En mesure de temps hylienne, Zelda avait passé une semaine sous terre et partageait le quotidien de ses occupants comme si elle avait été des leurs dès son plus jeune âge. Rapidement, elle avait pris ses repères dans le village et connaissait son rôle d'agricultrice. Les habitants d'Altoz la regardaient pourtant d'un mauvais œil quand la blonde leur tournait le dos. Son physique atypique, sa manière de parler et son origine inconnue déplaisaient, entraînaient leur méfiance vis-à-vis d'elle. La majorité mimait à contrecœur de la connaître puisque le Sorcier le souhaitait. Et personne ne devait aller à l'encontre de ses choix. Voseth n'était pourtant pas le dirigeant du village ; il épaulait Ren, qui dirigeait réellement Altoz. Cependant, le vrai chef était parti avec un groupe de guerriers afin de surveiller leur région souterraine et de s'assurer que leurs semblables n'encouraient aucun danger à cause des clans adverses. Parfois, cela leur prenait deux à trois semaines mais ils revenaient toujours avec du gros gibier et de nouvelles ressources comme compensation de leur absence.

Avachie sur l'unique table rudimentaire de la cabane, Lasya tapotait le bois à l'aide de son index. Elle le regardait d'un air ennuyé. Derrière elle, Omi préparait un simple potage en attendant le retour de son hôte tourmenté. Les temps actuels s'avéraient difficiles pour tout le monde, manger à sa fin relevait presque du rêve.

- Depuis qu'elle est là, je n'arrive plus à dormir, bougonna la fillette en parlant de Zelda. Elle finit toujours par crier dans son sommeil. Moi, ça me réveille ! Si ça continue, je vais aller dormir à l'étable du village.

Sa grand-mère souffla du nez tandis qu'elle remuait la soupe dans la marmite cabossée.

- Je n'entends rien pourtant, lui fit remarquer Omi qui leva les yeux.

- La vieillesse n'a pas que des désavantages, rétorqua sa petite-fille avec désinvolture.

Omi poussa une exclamation outrée, posa ses mains sur ses hanches puis se tourna vers l'enfant pour lui adresser un regard noir.

- Un peu de respect, je te prie. Et cesse de te plaindre. Tu n'aimerais pas être une seule seconde à la place de cette pauvre fille.

Lasya grommela dans sa barbe puis elle se redressa avant de laisser reposer son menton au creux de sa main. Elle n'aimait pas quand sa grand-mère avait raison... Mais tout de même ! Si Zelda pouvait rester silencieuse dans son sommeil, elle se porterait mieux. Omi lui demanda ce que disait leur hôte car elle voulait essayer d'en apprendre plus et de la comprendre.

- C'était juste des cris de peur. Pas des mots.

- Elle a dû vivre des moments traumatisants... Les esprits aiment tourmenter la nuit. Je me demande si en se réveillant, cette petite se souvient de ses cauchemars.

La porte s'ouvrit l'instant suivant, Zelda parut sur le seuil, un seau rempli d'eau dans les bras. Elle s'avança dans la maisonnée pour le déposer près d'un banc contre le mur.

- Je m'excuse pour mon retard, Voseth a voulu s'entretenir avec moi...

- Ce n'est pas grave, ne t'inquiète pas, la rassura Omi qui souriait chaleureusement. Lasya, mets la table au lieu de flâner !

L'enfant émit un râle plaintif avant de quitter sa place pour aller s'emparer des assiettes creuses en terre cuite. Zelda prit les petits récipients qui servaient de verres ainsi que trois cuillères en bois puis elle vint s'attabler en silence. Pour le moment, sa situation n'avait pas évolué, son esprit restait trouble. Quand elle se réveillait, la jeune femme ne savait pas si elle avait rêvé ou non durant la nuit. Elle était étrangère à sa propre personne. À ses côtés, Omi vint servir le potage sans rompre l'ambiance silencieuse. Il n'y avait que sa petite-fille qui trépignait en attendant de pouvoir entamer son repas.

- Remercions les déesses pour ce repas que nous pouvons... commença la vieille femme d'une voix grave.

- Déesses, j'vous remercie, bon appétit, la coupa Lasya qui se jeta presque aussitôt sur l'unique plat du repas.

Elle avait si faim qu'elle ne pouvait attendre que sa grand-mère termine de parler. Omi souffla d'indignation face à l'insolence de la fillette bien qu'elle ne dit rien par la suite. Elle se sentait suffisamment coupable de ne pas pouvoir plus lui offrir à manger tout le temps. Zelda se montra plus reconnaissante envers les déesses avant de commencer à déguster sa soupe. Cependant, après de longues minutes sans discussion, Omi releva la tête et fit glisser son regard jusqu'à la seule ouverture qui s'apparentait vaguement à une fenêtre sans verre. En temps normal, elle fermait le volet avant d'aller se coucher, ce qui n'était pas encore le cas. Ses sourcils se froncèrent, son immobilité interpela sa petite-fille qui cessa à son tour de manger. L'atmosphère s'alourdissait de plus en plus sans que Zelda ne sache pourquoi. Dehors, le battement d'un tambour résonna entre la voûte et les autres parois des souterrains.

- Ils sont là, annonça Lasya sur un ton monotone.

Elle souffla avec mécontentement puis, sans geste brusque, elle croisa les bras sur la table et posa son front dessus.

- Zelda, essaie de ne plus bouger. D'accord ? s'empressa de lui demander Omi, vraisemblablement inquiète. Un groupe de Krassens traversent sans doute le village. Ils cherchent leurs proies grâce aux vibrations qu'elles créent en bougeant. Mais tu n'as pas à paniquer. Cela fait bien longtemps qu'ils ne s'en sont pas pris à un membre du clan.

Zelda acquiesça puis elle fixa le feu en attendant que le départ de ces créatures soit annoncé. Son cœur battait bien plus fort au sein de sa poitrine. Savoir qu'un tel danger rôdait non loin d'ici, cela ne la rassurait pas du tout. Lorsqu'une silhouette s'arrêta devant l'ouverture de la cabane, l'Hylienne tourna la tête vers elle avant de se figer d'horreur. Une vague de chair de poule et de dégoût parcourut son corps et lui tordit le ventre. Devant elle, une tête, un visage blafard la regardait. Non... En vérité, il n'y avait aucun œil, seulement deux creux à leur supposé emplacement, accompagnés d'une bouche aux lèvres pincées et noires. Sa peau ridée accentuait ses traits, elle était sèche voire craquelées à certains endroits. De longs poils semblables à des cheveux gras retombaient de chaque côté de ses joues jusqu'au milieu du dos sans doute. Zelda ne put voir le reste de son corps mais ce spectacle terrifiant l'avait déjà persuadé qu'elle faisait face à un être cauchemardesque qui paraissait l'épier en silence.

- Il ne te voit pas, ne t'en fais pas, la rassura Omi face à la pâleur inquiétante de son hôte.

Mais l'Hylienne n'y prêta pas attention. Face à elle, elle eut l'impression de voir un œil rond et bleu apparaître, l'environnement changea un court instant pour laisser place à une obscurité différente et glaciale. Son cœur se mit à marteler puissamment l'intérieur de sa poitrine, elle revoyait le fin rayon rouge qui la visait avec fatalité. L'effroi lui tordit le ventre avec tant de force que les larmes lui montèrent aussitôt aux yeux. Zelda ne remarqua même pas le départ de la créature qui avait passé son chemin puisqu'elle n'avait perçu aucune proie. Dans un mouvement prompt, la blonde tourna la tête pour regarder derrière elle, mais il n'y avait personne... N'était-ce que son imagination ? Impossible, ces émotions, elle les avait déjà ressenties. Ce Krassen lui avait rappelé quelque chose malgré le trouble permanent dans son esprit.

- Calme-toi, ma petite, s'inquiéta vraiment Omi en posant une main sur la sienne.

- Il y avait quelqu'un... derrière moi, affirma Zelda d'une petite voix.

Lasya échangea un regard interrogateur avec sa grand-mère. Elles comprirent qu'il s'agissait des tourments dont Zelda était la proie. Elles pensèrent que l'étrangère avait déjà fait face à ces créatures des ténèbres ; après tout, les Krassens marquaient n'importe quel homme, n'importe quelle femme lors de leur première apparition.

- Nous ne sommes que trois ici, je peux te l'assurer. Il s'agissait sans doute d'une bribe de ton vécu. Qu'est-ce que tu as vu ?

Zelda entremêla ses doigts puis posa ses mains sur ses cuisses avant de baisser la tête. Elle haussa les épaules tandis que quelques larmes tombèrent sur son pantalon.

- Je ne sais pas... Quelque chose me fixait, j'avais le sentiment d'une mort imminente...

La jeune femme plissa les yeux.

- Je crois que j'étais avec quelqu'un.

Un discret voile d'affliction passa sur le visage d'Omi en l'apprenant. Cette inconnue avait sans doute vécu des moments très compliqués, et peut-être que cela expliquerait pourquoi elle était tombée dans la Rivière des Tourments. La vieille femme hypothésa que Zelda avait été attaquée, ce qui aurait provoqué sa chute dans l'eau et qui serait à l'origine de la blessure à son bras. Cette dernière mettait d'ailleurs du temps à se refermer malgré les herbes médicinales du Sorcier. Au moins, la plaie ne s'infectait pas et la douleur était soulagée pas un onguent particulier. De ce fait, Zelda possédait un bandage rudimentaire autour de sa peau, on pouvait voir la lymphe le tacher d'une couleur jaunâtre voire rouge à certains endroits quand le sang suintait de la plaie. Dehors, le son d'un tambour différent résonna dans tout le village, annonçant le départ des Krassens.

- C'pas trop tôt, maugréa Lasya qui posa bruyamment son coude sur la table.

L'image de la créature réapparut dans la tête de Zelda qui en frissonna. Plus jamais elle ne voulait voir une telle horreur. Ces choses étaient bien trop terrifiantes... Elles se nourrissaient d'êtres humains.

- Ne t'inquiète pas, les Krassens traversent toujours le village à intervalles précis et réguliers, l'informa Omi qui reprit sa cuillère en main. Lasya t'apprendra quels sont leurs itinéraires ainsi que leurs habitudes dans la région.

- Pourquoi moi... se plaignit l'enfant après avoir soufflé du nez.

- Cesse un peu tes enfantillages et fais ce que je te demande.

Omi porta sa cuillère en bois jusqu'à sa bouche puis en aspira son contenu dans un bruit peu délicat. Il fallait tout réapprendre à Zelda, après tout. Sa méconnaissance de l'environnement pouvait la conduire à sa perte. Sans oublier que les Krassens n'étaient pas les seuls ennemis de la tribu. Les autres humains, aussi... En aval de la Rivière des Tourments, loin dans les souterrains, vivait un clan très dense aux guerriers puissants et particulièrement forts en combat. Ils ne parlaient pas la langue d'Omi et Lasya. Du moins, seule une extrême minorité la parlait. Les membres de ce grand village avaient pour caractéristique des tatouages sur leur peau qui les rendaient plus effrayants qu'ils ne l'étaient déjà. En vérité, ils n'hésitaient pas à attaquer les voyageurs, sans doute pour défendre leur clan. L'homme d'Omi était justement l'un des leurs avant de les quitter pour vivre avec elle. La vieille femme se souvenait notamment d'un conflit, il y avait une trentaine d'Eclosion de cela, qui avait opposé les villages en avant de la rivière à celui en aval. Les ressources et la nourriture guidaient les ambitions des deux camps ; cette année-là, la famine s'était abattue sous les sous-sols d'Hyrule. Et chacun essayait de survivre comme il le pouvait.

Omi trouva que l'atmosphère de la pièce se densifiait étrangement depuis quelques instants. Elle jeta un coup d'œil à sa petite-fille puis à Zelda. Quand elle vit des larmes perler sur ses joues puis tomber dans sa soupe, le cœur de la vieille femme se serra désagréablement. Son hôte fixait son repas sans rien dire, les yeux baissés et les lèvres pincées.

- Allons... s'inquiéta-t-elle à travers un regard empathique. Que t'arrive-t-il ?

Zelda hocha négativement la tête et étouffa un sanglot.

- Je me sens... si seule... dit-elle à mi-voix à cause des trémolos.

L'affliction se lut sur le visage d'Omi qui se leva et vint se placer derrière l'Hylienne. Elle ouvrit ses bras et l'invita à venir s'y blottir pour être réconfortée. La blonde se montra hésitante dans un premier temps. Depuis qu'elle était ici, et malgré tout ce qu'on lui disait, elle n'éprouvait rien pour cette vieille femme et cette enfant supposées appartenir à sa famille. Mais toutes deux étaient si bienveillantes à son égard... Zelda se leva et se laissa étreindre. Elle avait besoin de chaleur humaine, de réconfort.

- Tout rentrera bientôt dans l'ordre, lui promit Omi qui mesurait bien deux têtes de moins que l'étrangère. C'est une période difficile que tu dois surmonter. Tous ceux qui ont été dans ton cas sont parvenus à s'en sortir. Ren aussi a fait partie des tourmentés. Si tu vas lui parler, je suis certaine que tu auras des réponses et de beaux espoirs pour l'avenir.

- Qui est... Ren ? demanda la jeune femme en fermant les yeux.

La grand-mère lui tapota dans le dos et adressa un sourire à Lasya qui les observait avec lassitude.

- Tu le sauras bien assez tôt. Mais en attendant, finis cette délicieuse soupe avant que Lasya ne te la vole.

Zelda souffla du nez en signe d'amusement puis elle s'écarta d'Omi avant d'essuyer ses yeux mouillés. Elle la remercia pour son soutien puis regagna sa place afin de finir son repas. Ce n'était pas grand-chose, et bien que le potage ne soit pas si bon que cela, il eut une toute nouvelle saveur après cette étreinte.

oOo

Assise à côté d'Omi, l'Hylienne apprenait à tisser un vêtement épais qui lui permettrait de passer des nuits au chaud. Sa simple demi-cape ne lui suffisait pas quand elle dormait, le froid pouvait parfois être mordant quand des courants d'air à la provenance inconnue parcouraient les souterrains. Au début, Zelda n'arrivait pas à passer le fil dans le chas mais son hôte lui apprit rapidement sa technique et son apprentissage put commencer. Plusieurs fois, la blonde sentit la pointe de l'aiguille lui rentrer dans les doigts, ce qui la faisait grimacer. Après tout, elle n'avait pas le sentiment d'avoir appris à coudre dans sa vie. Quant à Lasya, elle était repartie travailler dans les champs.

À travers l'unique fenêtre, Omi entendit plusieurs cliquetis métalliques provenir de l'extérieur. Ce détail la fit lever la tête pour mieux écouter. Il n'y avait pas de doute, les guerriers venaient de rentrer. Et Ren se trouvait parmi eux. Le Sorcier allait sans doute l'accueillir devant sa hutte.

- Ren est de retour, annonça la vieille femme en esquissant un sourire. Il faut que tu ailles lui parler.

- Je devrais peut-être lui laisser le temps de se reposer un peu, non ? s'inquiéta Zelda qui se sentait mal à l'aise, tout à coup.

- Ne t'en fais pas pour ça, ma petite. Ren n'a jamais tué quelqu'un parce qu'on venait lui parler. Enfin... Pas dans ton cas.

Cette dernière remarque fit frissonner Zelda. Tout compte fait, elle n'avait plus trop envie d'aller voir ce Ren. Surtout qu'il était le chef du village. Ce devait être quelqu'un de très imposant et droit dans ses bottes. Et aller le déranger dès son arrivée, cela ne plaisait guère à Zelda. Elle délaissa son aiguille et le maigre bout de tissu qu'elle était parvenue à produire puis elle quitta la cabane, sur les pas d'Omi. Cette dernière se réjouissait du retour de Ren. Sans doute était-ce une personne très chère à ses yeux ? Un autre membre de sa famille, comme un neveu ? Elles traversèrent toutes deux le village jusqu'à arriver devant la hutte de Voseth. Une quinzaine de guerriers patientaient dehors, armés de lance ou d'arc. Rares étaient ceux qui revêtaient des peaux de bête, la plupart portait plutôt un équipement en cuir de meilleure qualité que les habits des autres villageois. Chacun était bien couvert de la tête aux pieds, ils n'exposaient que de très rares parties de leur corps, comme leurs mains ou leur visage. Quand ils virent l'étrangère arriver, quelques hommes affichèrent une mine grave et méfiante malgré la présence d'Omi.

Parmi les guerriers, il y avait bien entendu quelques femmes d'une morphologie qui n'avait rien à envier à celle des hommes, imposante et adaptée à leur statut. Ici, seule la force primait pour avoir le droit de porter l'illustre titre de guerrier. Il fallait être en forme et prouver que l'on pouvait protéger le village des monstres comme des autres humains. Eux aussi possédaient une chevelure à la couleur dépigmentée tirant sur le gris voire le blanc. L'épais rideau servant à fermer la porte de la hutte fut décalé sur le côté, dans un geste brusque et inattendu. Une femme se présenta sur le palier. Elle n'était pas du tout habillée comme ses congénères et arborait plusieurs tatouages sur ses bras et son ventre nettement visible. Contrairement aux autres guerriers, elle revêtait des peaux de bêtes ainsi que quelques os pour se donner une allure plus sauvage et menaçante.

Elle était vraiment intimidante, Zelda se figea face à une telle prestance et une telle assurance. Pour une guerrière, sa taille dépassait largement celle des autres femmes, ses muscles se dessinaient avec clarté sur son abdomen et ses cuisses. Si bien que la blonde se demanda un instant comment il était possible de partir au combat dans une tenue pareille. Son regard se posa sur le visage dur et fermé de la combattante qui descendait maintenant les quatre marches pour rejoindre ses semblables. Sa chevelure très dense et blanche, particulièrement mal coiffée en dépit de sa queue de cheval, tombait jusqu'à ses omoplates et semblait abîmée. Zelda ne comprit pas tout de suite qu'elle était devenue son centre d'intérêt.

- C'est donc toi la nouvelle tourmentée ? demanda la femme d'une trentaine d'années hyliennes.

Sa voix était plutôt grave et puissance, nul doute que n'importe qui pourrait être intimidé face à elle. Sa hache imposante impressionnait son interlocutrice et la rassurait d'autant moins.

- Oui, c'est bien moi, répondit l'Hylienne sur le ton le plus assuré possible.

- Bien. Je m'appelle Ren. Je suis la cheffe de ce clan.

Les yeux de Zelda s'écarquillèrent, elle qui s'attendait à voir un homme du même prénom. Pour une surprise... De toute manière, qu'est-ce que cela changeait ? Si cette guerrière se préoccupait correctement de son peuple et qu'elle agissait avec droiture, on ne pouvait rien lui reprocher. La jeune femme fut surprise d'avoir une telle pensée elle se demanda donc ce qui l'avait poussée à avoir une telle réflexion. Pendant ce temps, Omi s'entretenait avec Ren au sujet de Zelda.

- Suis-moi, nous allons discuter chez moi, dit-elle finalement à l'adresse de l'étrangère. Quant à vous...

Elle se tourna vers les autres guerriers.

- Allez réparer les armes endommagées qui en valent la peine. Je veux que deux d'entre vous aillent surveiller en aval de la rivière. Le Sorcier m'a parlé de la présence inhabituelle de Krassens là-bas.

Deux se désignèrent d'office pour cette mission tandis que les autres s'éparpillaient dans le village, certains discutant de vive voix. D'un simple mouvement de la tête, Ren intima Zelda de lui emboiter le pas, ce qu'elle fit sans broncher. Dans son dos, la blonde se sentait petite et insignifiante, la cheffe avait une plus grande foulée et se déplaçait rapidement, obligeant la tourmentée à opter pour la même cadence. Assez vite, elles arrivèrent face à la deuxième et dernière hutte du village. Zelda se posa de réelles questions. Pourquoi le Sorcier et Ren vivaient dans des habitations drastiquement différentes ? Elles semblaient presque... primitives en comparaison des autres cabanes d'Altoz. La guerrière l'invita à y entrer puis la fit s'asseoir à même le sol sur un tapis tressé. Il n'y avait presque pas de meubles, juste le strict nécessaire pour vivre : une paillasse, deux coffres pour ranger les vêtements et autres effets personnels plus un foyer au centre qui permettait au feu de réchauffer sa propriétaire et de la nourrir.

- Tu dois te poser des centaines de questions depuis que tu as été retrouvée. Je me trompe ? commença Ren en prenant une gourde faite en peau séchée.

Zelda n'eut qu'à baisser tristement la tête pour lui donner raison. La cheffe but plusieurs goulées d'eau avant de s'asseoir face à elle en posant une main sur ses cuisses, l'autre tenant son récipient. Le regard de Ren ne dégageait pas de la malveillance ni du mépris ; seulement une forme d'empathie et de compréhension malgré ses yeux d'un vert perçant.

- Je sais ce que tu ressens. J'ai moi-même été dans ton cas. Et je dois t'avouer que ça n'a pas été la période la plus réjouissante de ma vie.

La guerrière leva les yeux pour observer le plafond en paille durant sa réflexion.

- Je n'étais qu'une gamine quand je suis tombée dans cette foutue rivière.

La bouche de Zelda s'entrouvrit en l'apprenant. Elle jugea cela bien dur qu'une enfant ait eu à vivre une telle épreuve. Être étranger à soi-même, il n'y avait rien de pire. La blonde leva les yeux vers son interlocutrice et fixa ses tatouages avec attention. Ils lui rappelaient vaguement quelque chose... Sa curiosité ne déplut pas à Ren qui esquissa son premier sourire et prit appui sur son genou à l'aide de la paume de sa main libre.

- Tu te demandes ce que c'est ? lui demanda-t-elle en désignant les motifs.

Ils ne correspondaient pas à des formes précises : il s'agissait de bandes tracées qui s'enroulaient autour de ses bras ou bien qui formaient un triangle inverse sans base qui commençait sur son bas-ventre. Il y en avait un deuxième à la même hauteur au niveau de son dos.

- Ces tatouages attestent de mon ancienne appartenance à la tribu Soneau. Je les possédais bien avant de perdre la mémoire. Mais ma vie a changé quand je suis tombée dans la Rivière des Tourments.

Elle marqua une pause, signe des événements douloureux qui en ont résulté par la suite.

- Quand j'ai repris connaissance, mon esprit n'était qu'eau trouble constamment. J'ai erré longtemps en longeant le courant en sens inverse. Je ne savais pas ce que je faisais. Jusqu'à ce que Delun me trouve. S'il ne m'avait pas aperçue, je ne serais pas devant toi pour te parler. Cet homme m'a sauvé la vie.

Un voile de nostalgie passa à travers les yeux de Ren dont le sourire s'effaça pour laisser place à une expression impassible.

- Grâce à mes tatouages, il a su quel était mon peuple, alors il m'a ramenée dans mon village natal. Seulement, j'ai été rejetée par la suite à cause des conflits qui animent les diverses tribus, et Delun m'a emmenée ici en attendant que mes tourments cessent. Il était le chef d'Altoz, un homme juste et altruiste respecté par les siens. Il a dû avoir pitié d'une gamine comme moi pour accepter de me prendre avec lui.

Cela n'apprenait pas grand-chose de plus à Zelda qui ne comprenait pas où la guerrière voulait en venir. On ne se livrait pas si facilement à quelqu'un alors pourquoi lui parler de sa vie ?

- Au début de mon séjour ici, je ne parlais pas la langue d'Altoz. La situation s'empirait pour moi, je me sentais seule et abandonnée. Je survivais et subissais tout. Je réapprenais la vie. Je ne vais pas rentrer dans les détails mais les bribes de souvenirs revenaient peu à peu. Sans raison précise. Souvent, c'était à travers mes rêves. D'autres fois, un rien pouvait éveiller ma mémoire enfouie.

Ren se tut. Elle se tourna afin de replacer sa gourde sur l'un des coffres en bois puis elle refit face à l'étrangère qui ne la quittait pas des yeux.

- Peu à peu, je me retrouvais. Et pendant ce temps, j'apprenais une nouvelle langue. Mes souvenirs qui raffluaient me donnaient la force de me lever pour aller aider Delun. Mais paradoxalement, plus je me souvenais, plus je me sentais seule. J'étais perdue, je pense que tu comprends ce que je veux dire.

- Tu sentais que tu ne retrouverais jamais ton ancienne vie, n'est-ce pas ?

- Exactement. Et je ne l'ai plus jamais revoulue.

Cette dernière affirmation troubla Zelda. Pourquoi ne pas la retrouver ? Difficile à comprendre... Surtout si Ren était une enfant à cette époque-là. Elle aurait dû éprouver l'envie de revoir ses proches. La blonde baissa les yeux vers ses mains. Elle avait eu de la chance, au moins... Sa famille avait pu la retrouver ; Lasya l'avait tirée des griffes de la Rivière des Tourments. Cependant, quelque chose la dérangeait. Justement, Zelda se sentait bien trop chanceuse d'avoir pu revenir à Altoz sachant qu'elle n'y avait supposément pas remis les pieds depuis de nombreuses Éclosions.

- J'ai mal accepté le rejet de mon peuple, lui apprit Ren pour poursuivre la conversation. J'ai préféré rester ici quelques temps dans l'espoir de pardonner aux miens. Delun a fait de moi sa fille adoptive. Et comme tu peux le voir, j'ai pris sa succession.

Zelda la dévisagea un court instant. Son interlocutrice avait l'allure d'un chef, personne n'en douterait.

- Est-ce que... tu as retrouvé tes souvenirs dans l'ordre ? lui demanda Zelda après avoir hésité.

Sa question eut au moins pour effet d'arracher un sourire presque triste à la guerrière.

- Non. Et crois-moi, j'aurais bien aimé. C'est difficile de se réveiller en se souvenant de quelqu'un. Tu penses que vous vous entendiez très bien, puis, bien plus tard, tu te rappelles que ce n'était qu'une enflure de la pire espèce. Tu auras besoin d'être bien entouré lors de ces moments-là. Car moi, sans Delun, j'aurais mis fin à ma vie.

Le souffle de Zelda se coupa. Elle ne s'attendait pas à une telle révélation, et cela l'embarrassait que Ren se force à le lui avouer. Porter un regard critique sur ses bribes de souvenir, voilà ce que l'Hylienne comptait mettre en place pour ne pas souffrir plus de sa condition. Elle préférait recouvrir pleinement la mémoire avant de se faire de faux espoirs.

- Où as-tu été trouvée ? se renseigna Ren qui prenait maintenant appui sur ses mains placées derrière elle.

- Au bord de la rivière. J'étais encore inconsciente.

La cheffe d'Altoz adopta un silence pesant par la suite, ce qui mit Zelda mal à l'aise. Était-ce si mauvais pour que la discussion s'arrête ainsi ? Elle finit pourtant par comprendre que Ren se plongeait en pleine réflexion.

- Cela signifie que tu es tombée dans l'eau bien en amont du village, conclut-elle d'une voix grave. Si tu avais erré dans la région, il aurait été difficile de déterminer où tu es sortie de la rivière, et à quel niveau. Mais ce n'est pas rassurant.

- Comment ça ?

Le rythme cardiaque de la jeune femme s'accrut. Ren pourrait sans doute lui en apprendre plus et l'aider à mieux comprendre ce qu'il avait pu se passer avant son amnésie.

- Il y a de cela trois Éclosions, de nombreux ennemis peuplaient l'amont de la rivière. En plus des Krassens et des humains, il y avait aussi des monstres de métal. Je ne sais par quelle sorcellerie mais ces créatures tuaient tout sur leur chemin. Je fais partie des rares personnes à avoir vu la lance lumineuse. Elle était d'une lumière si vive, si éblouissante que j'ai perdu l'usage de la vue un long instant...

Ren ramena l'une de ses mains devant elle et la passa devant un œil en grimaçant.

- Peu importe la distance, leur lance pouvait atteindre leur proie et la tuer sur le coup... Crois-moi, elle est redoutable. Elle ne laisse derrière elle... que de la chair en lambeaux.

- Je ne comprends pas comment une bête de métal pourrait bouger et utiliser une arme...

La guerrière pointa son propre front et traça un cercle invisible à l'aide de son doigt.

- Ils possédaient une sorte œil en plein centre de leur tête. La lance provenait de lui. Mais je te rassure. Comme je le disais, leur nombre a drastiquement chuté depuis trois Éclosions. Le Sorcier n'a pas pu l'expliquer. Mais personne ne va s'en plaindre...

La blonde frissonna en se remémorant la courte vision qu'elle avait eu plus tôt, lors du repas. Un œil lumineux... Un fin rayon rouge qui la ciblait... Son subconscient semblait faire le rapprochement. Elle avait dû faire face à ces ennemis. Mais quand ? Impossible de dater. Ren poursuivit son idée : selon elle, il était possible que Zelda eût été sur le lieu réunissant de nombreuses carcasses de ces êtres métalliques. Sans doute par curiosité ? Quoi qu'il en soit, il fallait expliquer ce qui avait provoqué sa chute dans la rivière.

- Je vois que tu as été blessée au bras.

- Oui... Je ne me souviens pas comment.

- Tu as peut-être été attaquée ? Tu le sauras bien assez vite.

Ren l'observa avec une attention un peu trop poussée à son goût. Ses yeux verts semblaient d'ailleurs très légèrement luire dans la pénombre, ce qui ne confortait pas Zelda. Même les tatouages paraissaient produire une très faible lueur par moments.

- Zelda, est-ce que tu connais le nom de cet endroit ?

Elle lui fit signe que non.

- Tu te trouves à Delteha. Je ne sais pas si Omi t'a déjà raconté l'histoire de ces lieux alors je me dois de te l'enseigner. Ces terres sont certes très vastes, cependant elles sont cloisonnées... Nous sommes enfermés. Selon d'anciennes légendes, le monde n'aurait pas toujours été ainsi, mais peu importe. Delteha héberge plusieurs clans, dont celui d'Altoz et quelques autres soneaux.

Son expression devint d'autant plus fermée en évoquant son peuple d'origine. Ren lui avoua que celui-ci, en grande partie composé de guerriers, n'interagissait presque jamais avec les autres humains. Ils n'hésitaient pas à tuer les voyageurs, les étrangers afin de leur voler leurs maigres ressources. Certains se revendiquaient même comme des chasseurs d'hommes. Ce fut pourquoi, ils étaient particulièrement dangereux pour tous les villages peuplant Delteha. Cela engendrait des conflits depuis des temps immémoriaux.

- Je suis presque un cas unique, continua Ren sans lâcher son hôte des yeux. Je parle la langue d'ici ainsi que ma langue natale. Je suis donc une passerelle. J'ai pu éviter plusieurs confrontations grâce à cela mais mes relations avec mon peuple d'origine restent tendues. Je m'efforce de pacifier Altoz avec lui mais, comme tu peux t'en douter, ça ne plait pas aux autres tribus soneaux. Nous sommes souvent leur cible, c'est pourquoi je dois surveiller notre territoire le plus souvent possible. Si tu t'éloignes trop du village, veille à avoir une arme sur toi.

- Je n'ai pas le sentiment d'avoir été une guerrière, avoua Zelda en serrant les poings.

Les traits du visage de Ren se détendirent malgré l'absence de sourire sur ses lèvres.

- Je l'avais déjà remarqué. Tu n'as pas la morphologie pour. Mais un petit arc pourrait toujours t'être utile. Nous verrons ça plus tard. Quoi qu'il en soit, tu as peut-être été attaqué par les Soneaux.

Ce nom évoquait vraiment quelque chose à Zelda. Il était certain qu'elle avait déjà eu une discussion à leur sujet même si celui-ci lui paraissait lointain. L'image d'une paroi rocheuse lui vint à l'esprit. Ou plutôt, une fresque. De vagues souvenirs... Ils eurent pour effet de lui donner un peu d'espoir et d'augmenter son rythme cardiaque.

- Un peuple gardien... murmura-t-elle de manière involontaire.

Les yeux de Ren s'agrandirent légèrement.

- Tu parles cette langue ? s'étonna son hôte.

L'embarras se lut sur le visage de la blonde qui le lui informa aussitôt :

- Non, j'ai parlé sans m'en rendre compte.

Ren lui expliqua la signification du mot soneau qui s'avérait bien être « peuple gardien ». Mais ce qui l'étonnait le plus, ou plutôt qui la perturbait, c'était qu'un membre d'un autre clan le sache. En temps normal, ceux qui ne parlaient pas sa langue natale ne connaissaient pas le sens exact de « soneau ». Cette étrangère lui sembla d'autant plus intrigante. Sans parler de ce sentiment qu'elle dégageait. La cheffe d'Altoz plissa les yeux puis se remit debout après s'être étirée les bras.

- Je crois que tu en as assez appris pour aujourd'hui, décréta-t-elle sur un ton neutre. À l'avenir, si tu as des questions, n'hésite pas à venir me voir. Mais en attendant, il serait peut-être judicieux que tu apprennes les bases du combat. Ici, seule la loi du plus fort règne. Si tu venais à rencontrer un membre d'un clan ennemi, tu y laisserais la vie...

Le ventre de Zelda se tordit. Elle comprenait cette nécessité d'apprendre à se battre. Mais elle n'avait aucunement l'intention de tuer quelqu'un. L'Hylienne ne s'en sentait pas capable. À son tour, elle se releva, aidée par Ren qui la tira par la main, puis elle épousseta son pantalon.

- Je ne pensais pas que la conversation serait si facile avec toi, se réjouit la guerrière qui afficha un dernier sourire.

- Tu me parlais pourtant... comme si nous étions des amies de longue date.

Ren réadopta un air sérieux avant de dévisager son interlocutrice.

- C'est parce que je ressens une bonté et une sagesse presque divines en toi. Je ne pourrais pas dire à quoi c'est dû. Une forme d'instinct, sans doute.

Elle conduisit Zelda en dehors de sa hutte puis toutes les deux observèrent des enfants en bas âge qui jouaient en courant les uns après les autres. Bientôt, ils devraient à leur tour aider leurs parents pour tenter de subvenir à leurs besoins.

- Tu sais, tout le monde ici rêve de partir et de trouver une vie meilleure, reprit Ren à mi-voix. Je m'efforce de les aider mais je ne peux pas leur promettre de nouvelles terres. Et pourtant, en te voyant, j'ai le sentiment que tu pourrais nous aider.

- Moi ? s'étonna Zelda en haussant les sourcils. J'ai du mal à le concevoir... Néanmoins, une fois ma mémoire revenue, je pourrai peut-être apporter des réponses.

Sur ce, Zelda salua l'imposante guerrière puis courut rejoindre Omi qui l'attendait près d'un puit. Ren la suivit du regard, l'air sceptique, puis émit un soupir en croisant les bras. D'où venait cette fille ? Évidemment que son teint de peau et ses cheveux amenaient à se poser des questions. Personne à Delteha ne possédait de telles caractéristiques. Et cette aura... Sa nature de soneau n'y était pas indifférente. Ren percevait une très ancienne présence, elle avait quelque chose de réconfortant. En fin de compte, cette Zelda pouvait être leur salut. La guerrière souffla du nez comme si elle se trouvait bien bête de penser une chose pareille. Il n'y avait de salut pour personne à Delteha. Et ce ne serait certainement pas une étrangère perdue qui le leur apporterait.

oOo

Assise sur un vieux banc devant sa cabane, Lasya épluchait avec agacement la dizaine de petites carottes marron qui seraient cuisinées pour le prochain repas. D'un œil critique, elle fixait parfois Zelda, au loin, qui s'entraînait à utiliser la hachette pour se défendre. Cela faisait bien deux semaines hyliennes depuis le retour de Ren à Altoz. Durant ce laps de temps, Zelda se souvint de quelques rares discussions avec un dénommé Cassius dont elle ne visualisait pas encore très bien le visage. Toutefois, elle discernait bien sa chevelure blanche, semblable aux habitants de Delteha. C'était un barde, du moins elle avait conclu ceci vu qu'il lui parlait à chaque fois de musique et qu'il lui jouait quelques airs. Zelda en avait parlé à Omi dans l'espoir qu'elle le connaisse, mais son nom ne lui évoquait rien.

Lasya vit, du coin de l'œil, la tête de sa grand-mère sortir de l'ouverture qui servait de fenêtre sans verre. Omi observa l'étrangère qui s'efforçait de suivre les conseils de la cheffe du village. Cela lui arracha un sourire bienveillant et fit naître une flamme de fierté dans son regard.

- Regarde comme cette petite se bat pour s'en sortir. Elle me rappelle presque Isoa dans sa jeunesse, soupira la doyenne du village en parlant de son ancien compagnon.

- S'il t'entendait, ça lui aurait pas plu, répliqua Lasya tandis qu'elle arrêtait d'éplucher.

Omi leva les yeux vers la voûte haute au-dessus de leur tête, là où des centaines de petites gemmes nox illuminaient la roche telles des étoiles d'une nuit sans nuage.

- Il est bien trop occupé à rester cloîtré dans sa caverne. Il ne reviendra pas de sitôt...

Suite à cette réponse, Lasya grommela puis agrippa les pans de sa robe, le regard rivé au sol. Les seules fois où elle voyait son grand-père, c'était quand elle décidait de le rejoindre pour vérifier qu'il vivait toujours. En effet, il avait décidé de partir vivre en ermite depuis plusieurs Éclosions, les déesses savaient pourquoi.

- En attendant, il n'a pas à supporter les cris de Zelda... se plaignit l'enfant d'une petite voix. Tout à l'heure, elle m'a encore réveillée ! « Link ! » qu'elle disait. Première fois que j'entends le nom de cette créature.

- Link ? Cela me fait plutôt penser à un prénom.

- Pour hurler comme elle l'a fait, c'est qu'il doit faire sacrément peur.

Omi haussa les épaules. Sans doute ? Pour le moment, impossible de le savoir. Zelda était-elle seulement consciente de crier le nom cette personne dans ses songes ? La jeune femme projeta justement sa hachette dans le vide, cette dernière vola puis vint se figer dans sa cible en herbes séchées en face d'elle. En dépit de son souffle saccadé, Zelda esquissa un faible sourire et regarda la cheffe de Ren qui la félicita.

- Oh, elle fait des progrès ! se réjouit Omi en donnant une petite tape sur le rebord. Elle pourrait très bien devenir l'une de nos guerrières. Le village lui fait peu à peu une place.

- Peut-être qu'elle la voudra pas quand elle se sera retrouvée...

La vieille femme sortit sa main et la posa sur la tête de sa petite-fille pour venir lui caresser les cheveux.

- Tu aimerais qu'elle reste ? lui demanda-t-elle, concernée.

L'indécision se lut sur le visage de Lasya qui préféra regarder sur le côté.

- Je sais pas... J'ai l'impression que c'est toujours une inconnue...

- Bien sûr, surtout qu'elle ne se connaît pas elle-même. Je pense que tu devrais passer plus de temps avec elle. Non ? Tiens, laisse ces carottes et va plutôt chasser un ou deux rats pour le prochain repas. Et propose à Zelda de venir avec toi. Je suis certaine qu'elle acceptera avec joie.

Omi retira sa main tandis que son regard se reporta sur la blonde qui discutait maintenant avec Ren.

- Après tout, pour le moment, tu peux la considérer comme ta sœur.

La fillette se crispa. Il était dure pour elle de considérer Zelda comme un membre apparent de sa famille alors que ses origines demeuraient inconnues pour le moment. Et Lasya ne préférait pas s'attacher de peur d'être blessée si la blonde décidait de partir une fois sa mémoire revenue. L'Hylienne finit justement son entraînement de la journée ; elle revint vers sa cabane en trottinant, visiblement satisfaite des progrès qu'elle faisait. Toutefois, Zelda restait une novice, elle était loin de se prétendre talentueuse au maniement de la hachette. Elle avait néanmoins constaté que l'archerie lui était plus accessible, certaines habitudes lui venaient inconsciemment et la confortèrent dans l'idée qu'elle avait déjà appris à utiliser un arc.

- Zelda, tu arrives au bon moment, l'accueillit Omi à travers un ton enjoué. Est-ce que tu voudrais bien accompagner Lasya chasser quelques rats ? Ce n'est pas souvent que nous mangeons de la viande mais c'est nécessaire pour garder la santé. Ce sera une bonne occasion pour quitter enfin l'enceinte du village. Qu'en penses-tu ?

Les lèvres de la jeune femme s'étirèrent pour offrir un sourire à l'enfant.

- Oui, bien sûr, déclara-t-elle avec motivation. Je pourrais me familiariser avec les lieux et apprendre de l'expérience de Lasya.

- Sans moi, tu te ferais dévorer tout cru, plaisanta enfin la fillette.

Zelda la détailla un instant sans rien dire. Il était rare de voir la petite villageoise la moquer gentiment. Habituellement, elle était plutôt distante avec l'Hylienne, ce qui engendrait quelques questionnements de sa part. Finalement, toutes deux finirent par quitter le village, équipée chacune d'un petit arc et d'une hachette en plus pour Zelda. Il n'y avait pas de sentier à proprement parler, seulement la trace du passage humain au fil des siècles. Ici, en plus des gemmes nox, quelques rares plantes luminescentes éclairaient faiblement les environs et participaient à l'ambiance singulière de Delteha. Les animaux n'étaient pas nombreux à cause des conditions de vie assez rudes. Le gros gibier se faisait rare tant et si bien que seuls les petits rongeurs agrémentaient essentiellement les rares repas où on les cuisinait. Lasya conduisit l'étrangère à travers un espace jonché de vieux buissons morts et secs. Elles entendaient le son vague de la rivière au loin, résonnant à travers les hautes parois des souterrains.

Après avoir marché de longues minutes, elles s'arrêtèrent près de petites colonnettes de terre, créées par des insectes qui formaient leur nid. La fillette fit signe à Zelda se s'accroupir puis elles avancèrent ainsi en tâchant de rester les plus silencieuses possible. Lasya tira une flèche de son petit carquois abîmé puis l'encocha dans le but de se tenir prête à bander son arc. La blonde l'observait pendant ce temps. Elle n'avait pas encore aperçu des rats ou autre, mais peut-être n'était-elle pas encore réceptive à tous les indices qu'ils pouvaient laisser sur leur passage, et qui attestaient de leur présence. D'un coup, Lasya tira sur la corde tandis qu'elle visait une tache noire à une quinzaine de mètres de là. L'Hylienne réussit à discerner un rat qui humait le sol tranquillement. Pourtant, celui-ci releva la tête puis s'enfuit, au plus grand damne de l'enfant qui rouspéta et se releva d'un coup avant de s'immobiliser. Ses sourcils se froncèrent, elle tourna la tête de droite à gauche puis regarda même derrière elle.

- Lasya, que se passe-t-il ? s'inquiéta Zelda qui se remit debout à son tour.

- C'est pas moi qui ai fait fuir le rat, chuchota-t-elle. Il y a quelque chose d'anormal. Viens.

Lasya se courba puis courut sans bruit vers un tas de rochers qui appartenaient à la voûte, des siècles de cela. La fillette s'y allongea dessus puis rampa pendant qu'elle escaladait les quelques mètres qui menaient au sommet des multiples blocs de pierre. Zelda ressentit une nervosité qui lui noua la gorge. Elle imita Lasya puis atteignit le point en hauteur avant de regarder devant elle. Toutes les deux avaient une vue sur l'immensité des souterrains, c'était l'une des plus grandes et larges cavités qui se trouvaient en contrebas. Lasya pointa un point lumineux d'une couleur orangée.

- Là-bas, regarde.

La vision nocturne de Zelda ne lui permettait pas de discerner les formes lointaines aussi bien que l'enfant, tant et si bien qu'elle dut plisser les yeux de nombreuses fois avant de pouvoir découvrir les formes humaines et vagues qui se déplaçaient au loin. La blonde se demanda s'il s'agissait de Soneaux, ou bien des membres d'un village voisin.

- J'ai du mal à concevoir que des personnes aussi éloignées de nous aient pu faire fuir ce rat, lui confia Zelda qui percevait peu à peu une atmosphère différente autour d'elles. Ce sont des Soneaux ?

Les doigts de Lasya se refermèrent sur eux-mêmes pendant que ses lèvres se pinçaient. Non pas qu'elle éprouvait de la rancune envers eux. Mais ces silhouettes qu'elle suivait du regard ne lui inspiraient pas confiance.

- Les Soneaux n'empruntent jamais les chemins connus. Ils préfèrent se déplacer dans des endroits difficiles d'accès pour pas qu'on les repère. Ces gens là-bas... J'arrive pas à reconnaître leur tribu.

En plus, ils déambulaient vraiment lentement au milieu de la caverne, comme s'ils ne savaient pas où aller. La fillette quitta le point de vue en se laissant déraper sur les pierres puis elle se réceptionna après avoir sauté.

- À cause d'eux, notre repas a pris la fuite, maugréa-t-elle en relevant la tête vers la voûte. C'est pas une vie, ça ! Moi, j'veux des rats à foison et des céréales par milliers... T'imagines ? On n'aurait qu'à tendre les mains pour en avoir !

Toujours en hauteur, un air peiné se lut sur le visage de Zelda. Les paroles de Ren lui revinrent à l'esprit ; ici, tout le monde rêvait d'une existence plus douce et facile. Une existence qui accaparerait tant les pensées que les hommes et les femmes oublieraient cette survie à laquelle ils se confrontaient en permanence.

- Lasya, tu rêves de partir d'ici, non ? la questionna Zelda dans le but de rompre le silence pesant.

La petite fille releva les yeux vers elle et afficha une forme d'incompréhension, elle se demandait sans doute pourquoi l'Hylienne lui demandait cela alors qu'elle ne lui en avait jamais parlé.

- Ouais... murmura Lasya en mettant ses épaules en avant. Dans le village, on rêve tous d'une caverne immense.

Son regard se mit à pétiller car elle imaginait un tel lieu. Pour mimer sa grandeur, elle écarta les bras puis esquissa un sourire avant de poursuivre :

- Une caverne si grande qu'on pourrait rentrer dix villages ! Non... Quinze villages d'Altoz ! Il y aurait des champs partout, tout pousserait facilement. Et les Soneaux seraient nos esclaves !

Elle émit un rire étrange, presque effrayant pour une enfant comme elle. Zelda espérait que ce ne soit qu'une plaisanterie et qu'elle n'avait pas des idées aussi noires et saugrenues...

- Je veux aussi un mari et des mioches ! Mais pour ça, va falloir que je prie très fort les déesses parce que pour le moment, c'est pas trop possible... Et aussi, j'aurais des Krassens de compagnie pour éloigner ces crétins du village voisin.

Un endroit immense... se répéta Zelda en reportant son regard vers les silhouettes minuscules, au loin. Étrangement, elle pensait sentir un vent lui effleurer les joues. Une caresse très légère, presque imperceptible... Ses cheveux ne bougeaient pas, pourtant. Tout cela n'était que le fruit d'un souvenir bloqué. Soudain, une étendue verte se créa devant elle, recouvrant les pierres, les plantes sèches et les gemmes nox. Zelda contemplait des milliers de brins d'herbe à perte de vue, ils se penchaient au gré du vent, ils ondulaient lentement mais avec une tranquillité qui lui donna un sentiment de sécurité et de bien-être. Et au-dessus d'elle, le ciel...

- Zelda, tu rêves ?! s'écria la fillette pour la tirer de ses pensées.

La blonde papillonna aussitôt des yeux, son hallucination disparut en même temps pour laisser place au décor habituel. Son cœur se pinça, les larmes vinrent poindre derrière ses yeux puis s'écouler sur la peau de son visage. Quel était... cet endroit si magnifique qu'elle venait de voir ? Était-ce à Delteha ? Et ce sentiment de liberté illimitée...

- Je me souviens... du ciel, confia la blonde dont l'espoir se fit plus grand dans son cœur. Et des plaines...

- Ce sont des céréales ?

Zelda souffla du nez en signe manifeste d'amusement pendant qu'elle s'essuyait les joues.

- Non. Les plaines sont des espaces recouverts de fleurs et d'herbes, parfois à perte de vue. Et le ciel... C'est une étendue inaccessible infinie au-dessus de nous, de couleur bleue.

- La voûte, c'est une étendue finie juste au-dessus de toi, et tu peux même la toucher si tu veux. Elle est mieux que ton ciel.

La jeune femme finit par descendre puis elle vint se placer à côté de Lasya.

- Il n'est pas toujours bleu, lui apprit Zelda dont quelques images défilaient dans son esprit. Je sais... qu'il peut devenir orange voire rose. C'est vraiment sublime, crois-moi.

Sa jeune interlocutrice croisa les bras, visiblement très méfiante, et se mit à taper du pied en affichant une grimace grotesque.

- Et il se trouve où ce ciel ? Je n'ai jamais entendu une histoire pareille...

- Je ne sais plus, hélas, se désola Zelda qui se tint un bras. Ma vision n'était pas très nette. Mais je te promets de t'en apprendre plus quand la mémoire me reviendra.

Lasya la dévisagea de la tête aux pieds comme si elle jouait le rôle d'un malfrat analysant sa marchandise. Selon elle, rien ne tenait la route. Cette étrangère prenait sans doute quelques champignons hallucinogènes pendant que tout le monde tournait le dos. Sinon, comment expliquer ces soi-disant visions ?

- J'aimerais bien le voir, ton ciel. J'espère que c'est pas trop loin. Je ne veux pas quitter Omi trop longtemps. Ou alors, on l'emmène avec nous !

- Je voudrais d'abord m'assurer qu'elle puisse entreprendre un voyage, s'inquiéta Zelda qui lâcha son bras. Il y aura peut-être des territoires dangereux à traverser.

Lasya se renfrogna puis fit volteface en bougonnant.

- J'aime pas quand t'as raison, grogna l'enfant en reprenant la route. J'espère qu'il y aura des rats ailleurs qu'ici.

- Et ces silhouettes lointaines ?

L'enfant lui répondit qu'elles n'arriveraient pas à Altoz avant un certain temps. Elle proposa d'avertir Ren à leur retour au village. Leur cheffe saurait prendre des mesures et surveiller ces intrus qui foulaient leurs terres en toute impudence. Toutefois, Zelda ne pouvait s'empêcher de repenser à ces plaines d'un vert chaleureux qui apportaient un sentiment d'accalmie à ceux et celles qui avaient la chance de les voir. Elle voulait les contempler de nouveau. Avec... ! Avec... La jeune femme déglutit malgré sa gorge qui s'asséchait. Si, inconsciemment, elle tentait de prononcer le nom de cette personne, c'est bien car cette dernière avait été d'une importance majeure. Alors la même question revenait la hanter :

Où es-tu ?