques instants. Une soudaine explosion de conscience, une explosion de douleur, une explosion de cris et il retombait dans l'inconscience.
Le second fut à peine moins violent. Une douleur infinie qui l'arracha à son coma, des cris autours de lui, des mains sur ses épaules et ses jambes, un liquide amer dans sa bouche et il sombrait à nouveau.
Les réveils suivant furent quasi désincarnés. Il ne voyait rien, il ne pouvait pas bouger, il entendait qu'on passait près de lui, qu'on murmurait, mais il ne pouvait même pas signaler qu'il était réveillé. Il se rendormit.
Combien de fois ? il n'en savait rien. Chaque réveil lui semblait être le premier jusqu'à ce qu'il se rappelle et se rendorme.
Puis, au bout d'un temps qu'il était incapable d'estimer, il se réveilla pour de bon. Il ne pouvait toujours pas bouger, il ne pouvait même pas ouvrir les yeux, mais il était réveillé pour de vrai pour la première fois depuis une éternité.
"- S'il vous plait ?" Sa voix était rauque et sa gorge douloureuse. Il se souvenait avoir hurlé à en mourir. "S'il vous plait ?" Hausser la voix au-dessus d'un murmure lui avait couté. Il se mit à lourdement tousser. Boya entendit des bruits de pas précipités.
On l'aida à se mettre sur le flanc pour que le sang qui emplissait sa bouche ne l'étouffe pas. Le temps que la quinte de toux passe et le peu d'énergie que Boya avait retrouvé l'avait abandonné.
On posa une main sur son front.
"- Boya. Tu es a la maison. Tu es à JingYun." La voix de son Shifu.
Le soulagement balaya les dernières traces de tension et d'angoisse. Il se rendormit. A son réveil suivant, l'activité de l'infirmerie autour de lui était plus grande mais pas précipité. On devait être en journée.
"- S'il vous plait ?"
On posa très vite une main sur son épaule.
"- Comment vous sentez vous, Boya Daren?"
"- Vivant, mais pas beaucoup plus." Coassa-t-il.
Les souvenirs lui revenaient lentement. On les avait envoyé à la mort. Tous ses frères étaient morts et lui avait survécut il ne savait ni comment, ni pourquoi. Lorsque les démons avaient enfin réussit à mettre la main sur lui, il avait découvert la vraie signification de la douleur. Ils l'avaient torturés pendant des heures sans qu'il n'arrive à mourir. Sans qu'ils ne le laissaient mourir. Il avait hurlé jusqu'à en avoir la gorge en sang et que ses cordes vocales se bloquent. Ensuite, il avait continué à hurler pendant qu'ils le dépeçaient vivant. Ou tout au moins, c'était l'impression qu'il en avait eu.
Le guérisseur hocha la tête mais Boya ne vit rien. Pas avec le bandage qui couvrait son visage.
"- Vous avez failli y passer, Boya Daren. Sans la présence providentielle d'un groupe de prêtres du sud qui n'avaient rien à faire là, vous y seriez passé. Ils ont réussi à vous libérer et à éliminer les démons qui voulaient vous emporter." Est-ce qu'il y avait de la déception dans la voix du guérisseur ?
"- Mes blessures ?"
Il y eut un temps d'arrêt. Boya avala sa salive. Ce temps était suffisant pour qu'il sache qu'il était en très mauvais état.
"- Vos membres devraient guérir avec le temps mais vous aller rester notre invités de longues semaines." Boya soupira. Ce n'était pas la première fois qu'il était blessé. Mais à ce point? Alors que sa cultivation était très haute ? Il aurait préféré être mort. "Ils vont ont coupé les tendons dans genoux, des chevilles et des poignets. Mais nous n'avons réussit à les recoudre. Ils vont rester raide un certain temps mais vous devriez retrouver leur usage totalement avec le temps."
"- Autre chose ?"
"- Votre visage..."
Boya n'était pas particulièrement fier de son apparence mais il y était habitué quoi. Il avait plus d'une fois utilisé son apparence pour obtenir ce qu'il voulait d'un noble. Et surtout de son épouse. La plus part étaient tellement malmenées et mal aimées de leurs maris qu'il n'était pas compliqué d'obtenir des avantages de leur part en sachant comment les traiter correctement. Et il avait les doigts et la langue agile. Il avait toujours veillé à ne pas laisser d'erreur sur le chemin. Sauf s'il était payé pour. Certains nobles étaient pragmatiques et preferaient un rejeton avec une ascendance solide même si ce n'était pas la leur que pas de rejeton du tout. Une fois qu'ils avaient avalés qu'ils n'étaient aptes pour engrosser leurs épouses, il était fréquent qu'ils cherchent quelqu'un de leur choix pour le faire à leur place. Ça payait bien et ça avait pas mal résorbé sa dette. De ce que Boya en savait, il avait au moins deux fils et une fille qui grandissaient à la cour dans l'ignorance la plus totale. Peut-être quelques autres mais une fois qu'il avait fait son boulot, on ne le recontactait pas pour le tenir au courant de la production ce qui lui allait totalement.
S'il était à ce point amoché, il pouvait faire un trait sur cette rentrée pécuniaire régulière. Certaines de ses donatrices bénévoles faisaient appel a ses services régulièrement.
"- Vous garderez des cicatrices partout sur le corps mais celles de votre visage resteront visibles malgré tout ce que nous avons pu faire. Nous les avons réduites mais… Les blessures étaient extensives. Surtout sur le haut du visage." L'hésitation du guérisseur qui était pourtant un dur, renvoya une boule d'angoisse dans le ventre de Boya. "Les coupures au coin des lèvres se sont totalement refermées. Vous ne devriez même pas sentir de cicatrice ou à peine."
Boya se passa les doigts sur les joues et la langue à l'intérieur de la bouche. Il ne sentait rien sur sa peau et une infime ligne sur l'intérieur. Il réalisa alors qu'on lui avait tranché les joues de la commissure des lèvres à mi-chemin des oreilles. Il n'avait aucun souvenir de la torture mais il en avait subi tellement qu'une coupure de cet ordre n'était même pas assez grave ou douloureuse pour qu'il l'ai réellement sentit.
"- Autre chose ?"
"- Vos yeux ont souffert. Nous ne savons pas encore à quel point. Vous agresseurs ont fait couler quelque chose sur votre visage. Nous ne savons pas s'il s'agit d'un poison ou d'un acide. Nous avons contré avec ce que nous avions mais sans connaitre le produit exact, c'est difficile d'établir un diagnostic. Nous en saurons plus quand nous aurons retiré les pansements sur votre visage mais nous devons attendre que la peau finisse de cicatriser avant toute chose. Tout s'est infecté très vite. Rien que cette infection à faillit suffira pour vous perdre."
"-... Qu'est-ce qu'ils m'ont fait ?"
"- Je crois qu'ils voulaient vous arracher les yeux en plus de tout le reste. Il n'en n'ont pas eu le temps, mais il y a quand même eut du dégât."
Boya ferma les yeux sous le pansement. Il ne sentait rien mais ce n'était pas un indice. Ses bras et ses jambes le lançaient affreusement malgré les calmants mais les calmants soulageaient probablement aussi son visage. La douleur était tellement présente qu'il lui était difficile de savoir si le manque de douleur de son visage était du à l'absence de douleur ou juste à une douleur proportionnellement plus faible que le reste donc pas assez importante pour que son cerveau la note et l'en informe.
"- Combien de temps pour savoir ?"
Le guérisseur secoua la tête. Il ne pouvait répondre.
"- Combien de temps avant de m'enlever les pansements ?"
"- Une semaine, deux maximum."
C'était déjà long pour un cultivateur. C'était encore plus long pour un cultivateur de JingYun.
"- Combien de temps suis-je resté inconscient ?"
"- Boya Daren... Vous avez été agressé il y a... presque deux mois."
DEUX MOIS ! Boya sentit une brutale chaleur lui monter dans les membres, son sang rugit à ses oreilles et la douleur revenir en flèche.
Il n'entendit pas le guérisseur hurler qu'il avait besoin d'aide et que le patient faisait une déviation de qi.
On poussa un liquide dans sa bouche, il l'avala par reflexe et s'enfonça encore dans le néant.
Lorsqu'il se réveilla la fois suivante, il se sentait vaseux mais un peu mieux dans son corps. Comme après une cuite géante.
"- fidmr?" Ho. Donc même articuler c'était compliqué
"- Ha Boya Daren !" Une voix féminine. Donc ce devait être Lia Huan. La petite shimei qui avait rejoint l'infirmerie début de l'année.
"- Boya Daren." Le guérisseur en chef. "Vous nous avez fait très peur. Vous devez vous sentir vaseux mais nous vous avons gardé sous sédatif le temps que vos plaies finissent toutes de cicatriser. C'était le plus simple pour vous éviter encore une mauvaise réaction."
Maintenant qu'on le lui disait, Boya ne sentait plus de pansements sur son visage ou ses membres. Juste un infime bout de tissu autour de sa tête.
"- Vous allez vous trainer encore lamentablement quelques semaines, mais les muscles de vos bras et de vos jambes s'en remettront totalement. Il vous faudra faire attention et ne pas forcer tout de suite. Reprendre votre entrainement de la base peut-être. Vous garderez peut-être un petite boiterie mais rien d'handicapant." Les tendons s'étaient bien remis en place.
Avoir gardé Boya endormit pendant toute la fin de sa convalescence avait été le bon choix même s'il avait couté cher. S'il avait quitté l'infirmerie dès son réveil, il y avait fort à parier que ses tendons ne se seraient pas remis aussi bien. Là, ils ne risquaient plus de céder à nouveau. Un peu d'étirements progressifs quelques semaines, un peu de musculation, une reprise progressive de l'entrainement et Boya devrait reprendre le collier sans peine.
Si ses yeux fonctionnaient.
"- mjn 'chrie ?"
"- Votre archerie ? il vous faudra reprendre l'entrainement mais je n'anticipe pas davantage de problèmes que d'être rouillé. Peut-être quelques tremblements au début le temps que vos tendons retrouvent toute leur souplesse, mais rien de définitif. Ni même de longue durée.
C'était déjà un monstrueux soulagement pour Boya. Il pourrait retrouver le terrain. Même s'il boitait bas, son arc avait toujours été et resterait toujours son arme première. Son épée n'était même pas une arme spirituelle. C'était son arc qui l'était. Mais ça, personne ne le savait à part son Shifu.
"- noeil ?"
"- Vos yeux, il faut juste que nous enlevions la dernière couche de gaze." Le ton était encourageant mais Boya connaissait justement ce ton trop encourageant. Il l'avait déjà entendu pour des chasseurs qui n'avaient pu être sauvés.
Boya choisit délibérément de ne pas trop s'y attarder pour l'instant. Que ses yeux aillent bien ou non, s'en inquiéter pour l'instant ne servait à rien. La seule chose qu'il pouvait faire était de faire circuler lentement son qi et de le projeter vers ses yeux pour soigner les éventuels dégâts qui s'y trouvaient toujours. Être un cultivateur lui donnait un énorme avantage sur un humain normal. Il pouvait forcer son corps à guérir dans une certaine mesure. Il lui fallait juste du temps et du qi. Et du qi, il en avait plus que bien des maîtres de son âge.
Petit à petit, le brouillard mental qui l'oppressait diminua. On lui donna à boire et à manger. Son organisme se jeta sur les nutriments avec un désespoir touchant. Il avait été suffisamment blessé pour que son Node doré doive travailler en surmultipliée pour soigner ses plaies. Ce premier repas solide depuis des semaines, même si ce n'était que de la bouillie de riz au bouillon de poule avec de petits morceaux de viande et de champignons lui fit un bien fou.
Lorsqu'il eut finit, le guérisseur s'assit sur le bord du lit. Il prit son poignet entre deux doigts pour vérifier l'état de sa cultivation.
"- Hmmm… Quelques jours de bon repas et les dernières plaies musculaires ne devraient plus être qu'un mauvais souvenir." Ce serait déjà ça. Pour les tendons, il faudrait encore un peu de temps pour que les dernières séquelles disparaissent. "On regarde pour vos yeux ?"
Boya hocha la tête.
Le guérisseur retira lentement la dernière couche de gaze qui protégeait ses yeux puis les deux petits bouts de coton qui les maintenaient fermés. Il fit couler un peu d'eau bouillie et refroidie sur les paupières closes pour les aider à s'ouvrir sans faire souffrir le chasseur. Il lui fallut quelques minutes mais il finit par les ouvrir.
"- Alors ?"
Boya se mordit la langue pour ne pas hurler.
"- …Je ne vois rien."
Il sentit la pression d'angoisse que sa réponse généra immédiatement. Il ne le savait pas mais son Shifu était là, près de lui. Les poings serrés, il priait tous les dieux qui pouvaient l'entendre de ne pas avoir cette cruauté pour son élève. Il était encore trop jeune. Trop jeune pour avoir remboursé sa dette. Trop jeune pour pouvoir quitter JingYun en paix s'il ne pouvait plus être utile à la communauté. Mais pas trop vieux pour ne pas être vendu pour une belle somme. L'ancien avait perdu un bon quart de ses élèves en une fois. Il était dans une rage folle envers les autres anciens du temple. Mais pour le bien-être et la survie de Boya, il devait garder la tête froide et le protéger de son mieux.
"- Vous êtes dans le noir total ou avez-vous conscience de la luminosité autours de vous ?"'
"- Rien du tout." La pièce était plongée dans la pénombre, ce n'était pas anormal et même presque rassurant.
Le guérisseur fit signe à son confrère pour qu'il apporte une lampe à huile. Il cacha un œil de Boya puis mit la lampe devant son autre œil.
"- Voyez-vous un changement ?"
"- C'est clair maintenant."
Le guérisseur fit la même chose de l'autre côté mais éloigna la lampe.
"- Et là ?"
"- Noir."
Il approcha la lampe.
"- Et maintenant ?"
"- Clair."
Le guérisseur recommença son petit manège plusieurs fois.
"- Votre vue a été gravement impactée, mais je ne peux pas encore dire si c'est définitif ou non. Vous avez encore la perception de la lumière, ce qui me pousse à dire que votre cerveau n'est pas touché. Juste les globes oculaires. Avec votre cultivation, il y a une chance sur deux que vous retrouviez la vue. Peut-être pas aussi parfaite qu'avant, mais suffisamment pour fonctionner." Ce serait déjà ça.
Boya se retint de hurler.
"- Combien de temps pour savoir ce qu'il en est ?"
"- Quelques semaines. Il faut déjà que votre cultivation se remette elle-même." Le guérisseur prit délicatement le visage de Boya entre ses mains pour examiner précautionneusement ses yeux. "Je ne vois pas de cicatrice apparente, ni de taie sur les iris… Il faut attendre. Je vais vous donner des gouttes a mettre dans vos yeux plusieurs fois pas jour. Il est possible que ça brûle un peu mais c'est normal." L'acide, ça brûlait toujours. "Pour les cicatrices autours de yeux, c'est assez boursoufflé mais déjà beaucoup moins qu'il y a quelques jours. Et surtout, elles ne sont plus écarlates."
Les cicatrices autour des yeux, elles, étaient encore extensives. Elles donnaient l'impression d'une brulure chimique assez violente. Lorsque les prêtres du sud qui avaient sauvés Boya l'avait trouvé, ils avaient décrit la scène comme un cauchemar. Boya était tenu au sol par plusieurs démon et un autre était penché sur son visage, la gueule grande ouverte. Un liquide translucide verdâtre coulait de ses crocs directement dans ses yeux.
Les sudistes avaient immédiatement rincés le visage et les yeux de Boya dès qu'ils l'avaient pu avec de l'eau en quantité. C'était sans doute d'ailleurs la seule chose qui lui laissait une chance de revoir. Mais les dégâts étaient quand même importants. Heureusement pour lui, Boya semblait avoir totalement oublié ces tortures. Lorsque les sudistes l'avaient trouvés, il était conscient et hurlait de toute la force de ses poumons.
Les guérisseurs avaient pu récupérer un peu du venin et concocté un anti-venin assez vite heureusement. Ils avaient pu lui sauver la vie. S'il ne retrouvait pas la vue, le laisser mourir aurait peut-être été plus généreux.
Mais ils n'en étaient pas là.
"- Pour l'instant, vous allez rester notre invité encore quelques temps."
"- Est-ce que je peux faire quelque chose ?"
"- Méditez. C'est tout ce que je peux vous conseiller. Faites circuler votre qi le plus possible dans vos méridiens et concentrez-vous surtout sur vos yeux."
Que dire de plus…
Boya se força à se détendre. Ce n'était qu'un nouvel objectif à atteindre. Juste un moment désagréable de plus à passer. Il fallait qu'il s'en convainque.
"- Pour l'instant, vous devez dormir, manger et dormir encore."
"- Est-ce que je pourrais prendre un bain avant tout ?"
Il se sentait dégoutant à l'extrême. Tout son corps le démangeait. Ce n'étaient pas les bains à l'éponge qu'on lui avait donné pendant des semaines qui allaient l'aider. Il devait puer la mort.
"- Bien sûr." Sourit le guérisseur. Que son patient demande à prendre soin de son hygiène personnelle était toujours un bon signal pour lui. "Mes assistants vont vous aider."
Boya ne protesta pas malgré son envie. Il pouvait prendre un bain seul ! Mais non, il ne pouvait pas. Pas sans ses yeux. Pas encore. Pas pour l'instant… Il fallait qu'il s'habitue d'abord.
