Il n'est pas encore l'heure pour elle de montrer l'étendue de son pouvoir. Quant à moi, je me tiens prêt à en subir toutes les conséquences.

oOo

Dans la salle de trône, les étendards de la famille royale d'Hyrule avaient été arrachés et brûlés depuis deux mois. Toute statue de déesse avait été détruite et les tableaux, déchirés. Seul le trône du roi siégeait toujours en surélévation dans la grande pièce circulaire. Ganondorf, assis en son centre, observait souvent le plafond, là où s'était greffé le cocon du Fléau. Même trois ans plus tard, son aura maléfique hantait toujours ce lieu, et seul le seigneur du Malin pouvait la percevoir. Le monarque du néant finit par se lever avant de rejoindre le balcon le plus proche. Une fois dehors, il contempla le paysage encore immaculé et vivant de Panah qui serait bientôt en sa possession. Il était déjà parvenu à reprendre ce qui lui était dû, c'est-à-dire le royaume d'Hyrule autrefois sous la gouvernance et la protection d'Hylia. Cette maudite déesse qui lui avait dérobé ses terres avant de le vaincre et de l'humilier. Il était enfin temps qu'elle en paie le prix.

- Approche-toi de moi, esclave, ordonna-t-il fermement à la femme qui se tenait dans son dos et qui le suivait docilement.

Corrompue depuis peu, elle obéissait au doigt et à l'œil de son maître sans protester. Malgré la corruption qui troublait ses véritables traits, elle était manifestement une femme encore jeune, morte bien trop tôt. Ganondorf tourna la tête dans sa direction lorsqu'elle s'avança vers lui.

- Je perçois ta souffrance, maudite princesse, siffla-t-il avec animosité et sans une once de compassion. N'attends aucune clémence de ma part. Tu seras la première de ta lignée à subir ma haine à l'état pur.

Habillé d'un épais tissu rouge foncé qui entourait son torse en diagonale ainsi que d'un sarouel marron, il ne put réprimer un sourire satisfait pendant qu'il observait son expression impassible. Deux autres silhouettes les rejoignirent sur le balcon suite à son invocation silencieuse mais autoritaire. Il s'agissait de deux hommes aux allures bien distinctes. Le premier se tenait avec dignité et montrait une certaine prestance due aux nombreux titres acquis durant son vivant. Quant au deuxième, il paraissait plus farouche et de plusieurs années son aîné.

- L'enfant gardien n'est toujours pas mort et il n'a pas rempli la mission que je lui avais assignée, déplora faussement Ganondorf en soupirant. Comme tu dois lui en vouloir, maudite princesse... C'est de sa faute si tu es là, aujourd'hui.

Il la dévisagea comme s'il attendait une réaction de sa part. Mais celle-ci ne vint jamais car la jeune femme n'était autre que sa marionnette. De toute manière, le Gerudo n'aurait invoqué qu'une seule descendante d'Hylia pour cette bataille. Il lui était impossible de corrompre les âmes de toutes les Zelda ayant vu le jour, car elles possédaient une force spirituelle bien trop grande pour pouvoir être exploitée. Mais le sceau gardien avait manifestement bien trop dégradé l'esprit de sa nouvelle esclave, il y avait deçà dix millénaires.

- Tue-le, ordonna-t-il froidement à la princesse qui ne bougeait pas.

Ganondorf jeta un coup d'œil au plus jeune des deux hommes. Corrompre un Héros n'était pas aussi ardu. Quel plaisir de le contrôler contre son gré ! Le seigneur du Malin en tirait une grande satisfaction.

- Tu l'accompagneras. Je suis certain que l'enfant gardien sera très touché de vous revoir. Je peux bien lui accorder ce cadeau. Après tout, je le lui dois bien.

Il posa une main au milieu de sa poitrine à moitié dénudée qui, jadis, avait été musclée par des années d'entraînements et de combats. Dorénavant, son corps n'était plus aussi intimidant, ces millénaires passés dans la prison du temps avaient bien amoindri ses forces.

- C'est grâce à lui si je suis là aujourd'hui. Je compte bien lui réserver une place prestigieuse au sein de mes vassaux.

Sur un ton sec, il ordonna aux deux corrompus de s'en aller et de se préparer à agir. Soran devait mourir, sa souffrance nourrirait le pouvoir obscur du seigneur du Malin. N'était-ce pas ainsi que sa magie avait gagné en puissance ces derniers mois ? Alimentée par la désolation des peuples et de la nature qu'il ravageait. Une fois les deux élus partis, Ganondorf reporta son attention sur l'homme au regard autrefois perçant. Il appréciait sa compagnie même si son esclave n'avait pas la capacité de parler. L'air sombre du monarque disparut pour laisser place à une expression plus sereine et déterminée. Il recula jusqu'à s'adosser au balustre de pierre où il déposa ses coudes.

- Je connais ta vie, Soneau. Sache que j'aime les hommes comme toi. Au cœur noir et fidèle à leur maître.

Le roux plissa les yeux sans le lâcher du regard.

- Quel dommage que tu sois mort avant d'avoir pu achever tes desseins.

Le Soneau attendait sagement que son maître lui délivre le fond de sa pensée. Dans son cœur de corrompu, il était terriblement fier de pouvoir le servir en personne et d'attirer sa reconnaissance, aussi infime soit-elle. Lui qui avait dédié sa vie à la résurrection du seigneur Ganondorf, le voilà comblé de joie.

- Vois-tu, il y a une chose que je souhaite acquérir en plus du monde, énonça le monarque sombre en se retournant vers le paysage jusqu'alors dans son dos. Une arme puissante. Très puissante. Elle surpasse cette damnée Lame Purificatrice.

Il fronça les sourcils à cause de l'aversion éprouvée contre cette épée dont il vomissait presque le nom.

- Cette arme a porté bien des noms au cours du temps. Le plus célèbre d'entre eux est sans doute la Tétralame, capable de créer un lien entre la dimension des vivants et des morts. Si puissante qu'elle retire la vie à travers un unique coup.

Derrière lui, le Soneau osa s'avancer près de son maître en l'écoutant avec attention. La Tétralame ne lui était pas inconnue, bien au contraire. Tant d'hommes et de femmes s'étaient lancés à sa recherche, sans succès. On racontait qu'elle aurait appartenu à un grand sage, autrefois, avant d'être cachée aux yeux de tous à cause de son don dévastateur.

- Une arme créée pour le bien de tous et qui sème pourtant la désolation sur son passage. Quelle ironie, ricana Ganondorf. Entre mes mains, je pourrais régner sur les deux mondes.

Il se tourna légèrement vers le Soneau qui buvait ses paroles.

- Tu as nommé cette arme Altéis par le passé. Jamais je n'aurais pensé qu'un homme puisse la retrouver et se servir d'elle en modifiant ses capacités. Je suis presque impressionné par une telle preuve d'intelligence.

Le corrompu se courba humblement pour le remercier de cet éloge.

- Amène-la-moi. Notre cher Héros aura l'immense privilège de constater l'impuissance de la Lame Purificatrice face à elle.

oOo

- Évacuez ! Évacuez ! vociférait un lieutenant de l'armée à l'adresse des civils paniqués.

La nuit avait recouvert Panahpolis, les dirigeants avaient ordonné l'évacuation de la capitale afin que ses habitants trouvent refuge dans les terres profondes, cachés au sein des villages reculés. Les familles les plus chanceuses et les plus riches se permettaient de transporter leurs vivres et leurs bagages dans une charrette ; les autres les transportaient à bout de bras. Les parents portaient les enfants en bas âge dans leur dos, les vieillards prenaient appui sur les épaules solides des adolescents. Et parmi l'effervescence due à la terreur, les soldats commençaient à prendre position en attendant les ordres de leurs supérieurs. Personne ne savait vraiment ce qu'il allait advenir d'eux durant les prochaines heures. Ganondorf venait en personne, il menait ses troupes à l'assaut au cœur même de la dernière résistance qui luttait contre lui. Ses propres soldats avaient vu le déplacement des Créatures Divines. Ces dernières avaient eu raison de Ganon, mais ce ne serait pas le cas avec lui, le seigneur du Malin. L'heure de conquérir ce qui lui était dû avait sonné, les déesses seraient témoins de sa puissance et de sa victoire. Mais avant cela, il avait une chose à récupérer. Une arme, pour le moment entre les mains du Héros, qu'il désirait exploiter pour régner sur le monde.

Dans les rues de Panahpolis, nombreux furent celles et ceux qui pleuraient de peur, dévastés par la perte future de leur maison voire de leur avenir. Les soldats les guidaient dans leur fuite, ils restaient dignes et impassibles afin de ne pas effrayer davantage la population. Pourtant, certains dissimulaient difficilement leurs tremblements et l'effroi qui leur nouait le ventre. Beaucoup avaient perdu espoirs quant à l'issue de la bataille prochaine. Leur combat semblait vain et dénué de sens. À quoi bon fuir si la mort les attendait au bout du chemin ? Ils seraient les premiers à mourir dans un conflit qui les dépassaient.

Encore dans sa chambre de l'auberge, Iris enfouissait le peu de ses affaires dans une sacoche en cuir. Le cœur lourd, elle peinait à avoir des gestes rapides et précis. Son supérieur l'avait tant déçue qu'elle avait honte du parcours à ses côtés. Toutes ces semaines à s'entraîner auprès de lui pour, finalement, ne pas participer au combat de sa vie. Et sous prétexte qu'elle n'était pas prête ? La lancière ne s'était jamais sentie aussi prête et motivée de toute son existence. Mais lui... ce stupide Héros qui pensait bien faire... Ses traits se tirèrent tandis que ses yeux la piquaient. Quelques instants plus tard, elle se remit une nouvelle fois à pleurer de tristesse, maudissant son sort et sa personne. En fin de compte, Iris n'était pas une apprentie aussi forte qu'elle le pensait. Sa formation pour devenir un soldat d'élite n'avait été qu'une plaisanterie à ses yeux, une désillusion.

Alors qu'elle plaçait une petite gourde d'eau dans sa sacoche, quelqu'un frappa à sa porte et la fit sursauter. Tirée de ses pensées sombres, Iris s'essuya maladroitement les paupières puis se dirigea vers la porte qu'elle ouvrit à contrecœur. Son regard croisa aussitôt celui de Thomas, éclairé par les quelques torches du couloir, qui la dévisageait avec incompréhension en constatant ses yeux rougis par les larmes. Avant même qu'il n'ait pu prononcer le moindre mot, la jeune fille se jeta sur lui pour l'éteindre de toute ses forces et obtenir le réconfort dont elle avait désespérément besoin. Pris de court par cette réaction inattendue, l'archer leva légèrement les mains et eut un mouvement de recul avant de retrouver son équilibre.

- Iris, qu'y a-t-il ? s'inquiéta-t-il en lui touchant le dos par la suite.

Elle renifla sans discrétion mais n'eut pas la force de lui expliquer ce qui lui alourdissait le cœur. Un raclement de gorge se fit alors entendre sur sa droite, ce qui la pétrifia sur le coup et lui fit rater un battement à son cœur.

- Je ne voudrais pas vous déranger, vous savez, mais j'crois qu'on as pas trop le temps pour ça.

Iris s'écarta brusquement du brun puis recula d'un pas en remarquant enfin la présence de Léon. Embarrassée de s'être ainsi produite en spectacle, elle détourna le regard puis les salua tous les deux. Lui aussi gêné, Thomas garda le silence de longues secondes avant que l'aîné des trois ne l'incitent à parler. Ce dernier, par ailleurs, avait été choqué par les cheveux blancs de l'humanoïde, mais il n'avait pas osé lui poser de questions à ce sujet.

- Iris, Léon, je ne vous ai pas réunis ce soir pour vous faire mes adieux, commença-t-il en affichant un air grave. J'ai une faveur à vous demander.

Il capta immédiatement leur attention, les sourcils de la jeune fille se haussèrent. Dehors, les appels et les ordres des soldats leur parvenaient et brisaient l'ambiance apaisante de la nuit.

- J'ai besoin que vous désobéissiez au Héros et que vous m'accompagniez sur le château d'Hyrule.

Un instant de flottement s'écoula avant que ses deux compagnons n'assimilent ses paroles et saisissent leur portée.

- Pardon ?! s'exclama Léon qui décroisa les bras. Tu plaisantes ?

- Non, je suis très sérieux. Tu devrais savoir pourquoi je demande ça.

Le brave gaillard voulut rétorquer mais il se retint en se souvenant d'une requête de Thomas lors de leur retour sur la terre ferme. L'air du blond s'assombrit puis il baissa la tête. Cette fois, ce fut au tour d'Iris de réagir et de prendre son ami par l'épaule.

- Le capitaine et toi ne vouliez pas de moi pour cette mission, tu l'as déjà oublié ?

- J'ai été contraint de refuser, répliqua-t-il pour sa défense. Je ne voulais pas débattre des heures avec lui. Il ne sait pas que je suis venu vous trouver ce soir.

- Mais dans ce cas... Pourquoi ? demanda-t-elle dans un souffle.

- J'ai besoin de vous pour prendre possession du terminal de contrôle du château. Il y aura une durée pendant laquelle je ne pourrai pas utiliser ma lance. Je serai vulnérable dans un tel environnement. Et une machine seule entourée par de la corruption, ce n'est pas un bon présage.

- Demande à la princesse de te bénir ! Ton corps n'est pas... enfin tu sais... La bénédiction pourra s'appliquer dessus.

Thomas le regarda et préféra dissimuler le fait qu'il se sentait blessé par cette remarque.

- Je ne suis pas fait entièrement de métal, lui rappela-t-il calmement. Je possède des parties humaines donc je ne pourrai pas être protégé assez longtemps, contrairement à ma lance.

- Ce qui m'inquiète le plus, c'est justement qu'on sera TOUS au milieu de la corruption, éluda Léon qui se pinça l'arête du nez. Jusqu'à preuve du contraire, elle ne va pas gentiment s'écarter sur notre passage.

Thomas lui donna raison mais lui rappela, cependant, que la princesse userait sans doute de son pouvoir une première fois pour purifier le terrain de bataille, autrement dit la forteresse volante. Cela devrait leur laisser le temps d'agir avant que Ganondorf ne puisse répandre de la malice une nouvelle fois. Malgré sa demande de protection, là n'était pas le véritable fond de la pensée de l'androïde. Il soutint le regard de Léon, un regard si dense que son aîné tressaillit et comprit ce que sa présence, ainsi que celle d'Iris, engageaient. Thomas avait besoin que l'un d'eux soit vivant pour accroître les chances de réussite de son plan. Il ne pouvait pas accorder sa confiance à de simples soldats, il avait besoin de personnes proches du Héros.

- Suivez-moi, il vous faudra une tenue plus adaptée pour le combat, les invita le brun à le suivre. Ensuite, reposez-vous autant que vous le pouvez. Je reviendrai vous chercher lorsqu'il faudra monter sur Vah'Naboris. Et surtout...

Il les observa chacun leur tour, d'un air grave et fermé.

- N'en parlez pas au capitaine. Il doit vous croire en sécurité et loin de Panahpolis.

Ses deux camarades acquiescèrent pour lui donner leur approbation. Ils se lançaient dans une mission dangereuse, dans le dos de leur supérieur. Dorénavant, ils se devaient d'assurer leur propre protection puisque Link ne serait plus là pour le faire. Iris perçut une angoisse former une boule dans son abdomen et croître rapidement, tant et si bien qu'elle peina à respirer convenablement. Elle regarda Thomas et ne vit qu'un air sérieux et déterminé qui lui donna l'impression d'être face à une autre personne. Il paraissait bien plus mature, lui qui avait déjà expérimenté de nombreux combats et qui en connaissait la violence. Serait-ce Altaïr qui se battrait... ou véritablement Thomas ? Pourquoi cette pensée la terrifiait ? La châtaine inspira profondément puis riva son regard sur une torche accrochée au mur. Après tout, Altaïr avait failli la tuer une fois. Même si Thomas semblait rester lui-même pour le moment, rien ne certifiait qu'il ne perdrait pas la raison une deuxième fois.

oOo

Le lendemain matin, de bonne heure, Astrid et sa jumelle se tenaient sur un des balcons de la tour nord du palais. D'un air grave, elles scrutaient l'horizon et se focalisaient sur les bruits environnants. Selon les dernières nouvelles, tous les civils avaient quitté la capitale tandis que le reste des forces armées venait de rejoindre Panahpolis. Durant toute la nuit, une stratégie d'urgence avait été élaborée tout en essayant de rester fidèle à la version initiale. Personne n'avait prévu que Ganondorf mènerait le premier assaut. Il comptait certainement jouer de la peur et de la désorganisation causée par sa venue soudaine. Et malheureusement, les événements actuels semblaient lui donner raison. La capitale n'était pas préparée pour affronter un assaut ou un siège, certains guerriers alliés se montraient désordonnés ou même paniqués face au changement de plan. En somme, que des mauvaises nouvelles parvenaient aux deux jumelles.

- Alors c'est la fin, déplora Olympe qui exprimait une tristesse profonde. Nous allons être punis car notre sang est impur.

- Les déesses sont les seules maîtresses de notre destin. Peut-être décideront-elles de nous épargner.

Prête à engager le combat d'un moment à l'autre, Astrid portait déjà sa tenue de guerre. Il s'agissait d'une armure de métal qui la recouvrait et qui, à certains endroits, était surmontée d'un surcot rouge vermeil.

L'aînée, d'un signe de tête, lui fit comprendre qu'elle n'était pas d'accord.

- Astrid, les déesses n'ont aucune influence sur cette guerre... C'est une force bien plus grande qui nous régit. Ni toi, ni moi, ni personne ne pourra y échapper.

Astrid planta ses ongles dans la paume de ses mains pour contenir ses émotions et la crainte qui la gagnait.

- Je combattrai parmi les autres cavaliers, ajouta Olympe sur un ton sans appel.

Les yeux de sa jumelle s'écarquillèrent de stupéfaction puis de peur. Tout à coup, elle vint prendre son aînée dans ses bras et la serra fortement, d'une façon telle qu'elle ne la lâcherait plus jamais si elle le pouvait.

- Ma sœur, c'est de la folie ! Tu ne sais pas te battre, tu te feras tuer !

Touchée par son inquiétude, Olympe lui câlina tendrement le dos puis passa une main dans sa chevelure courte, comme elle en avait l'habitude durant leur enfance.

- Mais je sais voler. Je suis l'une des meilleures cavalières de Panah, on ne m'attrape pas si aisément.

- Bon sang, qu'est-ce que tu as derrière la tête ?! Tu feras face à des dragons de corruption ! Qu'est-ce que tu crois qu'ils feront une fois qu'ils te verront ?

Astrid s'écarta soudainement et ancra son regard dans le sien, la suppliant de ne pas commettre cet acte insensé. Cependant, sa jumelle avait déjà pris sa décision. Elle savait déjà ce qu'elle avait à faire dans cette bataille, et il n'était pas question de se battre.

- Je servirai de proie, expliqua-t-elle à sa sœur en gardant un air sérieux. Je ferai en sorte qu'un bon nombre d'entre eux me suivent, leur absence allègera la bataille. J'ai proposé cette stratégie aux plus grands cavaliers de Panahpolis. Ils m'accompagneront.

- Et comment comptes-tu te débarrasser d'eux ? Tu n'as pas les moyens de le faire !

- Mais le gouffre de Cynon, si.

- Le gouffre de...

La soldate se tut lorsque des souvenirs d'enfance lui revinrent en mémoire. Ce gouffre, non loin de la capitale, creusait profondément le sol bien qu'il ne fût pas relié à Delteha. Il donnait sur un long et large tunnel naturel, formé grâce à une ancienne rivière souterraine, qui se finissait au niveau d'une brèche. Seuls les cavaliers les plus expérimentés pouvaient espérer la passer sur le dos de leur elvësch, mais cela demandait un entraînement laborieux et une confiance irréprochable entre les deux êtres. Car une fois la brèche quittée, l'extérieur débouchait directement au-dessus de l'océan, une centaine de mètres plus bas.

- Tu veux qu'ils s'écrasent contre la brèche ?

Olympe fit non de la tête. Son plan n'était pas si simple.

- Je veux faire sauter le tunnel, eux avec. Dès que nous aurons terminé cette discussion, j'irai placer les bombes du vieux sheikah et je les activerai grâce au feu qu'il garde précieusement dans son laboratoire de fortune. Elzier sera assez rapide pour quitter le tunnel avant que tout n'explose.

- C'est du suicide... Et si ça ne fonctionnait pas ?

- Ça fonctionnera, nous n'avons pas le choix. J'userai des techniques ancestrales pour les attirer. Quant à toi, tu resteras concentrer sur ta mission. Jusqu'à présent, tu as tout réussi.

Olympe lui sourit pour accompagner ses dires et rassurer sa sœur cadette. Son désire le plus cher était de remporter la bataille puis de revoir sa jumelle, cela allait sans dire. Toutes deux avaient de grands projets pour l'avenir de Panah, elles ne voulaient pas que tout s'arrête brusquement maintenant. Émue par la reconnaissance de son aînée, Astrid lui donna une accolade des plus fraternelles, en espérant que ce ne soit pas la dernière.

De son côté, Link ajustait son canon d'avant-bras droit. Il leva la tête et s'observa dans le miroir de sa chambre. Il portait lui aussi une armure intégrale prêtée par l'armée de Panah et empruntée à un homme de la même morphologie. Le Héros devait être protégé de façon efficace pour la bataille qui approchait. À travers son reflet, il se revoyait, un siècle plus tôt, face à l'unique glace de sa chambre de chevalier. Ses épaulières et son plastron luisaient sous les rayons du soleil passant à travers la fenêtre. Son casque, quant à lui, avait un air de ceux que les preux d'Hyrule portaient, dans le temps. Deux bandelettes de métalliques passaient le long de ses mâchoires et venaient s'attacher sous le menton à l'aide d'une fine lanière de cuir. Face à cette image de lui-même, Link constatait sa fatigue physique soulignée par des cernes et des petits yeux. Il se trouvait dorénavant sur la dernière ligne droite, celle où il devait tout donner et se surpasser.

- J'ai le sentiment d'être revenue dans le passé et de te revoir avant de partir à la bataille, se remémora Zelda qui ne le quittait pas des yeux.

Elle se tenait dans un coin de la pièce, les mains jointes devant son ventre, dans une position qui ne leur était pas inhabituelle.

- Malgré toutes ces années, tu n'as pas changé...

Link la regarda à travers le miroir, l'air concerné, puis il lui fit face avant de lui tendre sa main droite. La jeune femme s'avança puis entremêla ses doigts avec les siens. Elle ressentit la chaleur réconfortante de sa peau, ce qui l'apaisa légèrement au milieu de l'atmosphère tendue qui régnait depuis la veille.

- Nous allons vivre la journée la plus importante et mémorable de notre existence, commença Link d'un ton grave en fixant la main gauche de sa fiancée. J'aurais aimé qu'elle soit tout autre, mais la vie ne nous a pas laissé le choix.

- Link... prononça-t-elle d'une voix tremblante.

Ses yeux s'humidifièrent, tout comme ceux de son compagnon. Celui-ci retira son casque – pas encore attaché – qu'il jeta sur le lit, porta leurs doigts vers son visage puis embrassa la bague de fiançailles que Zelda conservait précieusement. Avait-il d'autres raisons de se battre ? Il désirait avoir, avant tout, un futur auprès d'elle. Link s'était rendu à l'évidence, Ganondorf ne pourrait jamais être défait définitivement, le cycle des réincarnations perdurait pour l'éternité. D'autres Héros verraient le jour, d'autres descendantes de la déesse Hylia fouleraient les terres d'Hyrule. Ils connaîtraient eux aussi la peur et la destruction. Mais grâce à leurs forces combinées, ils vaincraient, une fois de plus. Link agirait comme ses prédécesseurs tandis que Zelda, pour marquer la fin de leur combat, scellerait le Mal. Du moins... cette finalité serait la plus porteuse d'espoir et la meilleure. Le chevalier avait conscience que cela ne se terminerait jamais aussi bien. Ganondorf semblait tous les mener selon ses désirs. Son armée se composait de soldats expérimentés, connaisseurs de la guerre et du champ de bataille. Ils étaient supposément immortels tant qu'une arme divine ou bien bénie ne les touchait pas.

Zelda vint déposer sa main libre sur la joue de l'Hylien puis elle l'embrassa délicatement dans un premier temps. Le cœur de Link se suspendit un court instant avant de reprendre son rythme habituel. Il se décrispa bien vite en retrouvant la joie de partager un baiser avec celle qu'il aimait. Leurs lèvres se décollèrent durant un instant où leurs doigts se délièrent avant que chacun ne vienne entourer de ses bras le corps de l'autre. Ils échangèrent un regard intense puis Link se pencha de nouveau vers elle pour l'embrasser langoureusement. Par la suite, une fois le baiser terminé, Link passa une main sur la nuque de sa fiancée puis il la guida vers lui afin que sa tête se loge dans son cou.

- Zelda, même si ce te sera difficile, je voudrais que tu me fasses une promesse.

La jeune femme s'attendit au pire, tant et si bien que son souffle se coupa lorsque sa poitrine se compressa.

- Si tu survis à ce conflit, je veux que tu continues à vivre même si je ne suis plus avec toi.

Un frisson d'horreur parcourut l'échine de la princesse et la paralysa. Elle crut que ses forces allaient la quitter et provoquer sa chute irrémédiable, cependant ses bras s'obstinaient à tenir Link avec plus d'ardeur encore. Les larmes lui montèrent aussitôt aux yeux alors que sa gorge, qui s'assécha, la gêna durant quelques instants. Le vide immense qui naquit dans sa poitrine lui donna l'impression de se plonger dans le cauchemar qu'elle redoutait tant.

- Je t'en supplie, Link, ne m'oblige pas à promettre une telle chose... bredouilla d'une voix brisée.

Peiné de la voir dans cet état de détresse, Link posa son menton sur la tête de sa fiancée puis regarda la porte de la chambre, en face de lui. Il avait déjà songé à cette requête ; Zelda devait vivre, ainsi que leur enfant, pour que la lignée des descendantes d'Hylia soit préservée. Il lui était évident que Ganondorf reviendrait un jour, et il faudrait que les deux élus soient là... Zelda ne devait pas mourir, c'était sans doute la priorité absolue pour le Héros.

Quant à la prêtresse royale, elle seule savait que leur fils ne survivrait pas. Si Link venait à être tué, il ne lui resterait plus personne... Zelda ne pourrait jamais le supporter. Au fond d'elle, il n'y avait qu'une seule issue à ce futur des plus effroyables : la mort. Elle n'aurait jamais la force de penser à l'avenir d'Hyrule et du monde, puisque son propre univers aurait été détruit par le Mal lui-même. Comment donner lorsque l'on nous a tout pris ?

- Zelda, prononça Link qui voulait la convaincre malgré tout.

- Jamais je ne ferai une telle promesse ! s'écria Zelda qui s'écarta brusquement de ses bras.

Elle lui adressa un regard noir qui le prit au dépourvu et le dérouta. Elle ne l'avait pas regardé ainsi depuis des années.

- As-tu songé une seule seconde à ce que j'ai ressenti lorsque Ganon m'a tout pris ? lui demanda-t-elle avec colère et émotion. Penses-tu réellement que je pourrai vivre seule dans un monde dévasté ?!

De la paume de ses mains, elle frappa le plastron du jeune homme, créant un bruit métallique et étouffé. Son geste surprit Link qui eut un mouvement de recul alors que la princesse s'immobilisait et se tenait les bras pour contenir les sentiments qui la bouleversaient.

- Tu es tout pour moi ! Avant que le Mal ne vienne sévir de nouveau, j'étais prête à tout pour toi ! Pour ton bonheur !

Elle planta ses doigts dans sa chair. Toutes les décisions prises jusque-là avaient été pensées pour Link, dans son propre intérêt et pour son épanouissement. Et lui... Et lui, il avait décidé d'effacer tous ces efforts, tout ce temps dédié à réfléchir et à se battre intérieurement ? Les traits de l'Hylienne se tendirent.

- Je suis prête à délaisser ma couronne pour toi, j'ai gardé notre fils uniquement parce que toi, tu étais aussi là !

De nouveau, elle s'approcha de Link, le contraignant à reculer jusqu'à toucher le mur dans son dos, puis elle posa son index sur son armure, au-dessus de son cœur.

- Comment oses-tu me demander d'oublier ces engagements ?! Si tu meurs, quel serait leur sens, dis-moi !

Un sanglot étouffé lui noua la gorge et ne lui permit pas de poursuivre à ce moment-là. Zelda retira son doigt, ferma le poing puis frappa le plastron en poussant une exclamation de colère. Des larmes vinrent rapidement succéder cette dernière, ce qui désempara davantage Link. Il ne bougeait plus, il ne pouvait qu'assister à l'extériorisation des états d'âme de sa compagne.

- Quel est la raison d'être de cet anneau que nous portons à notre main... si nous voyons un futur l'un sans l'autre ? prononça Zelda à mi-voix, les yeux plissés sous l'effet de la tristesse.

Touché, le blond retint son souffle puis il observa le poing fermé de la princesse qu'elle maintenait contre son armure. Il y vit nettement la bague de fiançailles offerte quelques mois plus tôt. N'était-ce pas là une énième promesse ? Une promesse que Link ne voulait pas rompre... Malheureusement, en temps de guerre, il lui était impossible d'affirmer qu'il ne serait pas tué par un ennemi. Ce dont le chevalier pouvait être certain, c'est qu'il protègerait Zelda jusqu'au bout.

De son côté, une culpabilité oppressante rongeait l'Hylienne. Ces derniers temps, elle avait aussi le sentiment qu'elle ne survivrait pas à cette guerre. Ce qui signifiait... qu'elle laisserait Link seul si le conflit prenait fin. Et elle osait lui reprocher de l'abandonner... Sa vue se brouilla tant les larmes la submergeaient ; Zelda serra les dents avant de laisser son front s'appuyer contre le plastron de métal de son compagnon. Elle papillonna des yeux afin d'en chasser toute l'eau qui les troublait.

- Si je disparaissais, serais-tu capable de continuer de vivre ? souffla-t-elle avec difficulté.

Link posa une main dans sa chevelure pour lui apporter du réconfort puis il regarda vaguement, au loin, un tableau représentant un vase empli de fleurs diverses. Il se souvenait parfaitement du jour de son deuxième réveil au sanctuaire de la Renaissance, quelques semaines auparavant. On lui avait dit que Zelda était morte après sa chute dans le temple de Firone, et il avait tenté de mettre fin à ses jours suite à cela. Le Héros ne pourrait jamais assez remercier ses deux apprentis venus pour l'arrêter, ce soir-là. Il déglutit en se remémorant ce sentiment de vide incommensurable qu'il ne voulait plus jamais connaître.

- Non, j'en serais incapable... admit-il en sentant ses yeux le brûler.

Zelda ne dit rien. Au fond, elle savait que tous les deux se ressemblaient bien trop pour ne pas réagir de la même manière. Cela faisait bien plus d'un siècle qu'elle l'avait compris.

- Je t'aime tellement que la simple idée de mourir pour toi me rend plus fort. Mais cela m'emplit d'une peine plus grande encore...

Ses sourcils se froncèrent à cause de toutes les émotions qu'il ressentait à cet instant-là. Ce moment de calme et de tranquillité était le seul qu'ils auraient avant le début de la bataille. Et il ne fallait pas que ce soit le dernier.

- Quand j'étais enfant et que je vivais à Elimith, je murissais un rêve au travers des récits de mon père. Devenir chevalier et protéger mon royaume étaient les seules choses qui m'importaient. Et pourtant, les déesses en ont décidé autrement. Elles ont dressé sur mon chemin la plus puissante des armes... ainsi que la femme la plus exceptionnelle qu'il soit.

Link étreignit la jeune femme une fois de plus, déplorant la présence de son armure qui l'empêchait de ressentir la chaleur de Zelda.

- Je ne peux pas me permettre de te perdre après tout ce que tu as fait pour moi. Il m'est impossible d'accepter l'idée que tu me rejoignes dans la mort.

- Dans ce cas, ne meurs pas, imbécile... bredouilla Zelda sans relever la tête vers lui. Sortons ensemble victorieux de cette guerre.

Le Héros esquissa un sourire puis il embrassa le front de sa fiancée. Combiner leurs pouvoirs ne les rendrait que plus forts, leurs prédécesseurs avaient toujours combattu main dans la main pour vaincre le Mal et sauver Hyrule. Il était trop tard pour les regrets et les lamentations. Ganondorf se trouvait aux portes de Panahpolis, il n'aurait aucune pitié pour eux. Link reporta son attention sur son bras droit tandis que son expression s'assombrit. Il se demandait comment et dans quelles circonstances il userait de Sokyn. Thomas comptait lui donner son « cœur », ce qui laissait son supérieur dans l'incompréhension. Il ne pouvait dire en quoi un cœur antique l'aiderait dans sa mission, et de quelle manière il influencerait le sceau gardien.

- Zelda, il est temps que tu te prépares aussi, dit Link pour rompre le silence qui les englobait. Nous allons devoir rejoindre Pahya et Astrid. Maintenant que les armes sont imprégnées de ta bénédiction, nous ne devons pas tarder à devancer l'armée de Ganondorf et à l'attaquer en premier.

Elle acquiesça sans un bruit, releva la tête vers lui puis l'embrassa pour la dernière fois de la journée. Ils fermèrent les yeux pour vivre pleinement cet instant et l'ancrer dans leur esprit, afin qu'il devienne une force. Petit à petit, Link desserra son emprise autour du corps de sa compagne, se déroba au baiser puis mit un genou à terre avant de poser son front contre le ventre de Zelda.

- Les prochaines heures seront très difficiles, annonça-t-il à son fils. Ta mère et moi serons là pour te protéger et t'offrir un avenir.

Ces mots auraient dû toucher Zelda et pourtant, ce ne fut pas cette raison qui la bouleversa. Les larmes perlèrent de nouveau sur les joues de l'Hylienne qui détourna le regard, trop honteuse. Elle avait pleinement conscience que leur enfant, lui, ne survivrait pas à cause du sceau divin. Mais cela... Elle ne voulait pas l'apprendre à Link.

Pas maintenant.

oOo

L'heure décisive arriva, la tension au sein de l'armée alliée était à son comble. Selon le nouveau plan, plusieurs groupes d'attaque distincts avaient été formés ; le premier était les troupes au sol, dans un premier temps dans trois des quatre Créatures Divines, devant défendre les soldats dans le ciel. Le deuxième était la troupe dans Vah'Medoh. Elle volerait vers le château pour y déposer sa cargaison humaine. Le troisième et quatrième groupes, quant à eux, se composaient de cavaliers et d'elvëschs devant soit défendre le Héros et la princesse, soit se battre contre les dragons de corruption invoqués. Ce fut ainsi que Léon et Iris montèrent clandestinement dans Vah'Medoh afin de suivre Thomas. Ce dernier menait les Soneaux et faisait office d'interprète. Les ordres étaient clairs : une fois sur le château, il faudrait éliminer les ennemis grâce aux armes préalablement bénie par la prêtresse royale. Ces guerriers arboraient d'ailleurs des peintures de guerre sur leur visage ainsi que sur leurs bras.

Les soldats affectés à la Créatures Divines volante avaient assisté à son atterrissage spectaculaire, guidé par l'androïde et sa lance. Ces hommes et femmes, d'ethnies diverses, ne tardèrent pas à s'engouffrer dans son ventre et à patienter jusqu'au signal. Ils étaient plusieurs centaines, peut-être sept cents à se répartir dans l'aigle immense qui les accueillait. Personne ne parlait, tous vivaient ces instants de répit comme les derniers de leur existence. Certains murmuraient des prières, d'autres rongeaient leurs ongles ou bien vérifiaient incessamment leur équipement. En cette période d'automne, la température se ressentait bien plus froidement qu'à l'accoutumée, aucun vêtement ne semblait protéger du froid.

De leur côté, Iris et Léon se faufilèrent derrière les nombreux guerriers en longeant les murs. Ils parvinrent à gravir les escaliers qui permettaient d'accéder au dos de la Créature Divine. Là, ils retrouvèrent leur troisième camarade, plongé dans un mutisme qui attestait de sa concentration, qui scrutait attentivement la plaine à l'horizon. Le grand blond aux cheveux ras avait sanglé son espadon dans son dos le temps du voyage. Il s'était aussi assuré que la prothèse, qui remplaçait son pied arraché plusieurs mois auparavant, tenait correctement et ne s'apprêtait pas à l'abandonner en cours de route. Quant à Iris, elle gardait sa petite arbalète accrochée à sa hanche, du côté opposé au carquois contenant ses carreaux. Elle avait aussi sa lance, bénie en même temps que les armes des autres combattants par la princesse en personne. Tous avaient été entourés par une gigantesque coupole dorée et chaleureuse lors de cette bénédiction hors du commun.

- Vous devriez rejoindre les autres soldats, les avertit Thomas qui regardait toujours le château arrivant face à lui. Il sera bientôt trop dangereux de rester dehors.

Léon lui tapota le dos en guise d'encouragement et de soutien.

- Nous comptons tous sur toi, Thom's. Nos vies reposeront entre tes mains jusqu'à ce que nous ayons atteint notre destination.

L'androïde poussa un soupir puis leva ses yeux bleus avec son compagnon. Le château se trouvait encore à moins d'une lieue de là, l'offensive ne tarderait pas. La lance de Thomas vint se loger en douceur dans sa main puis il la fit tourner avant de frapper le sol une sol fois.

- Il est temps que je fasse ce pour quoi j'ai été conçu, déclara-t-il sur un ton neutre qui contenait une certaine amertume. La destruction.

L'expression de ses camarades devint plus grave. Ils avaient conscience qu'une arme de guerre se tenait devant eux, bien qu'elle fût de leur côté. Thomas refit face à la forteresse lointaine puis la pointa de sa lance en fronçant les sourcils.

- J'ai été créé pour servir l'intérêt de Ganondorf et plonger le monde dans des temps obscurs. Mais aujourd'hui, c'est contre lui que je me bats.

Au même moment, Vah'Medoh poussa un cri strident qui fit sursauter les deux apprentis ainsi que les soldats en son sein. Sur la plaine, les trois autres Créatures Divines firent de même tandis que leur lumière bleutée s'intensifiait rapidement.

- Maintenant, partez, leur dit-il fermement sans leur adresser un regard. Ce n'est pas encore votre combat.

Léon hocha la tête puis tourna les talons après l'avoir encouragé une dernière fois. Iris, cependant, n'arrivait pas à se décider. Elle voulait rester auprès de son ami et l'aider face aux confrontations qui se profilaient. Hélas, elle ne serait qu'un poids pour lui, sa présence l'encombrerait plus qu'autre chose.

- Thomas, fais attention à toi, s'inquiéta sérieusement la châtaine en repensant à cette soirée où il avait failli tous les quitter pour de bon.

- Toi aussi, Iris. Même dans Vah'Medoh, vous ne serez pas à l'abri...

Le rythme cardiaque de la jeune fille s'emballa à cause de l'anxiété qui la gagnait de plus en plus. Elle hésita à étreindre Thomas avant de partir, mais elle s'abstint pour ne pas le déranger et le déconcentrer. Il ne lui fallut que quelques instants pour s'en aller et accourir à l'intérieur de la Créature Divine, laissant l'androïde seul. Ce dernier jeta un regard à Vah'Rudania, sur sa droite. Il savait déjà quels atouts il en tirerait maintenant que ses programmes n'avaient plus de secrets pour lui. Suite à un geste de sa part, le dos de l'immense lézard déverrouilla une dizaine d'ouvertures puis une trentaine de petits gardiens volants s'en échappèrent avant de s'envoler. Au même instant, Vah'Medoh donna une impulsion sur ses pattes lorsque ses hélices se mirent puissamment en route. Cela lui permit de gagner de l'altitude avec plus de facilité et de survoler ses trois sœurs qui se mirent en route à même le sol.

Leur vitesse de déplacement s'accrut de plus en plus, les Créatures Divines s'éloignèrent rapidement de Panahpolis en s'engageant sur la plaine qui entourait la capitale. Le sol tremblait sous leurs pas, un nuage de poussière et de terre les suivait. La faune fuyait sur leur passage et s'empressait de trouver refuge dans les forêts environnantes. Au-dessus de leur tête, un ciel nuageux, presque blanc, cachait le soleil et donnait l'impression de se trouver hors du temps.

Face à lui, Thomas discerna nettement la nuée de dragons corrompus ; elle devançait le château d'Hyrule et fusait vers Vah'Medoh qui était la première cible dans leur champ de vision. Tout commencerait dans quelques minutes. En fin de compte, ne pas posséder de véritable cœur s'avérait être un avantage... Cela permettait à Thomas de rester calme et de ne pas laisser son corps influencer davantage ses émotions. Le Héros comptait sur lui pour lancer le début de l'offensive. Il n'aurait pas de seconde chance.

- Il est temps de me montrer vos capacités, prononça-t-il pour lui-même en pensant aux Créatures Divines.

Selon son ordre silencieux, les gardiens tourelles de Vah'Medoh s'activèrent au niveau de ses ailes avant de pivoter face à leurs ennemis, maintenant à quelques centaines de mètres. Thomas savait que leurs rayons, ainsi que ceux des reliques titanesques, ne devaient pas toucher la base de la forteresse Hylien ne, sous peine de la faire exploser, Panah et les autres territoires limitrophes avec. Les tirs devaient être précis et parcimonieusement utilisés. Face à lui, un spectacle glaçant ne tarda pas à se dévoiler : du château lui-même tombait une large masse de corruption qui, une fois le sol atteint, se divisa en des centaines et des centaines de silhouettes. Les soldats du néant se formèrent en quelques instants puis se précipitèrent sur la plaine faisant office de champ de bataille.

- Maintenant ! s'écria Thomas, alerté par cette arrivée de renforts ennemis.

À l'unisson, deux Créatures Divines chargèrent leur rayon en même temps que les petits gardiens volants puis tirèrent sur les troupes terrestres, encore loin. Le combat venait d'être engagé. La mission de l'androïde était claire : mener Vah'Medoh jusqu'au château, tandis que les autres Créatures Divines devaient déposer leurs combattants au plus proche de la forteresse pour décimer l'armée ennemie et l'empêcher de rejoindre leur seigneur s'il venait à se trouver en mauvaise posture. Les rayons lumineux et aveuglants s'écrasèrent contre le sol avant de le faire exploser sous l'effet de leur puissance. Bien qu'ils n'eussent pas la capacité de détruire la corruption, ils l'affaiblissaient et réfrénaient la régénération des corrompus.

Sans attendre, Thomas invoqua Œbnis puis ordonna à Vah'Naboris de tirer dans sa direction. Le rayon se chargea puis trancha l'air avant d'entrer en contact avec la surface vitreuse du bouclier. Ce dernier se déforma pendant qu'il absorbait cette source d'énergie considérable, puis il se divisa en une dizaine de lances de même couleur et de même texture. Elles tournèrent autour d'un point invisible, s'immobilisèrent puis se précipitèrent soudainement vers les dragons qui n'étaient plus qu'à une cinquantaine de mètres de Vah'Medoh. La pointe traversa la chair de corruption et atteignit l'endroit retenant prisonnière l'âme de ces êtres défunts. Même si cette attaque ne les libéra pas, elle eut pour effet de blesser sévèrement les dragons qui entamèrent une chute vertigineuse.

Dans les airs, les petits gardiens continuaient à cibler les soldats du néant. Ce fut l'heure pour la nouvelle phase du plan de commencer ; soudainement, une multitude de formes blanches se détachèrent des nuages et fusèrent à très grande vitesse vers les dragons. Les soldats de Panah brandirent leur lance ou bien bandèrent leur arc afin de tuer leurs ennemis tout en restant le plus éloigné possible de la corruption. Parmi eux, cinq elvëschs se démarquaient par les peintures bleu foncé, voire noires, présentes sous leurs ailes. Celles-ci arboraient des motifs aux allures effrayantes. Olympe faisait partie de ces cavaliers à part. Dans une exclamation, elle somma ses semblables de redresser leur elvësch. Les créatures immenses et maculées de peinture battirent puissamment des ailes à la verticale, dévoilant aux dragons les motifs sur leur pelage blanc. Aussitôt, l'instinct animal prit le dessus sur ces êtres de corruption qui virent là une provocation à leur encontre. Une trentaine de dragons se détachèrent du bloc principal et se jetèrent vers les cinq elvëschs aux peintures bleues. Dans sa poitrine, le cœur d'Olympe manqua un battement lorsqu'elle les vit se précipiter vers elle.

- En piqué ! hurla-t-elle à Elzier face à la dangerosité de la situation.

Son ami rugit avant de plonger dans le vide, imité par ses quatre semblables participant à la même mission. La châtaine s'accrochait fermement aux deux barres métalliques devant elle. Un vent glacé lui brulait les lèvres et les joues, battant même ses cheveux avec force. Selon les dires des rescapés d'Aurean, les dragons étaient des animaux particulièrement rapides et endurants. Il fallait donc agir comme lors des courses et imaginer qu'il s'agissait des poursuivants adverses. Cette pensée rassurait Olympe et la confortait dans un sentiment familier. Pour une fois, elle ne devait pas semer ses poursuivants, mais les guider vers un lieu bien précis.

- Ils vont voir ce qu'est la vitesse, ces foutus dragons ! grogna Elzier dont la respiration sifflait entre ses crocs.

Il se redressa soudainement et vola à l'horizontal, volant au ras de la cime des arbres. Les quatre autres elvëschs l'imitaient et restaient groupés. D'un mouvement bref, Olympe regarda par-dessus son épaule et vit les dragons à une petite quinzaine de mètres d'eux. Ils étaient bien trop proches... Si cela continuait ainsi, ils les rattraperaient et les tueraient et, dans ce cas, la mission de la jeune femme aurait été vaine. Si ces dragons-là s'absentaient du champ de bataille, cela allègerait grandement le combat pour les alliés des élus.

- Tenez bon ! s'écria Olympe à l'adresse des autres cavaliers qui la dévisageaient d'un air soucieux et grave.

Dès l'instant où elle dit cela, six dragons se percutèrent puis formèrent une boule de corruption en quelques instants. Ahurie par une telle réaction, Olympe ne comprit que trop tard qu'ils s'associaient pour former un dragon plus grand et plus puissant, donc plus rapide.

- Atten... ! commença-t-elle à crier en regardant la femme en arrière de leur formation.

Elle ne put finir sa phrase car sa semblable fut brutalement happée par la mâchoire du dragon. L'elvësch de la cavalière poussa un hurlement de douleur psychique et physique en sentant la corruption s'enfoncer profondément dans sa chair. Épouvantée par cette scène, Olympe assista à la transformation d'autres créatures qui donnèrent, au final, cinq dragons d'une taille équivalente à celle d'Elzier. L'un des cavaliers s'empara de son arbalète puis visa la tête de l'une des bêtes. Il n'eut guère le temps de tirer car il fut dévoré à son tour.

- On va tous y passer ! s'affola Elzier qui avait perdu toute son assurance.

- Nous devons tenir jusqu'au gouffre de Cynon, lui répondit un compère dont la fatigue le gagnait peu à peu à cause de l'effort fourni. En restant groupé, nous pourrons...

L'elvësch en question rugit de douleur quand ses deux queues en panache furent mordues par un des dragons. Ce dernier tira brusquement vers l'arrière la noble créature puis lui brisa l'échine à l'aide de ses pattes puissantes. Horrifiée, Olympe ferma les yeux et fut persuadée qu'elle mourrait bientôt, elle aussi. Ils n'étaient plus que deux humains et le gouffre se situait encore à un quart de lieue de leur position. À leur vitesse actuelle, ils n'auraient jamais le temps d'y entrer...

- Olympe, faisons comme pour l'épreuve des cerceaux ! lui lança son dernier camarade encore vivant. C'est notre ultime chance pour les devancer et reprendre l'avantage !

Encore sous le choc, la jeune femme dévisagea cet homme roux qui plaçait tous ses derniers espoirs dans cette tactique. Mais elle ne fut pas en état de donner son accord. Elzier prit lui-même l'initiative puisqu'il n'y avait pas d'autres issues. Il connaissait parfaitement ses limites concernant l'épreuve des cerceaux. Il s'agissait d'une ascension à la verticale sur une centaine de mètres, au milieu de cercles de fer immenses. Les dragons de corruption, bien plus lourds, peineraient à les suivre à la même vitesse.

- Olympe, cramponne-toi de toutes tes forces ! s'exclama Elzier en montrant les crocs.

Machinalement, elle fit ce qu'il lui dit et renforça son emprise sur les barres de métal. D'un coup, Elzier se redressa vers le ciel puis donna des coups d'ailes puissants qui l'aidèrent à s'élever. Son dernier semblable en vie fit de même, libérant toute l'énergie qui lui restait. Fournissant de durs efforts, Elzier se mit à baver et grogner à chaque poussée vers les nuages. Il plissa les yeux et maudit ses poursuivants d'être aussi coriaces.

- Elryn, tiens bon ! paniqua son cavalier qui sentait son elvësch faiblir brusquement.

Dans son état second, Olympe regarda derrière elle puis assista, comme au ralenti, à la fin de ces deux derniers compagnons. Dans un battement d'ailes vigoureux, un dragon déploya les griffes de ses pattes arrière puis les planta dans l'abdomen d'Elryn qui émit un cri strident et insoutenable pour la châtaine. Quant à Elzier, il ferma les yeux un instant en accélérant encore plus. Il devait tenir bon encore une trentaine de mètres. Ses ennemis ne lâchaient pas l'affaire et démontraient une endurance à l'apparence sans limite. Après tout, ces saletés corrompues n'étaient même pas vivantes.

- Hors de question... de crever dans ces conditions...

Le moment fut venu : Elzier jeta sa tête vers l'arrière en cessant de battre des ailes. Durant un cours instant, il parut s'arrêter un plein milieu des airs, les ailes déployées et légèrement tournées vers le ciel, puis il tomba vers l'arrière en formant une courbe. Habituée à ce changement brutal, Olympe se recroquevilla instinctivement et pria les déesses de les protéger.

Surpris par l'action de leur proie, les dragons observèrent un instant Elzier sombrer dans le vide avant qu'il ne replie ses ailes, à l'image d'un aigle fondant sur le gibier. Cette technique lui permit de gagner en vitesse et de distancer ses féroces ennemis, terriblement agacés d'être manipulés par l'elvësch. À leur tour, ils plongèrent dans le vide et s'unirent une fois de plus pour former un seul dragon dont l'envergure était le triple de celle d'Elzier. Grâce à ce nouveau poids bien plus conséquent, il vola encore plus vite et commença à ouvrir sa mâchoire, prêt à tuer sa proie. Elzier redéploya soudainement ses ailes et reprit une trajectoire horizontale qui déséquilibra le dragon ; ce dernier manqua de s'écraser dans la forêt mais il ne s'avoua pas vaincu. Sa traque reprit aussitôt.

- Olympe, tiens-toi prête ! s'exclama son compagnon en apercevant l'entrée du gouffre face à lui. Nous n'aurons pas de seconde chance...

La jeune femme déglutit. Elle porta une main dans son dos, là où se trouvait une petite lanterne ronde contenant et protégeant une flamme bleue. L'erreur n'était pas permise ce jour-là. Elzier se précipita d'un coup dans le gouffre de Cynon et fut immédiatement enveloppé par l'obscurité. Sans hésiter, le dragon le suivit dans ce trou immense et naturel. Tout comme l'elvësch, il entra dans un tunnel très large qui les plongea tous les deux dans les ténèbres. Seule la lumière bleutée dans le dos d'Olympe permettait à leur ennemi de les poursuivre. Et bientôt, de vagues taches lumineuses de la même couleur apparurent au loin. Le cœur battant à tout rompre, la châtaine s'empara d'une dague en la décrochant de sa ceinture puis elle tendit le bras au-dessus de sa tête. Elle aurait besoin de toute la précision acquise dans ses entraînements pour les courses d'elvëschs. Mais cette fois-ci... seule la mort l'attendait potentiellement au bout du chemin.

- Maintenant !

Olympe eut tout juste le temps d'apercevoir la seconde lanterne, reliée au plafond du tunnel grâce à une cordelette. Elle n'eut pas besoin d'engager un mouvement pour la sectionner, le couteau la trancha grâce à la grande vitesse du vol. Aussitôt, la jeune femme se retourna et vit la lanterne s'écraser au sol, parmi les bombes sheikahs placées au préalable à des intervalles réguliers jusqu'à la faille qui leur permettrait de sortir. Cependant, son sang se glaça quand elle constata que le dragon devançait les premières explosions ayant lieu.

- Elzier ! paniqua-t-elle face à cette vision chaotique qui s'offrait à elle.

- Lâche ta seconde lanterne !

Malgré ses cheveux qui lui fouettaient le visage et la gênaient, Olympe décrocha la lanterne en question, se pencha sur le côté puis la lança sous le ventre de son compagnon. Le résultat fut immédiat : les bombes qui s'y trouvaient explosèrent sur le passage du dragon avant que le plafond ne s'écroule sur lui et l'emprisonne définitivement. Loin d'être soulagé, Elzier faisait face à un nouveau danger : le tunnel qui s'effondrait sur lui-même à cause de toutes les déflagrations assourdissantes qui se produisaient derrière lui. Bientôt, la succession d'explosions le rattraperait et les piègerait tous les deux. La créature bava d'autant plus en accélérant son battement d'ailes. Il apercevait nettement la faille qui marquait la fin de leur mission. Elzier serra les crocs avec force et redoubla d'ardeur. Encore quelques mètres... Soudainement, il replia ses ailes contre lui en entamant une vrille au moment où la faille se trouvait à une vingtaine de mètres. Le souffle ardent des explosions atteignit le bout de ses deux queues puis, au même instant où l'elvësch regagna l'air libre, la paroi de pierre explosa derrière lui et projeta des blocs massifs ainsi qu'un épais nuage de poussière qui vint l'engloutir. Olympe poussa un cri d'effroi et se plaqua entièrement contre le dos de son compagnon en y cherchant un abri.

Après quelques secondes d'incertitude, Elzier quitta la poussière et retrouva véritablement le monde extérieur. Blessé à quelques endroits à cause des débris de roche, il ahanait et peinait à garder une trajectoire stable. Néanmoins... Olympe et lui étaient sains et saufs, et ils avaient réussi leur mission.

oOo

La bataille faisait rage dans les airs comme au sol. De nombreux soldats du néant se battaient sur la terre ferme, tentant de s'approcher des Créatures Divines dans le but de les corrompre. Ces dernières furent contraintes de libérer les combattantes et combattants qu'elles contenaient, afin que ceux-ci se battent et les protègent. Par moments, les reliques antiques tiraient sur les corrompus les plus éloignés pour les empêcher d'avancer et pour affaiblir leurs rangs. Mais dorénavant, il leur était impossible de viser le ciel et de toucher les dragons, car ceux-ci se confrontaient aux elvëschs. Malgré l'intervention d'Olympe et de ses quatre semblables, les créatures d'Aurean demeuraient en grand nombre et compliquaient grandement la mission des cavaliers. Parfois, ils étaient épaulés par les petits Gardiens volants tirant sur les dragons, voire les Gardiens tourelles de Vah'Medoh, bien plus précis que les Créatures Divines elles-mêmes.

Toujours sur le dos de l'aigle géant, Thomas ne pouvait utiliser le bouclier censé repousser les êtres corrompus, tout simplement car cela l'empêcherait de se battre et d'amoindrir les forces ennemies. Et bientôt, l'androïde commença à être submergé par les dragons qui arrivaient par vagues sur lui. À l'intérieur de Vah'Medoh, les archers – dont les flèches avaient été bénies, comme le reste de l'armement général – visaient les ennemis volants qui osaient s'aventurer trop près. Ne sachant pas comment les éliminer concrètement, ils ciblaient les ailes en priorité afin que celles-ci ne se régénèrent pas et entraînent la chute des dragons. Au sein du ventre de la Créature Divine, Iris observait nerveusement la large ouverture qui donnait sur la queue de l'aigle. Ses alliés se postaient là pour tirer et atteindre leurs cibles. La châtaine tenait fermement son arbalète entre ses mains tremblantes. Elle savait qu'elle ne devait pas gaspiller ses carreaux dès maintenant car ils seraient nécessaires une fois à l'intérieur du château.

Un immense dragon, comme ceux ayant poursuivi Olympe, se posa tout à coup sur la queue de Vah'Medoh puis écarta ses ailes immenses qui vinrent obscurcir la Créature Divine. L'air parut se refroidir subitement et tétaniser tous les soldats qui, jusque-là, avaient affronté des bêtes d'une taille plus restreinte. Sous le poids exercé par cette nouvelle masse de corruption, Vah'Medoh commença à perdre peu à peu d'altitude et pencha même vers l'arrière, affolant les hommes et femmes alors pris au piège dans sa carcasse. Le dragon ouvrit grand la gueule, bien qu'aucun rugissement n'en sortît, puis il plongea la tête dans la large ouverture donnant sur les guerriers. Un vent d'horreur circula entre les rangs avant que des hurlements ne se fassent entendre. Iris vit la créature corrompue happer trois hommes en même temps, puis elle les jeta derrière elle, dans le vide.

- Qu'est-ce que vous attendez ?! Tirez ! s'écria une épéiste en s'adressant aux archers.

Mais aucun ne put bouger, ils étaient pétrifiés par la peur et la stupéfaction. Un jet vert et lumineux s'abattit soudainement sur le dragon puis traversa son corps, le déchirant en partie. L'impact produisit un bruit presque assourdissant et faillit provoquer la chute des combattants. Iris se retint à Léon à ses côtés tandis qu'il prit appui sur la paroi à sa droite. En reportant leur attention vers l'ouverture donnant sur la queue, ils virent Thomas se réceptionner face au dragon qui avait reculé d'un coup à cause de l'attaque. Dans Vah'Medoh, tous retinrent leur souffle et observèrent le nouvel arrivant qui se redressait dignement face à son adversaire dont la taille ne l'effrayait pas. Sa lance planant à ses côtés, l'androïde constatait l'effet dévastateur du pouvoir d'Œbnis sur un être de corruption, même si cette matière maudite se reformait car non confrontée à une arme bénie.

- Je vais te libérer, lui assura Thomas qui éprouvait une réelle pitié pour cette créature.

Ce ne serait pas long. En exploitant l'intégralité du pouvoir de sa langue, les étranges motifs bleus et verts réapparurent sur sa peau et lui donnèrent un air inquiétant. Guère intimidé par un insecte de cette taille, le dragon se dressa sur ses pattes arrière et donna l'impression qu'un mont naissait devant Thomas. Il n'eut pas conscience qu'en faisant cela, il offrait à l'androïde l'opportunité de mieux accéder à son âme retenue prisonnière et manipulée. La bête élança une patte aux griffes acérées sur sa proie qui ne bougeait pas. Au même moment, un nouveau rayon lumineux s'abattit sur le membre de corruption qu'il trancha sur son passage ; il s'agissait d'un petit Gardien volant contrôlé par Thomas et qui venait d'agir selon son ordre. Aussitôt, le jeune homme tendit le bras droit puis sa lance vint se loger dans le poitrail du dragon qui se figea. Grâce à la bénédiction de Zelda, la corruption n'eut aucun effet sur l'arme qui s'enfonça profondément puis se retira d'un coup, libérant l'âme par la même occasion.

La masse corrompue s'effondra sur elle-même tandis qu'une fumée bleutée s'élevait vers le ciel nuageux. Thomas rappela sa lance à lui puis se retourna vers les guerriers qui le dévisageaient d'un air hagard. Plongé dans sa réflexion, l'androïde ne leur prêta pas attention. Il percevait le château trop près, il faudrait bientôt atterrir sur lui puis renvoyer Vah'Medoh afin qu'elle ne soit pas corrompue. Il prit donc la décision d'activer le bouclier protecteur de la Créature Divine et de cesser de se battre. Autour de l'enveloppe bleue qui entoura l'aigle, Thomas discerna les troupes d'elvëschs et de cavaliers qui se battaient contre des dragons de tailles plus petites ainsi que contre des Piafs corrompus. Les élus des déesses se trouvaient quelque part non loin, encore au-dessus des nuages en attendant le bon moment pour descendre vers le château. C'était sans doute Eldry, l'elvësch d'Astrid, qui était chargée de les transporter. Ce serait à eux de prendre la suite en main. Quant à Thomas, il ne lui restait plus que deux missions, la première étant de prendre le contrôle du château.

oOo

- Nous allons plonger en piqué ! s'exclama Astrid qui regarda les deux élus ainsi que Pahya par-dessus son épaule. Accrochez-vous, vous risquez de ne pas vous sentir à l'aise pendant la phase de descente !

Perdus parmi les nuages, tous les quatre observaient le champ de bataille dès qu'ils en avaient la possibilité. Link et Astrid culpabilisaient de ne pas prendre part au combat et de regarder leurs alliés périr sans pouvoir leur apporter d'aide. Dans son dos, le Héros sentit la princesse le serrer plus fortement lorsqu'Eldry entama son piqué. Une sensation désagréable se propagea dans leur ventre à cause de la descente vertigineuse à laquelle ils n'étaient pas habitués.

Zelda préférait fermer les yeux et prier pour que tout se passe au mieux. Elle ne voulait pas voir les dragons et Piafs corrompus qui se battaient contre les soldats de Panah, ni même la destruction qui se déroulait au sol suite aux combats acharnés qui s'y tenaient. Elle ressassait toujours la même pensée : la fin approchait, quelle que soit sa finalité. Une fin où elle perdrait son fils ainsi que les esprits de toutes ses ancêtres. La prêtresse royale ressentait toujours un grand vide depuis son entrevue avec la première femme ayant porté son prénom. Et pour le moment, rien ne pouvait le combler.

- Vah'Medoh a atterri ! les informa Astrid en criant pour couvrir le souffle assourdissant du vent dans leurs oreilles. Eldry va se poser à ses côtés, la corruption ne recouvre que partiellement le château !

- Entendu, soyez prudentes ! lui répondit Link qui se préparait à entrer dans la forteresse.

Le cœur de Zelda commença à marteler l'intérieur de sa poitrine avec bien plus d'ardeur et de force. La peur qu'elle éprouvait engourdissait ses muscles et rendait sa respiration plus laborieuse qu'à l'accoutumée. Ganondorf se trouvait là, tout près. Elle ferait face à l'incarnation du Mal en personne... À cause de sa grossesse et de sa forme physique, Zelda n'était pas en mesure de porter une armure ou une cotte de mailles. Seule un demi-plastron de métal recouvrait son thorax ainsi que son dos. Le reste était recouvert par du cuir épais. Astrid, Link, Pahya ainsi que d'autres soldats sur place seraient chargés de la couvrir et d'être sa garde rapprochée, cela dans le but de la mener saine et sauve devant Ganondorf.

De longs instants plus tard, qui lui parurent interminables, la princesse perçut enfin l'elvësch qui se posait au milieu des cris poussés par les soldats qui sortaient de Vah'Medoh. Il ne s'agissait que d'ordres et de questions, mais cela créait une effervescence oppressante pour la jeune femme. Link lui prit les mains puis la guida sur l'aile tendue d'Eldry, leur permettant de descendre en toute sécurité.

- Ganondorf se trouve sans doute dans la salle du trône, énonça gravement Link une fois qu'ils eurent foulé le sol pavé. Il serait bien trop dangereux de rester dehors à cause des dragons, nous allons devoir nous déplacer à l'intérieur du château.

Link défit la sangle qui maintenait la Lame Purificatrice dans son dos, puis il l'accrocha à la ceinture afin de l'avoir plus aisément à portée de main. Ses gestes techniques augmentèrent l'anxiété de sa compagne qui peinait à inspirer.

- Pahya, tu resteras toujours auprès de la princesse. Quant à toi, Astrid...

- Je me battrai en première ligne avec toi, termina-t-elle sur le même ton sérieux et sans appel. Tu seras le seul guide de notre groupe, malheureusement.

La châtaine se retourna puis héla une trentaine de soldats qui accoururent aussitôt. En dépit du raffut et des autres guerriers qui couraient dans toutes les directions afin d'entrer dans le château, le groupe arriva en formation et entoura immédiatement les deux élus. Selon le plan, d'autres elvëschs atterrirent et déposèrent chacun plusieurs combattants venus en renfort.

- Nous devons d'abord passer par les jardins royaux, annonça Link après avoir récupéré son bouclier sanglé à la selle d'Eldry. Un accès mène aux quartiers de la garde royale. Nous atteindrons la salle du trône bien plus rapidement.

Les soldats acquiescèrent puis tous se mirent en route en trottinant. Le prodige put voir les autres Hyruliens qui prenaient part à la bataille, comme les Gerudos et les Zoras. Les guerriers Piafs se battaient dans les airs avec les elvëschs tandis que les Gorons affrontaient les troupes sur la terre ferme. Link détourna le regard dès qu'il passa sous une arche appartenant à un pont reliant deux ailes de la forteresse. Son attention se reporta un instant sur Thomas et la mission qu'il devait accomplir. Son ancien apprenti n'était pas dans les parages, peut-être avait-il déjà pris le chemin vers les sous-sols du château, là où se situait le cœur du mécanisme antique.

Tout à coup, devant lui, le chevalier vit une quinzaine d'hommes corrompus surgir dans le jardin royal, forçant leur groupe à s'arrêter et à dégainer leurs épées. Un malaise étrange et à l'origine inconnu se manifesta au sein de Link. Ce dernier détailla les soldats du néant et éprouva comme un sentiment de déjà-vu à leur encontre. Ils dégageaient une aura familière qui le déstabilisait et le troublait réellement. Ce ne fut que lorsque ses ennemis créèrent leur arme à partir de corruption que le prodige comprit à qui il avait affaire.

- Ce sont d'anciens Héros ! s'exclama-t-il face à cette nouvelle situation tendue. Restez groupés pour les affronter, vous ne ferez pas le poids tout seuls !

Alertée, Astrid se tourna vers Pahya avant de lui adresser un regard lui demandant de rester auprès de la princesse. La Sheikah s'empara de son petit sabre de la défiance, puis elle pria la princesse de ne pas s'éloigner. Au même moment, Link et ses alliés s'élancèrent en direction de leurs opposants, dans la ferme intention d'en finir au plus vite afin de ne pas perdre de temps. L'Hylien fendit l'air horizontalement pour atteindre son premier ennemi. Mais comme on pouvait l'attendre d'un guerrier accompli, le Héros corrompu bondit vers l'arrière pour éviter d'être touché par la Lame Purificatrice. Link tiqua mais ne se laissa pas impressionner par une telle agilité ; à l'aide de son bouclier béni, il para l'attaque de son adversaire en déviant son épée de corruption sur le côté. Cependant, le blond ne put prévoir le coup de pied qui le projeta lourdement au sol. Il dérapa un court instant avant de se jeter sur le côté pour éviter une nouvelle attaque.

Fort heureusement, et malgré son poids, son armure l'avait protégé contre la corruption tandis que son gambison avait amorti sa chute. Link profita du moment de déséquilibre du Héros pour lui trancher le pied et le faire tomber. Meurtri et incapable de se régénérer à cet endroit, le corrompu sombra sur lui côté et planta son épée dans le sol afin d'y prendre appui. Sans attendre, Link effectua son attaque circulaire qui atteignit la poitrine de son ennemi et libéra son âme par la même occasion. Essoufflé et en proie à la pression de la situation, l'Hylien releva la tête et vit ses alliés se battre au mieux contre les corrompus. Hélas, déjà quatre soldats de Panah étaient tombés au combat alors que deux autres s'avéraient grièvement blessés.

Tout à coup, un ancien Héros apparut dans le champ de vision de Link et abattit son arme sur lui. Le blond se protégea de justesse grâce à son bouclier mais, dans la précipitation de son geste, ne le tint pas suffisamment en main. L'attaque lui arracha sa protection et le rendit plus vulnérable.

- Link ! l'appela Zelda sur sa droite.

Son cri fut accompagné d'une vive lumière dorée, puis d'un court jet de la même couleur qui s'ancra profondément dans la tête du corrompu. Celui-ci, paralysé par la magie divine, ne put esquiver l'assaut de Link qui perça à son tour sa poitrine avant de retirer l'épée de légende. Encore un peu chamboulé par ce qu'il venait de voir, il se retourna vers sa fiancée et écarquilla des yeux en la voyant abaisser l'Arc de Lumière qu'elle venait d'invoquer. Il lui accorda un hochement de tête empli de reconnaissance, ce qui la rassura et permit de lui redonner un peu confiance en elle.

- Orazio ! rugit une voix qui les fit tous les deux sursauter.

Link fit volte-face, le cœur battant à tout rompre alors qu'il n'était pas prêt à faire face à l'enfant gardien. Que faisait-il ici, par les déesses ?! Comme si la présence des corrompus ne suffisait pas ! Le blond, en se retournant, eut tout juste le temps de voir Soran passer à côté de lui et se précipiter vers l'un des Héros en hurlant de rage. Habillé comme tout soldat de Panah, il avait pu s'infiltrer dans Vah'Medoh et rejoindre le château d'Hyrule. Soran voulut asséner un coup droit à l'homme qu'il haïssait le plus au monde, mais ce dernier n'eut qu'à faire un pas sur le côté pour l'éviter. Le corrompu s'accroupit et s'empara de l'épée d'un soldat de Panah. Ainsi, sa nouvelle arme ne subirait pas l'effet de la bénédiction et pourrait tuer ce nouveau nuisible.

Alors que Link engageait un autre combat, Soran revoyait encore le jour à sa sœur avait été tuée sous ses yeux. Il n'était pas fou, il le savait... Ce damné voleur lui avait ôté la vie sous ses yeux, il avait tout détruit. Le brun serra les dents lorsqu'il sentait sa tête être prise de vertiges. La maladie qu'il couvait n'avait pas guéri, elle l'affectait toujours et ankylosait ses membres. Face à lui, le Héros corrompu plia les jambes et se mit en position de combat. Le revoir ainsi décupla la rage de Soran, persuadé de vivre toujours dans le passé. Il s'élança vers son ennemi juré et abattit son épée de toutes ses forces sur lui. Le corrompu para tant bien que mal avec son arme et fut contraint de reculer pour ne pas perdre son équilibre. Aussitôt, l'enfant gardien dégaina la petite dague qu'il gardait puis la jeta vers la tête du Héros. Ce dernier plaça son avant-bras devant lui et intercepta l'arme malgré la blessure magique qu'elle engendrait. Pour éloigner le Soneau, il effectua à son tour une attaque circulaire puis il se pencha légèrement en arrière pour éviter une flèche de lumière. Le projectile attira son attention un court instant tandis que ses iris rouge perçant se posèrent sur la princesse hylienne.

- REGARDE-MOI ! s'époumona Soran, furieux d'être ignoré de la sorte.

Il se jeta sur Orazio, tomba à genou – technique qui lui était propre – pour éviter une attaque horizontale, puis il se releva d'un bond en tranchant le flanc de son ennemi. Le corrompu tituba en pressant son ventre blessé et dont de la corruption liquide s'en écoulait. Soran l'attrapa par le cou, se souciant peu de la matière maudite qui lui rongerait la peau, puis il fit basculer son opposant en arrière avant de le plaquer violemment sur la terre poussiéreuse. Le Héros avait lâché son épée dans sa chute, il se trouvait dorénavant désarmé. D'un geste brusque, le brun retira la dague restée ancrée dans son avant-bras puis il la plongea dans la tête de son ennemi qui commença à se débattre. Son attaque ne le tua pas malgré les meurtrissures redoutables qu'elle infligeait pour un être corrompu. À son tour, le Héros agrippa le visage de Soran entre ses doigts puis il y planta ses ongles pour brûler sa peau.

L'enfant gardien poussa un cri de souffrance rauque, puis il se releva en cachant son visage blessé entre ses mains. La corruption parut lui compresser le crâne et l'embraser dans un feu infernal. Tout à coup, une nouvelle douleur fulgurante lui traversa le dos, au niveau de ses côtes les plus basses. La respiration de Soran se coupa sur le moment avant qu'il n'émette une exclamation étouffée traduisant son mal. Le brun dut s'agenouiller en prenant appui au sol. Il la percevait... la corruption qui se propageait dans son organisme et qui le rongeait de l'intérieur. Avec difficulté, il tourna la tête puis se figea face à la silhouette féminine qui se trouvait alors derrière lui.

- Ma sœur... ? prononça-t-il d'une voix tremblante et éraillé.

Un arrière-goût ferreux, associé au sang, lui monta dans la gorge. Grièvement blessé, Soran fut en proie à une vive quinte de toux qui l'empêcha de respirer durant de longues secondes. Sa vision se troubla soudainement tandis que des hallucinations envahirent son esprit. Zelda était là, en vie... Et elle venait de le poignarder dans le dos. Les larmes montèrent aux yeux du jeune homme, paralysé par la douleur physique et psychique. Ganondorf l'avait corrompue, il se servait d'elle comme d'un objet, selon ses désirs... C'était inacceptable et pourtant, c'était entièrement de sa faute. Soran n'avait pu tuer le Héros, il payait les conséquences de son incompétence. Face à lui, le Héros corrompu tentait de se redresser sur ses coudes dans le but de venir l'achever.

Inacceptable...

L'enfant gardien posa son front contre la terre, puis il ferma les yeux pendant qu'il mordait l'intérieur de sa joue. Il avait si mal... Mais cette douleur n'était rien face à ce qu'avait ressenti sa sœur lorsqu'Orazio l'avait tuée. Soran poussa un gémissement poignant. Personne ne viendrait le sauver. Personne ne le pourrait... Un être aussi froid et aussi sombre ne méritait pas d'être tiré de ses ténèbres. Derrière lui, sa sœur corrompue l'observait agoniser sous ses yeux ; ses mains se mirent à trembler, celle qui tenait la dague finit même par la lâcher. L'ancienne princesse se figea lorsque Soran courba le dos, puis il grogna malgré le sang qui coulait en abondance de son dos.

Réunissant ses dernières forces, il agrippa fermement son épée, se retourna puis se jeta sur la jeune femme. D'un coup précis, il enfonça la lame dans sa poitrine, il pivota ensuite avec le corps corrompu avant de le contraindre à reculer. Soran hurla de rage. Il se donna une dernière impulsion grâce à ses jambes et empala le Héros à l'aide de la pointe de l'épée qui ressortait du dos de sa sœur. Les deux corrompus s'immobilisèrent, la bouche entrouverte, puis leur tête bascula vers l'arrière. À bout de force, le Soneau ne put les retenir plus longtemps ; il se laissa tomber avec eux, s'écroulant près du corps de Zelda. Son regard glissa vers son épée, toujours plantée dans le buste de sa sœur. Horrifié par son geste qui fit écho à celui du Héros, dix millénaires plus tôt, Soran éclata en sanglots tant cette nouvelle souffrance lui fut insupportable.

- Pardonne-moi... dit-il en la dévisageant.

Il geignit sur un ton grave à cause de la corruption qui gagnait en surface dans son corps. Son regard flou se reporta vers les deux fumées bleutées qui quittèrent les corps, commençant à s'élever vers le ciel. Dans sa dernière hallucination, Soran les vit prendre la forme de leur corps originel. Zelda lui adressa un sourire attristé tandis que Link éprouvait du regret et de la pitié pour lui. À cet instant-là, le Soneau cessa d'avoir mal. Certes, il ne sentait plus ses membres, mais il était baigné dans un sentiment de quiétude qui ne le perturba aucunement. Il papillonna des yeux pour chasser les larmes qui ne s'écoulaient pas puis il aperçut sa sœur lui tendre la main avant de disparaître pour de bon. De vagues échos lui parvinrent alors, se rapprochant de plus en plus de lui. Quelqu'un le prit par les épaules puis le redressa légèrement, lui permettant de dévisager une figure blonde et floue.

- Soran ! l'appela la prêtresse royale, bouleversée d'avoir assisté à cette forme de fratricide.

Après ces semaines passées à ses côtés sous Delteha, elle avait pu découvrir une partie de son véritable visage ainsi que son histoire. Et, en dépit des actes ignobles qu'il avait accomplis, elle ressentait de l'empathie pour cet homme qui avait tout abandonné pour une seule et même personne. Les yeux verts du Soneau s'ancrèrent dans les siens, ressortant davantage au milieu de la corruption qui brûlait son visage.

- Zelda...

Il l'avait appelée dans un souffle, n'ayant plus la force de parler, ne serait-ce qu'à mi-voix. Son regard se perdit au loin, ce qui tordit le ventre de la jeune femme. Elle revit Lasya et Link, un siècle plus tôt, perdre la vie de la même manière, dans ses bras.

- Je t'aime...

Les lèvres de l'Hylienne se pincèrent, puis les larmes lui montèrent subitement aux yeux avant de s'en échapper. Bien qu'ils la touchèrent profondément, ces mots ne lui étaient pas directement destinés, elle en avait conscience.

- Oui, je sais, répondit la princesse d'une voix chevrotante.

Le sourire qu'elle lui accorda à la place de sa véritable sœur fut la dernière chose que Soran vit avant de quitter ce monde chaotique. Un sourire qui lui aurait apporté un sentiment de paix, même pour quelques instants seulement.