7) Querelle

Le vaisseau des étoiles venait d'essuyer une terrible tempête. Le bâtiment avait été ballotté, à plusieurs reprises soulevé au faîte de vagues hautes comme des donjons puis était retombé dans les creux en chutes vertigineuses. Mais il avait tenu bon. Le capitaine était resté sur le pont, affrontant la tempête avec son équipage. Une dernière vague gigantesque s'était abattue sur le pont faisant se pencher dangereusement le bâtiment à bâbord. Les hommes, las et trempés se mirent à écoper en criant et s'invectivant.

Le prince Rodney qui lors de la tempête s'était tenu au fond de son lit dans ses appartements, les mains sur les oreilles et au bord de la nausée, fit irruption, frais, sec et parfaitement ragaillardi. Il se tint tout de même à l'abri de la pluie qui tombait sans discontinuer et héla le capitaine :

-Capitaine Sheppard ! euh.. John, je suis fort contrarié. Tous ces bruits m'empêchent de me pencher avec toute l'attention requise sur mes grimoires. Vous n'ignorez pourtant pas que j'ai besoin de calme pour me vouer à l'étude. Mon génie ne saurait souffrir plus longtemps pareille cacophonie. Je vous serais donc gré de faire ce que vous ordonnent vos obligations. Faites cesser sur l'heure ce tumulte afin de me satisfaire. Je l'exige !

A ces paroles, le sang du capitaine ne fit qu'un tour. Il sentit le courroux lui monter au nez. Là, le prince exagérait. Il l'attrapa sans ménagement aucun et le plaqua contre la timonerie. Des trombes d'eau s'abattirent sur eux.

-Maintenant, Rodney, vous allez bien m'ouïr, il est temps qu'on vous rapporte quelques vérités : vous êtes capricieux, égoïste, présomptueux et discourtois et de surcroît, vous êtes persuadé que le royaume tourne autour de vous !

-Ah oui, répondit le prince ulcéré, et bien vous n'êtes qu'un mufle et un petit chevalier de rien du tout !

-Et qui vous a sauvé des griffes du wraith, l'autre jour ?

-Fi donc, un tout petit wraith de rien du tout, poitrinaire et famélique !

-Ce n'était point ce que vous disiez, vous étiez tremblant comme une feuille et m'avez sauté au cou, s'exclama le chevalier perdant dans son emportement tout esprit chevaleresque.

-Ah oui, et vous savez ce qu'on m'a conté un jour ? Il paraît que lors d'un retour de manœuvre une vilaine chauve-souris vous a justement elle aussi sauté au cou. Et je me suis laissé dire que vous n'étiezpoint plein de forfanterie à ce moment là, ajouta le prince avec perfidie.

-Prince Rodney, retournez séance tenante dans vos appartements ou bien je vous fais jeter aux fers, rugit le capitaine hors de lui, attrapant son prince par les poignetset le secouant.

-Vous oubliez qui je suis, capitaine Sheppard, répliqua le prince avec hauteur. Vous n'avez aucun ordre à me donner. Je ne suis pas de vos armées, moi.

-Et vous, vous oubliez que je suis seul maître à bord et que je fais céans ce que bon me semble !

Puis, avant que le prince ne puisse esquisser le moindre geste, il le saisit par la taille, le serra avec autorité contre lui et l'embrassa avec fougue. (1)

Puis il le libéra.

-Goujat, comment avez-vous osé ! s'exclama le prince en le souffletant. (2)

-Vous ne vous êtes point débattu, il me semble ? répliqua le capitaine qui ne manquait certes point de goujaterie.

Le prince en resta coi. Il se drapa dans un silence indigné et disparut dans ses appartements.

Le capitaine resta campé là, les mains sur les hanches. Le prince l'avait bien cherché. Certes, il aurait préféré l'embrasser sous des auspices plus romantiques mais ce dernier lui avait fait perdre son sang-froid.

Il détestait qu'on lui rappelle l'incident de la chauve-souris. Elle s'était collée à son cou et se compagnons, malgré tous leurs efforts n'avaient pas réussi à la déloger. L'un d'eux, même, croyant avoir affaire à un suppôt du diable, lui avait lancé une poignée de sel ! La chauve souris avait brutalement réagi et il avait failli trépasser. Après moult souffrances il avait sombré dans les ténèbres. On lui avait raconté que la bête l'avait alors lâché et que Beckett,l'apothicaire l'avait ramené à la vie avec des sels et des potions. Certains murmuraient qu'il était un peu sorcier mais peu importait au chevalier.

N'empêche ! il aurait juré qu'il ne s'agissait pas d'une chauve-souris ordinaire mais il avait préféré se taire. Les ragots et colportages allaient bon train au royaume d'Atlantis et cela jasait déjà suffisamment au coin du feu sur sa mésaventure.

Il n'était point dans ses intentions d'en rajouter.

Et maintenant, il était en discorde avec son bien aimé. Il pouvait encore certes se jeter à ses pieds pour implorer son pardon mais il serait sûrement éconduit.

Plus tard, certainement.

Il laissa son regard errer sur l'horizon. Au loin, des bancs de brumes laissaient apparaîtreça et là des coins de terre.

Ils étaient en vue du pays des genii.

A suivre…

(1) Rhâaaa, des hommes comme ça on n'en fait plus maintenant !

(2) Ben oui, tiens. Comment il a osé ?