Zelda reprit conscience du lieu et de l'époque où elle se trouvait ; dans le présent et au sein de Delteha. Sa main, toujours posée sur le flanc de Soran qui portait son tatouage de sanglier, se retira lentement pendant qu'elle pleurait, touchée parce qu'elle venait d'apprendre. Le regard ancré dans celui du brun, elle vit des larmes se former au coin de ses yeux puis s'écouler sur ses propres joues. Soran était visiblement en état de choc, tant par le fait d'apprendre ses dix mille ans d'absence que par le fait qu'une personne ait pu partager ses souvenirs en l'espace de quelques instants. Phénomène rendu possible grâce à ses origines liées à la déesse. Sa condition de descendante avait permis à Zelda d'éveiller une capacité propre aux Soneaux et à elle.

Pourquoi... Pourquoi à travers les iris de cette jeune femme, Soran revoyait la même bienveillance, la même gentillesse que sa sœur ? Cette même empathie qui la caractérisait tant. Pour qu'une telle réaction se produise en le touchant, cette inconnue ne pouvait être que la descendante de la Zelda de son temps. Ce qui signifiait... qu'elle aurait survécu au coup mortel d'Orazio ? Quoi qu'il en soit, après ces siècles passés, elle n'était plus de ce monde. Impossible, il n'arrivait pas à le croire. Autant de temps ne pouvait s'être écoulé ; Orion, Altaïr vivaient toujours... Tous ces gens qu'il avait assassinés près de la citadelle lui parlaient d'un épéiste sans pareil que l'on nommait le Héros ! Serait-ce là le fruit de sa folie ? Une hallucination ? Ou bien le plaisir que Ganondorf avait pour le torturer ? Le Soneau recula et lâcha la dague qu'il tenait fermement depuis tout à l'heure.

- Rendez-moi... ma sœur... murmura Soran en regardant devant lui.

Son déséquilibre mental alternait entre états de lucidité et d'instabilité selon les situations. À ce moment-là, il était perdu entre le passé et le présent. Pourtant, son subconscient savait parfaitement que rien n'était pareil. Sa folie l'avait aveuglé tout ce temps depuis qu'il avait quitté Delteha. Il n'avait même pas voulu voir les paysages, les villages et la citadelle qui avaient changé. Mais maintenant, tout lui parut comme une évidence le heurtant de plein fouet. Il ne pouvait déterminer si dix mille ans s'étaient bien écoulés. Cependant... Sa sœur avait rejoint l'Alpha depuis bien longtemps.

- J'ai tué des dizaines de personnes pour... pour apprendre que ma sœur ne vivait plus ? Quel était le but de tous ces sacrifices dans ce cas ?

Sa voix trembla une fois de plus face à la réalité des plus sombres qui se dévoilait à lui. Pourquoi avoir tourné le dos à son père adoptif et à tous ses anciens compagnons ? Pourquoi avoir commis des meurtres à répétition pour « servir » Ganondorf ? Si Zelda n'était plus là, à quoi cela avait-il servi, pour l'amour d'Hylia ?! Le cycle des réincarnations ne s'était pas arrêté. Tous ces efforts vains pour... pour rien. S'il n'avait pas quitté le château ce jour-là pour rejoindre son village natal, il n'en serait jamais arrivé à bafouer ses propres valeurs jusqu'à s'oublier lui-même. S'il avait pris de force l'épée de légende dans cette forêt, Zelda n'aurait jamais été tuée. Tout cela n'était dû qu'à Orazio. Le seul et l'unique fautif, celui à l'origine de tous ses maux. Il arpentait ces terres, Soran le savait. Il n'aurait qu'à le tuer pour obtenir sa rédemption et retrouver sa paix intérieure. Soran ne lui pardonnerait jamais. Jamais... Et le seul moyen pour le retrouver s'avérait être la princesse de cette époque. Peu importait si Orazio avait changé de visage. Il restait le meurtrier de sa sœur.

- Descendante de la déesse... commença-t-il d'une voix grave en reportant son attention sur elle.

Zelda en eut des frissons et imagina de nouveau le pire. Cet homme était capable de changer d'humeur en un claquement de doigt. Autrement dit, il était imprévisible et cela montrait bien toute sa dangerosité pour elle.

- Quel est ton but ?

L'Hylienne sentait sa vie clairement menacée en fonction de sa réponse. Elle le voyait au travers la nouvelle froideur de l'enfant gardien.

- Je... Je souhaite briser le cycle des réincarnations.

- C'est une quête impossible, rétorqua-t-il aussitôt. Tu n'obtiendras que du désespoir.

Elle fronça les sourcils et garda ses positions, bien déterminée à ne pas abandonner la mission qui l'incombait depuis des mois.

- J'y arriverai. Le Guide m'a parlé d'une Clé qui pourrait me guider. Il a prononcé un nom... Altéis. Je l'ai entendu à nouveau à travers les bribes de tes souvenirs.

Soran se crispa et détourna le regard. Cette jeune femme attendait des réponses ou des éléments de sa part, mais chaque plongeon au tréfonds de sa mémoire accentuait sa peine.

- Je n'ai entendu ce nom qu'une seule fois, de la bouche d'Orion.

- Mais s'agit-il d'une arme ou d'une personne ?

- Je n'en sais pas plus que toi, je ne l'ai jamais vue.

Les espoirs de l'Hylienne s'envolèrent avec sa réponse. La seule personne capable de l'éclairer, et qui venait miraculeusement du passé, n'avait aucune explication à lui fournir. Peut-être qu'en fin de compte, briser le cycle était voué à l'échec depuis le début... Et si elle en croyait son ancêtre, son propre sceau divin pourrait ne pas être assez fort pour sceller enfin l'âme de Ganondorf, cet homme ayant vécu trente mille ans plus tôt. Cependant, une autre chose troublait particulièrement Zelda : Caï. Une femme du même nom existait dix mille ans auparavant. Il se pouvait que ce ne soit qu'une coïncidence, mais l'existence même de Soran lui permettait de croire aux choses les plus insensées.

- Orion parlait d'une femme nommée Caï. J'aimerais en savoir plus à son sujet.

Il haussa les sourcils puis croisa les bras en adoptant un air fermé.

- J'ai pu interroger Gut'rah, un jour. Il s'agissait de l'un des dix généraux du royaume d'Aurean. Une combattante très forte qui aurait vaincu un dragon maléfique. Son épée aurait été imbibée de son essence, ce qui lui conférait certaines propriétés magiques. Mais ce n'étaient peut-être que des rumeurs.

- Était-elle alliée aux Soneaux ? s'empressa de savoir la blonde dont le cœur s'emballait.

Soran ne comprenait pas où elle voulait en venir et pourquoi cette étrangère l'intéressait tant.

- Non, je t'ai dit qu'elle servait Aurean, un royaume allié à la famille royale d'Hyrule.

Orion ne l'aurait donc évoquée que pour la prendre comme exemple. Il disait, toutefois, chercher des femmes au caractère plus influençable mais possédant beaucoup d'ingéniosité.

- Une guerrière du nom de Caï est aussi à ma recherche en ce moment même, lui apprit-elle en se relevant enfin. Elle possède des cheveux blancs et des yeux marron.

- Les habitants d'Aurean n'ont pas les cheveux blancs comme à Delteha. Elle n'a donc rien à voir.

- Elle est à ma recherche, ajouta Zelda en se prenant les mains. Du moins... Elle recherchait l'une de mes ancêtres. Elle possède aussi une tablette sheikah où elle a montré une photo à Ren. Mais la femme dessus ne me ressemblait pas exactement même si nous partageons quelques traits familiers.

Elle osa même penser qu'il s'agirait peut-être de la Zelda que le brun connaissait. Mais quoi qu'il en soit, Caï se servait du portrait de son ancêtre pour retrouver la princesse actuelle. Dans quel but ? Encore une question dont elle ne pouvait que vaguement deviner la réponse. Contrairement à Link, Zelda ne savait pas que l'épéiste servait Ganondorf en personne. De son côté, le visage de Soran s'était rembruni encore davantage. Il tentait de se persuader qu'il n'avait que faire de cette inconnue car elle n'était pas celle qui devait lui apporter le salut. Malgré tout, il percevait douloureusement la présence de sa sœur à travers elle. Soran n'arrivait pas à se convaincre qu'elle était morte des siècles auparavant. Et l'unique chose qui lui permettait de ne pas sombrer définitivement dans la folie, était de savoir qu'Orazio se terrait quelque part.

- Maintenant que tout est au clair, je vais m'en aller, déclara-t-il en regardant ailleurs. Je dois terminer ce que j'ai commencé.

- Non ! s'affola Zelda en le retenant par le bras.

Elle n'agissait pas ainsi car elle s'était prise d'affection pour lui, bien au contraire. Cet homme l'effrayait et la rendait terriblement mal à l'aise. Cependant, la princesse ne pouvait le laisser retrouver Link pour le tuer. L'idée même de prononcer son prénom devant Soran lui donnait des sueurs froides. Il ne ferait pas la différence entre le Héros du passé et celui du présent. Venger sa sœur était tout ce qui lui importait, rien ne semblait pouvoir le raisonner pour le moment.

- Lâche-moi, lui ordonna-t-il durement.

- Je ne peux pas. En réalité, maintenant, je n'ai pas seulement besoin de toi pour assurer ma protection... Tu es le dernier enfant gardien et le sceau a choisi un nouveau réceptacle.

Elle n'évoqua pas Link pour le moment.

- Il n'y a que toi qui saches correctement l'utiliser... Je suis intimement persuadée que nous aurons besoin de lui encore une fois.

- T'aider ne fera pas revenir ma sœur, répliqua-t-il sèchement en s'arrachant de son emprise.

Zelda recula d'un pas. Cette fois-ci, elle se prit les mains non pas par nervosité mais pour asseoir une certaine autorité à travers sa posture.

- Certes, mais j'aspire au même souhait qu'elle. Nous voulons toutes les deux mettre un terme à l'existence de Ganondorf. Tu pourras ainsi honorer sa mémoire.

Il ricana avec amertume en fixant une gemme nox plus loin avant de dévisager à nouveau l'Hylienne. Soran croisa les bras après être redevenu sérieux.

- Tu serais prête à fermer les yeux sur tous les meurtres et actes immoraux que j'ai commis ? J'ai assassiné des centaines d'Hyruliens sous les ordres d'un adepte de Ganondorf puis j'ai tué tes propres sujets pour obtenir des informations.

- Et je ne le cautionne absolument pas, déclara-t-elle avec fermeté. Tu mériterais d'être exécuté sur-le-champ et d'être damné. Cependant...

Son hésitation commença à user la patience de Soran qui supportait difficilement de rester auprès de la princesse, cette femme qui lui rappelait Zelda en permanence.

- Cependant quoi ? s'énerva-t-il en décroisant les bras. Je t'inspire de la pitié, c'est cela ? Oui, je suis un homme pitoyable qui a abandonné son honneur et toutes ses valeurs dans l'unique but de servir son royaume ! J'ai vu la quasi-totalité de mes proches me tourner le dos et désirer me voir mort dans des conditions innommables ! Je me suis abaissé aux plus viles ignominies pour préserver la vie de ma sœur qui a finalement été tuée sous mes yeux par l'homme appelé « Héros » !

Il finit par crier tout ce qui lui restait sur le cœur, ce qui parvint très certainement jusqu'à Ren. Zelda eut un mouvement recul en adoptant une expression grave. Elle ne savait plus comment aborder un individu aussi instable émotionnellement. Elle tâchait de rester calme malgré sa peur et son sentiment d'insécurité. Seulement, d'un autre côté, elle ne pouvait refouler cette peine à l'égard d'un homme aussi tourmenté. Mais était-ce seulement acceptable d'éprouver ce sentiment pour un assassin tel que lui ? Un esprit de contradiction qui ne la rendit que plus mal. Pendant que Soran attendait la moindre réponse de sa part, trois silhouettes apparurent à l'angle du chemin, de l'autre côté de la grotte d'Isoa, et se faufilèrent silencieusement vers les deux élus. Ces derniers ne se doutèrent de rien jusqu'à ce qu'ils entendent une pierre rouler sur leur droite. Aussitôt, ils tournèrent la tête et découvrir trois Corrompus à la morphologie d'homme hylien. Ils tenaient en main des épées ordinaires, unique équipement à noter. Un frisson parcourut la peau de Zelda lorsqu'elle perçut de vagues échos familiers provenant des trois corps.

- Ce sont... des Héros des temps anciens, bredouilla-t-elle sous le choc.

Comment des hommes aussi honorables et à l'esprit aussi pur pouvaient être à la solde de Ganondorf ? La jeune femme entendit Soran dégainer son épée avec lenteur. La rage et l'envie meurtrière tiraient les traits de l'enfant gardien qui peinait à garder son sang-froid.

- Orazio... grogna-t-il en leur faisant face.

- Ne te bats pas contre eux ! s'exclama Zelda, les sens en alerte. La corruption qui les recouvre te ferait perdre la raison !

Elle trouva cela presque ironique concernant Soran. Après tout, il l'avait déjà perdue depuis bien longtemps. Toutefois, puisque Ren était encore blessée à la cuisse, Soran était le seul à pouvoir se battre pleinement et à leur accorder sa protection. Il ne devait pas mourir, ce serait une double perte puisqu'il pouvait aider Link à se servir du sceau, voire en le lui reprenant. Malgré sa peur, Zelda se plaça à côté du Soneau et posa une main sur son arme avant de réciter :

- Déesses, puissiez-vous bénir cette épée afin qu'elle dissipe le Mal et apporte la Lumière...

- Écarte-toi ! lui ordonna-t-il en la repoussant sur le côté.

L'Hylienne dut se rattraper à une stalagmite afin de ne pas chuter. Elle eut tout juste le temps de voir Soran, hors de lui, se jeter sur les trois Corrompus en rugissant comme une bête enragée. Tout de même rapides malgré leur constitution, ils esquivèrent le premier coup horizontal qu'il donna dans leur direction. À ce moment-là, toute l'envie meurtrière du brun refit surface et lui fit oublier l'endroit où il était. Il ne désirait qu'annihiler ces faux Héros qu'il considérait coupables de la mort de sa sœur. Soran profita du déséquilibre de l'un d'eux et lui trancha son bras armé composé de corruption. La bénédiction de Zelda permit à la lame de purifier cet endroit et d'empêcher son rétablissement immédiat. Surpris, l'ancien Héros tituba en reculant avant de se voir traverser la poitrine par l'épée de l'enfant gardien.

Soran ne perdit pas une seconde : il retira l'arme à deux mains d'un coup sec vers l'arrière pendant qu'une fumée bleutée s'échappait du torse du guerrier, puis pivota avant de fendre l'air avec. Son épée rencontra celle du deuxième Héros qui n'avait cure de savoir si cela l'abîmait ou non, son but étant de détourner l'attention du Soneau. Son complice surgit sur le côté et tenta de lui asséner un coup droit en plein flanc. Soran changea l'inclinaison de son épée, la faisant crisser contre celle de son premier adversaire, jusqu'à ce qu'elle rencontre celle du dernier Héros pour la parer. Aussitôt, il recula sans lâcher ses ennemis des yeux, toujours bloqué ce même jour où Zelda avait été assassinée. Revoir sa douleur dans son regard ne fit que décupler sa rage bestiale.

Lorsqu'il reçut une attaque de plein fouet dans sa cotte de mailles qui le protégeait, il se souvint de sa première rencontre avec Orazio qui lui avait porté le même coup. Mais cette fois-ci, Soran ne se laisserait pas déstabiliser. Il poussa un cri de fureur et trancha le corps du Héros de biais, de bas en haut. Pendant que celui-ci s'écroulait, Soran se tourna vers le dernier Corrompu qui se remettait en position de combat.

- Vous n'êtes que des usurpateurs, cracha Soran avec rancœur. Que la honte vous accable... d'être aussi faibles et d'oser me faire face...

Ses iris luisirent avec plus d'intensité et il se précipita vers son dernier ennemi qui voulut lui asséner une attaque au niveau du cou. Face à cette situation tendue, Zelda vit le brun se mettre à genou, penché en arrière, afin d'esquiver de manière étrange à ses yeux. Immédiatement, Soran trancha les pieds de corruption, infiniment moins résistants que chez un humain normal, en commençant par la cheville. Il se releva pendant que sa proie heurtait au sol puis il abattit son épée dans son ventre, pris d'une folie effarante.

- Orazio... Orazio, Orazio, Orazio ! hurla-t-il à pleins poumons.

Soran s'acharna sur lui bien qu'il ne s'agissait pas de l'homme qu'il avait connu. Il charcuta ce corps corrompu en répétant sans cesse le même nom pour évacuer toute sa haine et sa souffrance. L'élu ne prêta aucune attention à l'âme qu'il venait de libérer malgré tout. Il s'obstina à frapper la masse de corruption qui jonchait le sol, sous le regard troublé de la princesse. Elle l'entendait pousser des exclamations à chaque coup porté. Ren finit même par accourir, alertée par le bruit du combat qui avait eu lieu. La cheffe d'Altoz découvrit la scène lugubre qui se déroulait sous ses yeux.

- Il a véritablement perdu la tête... souffla-t-elle en haussant les sourcils.

D'un signe de la main, Zelda la pria de ne pas s'approcher de lui, elle voulait le laisser extérioriser toute sa peine et sa colère. Soran finit par jeter son épée qui s'écrasa dans un tintement métallique et désagréable. Éreinté psychologiquement, il tomba à genoux dans un silence mortel et inquiétant puis il courba la nuque, les mains jointes et posées sur ses cuisses. Le brun fut pris d'un tressaillement, dos à la princesse et à Ren, puis il éclata en sanglots. Il poussa des gémissements plaintifs, parfois entrecoupés par le murmure d'un seul et même prénom : celui de sa sœur bien-aimée. Cette scène émut inexorablement Zelda car elle lui rappelait cette dure période où elle avait perdu sa mère. Elle comprenait sa douleur. Cependant, en voyant Soran combattre, une explication lui était parue évidente : ce n'était pas seulement Orazio que Soran détestait. Il éprouvait une aversion pour les Héros en général, tout cela à cause de sa frustration et sa déception de ne pas en avoir été un.

- Elle... Elle est morte... bredouilla-t-il d'une voix brisée et emplie de trémolos.

L'enfant gardien laissait sa peine s'écouler, ne pouvant plus la garder pour lui.

- Tout ce que j'ai fait n'aura servi à rien...

Il reprit son souffle puis releva la tête vers la voûte avant de crier :

- Déesses, pourquoi ? Pourquoi m'infliger une telle épreuve ?! J'ai tout donné pour elle ! Tous ces sacrifices auront été vains pour la sauver ? Est-ce là ma punition pour avoir quitté le chemin de la Lumière ? Pour avoir abandonné mon humanité pour elle ?!

Bien évidemment, il ne reçut aucune réponse, ce qui accrut d'autant plus sa souffrance. Abandonné... Soran l'avait toujours été. Il semblait même que les entités divines lui aient tourné le dos. Il se calma enfin pour pleurer en silence. Ses lamentations ne feraient pas revenir sa sœur, il en avait conscience. Pourquoi continuer à vivre dans ce cas ? Il n'avait aucune raison d'exister encore. Si le jeune homme possédait toujours Sokyn, nul doute qu'il serait allé jusqu'à s'arracher le bras. Être un « élu » n'était qu'une malédiction. Derrière lui, Zelda vint prendre l'épée qu'elle avait bénie puis elle s'approcha du Soneau avec prudence. À cause de son côté imprévisible, il fallait redoubler de vigilance.

- J'éprouve un profond dégoût pour les actes innommables et cruels que tu as commis, commença-t-elle sans ménagement. Jamais je ne pardonnerai tes agissements, quelles que soient les époques où ils ont eu lieu.

Elle vit les épaules de Soran s'affaisser un peu plus sous l'accablement. Zelda prit une nouvelle inspiration profonde avant de poursuivre :

- Mais je ne peux passer outres les raisons qui t'ont poussé à agir... Car je ne sais pas moi-même ce dont je serai capable pour sauver l'être que j'aime le plus au monde.

- Épargne-moi tes paroles naïves... murmura-t-il, à bout de force.

- Mon ancêtre aurait très certainement tenu le même discours. Elle avait conscience de tous tes sacrifices... Elle était sans doute la seule à pouvoir te pardonner.

Un lourd silence occupa l'espace après ses mots. Le brun gardait la tête baissée et le regard rivé sur ses genoux. Zelda ne sut décrypter ses pensées à travers son attitude. Peut-être que l'instant suivant, il lui sauterait à la gorge pour la faire taire, ou bien qu'il s'effondrerait une fois de plus. Soran ne fit rien de tout cela : il conserva la même position mais fit preuve d'un calme guidé par son chagrin.

- Qu'est-ce que tu attends de moi ? Je ne suis plus rien, souffla-t-il avec résignation.

L'Hylienne le considéra un court moment. Était-ce vraiment une bonne idée de poursuivre sa route avec un être aussi instable ? Si elle retrouvait Link et que Soran l'accompagnait toujours... Elle n'osait pas imaginer ce qu'il se passerait. Que faisait son fiancé à l'heure actuelle ? Combattait-il les forces de Ganondorf à la surface ou bien organisait-il une résistance ? Elle devait le retrouver au plus vite. Après cette discussion avec Soran, ils finiraient leur temps de repos puis repartiraient pour le village soneau le plus proche.

- J'ai besoin de l'enfant gardien, répéta-t-elle différemment. Tu as des connaissances que personne d'autre n'a à propos de Sokyn. Son... nouveau réceptacle ne saura pas l'utiliser sans ton aide.

- Dès l'instant où le sceau gardien s'est brisé, j'ai senti qu'un grand malheur s'abattrait sur ces terres, prononça-t-il faiblement. Il est trop tard, maintenant. Vous ne pourrez jamais vaincre Ganondorf, Sokyn ne s'est pas régénéré...

Zelda secoua la tête avec vigueur puis pointa son épée vers lui, bien déterminée à poursuivre sa quête.

- Je n'abandonnerai sans avoir essayé ! Il est hors de question que j'accepte la finalité du monde que j'ai connu et aimé. Nous, descendantes d'Hylia, nous battons depuis des temps immémoriaux pour le protéger des forces obscures. Je trouverai la Clé qui nous offrira une nouvelle voie. Je trouverai Altéis et je terminerai ce que mon ancêtre a commencé.

Elle planta l'épée dans le sol terreux, à la verticale devant le Soneau qui ne levait toujours pas les yeux.

- Je t'offre la possibilité de racheter une infime partie de tes fautes et d'accomplir le vœu de ta sœur. Je ne t'accorderai pas une seconde chance.

Racheter ses fautes ? Était-ce seulement possible ? Ce mot le fit frémir tant sa signification avait de la valeur à ses yeux. Combien de soldats, combien d'Hyruliens, combien de chevaliers avaient perdu la vie à cause de lui ? Il semblait trop beau de pouvoir réparer ses erreurs lorsqu'on connaissait la préciosité d'une seule vie. Zelda, sa sœur, pourrait-elle vraiment le pardonner là-haut ? Soran donnerait n'importe quoi pour la revoir une dernière fois. Mais après tout, un criminel tel que lui ne pouvait rejoindre la partie de l'Au-delà veillée par l'Alpha. C'était un néant infini qui l'attendait, il le savait. Et cette simple idée lui donna des sueurs froides.

« La mort naturelle est un événement heureux chez les Soneaux », seulement quand un défunt rejoignait ses proches déjà partis. Lui, il ne pourrait jamais retrouver sa sœur, peu importe ce qu'il accomplissait. Cependant, s'il aidait la nouvelle descendante dans la quête que poursuivait sa sœur, Soran obtiendrait une ultime consolation. Il percevait l'attente de la blonde. L'enfant gardien n'avait qu'une seule chose à faire ; il agrippa d'une main tremblante la lame de son épée bénie puis il leva ses iris verts en direction de la jeune femme. Le regard qu'ils échangèrent en dit long. Soran n'eut pas à parler pour lui donner sa réponse.

oOo

Après un repos bien mérité suite aux événements éprouvants, le petit groupe reprit sa route en direction du village de Nehvir, le premier village soneau où ils devaient se rendre. La tension au sein de Ren et de Zelda s'accroissait au fur et à mesure qu'ils s'en rapprochaient. Elles ne savaient comment convaincre les Soneaux de se joindre à sa cause. Derrière elle, Lasya marchait en contemplant les cristaux de couleurs bleue et violette, ce qui changeait des gemmes nox habituelles. Elle voyait parfois une famille de rats se terrer dans sa cachette lors de leur passage, engendrant une profonde déception chez l'enfant qui en aurait fait un festin en temps normal. En manque de divertissement, elle se tourna vers Soran dont le visage pâle et le contour des yeux rougi ne lui avaient pas échappé.

- Dis, le zigue. Pourquoi t'as pleuré ?

Il garda son silence pesant, peu ouvert à la discussion à ce sujet. À vrai dire, il aurait aimé être oublié pour lui laisser le temps d'accepter la disparition définitive de sa sœur. Son mutisme ne découragea pas la fillette qui croisa les bras sans le lâcher du regard.

- Omi me disait souvent que quand je pleure, une fleur pousse quelque part dans Delteha. Je sais pas si c'est vrai, mais l'idée me plaisait bien.

- Dans ce cas, un champ a dû voir le jour grâce à moi... murmura-t-il pour lui-même.

L'enfant entendit très bien mais ne sut comment interpréter cette réponse. Sans savoir pourquoi, elle repensa à une ancienne discussion avec Zelda, lorsqu'elle lui parlait de sa vie avant d'arriver à Altoz. Les plaines, la nature... Toutes ces choses-là.

- Tu as connu le ciel, toi aussi, non ? lui demanda-t-elle avec intérêt. Zelda m'a dit qu'il était inatteignable et qu'il changeait de couleur.

Soran opina pour seule réponse. Lasya poursuivit tout de même sa discussion, emportée par son nouveau désir de découvrir de nouveaux horizons.

- La première chose que je ferai, ce sera évaluer la distance qui nous sépare, déclara-t-elle avec résolution. Et j'espère qu'il sera à la hauteur de mes attentes.

Elle s'attrapa le menton, les sourcils froncés pendant sa réflexion.

- Une fois que je l'aurais en face, faudra que je trouve un moyen de le montrer à Omi. Pour sûr qu'elle en pleurerait ! Ça fera une fleur en plus.

- Demande-lui de te la cueillir et de te l'apporter si elle la déniche en chemin, plaisanta Ren afin de détendre l'atmosphère.

- Très bonne idée ! Je la mettrai dans mes cheveux.

La cheffe leva les yeux vers la voûte sans retenir un soupir bruyant puis elle reporta son attention devant elle. La distance qui les séparait de Nehvir se raccourcissait de plus en plus, si bien qu'ils finirent par apercevoir la lueur de plusieurs torches au loin. Ren ordonna à l'épéiste de venir auprès d'elle puisqu'ils seraient tous deux les interprètes de Zelda. Soran n'objecta pas, il dépassa Lasya puis la princesse sans leur adresser le moindre regard. Il savait que ses tatouages seraient d'une grande aide et pèseraient de leur côté dans la balance en cas de nécessité. Mais, après dix mille ans, les coutumes soneaux avaient peut-être changé. « Dix mille ans », se répétait-il... Quelle durée vertigineuse. Ce lapse de temps écoulé lui avait créé un vide supplémentaire dans son cœur, il n'arrivait même pas à imaginer le nombre de générations qui s'étaient succédées depuis son époque.

Discrètement, ses yeux glissèrent sur sa droite et se posèrent sur deux individus tapis dans l'ombre. On les surveillait, peut-être envisageait-on de les tuer très prochainement. Cependant, les tatouages luminescents de Ren les empêchaient d'agir car elle appartenait à leur peuple, et les Soneaux, depuis des générations, ne s'entretuaient plus. Ou du moins, plus rien ne les poussait à poursuivre un conflit dont ils ne connaissaient plus l'origine.

- Surtout, n'utilise ton épée qu'en dernier recours, le prévint la guerrière qui feignait de ne rien avoir remarqué. Zelda et toi, vous avez un physique atypique. Ils se méfieront encore plus de vous. Je me chargerai donc de leur parler pendant que tu traduiras à Zelda ce que je leur dirai.

Face au manque de réponse et de réaction du brun, l'agacement commença à la gagner. Contrairement à Zelda, Ren ne connaissait pas l'histoire de l'enfant gardien, ni même toutes les épreuves qu'il avait endurées. Et il était probable qu'elle se serait chargée de le tuer sur-le-champ si elle en avait eu vent. Le petit groupe franchit la centaine de mètres qui les séparait du village. À peine furent-ils visibles aux yeux des gardes que ceux-ci pointèrent leur lance vers eux et leur ordonnèrent de ne plus bouger. Nehvir était protégé, comme Eorin, par des palissades en bois pourries et rongées par les termites au fil des années. Une cinquantaine de huttes le composait et faisait de lui l'un des plus grands villages soneaux de Delteha. Ren prit une inspiration discrète puis se confronta aux cinq gardes qui les entouraient. D'autres guerriers arrivaient pour leur prêter mains fortes, derrière eux. Beaucoup arboraient des tatouages verts, une poignée d'entre eux en portaient des rouges, voire bleus.

- Qui êtes-vous ? aboya un jeune homme, très peu accueillant.

- Je m'appelle Ren, du village d'Altoz, répondit-elle en gardant un calme exemplaire. Voici mes compagnons.

Ils échangeaient en soneau, bien évidemment, pendant que Soran traduisait tout à la princesse et à Lasya. Le jeune garde regarda par-dessus l'épaule de la cheffe et aperçut la fillette.

- Pourquoi un enfant voyage avec vous ? Vous avez été bannis ?

Ses questions étaient sèches et n'encourageaient pas à la réponse. Mais il fallait bien s'y faire. Ren lui fit remarquer qu'ils ne portaient pas la marque des bannis et qu'elle était même le chef de son village. Fait qui provoqua les ricanements des autres Soneaux car ils ne voyaient pas l'une des leurs diriger un peuple différent.

- Et qu'est-ce que tu viens faire aussi loin de ton village, Deraïr ? lui demanda une femme qui la considérait plus respectueusement. Les temps sont dangereux.

- C'est précisément pour cette raison que je suis ici, mais je ne veux pas parler avec de simples guerriers.

Les dernières qui ricanaient encore se turent enfin et la regardèrent avec méfiance. Elle voulait parler avec leur chef ? C'était peut-être un piège... Aussitôt, ils refermèrent davantage leur formation autour des nouveaux arrivants et les observèrent mauvaisement.

- Les étrangers ne sont pas autorisés à entrer dans le village. Encore moins ceux ayant les cheveux de ténèbres, rétorqua le premier jeune homme.

Les yeux verts et froids de Soran se posèrent sur lui et le firent frissonner. Il avait affaire à un Soneau, il n'en doutait pas, mais la noirceur de sa chevelure ne lui inspirait rien de bon. Elle lui rappelait les Krassens. Le guerrier le plus âgé du village, toujours en conditions physiques pour se battre, scrutait Ren sans relâche. Il connaissait l'ancien chef d'Altoz, Delun, mais pas cette femme. La seule chose qu'il savait à propos d'un Soneau peuplant ce village, Soneau dont il ne connaissait pas le visage, était qu'il avait décimé tous les membres de Tahan. En y pensant, l'homme se figea et posa son regard sur Soran. Avec les cheveux de ténèbres, il ne pouvait s'agir que de lui.

- La vipère de Tahan ! s'exclama-t-il en le pointant du doigt. Il est maudit, il va détruire Nehvir comme il l'a fait pour Tahan !

Toutes les lances se tournèrent vers le brun qui ne prit même pas la peine de traduire à Zelda. Il allait se défendre quand Ren prit la parole à sa place :

- C'est moi, affirma-t-elle d'une voix grave. Mais je ne suis pas là pour tuer qui que ce soit.

Les armes se pointèrent sur elle cette fois-ci.

- Mensonges ! s'écria la guerrière précédente. Pars d'ici avant que l'on ne te tue ! Tu ne parleras pas à notre deraïr, je peux te l'assurer.

- Il en va de la survie de Delteha, répliqua Ren qui peinait à garder son sang-froid. Si j'avais été une menace réelle, je vous aurais tués dès le début.

Ils ne voulurent rien entendre et les esprits s'échauffèrent de plus en plus. On poussa Ren une première fois, puis une deuxième fois. Soran connut le même traitement à cause de son allure suspecte aux yeux des autres Soneaux. L'une des guerrières voulut bousculer Zelda pour la forcer à reculer mais une main l'empoigna par l'épaule et la repoussa vers ses semblables.

- Ne la touche pas, la prévint Soran avec sa froideur habituelle.

- Sinon quoi ? Ce n'est pas comme si j'allais la tuer en la poussant ! répondit-elle avec désinvolture.

Ses derniers mots éveillèrent les souvenirs les plus sombres du jeune homme dont les muscles se crispèrent aussitôt. D'un coup, il porta la main sur la fusée de son épée accrochée à sa ceinture et commença à la tirer quand Ren intervint, alertée par la situation :

- Soran, rengaine cette épée ! lui ordonna-t-elle durement en hylien. Ne rentre pas dans leur jeu... Nous sommes là pour rester pacifiques, la violence n'arrangera rien.

- Oui, ne fais pas n'importe quoi ! lui reprocha Lasya derrière.

Il leur jeta un regard noir puis tourna la tête vers Zelda. Lorsqu'il vit toute son inquiétude à travers ses yeux, Soran relâcha peu à peu son emprise sur son arme puis replaça son bras le long du corps. Des exclamations provinrent alors de l'enceinte du village ; un vieillard ordonnait qu'on le laisse passer sous peine de recevoir un coup de canne dans le visage. Il écarta de force les guerriers sur son passage puis se mit face à eux, devant le groupe des nouveaux arrivants. Comme ses semblables, il portait des peaux de bêtes et des os en guise de parure. Son crâne chauve surplombait son visage ridé et marqué par les affres du temps.

- Il suffit, j'ai dit ! s'exclama-t-il avec colère. Cette deraïr est venue en paix, nous devons l'accueillir comme il se doit.

- Mais... Chomden ! Ils ne sont pas tous soneaux !

Le vieil homme dévisagea Zelda ainsi que Lasya. Elles ne lui parurent guère dangereuses, d'une part car il y avait un enfant, d'autre part car l'adulte n'avait pas le physique d'un guerrier redoutable. Et, plus étonnant, la jeune femme blonde dégageait un sentiment étrange de quiétude qui atteignait particulièrement Chomden. Vraiment... très singulier.

- Laissez-les entrer, je veux écouter ce qu'ils ont à me dire. Ils ont eu le courage d'oser traverser notre territoire en nombre si restreint et aussi peu armés.

Face à l'indécision des siens, son visage s'assombrit.

- Je suis à la tête du village, je prends donc les décisions finales.

Les guerriers s'y plièrent et, malgré leurs regards mauvais, laissèrent entrer les quatre voyageurs. Ils purent passer l'entrée des palissades et mieux voir l'intérieur du village où les huttes, presque collées entre elles, ressemblaient à de vagues silhouettes inquiétantes là où la lumière manquait. Les simples villageois, manifestement peu rassurés par leur présence, préféraient rester à l'écart et les épier de loin. Chomden, le chef, actuel, mena ses hôtes dans sa propre hutte et les invita à entrer en toute humilité. Les quatre jeunes gens, toujours entourés et surveillés par une dizaine de guerriers, s'assirent à même le sol et attendirent patiemment leur temps de parole. Lasya en profita pour découvrir cette hutte qui ressemblait fortement à celle du Sorcier Voseth. Des herbes séchées à la forte odeur avaient été accrochées au-dessus de l'entrée, sans doute pour chasser les mauvais esprits, des peaux de bête recouvraient les murs pour isoler la demeure du froid mordant des hivers. Une paillasse reposait au fond, surplombée par deux crânes de Krassens tués une vingtaine d'années auparavant par Chomden lui-même, lui valant le titre de Deraïr. Ce dernier s'assit face à Zelda qui tâchait de garder une expression la plus neutre possible en dépit de son stress.

- Vous n'êtes pas ici par hasard, commença le vieux chef d'une voix tremblante à cause de son âge. Amis Soneaux, pourquoi venir accompagnés par deux altoziennes ?

- Deraïr Chomden, si la raison n'était pas gravissime et ne mettait pas tous les peuples de Delteha en danger, nous ne serions jamais venus, reprit Ren en croisant les bras.

Il se montra d'autant plus à l'écoute pendant que Soran traduisait à leurs deux autres compagnes.

- Le mal se propage sur tous les territoires. Il est aux portes de mon village et arrivera bientôt au vôtre... Des êtres faits de chose arpentent Delteha et tuent sur leur passage, peu importe le peuple. Je jure sur mon animal totem de ne dire que la vérité.

Les guerriers se regardèrent avec interrogation et appréhension. Des êtres faits de chose ? Ils avaient vaguement entendu parler de soldats terrifiants, mais jamais encore composés par la chose elle-même.

- La chose a repris son expansion depuis peu. Elle suinte même de la voûte, à croire qu'une masse indéfinissable se trouve au-dessus de nos têtes et menacent de s'écrouler sur nous à tout moment.

- Elle a perdu la tête ! s'écria un homme en la pointant du doigt. Il n'y a rien au-dessus de la voûte. Rien !

La cheffe lui jeta un regard méprisant.

- Si tu quittais ton territoire pour t'intéresser au monde qui t'entoure, tu saurais que je ne mens pas, répliqua-t-elle sèchement.

- Elle n'a pas tort, la soutint un autre guerrier, à sa plus grande surprise.

Il expliqua que, lors d'une partie de chasse, il avait vu plusieurs amas de corruption qui n'avaient jamais été là jusqu'à présent. Il pensait qu'elle s'était déplacée à cause d'une pente quelconque, mais cette explication ne tenait pas à ses yeux.

- Soit, la chose et des guerriers qui en sont composés se déplacent à Delteha, soupira Chomden qui se montra bien plus fatigué. Mais pourquoi venir nous trouver pour nous l'annoncer ? Les différends entre nos territoires devraient te pousser à nous abandonner à notre propre sort.

- Croyez-le ou non, j'y perdrai bien trop. Nous venons vous trouver dans le but d'engager vos guerriers et d'aller combattre ces forces maléfiques. Pour cela, nous avons besoin de l'aide de plusieurs villages soneaux.

Un lourd silence prit place peu après, augmentant le rythme cardiaque de Zelda qui craignait leur réponse. Ren avait été très directe, c'était à la fois un avantage et un inconvénient. Dit ainsi, ils pourraient la prendre pour une folle bien naïve. Et ce fut malheureusement le cas au vu des éclats de rire vifs qui emplirent la hutte. Rapidement, le chef de Nehvir leur intima de se taire sous peine de sortir immédiatement.

- Ce que tu me demandes est impossible, déclara-t-il avec calme. Si tu m'affirmes que des soldats sont là pour détruire les peuples de Delteha, alors je ne peux pas vous confier mes guerriers. Ils doivent rester protéger mon village.

Ren entendait et comprenait très bien cette réponse. Néanmoins, elle n'abandonna pas pour autant :

- Je sais que je te demande un sacrifice. J'accepterai que tu gardes certains guerriers pour protéger ton village. J'aimerais seulement qu'une troupe assez conséquente nous accompagne et engage le combat sur un lieu précis pour nous aider à quitter Delteha.

- Quitter... Delteha ? répéta le vieil homme, abasourdi. C'est impossible, il n'y a rien d'autre nulle part ailleurs.

Ce fut le moment de donner de nouvelles explications, celles concernant Zelda en personne. Ren devait jouer sur son caractère divin et sur les liens invisibles des Soneaux envers elle. Si elle parvenait à le convaincre que la descendante de la déesse Hylia se tenait devant lui, alors elle avait gagné. Cependant, de son côté, Soran craignait que ce village-là descende de ceux ayant soutenu Ganondorf à son époque.

- La jeune femme que tu vois avec moi possède une physique atypique, tu ne penses pas ? demanda Ren en lui montrant Zelda. Elle est celle qui arrêtera la propagation de la chose et qui pourra sauver Delteha des forces maléfiques.

- Je me permets d'avoir de sérieux doutes, rétorqua Chomden en plissant les yeux. Ce n'est pas une guerrière, elle ne sauvera personne.

Ren esquissa un sourire assuré puis désigna sa cuisse récemment corrompue puis soigner. Certains visages exprimèrent du dégoût face à cette apparence de brûlure en cours de guérison.

- Ma compagne est capable de guérir la chose, annonça-t-elle tout à coup. En voici la preuve. Seul un être divin peut être à l'origine d'une telle guérison. Tu as devant toi la descendante de la déesse Hylia en personne.

Dans son dos, une guerrière posa la pointe de sa lance contre sa peau et appuya dessus en guise de menace.

- Comment oses-tu blasphémer de la sorte ? Un être humain ne peut descendre d'une déesse ! Tu l'insultes avec des paroles de vipère !

- Ma cuisse brûlée aurait-elle injurié la déesse afin d'être guérie ? lui demanda la cheffe avec une insolence volontaire.

- C'en est trop ! Il faut les tuer !

Chomden leva la main pour obtenir le silence et le calme. Il avait lui aussi du mal à croire les paroles de Ren, mais il n'irait pas jusqu'à lui hurler dessus ou l'assassiner. Une infime partie de lui voulait croire aux paroles de l'Altozienne. Mais pour être entièrement convaincu, il lui fallait une preuve véritable, un phénomène qu'il pourrait voir de ses propres yeux, ainsi que ses semblables. Et uniquement après cela, il réfléchirait à la requête de Ren.

- Si ce que tu dis s'avère vrai, je veux savoir où tu souhaites te rendre, et combien de temps cela prendra.

- Nous irons au plus grand cimetière de Gardiens de tout Delteha.

Tous les regards se tournèrent vers Soran qui venait de prendre la parole. De son propre chef, il releva son jaque qui supportait sa cotte de mailles et son surcot puis dévoila ses trois tatouages symboliques : celui du sanglier, celui du deraïr et celui de l'élu.

- J'ai répondu à l'appel de la déesse, ajouta-t-il pour se présenter. Tout comme celle qui parle en son nom.

Étrange façon de désigner Ren, pensa cette dernière. Elle le laissa tout de même parler.

- Qu'est-ce que les « Gardiens » ? le questionna Chomden avec scepticisme.

- C'est un autre nom qui désigne les machines de fer capables de se mouvoir toutes seules. Nous irons là-bas. Je suis arrivée à Delteha en passant par ce cimetière.

Ren le traduisit à Zelda qui haussa les sourcils. Voulait-il... mentionner le château d'Hyrule ? Mais comment avait-il fait pour y entrer et descendre dans les catacombes ? Il n'y avait que par là que l'on pouvait accéder au « cimetière » des Gardiens. Mais depuis le temps, Zelda saurait si cela menait à un monde sous terre. À moins... À moins que Soran connaissaient un très vieux passage oublié depuis dix mille ans. Ce fut la seule explication logique aux yeux de Zelda.

- C'est très loin d'ici, releva Chomden qui était peu rassuré. Les guerriers faits de chose pourraient nous attaquer avant même que les miens puissent revenir.

- C'est un risque à prendre, en effet, reprit Ren. Mais s'ils nous permettent de mener la descendante d'Hylia en lieu sûr pour poursuivre sa mission, votre récompense sera grande. Bien trop grande pour que vous puissiez l'imaginer.

Chomden se montra très intéressé par la proposition malgré la réticence de ses guerriers. Ils ne voulaient pas être « achetés » ainsi et combattre pour une Altozienne.

- Que proposes-tu ?

Il échangea un long regarda avec la jeune cheffe. L'air de cette dernière ne fit que devenir plus sérieux.

- La liberté totale, affirma Zelda avec conviction. Un monde où la famine, les guerres et les maladies ne seraient plus que de mauvais souvenirs.

Ren le dit en langue soneau. Cela laissa le deraïr sans voix. Un tel monde existait vraiment ? Les siens n'auraient plus à craindre pour leur survie, les vieillards couleraient des jours heureux, les enfants grandiraient dans un environnement sain, à l'abri des conflits, de la mort et des traumatismes. Chomden prit le temps de la réflexion. En fin de compte, il avait peut-être bien fait d'accepter ces étrangers dans son village. Cependant, avant d'accepter une quête aussi folle et insensée, il devait en avoir le cœur net. Cette jeune femme serait la descendante d'Hylia, cette déesse presque oubliée ? Difficile à croire, il fallait se l'accorder. Mais... S'il y avait une infime chance que ce soit le cas... Pourrait-elle vraiment leur apporter le salut ?

- Entendu. Mais je veux la voir guérir la chose, déclara-t-il en croisant les bras.

- Bien, menez-moi à l'un de vos blessés, si vous en avez, le pria Zelda avec détermination.

- Le dernier touché par la chose a déjà succombé. Si l'un de vous est assez courageux pour être contaminé et a assez confiance en la « descendante » pour être guéri, alors vous aurez mon soutien.

Choquée par sa proposition, Zelda hoqueta d'indignation. Jamais elle ne laisserait l'un de ses compagnons souffrir à cause de la corruption. Elle n'accepterait jamais un tel marché même si elle était capable de la purifier... Voir Ren souffrir lui avait suffi, plus jamais l'Hylienne ne voulait assister à cela.

- Très bien, j'accepte, déclara Soran d'une voix grave.

Ren fut si stupéfaite qu'elle ne put traduire sa phrase à Zelda dans l'immédiat. La princesse, face à l'expression heurtée de la cheffe, comprit ce que venait de dire l'enfant gardien, et cela la fit frissonner désagréablement.

- Je refuse, personne ne sera touché par la corruption ! s'exclama-t-elle en plaquant une main au sol.

- Je ne me souviens pas avoir demandé ton avis, répliqua le brun sur un ton sec et sans équivoque.

D'un coup, Ren vint l'attraper par le col et le tira vers elle avant de s'écrier :

- Si tu es blessé, qui sera là pour protéger Zelda, dis-moi ! Tu es le seul combattant valide du groupe, imbécile !

- Tu as une meilleure idée, peut-être ? grogna-t-il avec agacement. Ils sont en train de tester notre fidélité envers la déesse et la confiance que nous portons à Zelda. C'est notre ultime chance pour mener à bien la mission de ma sœur. Et je ferai tout pour elle.

Toujours en le tenant, la Soneau le toisait de haut et cherchait la moindre faiblesse de sa part dans son regard. Elle vit qu'il était profondément déterminé et qu'il ne changerait pas d'avis de sitôt. Et bien qu'elle s'opposait à son choix, aucun de ses arguments n'auraient de poids pour Soran. Ce dernier demanda à Chomden de le mener à la source de corruption la plus proche du village. Le vieillard parut hésiter à cause du manque de moralité dont il ferait preuve à le contraindre à toucher la chose. Toutefois, le temps n'était pas à l'indécision. Très bientôt, il saurait si cette jeune femme blonde mentait ou s'il s'agissait bien de la descendante d'Hylia. Après tout, elle avait tout intérêt à sauver son compagnon au vu de la petitesse de leur groupe.

Dans un calme peu rassurant et presque oppressant par moments, ils furent menés en dehors du village, « escortés » par une grande partie des guerriers qui voulaient voir le miracle de leurs propres yeux. Quant à Soran, il se préparait psychologiquement à toucher la corruption ; ce ne serait qu'une infime part de son châtiment. Ce fut sans doute la raison qui l'avait poussé à se porter volontaire. La petite assemblée marcha quelques minutes jusqu'à arriver devant une flaque de malice. Soran déglutit avec difficulté et s'en approchant, sous les regards lourds posés sur lui. Il décida que ce serait sa main gauche qui serait corrompue. Le brun avait trop besoin de la droite pour combattre, il n'était pas assez stupide pour blesser la mauvaise main. Il retira donc son gant en cuir puis s'accroupit en dépit de son appréhension. Zelda vint se mettre près de lui, manifestement très anxieuse, mais se résigna à poser une main sur son épaule.

- Je tâcherai d'être la plus rapide possible, lui assura-t-elle. Une brûlure légère n'invalidera pas ta main.

- Ne sois pas aussi clémente avec moi, répondit-il sans lever les yeux vers elle.

Soran n'offrit un regard qu'à Chomden afin de montrer qu'il était prêt puis, dans un élan de courage, il plongea sa main dans la corruption. Au contact de la chaleur infernale qui se propagea aussitôt sur sa peau et pénétra sa chair, ses yeux s'écarquillèrent puis il émit un cri de douleur en basculant en arrière. Son dos heurta lourdement le sol rocheux bien que le jeune homme ne le sentit pas tant le mal rongeant sa main surpassait tout le reste. Sans perdre de temps et en dépit des hurlements qui résonnaient entre les parois, Zelda se jeta à genoux après avoir prié Ren de maintenir Soran immobilisé. Ce dernier avait beau se débattre avec force, la Soneau le bloqua astucieusement à l'aide du poids exercé sur ses propres jambes pendant que la princesse entamait sa bénédiction, observée attentivement par les guerriers.

Tue le Héros pour moi. Ou sinon... je ferai de ta sœur l'une des mes servantes les plus fidèles.

Malgré la douleur, Soran se figea et fixa la voûte au-dessus de lui. Ganondorf venait d'entrer en contact avec lui grâce à sa corruption. Cette communication avait été d'autant plus simple car ils avaient tous les deux passés dix mille ans côte à côte, liés par Sokyn. La demande du seigneur du Malin s'apparentait clairement à du chantage, cependant Soran n'y prêta guère attention. L'âme de sa sœur était menacée, elle finirait corrompue comme ces damnés Héros qu'il avait vaincus plus tôt. Et cela, il ne put l'accepter. Tandis que Zelda terminait de bénir sa main, Soran serra les dents ainsi que son poing droit. Orazio devait mourir, il n'y avait pas d'autres issues.

- Par les esprits ! émit Chomden, époustouflé par ce qu'il voyait. La chose se retire !

Une fois ses prières terminées, la princesse soupira de soulagement puis attrapa la main de Soran dans le but de l'examiner attentivement : sa peau avait rougi à cause de la réaction de son corps avec la corruption, mais il n'y avait pas de plaie apparente. Ce n'était qu'une brûlure légère, comme espérée.

- Comment te sens-tu ? demanda-t-elle au brun qui se redressa une fois que Ren l'eut libéré.

Il regarda un court instant dans le vide avant de répondre :

- Épuisé.

- C'est un effet secondaire que j'ai aussi eu, lui affirma Ren en époussetant ses genoux. Ça ira mieux une fois que tu te seras reposé.

Soran l'ignora avant de se relever et d'observer sa main avec peine. Le même sentiment de sécurité, qu'il avait connu en présence de sa sœur, l'avait enveloppé pendant la bénédiction de Zelda et le confortait dans l'idée qu'il ne reverrait plus jamais celle qu'il avait connue. Tout autour de la princesse, les guerriers soneaux posèrent un genou à terre et courbèrent l'échine en guise de déférence envers sa personne. Ce geste fut si fort qu'il coupa la respiration de la princesse sur le moment.

Ce n'était qu'un infime pas supplémentaire vers la libération d'Hyrule.


Au chapitre prochain, nous revenons du côté de Link pour un événement qui me tient très à cœur ! C'est un chapitre très important pour moi (mais n'essayez pas d'imaginer ce dont il peut s'agir, c'est juste impossible à deviner) x)