8) Au pays des genii
-Prince Rodney, roi Kolya.
-Roi Kolya, Prince Rodney
-Chevalier Sheppard, roi Kolya.
-Roi Kolya, chevalier Sheppard...
La litanie semblait interminable et le protocole était d'un ennuyeux! Mais il était dans ses obligations de s'y plier. Le prince porta une main devant sa bouche et se retint au dernier moment de bailler lorsqu'il croisa le regard courroucé du chevalier.
Le roi qui n'avait rien perdu de cet échange eut un petit sourire amusé et décida de passer à l'offensive. Il les avait accueilli avec empressement et s'était montré fort courtois et amical à l'égard du prince.
-L'étiquette qui régit le protocole chez les familles royales nous fera un jour périr d'ennui, prince Rodney. Laissons-là discours et compliments si vous le voulez bien et passons à des sujets plus plaisants.
Le prince dédia un sourire reconnaissant au roi. Celui-ci n'avait pas l'air aussi mauvais qu'on le disait. De méchantes langues avaient certainement colporté quelques ragots à son égard. Et puis…il était grand avec des yeux vifs et sombres. Et ces balafres ! elles lui seyaient bien et donnaient un petit air romantique au personnage, une allure de pirate.
Et puis, pourquoi ne pas en profiter pour attiser les aiguillons de la jalousie chez un certain chevalier à qui il tenait quelques griefs ?
Il nota avec satisfaction que ce dernier suivait la conversation d'un regard désapprobateur.
-Prince Rodney, c'est un grand honneur pour moi de vous recevoir dans mon pays. J'ai beaucoup entendu parler de vous. Partout on ne discourt que de votre intelligence qui est paraît-il si grande.Je souhaite que nos deux pays entretiennent des relations de paix et d' amitié et peut-être pourrions tisser des liens plus étroits ?
Le prince jeta un regard furtif au chevalier. Ce dernier fronçait les sourcils et ses yeux lançaient des éclairs. Quel bonheur ! Si cela continuait le prince allait en tomber en pamoison !
-Quels agréables propos vous tenez là, roi Kolya. Je suis sûr que nous allons très bien nous entendre. Il vit le chevalier se raidir. Quel merveilleux château, quel goût pour les belles choses.
-De grâce, prince, vous me flattez. Mais je vais vous laisser reposer. Nous reprendrons cette délicieuse conversation au dîner. Vous y verrez d'ailleurs votre cousine Allina. Vous êtes certainement impatient de la rencontrer. Mon conseiller vous a arrangé une entrevue en soirée.
Le roi Kolya s'éloigna. Ce prince était délicieux. Tout simplement charmant. Parfaitement à son goût. Dommage ! Quoique avec un peu de chance, il pourrait peut-être allier l'utile à l'agréable. L'autre était dangereux. Il allait falloir s'en défier.
Le prince et le chevalier furent conduits dans leur suite. A peine seuls le chevalier se planta devant son toujours bien-aimé et laissa déverser son courroux :
-Prince Rodney, vous vous oubliez ! Que signifient ces familiarités incongrues et déplacées envers le roi Kolya ?
-Je ne saisis point vos griefs, chevalier Sheppard. Voilà que vous me faites reproche de me montrer aimable et courtois envers notre hôte. N'est-ce pourtant pas cela que vous désiriez ? Voyez comme je vous suis obéissant !
Lors, si vous voulez bien me laisser, je souhaiterai revêtir de nouveaux atours afin de faire honneur à notre hôte, justement.
Sheppard serra les dents et vira au rouge. Le prince se demanda s'il n'avait point trop réveillé l'ire de ce dernier qui le saisit par la taille et l'approcha brutalement de lui. Rodney ferma les yeux et tendit les lèvres. Mais finalement le chevalier garda raison et s'éloigna à grand pas. Le prince Rodney en resta tout déconfit. « Quel goujat vraiment, ce chevalier ! ».
La salle des banquets était somptueuse. Elle scintillait sous les lustres et de nombreux ajours laissaient passer les derniers rayons de soleil. Le prince Rodney escorté du chevalier Sheppard avait à peine franchi le sol qu'une débauche de frou-frou soyeux et de dentelles se jeta dans ses bras et planta deux gros baisers sur ses joues.
-Rodney, cousin Rodney, quel plaisir de vous retrouver après toutes ces années !
Le prince la dévisagea. Bien sur, elle n'avait rien d'un laideron. De beaux yeux noirs, une chevelure d'ébène, la taille mince et bien prise et toujours son petit air espiègle.
-Mais quel est ce bel homme qui vous accompagne ? Me présenterez-vous, cousin Rodney ou bien devrais-je le faire moi-même ?
Le chevalier Sheppard eut un sourire éclatant. L'aubaine était par trop tentante et il n'allait pas se priver lui aussi. Il allait rendre au prince la monnaie de son écu.
-Mais oui, prince Rodney, présentez moi derechef à cette merveilleuse apparition !
Le prince pinça les lèvres et fronça les sourcils.
-Princesse Allina, je vous présente le chevalier John Sheppard. Chevalier Sheppard, la princesse Allina, ma cousine.
Le chevalier se pencha avec élégance et fit un baisemain qui fut accueilli par un sourire gracieux et plein de charme.
Le prince lui jeta un regard noir et Sheppard jubila.
-Princesse Allina, me donnerez vous le bras afin que je vous accompagne à votre place ? proposa le chevalier qui vit avec plaisir l'exaspération poindre sur le visage de son prince.
-Avec plaisir, beau chevalier.
On déclara le repas servi. Le prince Rodney était placé à la droite du roi et Sheppard leur faisait face. Il observait au bord de l'apoplexie les minauderies de son bien-aimé sous les regards plus qu'admiratifs du souverain. Pardieu, il allait tenir la promesse faite à la reine Elisabeth et offrir désormais au prince une protection très rapprochée. Et ce n'était pas ce roi fantoche qui allait s'interposer. Justement celui-ci s'adressait à lui :
-Chevalier Sheppard, est-il coutume sur Atlantis que le chef des armées tienne lieu d'escorte à un prince de sang royal lors de ses déplacements. Vous n'avez donc point d'occupation d'importance dans votre royaume ?
La provocation était grossière et n'atteignit point son but. Le chevalier garda son sang-froid mais ventredieu de foutremol ! Encore une parole de ce genre et ce seraient des amourettes qu'on dégusterait au dessert, roi ou pas roi. Foi de Chevalier Sheppard !
-Si vous étiez au faite des coutumes en usage dans nos royaumes, vous sauriez, sire qu'il incombe au chef des armées d'assurer la protection des héritiers à la couronne. Mais à votre décharge, il est vrai que vous n'êtes point né roi et donc personne ne vous tiendra rigueur pour votre ignorance, assura le chevalier. La politique serait plutôt votre fort.
Les conseillers Aidenn et Cowen étaient au bord de la crise nerveuse.
-Laissons donc les jeux politiques de coté afin de nous consacrer à ceux du charme et de l'esprit, répliqua le roi en se tournant vers le prince.
Il serra les dents. Avant ce soir il allait ordonner à ses bourreaux de faire le ménage dans la salle des tortures. Sous peu, il y aurait un invité de marque.
-Encore faut-il avoir les qualités nécessaires afin de les pratiquer ces jeux.
Pour le ménage, ce ne serait pas nécessaire finalement. Les bourreaux aussi, il s'en passerait. Après tout, il ne fallait pas dédaigner de se mettre à l'ouvrage de temps en temps, histoire de ne pas perdre la main.
La princesse Allina qui n'était point sotte et avait perçu l'antagonisme entre les deux hommes relança la discussion sur le chemin de la bienséance :
-Roi Kolya, parlez nous de vos conquêtes, on dit que vous avez voyagé au-delà des grands territoires et que même vous auriez entraperçu des êtres que personne n'a jamais vu. De ce qu'on m'en a conté, ils ressembleraient d'étrange manière aux wraith des livres de contes pour enfants. Mais peut-être ne s'agit-il que d'affabulations.
-Il s'agit de la pure vérité, princesse et j'ai le pressentiment qu'un jour nous en entendrons parler de ces créatures, répliqua le roi.
Le chevalier croisa le regard du prince. Ils échangèrent un sourire complice.
Les conseillers se détendirent et le banquet se termina dans la bonne humeur.
Le prince et le chevalier prirent congé de leur hôte.
Ils furent introduits dans la suite de la princesse Allina. Celle-ci les reçut avec grâce et fit moult sourire au chevalier.
Le prince se renfrogna.
-Allons donc, cousin Rodney, vous n'avez donc pas changé. Vous boudez toujours quand on vous contrarie. Passons plutôt un bon moment, je vous prie. Donnez-moi quelques nouvelles de vous. Contez-moi quelque moment de votre vie amoureuse. Avez vous donné votre cœur ? Soupirez-vous auprès d'une belle ?
Le prince, horriblement gêné, rougit violemment.
Allina le scruta attentivement.
-Cousin Rodney, ne me dites pas que vous n'avez point encore jeté votre gourme ? Mais c'est vrai, déjà enfant, vous fuyiez quand je tentais de vous embrasser !
Devant le silence embarrassé et plus qu'édifiant du prince, elle éclata de rire.
-Et voilà que mon cousin est toujours puceau ! s'exclama- t'elle joyeusement en s'adressant au chevalier Sheppard.
Si cela était possible, le prince se serait jeté dans la plus profonde des oubliettes pour se cacher tant son embarras était grand.
-Si votre cousin désire préserver sa vertu afin de l'offrir à l'élu de son cœur, c'est tout à son honneur,(1) répliqua le chevalier en jetant un regard réprobateur à la princesse et en venant au secours de son bien-aimé.
-Comme vous voilà empourpré, cousin Rodney, votre joli teint me fait songer aux magnifiques pavots qui poussent dans mon jardin (2).
Puis elle se reprit et son expression devint sérieuse :
-Trêve de taquinerie, nous devons avoir céans une discussion sérieuse. Il se passe des choses graves ici. Avez vous ouï parlé des armes de démolition que possèderaient les genii ?
A suivre…
Il a pas une idée derrière le tête celui-là ?
A mon avis, les pavots, ils ne doivent pas lui servir qu'à décorer les vases, à la princesse.
