5) Au château de Lupus
Au soir du quatrième jour, ils accostèrent au quai du château de Lupus. La nuit était déjà tombée et la lune pleine et ronde éclairait d'une lueur sinistre la forteresse flanquée de ses sombres donjons.
Le duc les accueillit lui-même devant le pont-levis. Il était gras, mou et avait de petits yeux porcins.
-Prince Rodney, chevalier Sheppard, quel honneur pour moi de vous recevoir dans mon humble château.
Il eut un large sourire obséquieux et se courba tant devant ses hôtes qu'ils ouïrent tous le bruit net d'un tissu qui se déchire.
Le duc, confus, porta la main à son fondement.
-Veuillez m'excuser, majestés, mais vraiment, quel honneur pour moi de vous recevoir, répéta t'il.
-Je ne vous le fais pas dire, daigna répondre le prince Rodney. Faites-nous conduire à nos appartements, nous sommes fatigués.
Le chevalier Sheppard qui malgré ses sentiments était loin d'être aveugle se dit que le prince avait aussi à prendre quelques leçons de diplomatie et de courtoisie.
-Bien sûr, sire, répondit le duc d'un ton mielleux. J'espère vous avoir pour hôte au festin qui a été apprêté en votre honneur.
-Très bien, cela me sied, je suis affamé, rétorqua le prince. J'espère que les mets seront à la hauteur de mes espérances.
Le capitaine faillit s'étouffer. Le prince se conduisait véritablement comme un goujat. Ils allaient avoir une conversation sous peu tous les deux et le capitaine n'hésiterait pas à frapper du poing sur la table si cela était nécessaire ! Après tout il avait l'appui de la reine pour cela.
Pour le moins, les appartements convinrent au prince et celui-ci se montra satisfait.
Il prit un bain et choisit soigneusement un costume pour le dîner. Non pas en l'honneur de leur hôte mais dans l'intention de plaire au chevalier. Ce dernier avait une belle prestance et le prince n'aurait jamais accepté d'être en reste. D'autre part, de tendres sentiments le poussaient vers lui mais manifestement celui-ci avait de la peine à se déclarer.
Il allait peut-être falloir l'aider un peu.
Justement ce dernier se présenta, soucieux.
-Prince Rodney, défions-nous du duc. J'ai un mauvais pressentiment. Je sens le danger.
-Allons, allons, chevalier Sheppard, tout va bien. Finalement ce périple est une aubaine. Nous voilà débarrassés de la férule de ma cousine la reine, qui est charmante, bien sûr mais qui passe son temps à essayer de régenter ma vie.
Il se rapprocha ostensiblement du chevalier et lui dédia un sourire éblouissant.
-Comme vous le faisiez obligeamment remarquer avant notre départ, nous avons le même rang alors au diable le protocole ! Appelons nous donc par nos prénoms en privé. Envoyons l'étiquette par dessus les remparts si vous le voulez bien ? acheva t'il avec un sourire charmeur.
Le chevalier déglutit avec peine.
-Oui, bien sûr, avec plaisir, prince, euh, Rodney.
-Si nous allions dîner, John ( Le prince appuya délibérément sur le nom, lui donnant une consonance suave), me donnerez-vous le bras ?
Le festin fut succulent. Le duc appréciait la bonne chère .On leur servit tout d'abord un brouet puis une poularde accompagnée de noix et de noisettes puis des chapons, le tout servi sur une nappe de lin brodé. Des musiciens accompagnaient le repas et jouaient des airs parfois gais, parfois mélancoliques.
Mais les convives, fatigués ne tardèrent pas à prendre congé.
-Mon serviteur va vous raccompagner dans vos appartements, messires. Une bonne flambée vous y attend. Je vous souhaite une excellente nuit.
Le capitaine Sheppard crut déceler une note d'ironie derrières les paroles du duc. Il décida de se tenir sur ses gardes. Cette nuit il veillerait. Il était responsable du prince et tiendrait ses engagements.
Après avoir raccompagné ce dernier à la porte, il lui souhaita avec regret une bonne nuit et rejoignit sa chambre. Il s'allongea sur la couche moelleuse et se prit à rêvasser.
De son coté, le prince se jeta à plat ventre sur son lit. Ah, il aurait pu ne pas se trouver seul, si seulement le capitaine, non John, rectifia t'il. Si seulement John...
A ce moment là, il entendit un petit grincement et tourna la tête en direction du bruit : Un pan du mur coulissa et une main décharnée et griffue se faufila par l'ouverture.
Le prince ne demanda pas son reste. Il bondit , se précipita hors de sa chambre, ouvrit à la volée celle du chevalier et se jeta dans le lit de ce dernier qui le reçut dans ses bras.
-Euh, prin...je veux dire Rodney . Enfin ! Je n'y croyais plus. Mais n'est-ce pas un peu précipité ? Enfin, je veux dire, êtes vous sûr de vos sentiments ? je ne voudrais pas vous déshonorer et vous compromettre dans un moment d'égarement que vous pourriez regretter ensuite et...(1).
-Johnnnnnnn ! Il y a un monstre dans ma chambre ! cria le prince en se serrant encore plus fort dans les bras de son chevalier.
-Un monstre ? répéta le chevalier qui commençait à comprendre qu'il s'était fourvoyé sur les intentions de son bien-aimé.
-Oui, un monstre avec des doigts crochus et griffus et..
-Hum hum, allons voir ça.
Le chevalier serra la main tremblante du prince et l'accompagna dans les appartements de ce dernier. Ils étaient vides.
-Où ça, le monstre ?
-Là, le mur s'est ouvert et une main est sortie.
Le chevalier Sheppard s'approcha et serra son prince contre lui .
-Vous voyez, il n'y a rien ici. Il appuya fortement sur le pan de mur qui s'ouvrit brutalement sous la poussée. Les deux hommes tombèrent en avant, la tête la première dans le souterrain. Ils glissèrent sur une pente et atterrirent dans une petite alcôve éclairée par une torche. La porte de la chambre se referma avec un claquement sinistre derrière eux.
Le chevalier se saisit de la torche. Les murs étaient suintant d'humidité et une odeur fétide se dégageait du souterrain.
-Johnnnnnn !
-Allons, un peu de bravoure, Rodney. Soyez courageux. Et puis vous n'avez rien à craindre, je suis là pour vous protéger.
Le prince commençait à se sentir rasséréné quand un rugissement résonna dans les couloirs obscurs et fut aussitôt multiplié à l'infini par l'écho.
-John, qu'est-ce ? Le prince se serra contre le chevalier qui en profita pour lui passer un bras autour de la taille.
-Je n'en sais rien mais cela se rapproche.
La bête se rapprochait en effet. Ils pouvaient ouïr son souffle rauque et l'entendait grogner. Puis elle surgit soudainement devant eux, leur arrachant des cris de surprise et de terreur.
De terreur qui remontait à leur enfance. Tous les petits atlantes la connaissait cette bête. Elle peuplait les images des livres d'enfants, les contes, les menaces des grand-mères : « Si tu n'es pas sage, si tu ne manges pas ta soupe, si tu n'obéis pas à tes parents, il viendra, il t'emportera dans son antre et te dévorera tout cru ».
Le wraith.
-Mais ça n'existe pas, c'est dans les contes, ça, balbutia le prince terrorisé.
Le chevalier lui aussi était tétanisé. Le wraith n'existait pas, c'était une légende qu'on se racontait depuis des lustres. Une légende transmise de génération en génération, des histoires qu'on se racontait autour du feu ou avec ses petits camarades pour se faire peur les nuits de pleine lune.
Le wraith existait bien pourtant. Il s'avança, menaçant.
Le valeureux chevalier se plaça devant le prince.
-Rodney, dans les livres, comment on tue le wraith, déjà ?
-Euh, avec une boule d'argent, je crois, ou bien on le traîne au soleil. A moins que..Non, je confond avec... Il me semble qu'il faut lui transpercer la poitrine de part en part. Oui, c'est ça !
-Reculez, Rodney et préparez- vous à vous sauver s'il le faut, dit le chevalier d'un ton décidé en portant la main à son épée.
-Jamais je ne vous abandonnerai, John !
Le prince recula tout de même de quelques pas. Le chevalier brandit son épée. Il savait qu'il n'aurait pas de seconde chance.
Le wraith bondit. Le chevalier se ramassa sur lui même et au moment opportun, lui transperça le corps de son épée. La bête tomba lourdement sur le sol dans un cri d'agonie qui se répercuta longuement dans les douves.
-Oh John, quel preux et vaillant chevalier vous êtes, s'écria le prince en se jetant à son cou.
Cette fois-ci, l'occasion était trop belle, le chevalier enlaça fougueusement son prince et se prépara à poser ses lèvres sur les siennes.
-Qu'avez-vous fait à mon wraith ? hurla le duc qui venait de surgir dans le souterrain. (2)
Le prince se dégagea.
-Votre wraith ? Mais où l'avez vous débusqué, d'ou vient-il ?
-Il a été capturé par des chasseurs il y fort longtemps dans une contrée lointaine. Je l'ai acheté et élevé dans mon château. Il m'était d'un précieux secours pour résoudre certains problèmes et maintenant, il est mort, c'est fini, larmoya le duc. Je m'étais attaché à lui.
Il se pencha sur la bête et éclata en sanglots.
-Je suis perdu, il me le fera payer cher. Il veut votre perte.
-Mais de qui parlez-vous ? s'enquit le chevalier.
A cet instant, le wraith, dans un dernier sursaut planta ses doigts crochus dans la poitrine de son maître qui perdit aussitôt ses couleurs et se décharna à toute allure.
-Kav…Aaaaah !
Le chevalier récupéra son épée et prit le prince par la main.
-Nous embarquons tout de suite sur le "vaisseau des étoiles", pas de discussion. décida t'il. (3)
Ils s'enfuirent discrètement et embarquèrent à bord du bateau. Ils réveillèrent l'équipage. Quelques instant plus tard, ils naviguaient en direction du pays des genii.
A suivre…1) Quel hypocrite, ce John, alors qu'il ne rêve que de lui sauter dessus, à mon Rodney !
2) Et oui, raté le bisou, une fois de plus…
2) Quel homme, quelle autorité !
