Chapitre 20 : Le temps des larmes

Dans une pièce sombre, un cri de douleur déchira le silence. Celui d'un homme à la robe blanche alors que la déesse voilée appuyait son pied sur sa gorge, avec l'intention évidente de le faire souffrir. Son visage avait beau être dissimulé, tous ceux présents sentaient parfaitement sa colère malgré tout.

Bande d'idiots, comment peut-on faire preuve d'une incompétence aussi crasse ? Fit-elle en appuyant un peu plus fort du pied, alors qu'aucune autre personne présente n'osait broncher.

Mon plan s'était déroulé à merveille. Les enfants les plus faibles de Thor se sont retrouvés isolés sans que cet idiot ne soupçonne quoi que ce soit. Je vous ai servi une opportunité en or sur un plateau d'argent.

Elle leva son pied et frappa le visage du pauvre bougre à terre avant de faire quelques pas pour se saisir d'une cravache en cuir sur la table proche.

Mais non seulement, vous n'avez pas été fichu de faire parler trois pauvres niveau 1…

Elle ponctua ses mots en frappant au visage une autre personne présente.

Et en plus, vous avez laissé s'échapper trois déesses sans défense, dont une qui n'est qu'une gamine, alors qu'une seule d'entre elles aurait pu être un formidable moyen de pression.

Et elle frappa encore quelqu'un d'autre. Pourtant, malgré sa colère, elle gardait une voix froide et étrangement calme.

Et après, vous vous étonnez qu'une seule elfe de niveau 4 ait pu anéantir quasiment toute votre organisation il y a cinq ans ? Ou que Loki continue de vous mettre raclée sur raclée ?

Elle jeta sa cravache au sol et poussa un long soupir.

Enfin, ce qui est fait est fait. Tournons-nous plutôt vers nos prochaines actions. Où en est le demi-esprit ?

Il… Il va encore falloir plusieurs jours avant de… commença une des silhouettes en blanc qui parlait avec une voix féminine. La jeune femme ne termina pas sa phrase quand elle sentit la main de la déesse passer sous son voile pour venir lui caresser le visage.

Le geste de la déesse était doux, délicat, presque sensuel, pourtant, cela la terrifiait. Son corps tremblait légèrement, elle était incapable de parler et elle sentait que sa vessie pouvait la trahir à tout moment. Finalement, elle parvint de nouveau à articuler quelques mots.

Nous… Nous allons faire le nécessaire, il sera prêt dans deux jours.

Bien.

La déesse retira sa main et la jeune femme s'en alla rapidement sans demander son reste. Elle s'assit de nouveau à sa table et reprit la parole.

Allez donc préparer le prochain appât, il est temps que nous passions à une confrontation… plus directe.

Deux hommes en blanc s'inclinèrent et partirent rapidement. Le silence des lieux fut interrompu par un ricanement masculin, celui d'un homme maigre, assis dans un coin de la pièce.

Et moi ? Quand est-ce que je pourrais enfin m'amuser ? Demanda-t-il de sa voix rieuse.

Quand je te le dirais. N'oublie pas que ce que je t'ai donné, je peux te le reprendre…

Vous êtes une rabat-joie… Mais je vais attendre. Il conclut sa phrase en se levant et quittant à son tour les lieux.

Un autre pion, un de plus qu'elle sacrifierait sans sourciller. Ce genre de personnes était pour elle encore plus facile à manipuler que le vieil alchimiste. Son seul regret le concernant était de ne pas avoir eu le plaisir de voir son visage au moment où il comprit qu'il s'était fait avoir.

Bien, voyons voir comment tu vas réagir à tout ça, Thor.


Deux jours s'étaient écoulés depuis l'attaque du repaire de Galleon et le meurtre de Girkas, Arrauth et Viclaer. Contrairement à ce que beaucoup avaient craint, Thor était resté étrangement calme et silencieux. Pas d'accès de colère, de crise de fureur et la moitié de la ville n'avait pas été rayé de la carte par son arcanum.

Non, une fois qu'il eut pleuré ses fils et donné quelques instructions, il s'enferma dans son bureau et n'en ressortit pas avant longtemps. Les autres membres de la familia étaient choqués et se consacraient au nettoyage et à la réparation de leur maison pour se changer les idées. Mei était celle qui le vivait le plus mal, en tant que capitaine, elle avait le sentiment d'avoir failli en ne voyant pas venir les évènements. Les autres avaient tenté de la consoler en lui disant que personne n'avait rien vu venir, mais cela n'apaisait pas sa peine ni son sentiment de culpabilité.

Hestia, se sentant mal de voir son père de cœur dans cet état, avait voulu rester pour les aider et ni Bell ni les autres n'avaient refusé, solidaires qu'ils étaient de la peine de leurs nouveaux amis.

Quand Loki eut appris la nouvelle, tout était déjà terminé. Mais la Trickster ne vint pas voir le dieu du tonnerre pour autant. Elle n'avait pas été là pour lui et se sentait mal à l'idée d'aller le voir comme si de rien n'était. De toute façon, elle avait une vague intuition de qui avait fait le coup et elle savait déjà que Thor viendrait la voir tôt ou tard.

Cependant, Aiz avait fait le déplacement, car elle se sentait plus inquiète pour Mei qu'elle ne le pensait.

Les deux jeunes femmes se rencontrèrent discrètement. Quand elles se virent, aucun mot ne fut échangé, la shivati s'approcha simplement de son amie, avant de poser son front sur son épaule et laisser couler ses larmes. La blonde, un peu hésitante, leva simplement la main pour lui caresser la tête affectueusement. Il n'y avait rien à dire, car aucun mot ne pouvait changer quoi que ce soit à la situation.

Aiz avait déjà connu des pertes dans sa familia et le sentiment qui allait avec, mais en voyant comment cela affectait Mei, elle se rendit compte à quel point les enfants de Thor partageaient un lien très profond et à quel point cette perte les faisait souffrir.


Le surlendemain de l'attaque, en fin d'après-midi, la familia attendait devant les grandes portes menant au jardin de la résidence. Ces dernières s'ouvrirent pour laisser passer trois personnes.

L'homme à la tête de ce petit trio dégageait une prestance particulière. Il était de taille moyenne, fin, mais très athlétique. Sa peau était naturellement bronzée et ses cheveux noirs encadraient des yeux dorés, lesquels étaient mis en valeur par un maquillage de traits noirs. Cet homme portait un pantalon noir large, ainsi qu'une longue veste sans manche bleu nuit, décorée de fils d'or, qui couvrait son torse nu orné de bijoux en or. Sa veste possédait également une capuche rabattue sur sa tête, elle-même ornée de deux grandes oreilles canines.

Les deux personnes qui le suivaient arboraient des tenues similaires, quoique moins décorées que la sienne. Ce fut l'homme de tête qui brisa le silence en s'adressant à Thor.

J'ai fini de préparer tes enfants pour leur dernier voyage selon tes souhaits.

Merci pour ton travail Anubis. Fit-il simplement en tendant une petite bourse de valis à l'un des assistants.

Je t'en prie, je te présente toutes mes condoléances pour leur mort et je te souhaite bon courage pour la suite, en espérant que tu n'auras pas besoin des services de ma familia de sitôt.

Et sur ces mots, il se retira en silence.


Anubis, le dieu embaumeur, à la tête d'une familia très particulière, dont on surnommait souvent les membres « les fossoyeurs du Donjon », ayant le double statut de familia de service et d'exploration.

Le terrible souterrain offrait peut-être richesse, gloire et puissance, mais il exigeait régulièrement son lot de victimes. Ramener les cadavres d'aventuriers décédés à la surface était souvent compliqué, quand il restait quelque chose à ramener. La familia d'Anubis s'était faite spécialiste de cette triste, mais nécessaire, besogne. Ils savaient comment s'y prendre, comment identifier les souvenirs potentiels et œuvraient régulièrement avec la Guilde pour ce travail.

Quant aux membres de la familia qui ne descendaient pas dans le Donjon, ils travaillaient avec le dieu à la préparation des corps et des cérémonies funéraires. Rendre présentable pour des obsèques un cadavre en pièce n'était pas une mince affaire. Sans compter qu'entre les différentes cultures et espèces vivant dans le Gekai, les rites funéraires pouvaient être très différents selon les gens. Mais Anubis les connaissait tous et savait toujours ce qu'il fallait faire. C'était là son triste privilège.

La familia avait naturellement une réputation lugubre et personne n'y rentrait normalement, aucun jeune aventurier en tout cas. La quasi-totalité de ses membres était issue de conversion, très souvent d'aventuriers ayant trop côtoyé la mort. Il était rare qu'un dieu refuse le transfert d'un de ses enfants au sein de la familia d'Anubis.

Et c'était naturellement à lui que Thor avait fait appel pour préparer les dépouilles d'Arrauth, Girkas et Viclaer.


Quand ils purent tous se rendre dans le jardin, les corps des trois jeunes hommes étaient là, installés sur des bûchers funéraires recouverts de fleurs blanches. Ils étaient allongés sur le dos, les mains jointes sur le torse. Chacun d'entre eux portait sa tenue et ses armes d'aventurier.

Thor était un dieu de culture asgardienne, pour lui, l'inhumation par les flammes était la seule digne pour les guerriers morts au combat avec bravoure. Dès que la nuit tomberait, ses trois fils retourneraient à la poussière.

Les trois jeunes gens avaient un air paisible sur leurs visages. Anubis avait vraiment fait un travail exceptionnel, car même les traces de torture qu'ils avaient subie n'étaient quasiment plus visibles.

Les enfants de Thor portaient tous des tenues de deuil, car ce soir était le temps des larmes. Hestia, Bell et les autres étaient aussi venus. La petite déesse avait défait ses couettes et portait un voile noir sur la tête alors que les autres étaient simplement vêtus en noir.

Bell n'avait jamais encore perdu qui que ce soit dans sa familia, alors, il ne savait pas trop quoi dire, mais il pouvait compatir à leur douleur, les enfants d'Hestia partageaient entre eux un lien aussi fort que ceux de Thor. Tout comme les autres, il se contenta d'un silence respectueux.

Thor avait tout de même fait passer le message dans le voisinage de la mort de ses fils et que les funérailles seraient ce soir. Depuis des mois qu'ils étaient ici, chacun avait rencontré des gens de la ville et développé ses propres amitiés en dehors de la familia. Aussi les trois disparus eurent-ils un peu de visite.

Ce furent des enfants qui vinrent pour Girkas le werewolf. Avec son caractère enjoué, il avait assez naturellement sympathisé avec tous les gamins du quartier et ils furent plusieurs à venir pleurer ce grand frère un peu bruyant, mais très gentil.

Sans trop de surprises, pour Viclaer, le chienthrope, ce furent des jeunes femmes qui vinrent le pleurer. Cet éternel séducteur n'avait pas perdu de temps pour se faire quelques « amies » en ville.

Arrauth, le semi-elfe, en raison de son caractère plus froid et introverti, n'avait pas d'amis en dehors de la familia. Pourtant, même lui reçut une visite, et sans doute l'une des plus inattendues. Celle qui vint pour lui était une belle elfe, aux longs cheveux dorés ondulés. C'était Alicia, l'une des membres de la familia de Loki. Quand elle s'approcha de la dépouille d'Arrauth, son regard laissa voir de la tristesse.

J'avoue être surpris. J'ignorais qu'il s'était fait une telle amie. Fit simplement Thor.

Il y a quelque temps, quelqu'un m'a dit que je devrais faire attention à la façon dont je juge les gens, surtout quand je ne sais rien des gens en question. Dit l'elfe en citant plus ou moins les paroles qu'Ygannea avait eues à son encontre. J'ai alors pris sur moi de revenir voir Arrauth et de m'excuser. Puis, nous avons commencé à sympathiser et nous nous sommes revus deux ou trois fois.

Est-ce que vous étiez…

Non. Enfin, je ne sais pas. Avec le temps, qui sait comment nos sentiments auraient évolué. Je ne le saurais jamais au final.

Alicia essayait de rester stoïque, mais sa voix trahissait le fait qu'elle était prête à fondre en larmes à tout moment. Si pour certains, l'amour était un coup de foudre ou un brasier ardent. Pour d'autres, c'était comme une maison qui se construisait patiemment pierre après pierre.

La belle elfe s'approcha alors d'Arrauth et à la surprise de beaucoup, elle se pencha et déposa un fugace baiser sur les lèvres froides du semi-elfe.

Sois en paix, mon ami. Murmura-t-elle. Nos âmes se reverront un jour.

Thor sentit un léger poids quitter ses épaules en voyant que même Arrauth avait pu se forger un vrai lien après tout ce qu'il avait enduré. Alicia commença à s'en aller, mais elle s'arrêta juste un instant au niveau du colosse.

Ma déesse me fait vous dire qu'elle vous transmet ses condoléances et qu'elle attend votre visite, vous pouvez venir la voir quand vous voulez.

Dis-lui que je la remercie et que je viendrais sous peu.

L'elfe blonde ne dit rien de plus, s'inclina et s'en alla pour aller pleurer dans un lieu plus intime.


Une fois que tous ceux venus saluer une dernière fois les trois disparus eurent fini, Thor s'approcha d'eux. Tout d'abord, il se dirigea vers le werewolf aux cheveux rouges et posa une main paternelle sur son visage.

Girkas. Tu étais plein de vie, parfois trop surexcité, tête brûlée et pas toujours le plus malin. Mais tu étais un brave garçon, courageux et sincère. Tu n'aspirais à rien de plus que devenir un homme capable d'être fier de ses réussites. Tu étais un brave et tu nous as quitté en brave.

Le reste de la familia conservait un silence triste alors que Thor continuait en répétant le même rituel prêt de la dépouille de Viclaer, laquelle était en partie dissimulée sous son épais bouclier.

Viclaer. Certains diraient que tu aimais peut-être un peu trop les femmes. Mais tout séducteur que tu étais, jamais tu ne t'es comporté en goujat et tu savais être un gentleman. Comme le montre ton bouclier, tu voulais être le protecteur de tes frères et sœurs. Et c'est en protecteur que tu nous as quitté, une fin des plus nobles.

Puis, il s'approcha du semi-elfe. Même si ce dernier ne faisait partie de la familia que depuis moins d'un an, pour tout le monde, il était aussi cher à leurs cœurs que s'ils le connaissaient depuis des années.

Arrauth. Mon pauvre garçon, la vie ne t'a fait aucun cadeau. Je t'en avais promis une meilleure et je ne t'ai conduit qu'à ta propre mort. Toi qui as tellement souffert, puisses-tu enfin trouver la paix.

La nuit était tombée, il était l'heure du dernier adieu. Silencieusement, Hestia s'avança. La déesse vint au niveau de Thor et lui sourit tendrement avant de s'avancer à nouveau. Elle forma une coupe avec ses mains et une flamme apparut dans cette dernière. Délicatement elle souffla sur cette dernière et la flamme s'envola, se divisa en trois et alla embraser les trois bûchers funéraires.

La flamme de la déesse du foyer était une flamme de compassion, celle qui allait tout consumer, leur douleur et leurs regrets, en même temps que leur chair. C'était une légère transgression, une utilisation très mineure de son arcanum, mais beaucoup de dieux jouaient avec les limites et Ouranos serait bien hypocrite de la sanctionner au vu de tout ce qu'il laissait passer à Freya.

Hestia prit la main de son père adoptif et resta en silence à côté de ce dernier. Pendant de longues minutes, tous prièrent pour que les trois jeunes hommes trouvent la paix dans l'après-vie.


Au bout de quelques longs moments, Thor remercia Hestia pour son geste et lui fit signe de reculer. Une colère froide brillait au fond de ses yeux alors qu'il se tournait vers ses enfants.

Girkas, Arrauth et Viclaer nous ont quittés. Nous les avons pleurés et envoyés dignement. Séchez vos larmes mes enfants, car le temps des larmes prend fin. Maintenant est venu le temps du sang.

Le dieu du tonnerre se retourna et devant le bûcher funéraire de ses trois fils, il leva la tête vers le ciel et cria à pleins poumons.

M'ENTENDEZ-VOUS ? VOUS QUI AVEZ COMMIS CE CRIME ! VOUS VOULEZ FAIRE LA GUERRE À THOR, DIEU DU TONNERRE ? SOIT ! VOUS AUREZ LA GUERRE ! VOUS AVEZ ASSASSINÉ MES FILS, CETTE INFAMIE SE PAIERA DANS LE SANG !

Le colossal deusdea prit alors une grande inspiration et poussa un cri surpuissant vers le ciel. Sauf que ce n'était pas un simple hurlement, c'était le cri de guerre d'un dieu de la guerre, l'appel au sang.

Certains dieux possédaient des capacités spéciales qui n'étaient pas liées à leurs arcanum, mais inhérentes à leur nature profonde. Les déesses de beauté avaient leur charme et les dieux de la guerre comme Thor avaient ce hurlement. Plus qu'un simple cri, c'était une onde de choc mentale qui se répercuta à travers toute la ville et même au-delà.

Seuls les autres dieux et ceux portant sa bénédiction pouvaient le sentir. Et en cette soirée, tous allaient le sentir.


Le cri de guerre de Thor était ressenti différemment par chaque dieu. Il avait surtout un impact sur les dieux qui étaient asgardiens comme lui ou qui étaient également des divinités guerrières. Pour les autres, cela ne leur fit qu'un simple frisson, une sensation de malaise qui se dissipa vite.


Pour Hestia, qui était juste à côté, il était d'une grande tristesse, car son lien émotionnel avec Thor lui permettait de ressentir l'infinie tristesse cachée sous la colère. La petite déesse du foyer ne put retenir une larme en réponse à la douleur de son père adoptif.


Astraea ne se sentit pas mieux. Pour elle, qui était déesse de justice, le cri de guerre de Thor était synonyme de vengeance, soit l'opposé de ses idéaux. Mais elle-même ressentait de la colère envers ce meurtre sauvage qui lui rappelait la quasi-extermination de sa familia. Et elle était tout de même d'accord sur le fait que les trois jeunes hommes méritaient qu'on leur rende justice.


Imperturbable, assis sur son trône au centre de la Guilde, Ouranos ouvrit les yeux quand il ressentit la vague psychique du cri divin du dieu du tonnerre. Bien qu'il soit symboliquement très éloigné de Thor, sa position prédominante le rendait sensible à ce genre d'évènement. D'un ton las, le dieu ne dit qu'une seule chose.

Décidément, cette ville a bien du mal à connaitre la paix.


Dans l'arène de la Ganesha familia, le dieu éléphant observait ses enfants qui s'entrainaient. Shakti, à ses côtés, perçut le changement soudain d'attitude chez son seigneur. Même avec son masque d'éléphant qui lui couvrait plus de la moitié du visage, elle pouvait deviner son humeur aux expressions de sa bouche. Et là, elle comprit qu'il était dans son mode sérieux.

Shakti, fais passer le message à tout le monde de se préparer, une terrible tempête se prépare.

Nous préparer pour quoi ?

Comme toujours, pour protéger la population des potentiels dommages collatéraux.

Ganesha n'était pas fondamentalement un dieu guerrier, mais en tant que protecteur du peuple, il ressentait tout de ce qui pouvait menacer directement ou indirectement ce dernier. Autant dire que le cri de guerre de Thor n'était pas de bon augure pour lui.


Même s'il n'était pas asgardien, Takemikazuchi était à la fois un dieu guerrier et un dieu des orages, aussi, il ressentit pleinement le cri de guerre de Thor, car il venait titiller son essence divine.

Thor…

Il ressentait lui aussi le soudain appel de la guerre, mais il n'y répondrait pas, sa priorité resterait de garder sa familia à l'écart de cette histoire, en espérant que Mikoto ne se retrouve pas prise entre deux feux.


Le cri de guerre de Thor porta aussi à l'extérieur de la cité, mais un seul dieu le ressentit. Rakia demeurait relativement proche de la ville du Donjon et Arès était un pur dieu de la guerre. Alors qu'il était encore occupé à maugréer sur la dernière raclée qu'il avait prise aux portes de la ville, il ressentit l'écho lointain de l'appel du sang et parvint à en identifier la source. Il eut un rire amusé et se leva.

Et dire qu'ils me traitent volontiers d'idiot, alors qu'il y a quelqu'un d'assez abruti pour réellement enrager Thor.

Arès savait que Thor était bien plus raisonnable que lui, mais lui-même tremblait légèrement à l'idée de mettre le colosse en colère, il y avait des dragons qu'il valait mieux laisser dormir.


Étant asgardienne, et liée à Thor, Loki ressentit de plein fouet le cri de guerre de son père adoptif et elle en frissonna, consciente de ce que cela impliquait. Finn, assis à son bureau, remarqua le trouble de sa déesse.

Un souci Loki ?

Thor va bientôt v'nir. Et c'te fois, ce s'ra pas pour une visite de courtoisie.

Le prum ne dit rien, mais il sentait trembler son petit doigt, signe habituel qui lui indiquait une catastrophe imminente.


Mais s'il y avait bien une personne en ville qui ressentit le cri de guerre de Thor avec beaucoup d'ampleur, ce fut Freya. Elle était une déesse asgardienne et en tant que reine des valkyries, elle était aussi une déesse guerrière. Les deux, malgré leurs différents, étaient des divinités symboliquement très proches sur certains aspects.

Au fond d'elle, elle sentit sa part guerrière s'éveiller soudainement. Elle ressentait pleinement l'appel au sang, la volonté de se battre et écraser ses ennemis. Elle se sentait excitée à l'idée de prendre les armes et étancher sa soif guerrière dans un combat aussi violent que dantesque.

Puis, Freya prit une grande inspiration et reprit petit à petit le contrôle d'elle-même. Elle fit taire la guerrière en elle et se focalisa sur ce qu'elle avait choisi d'être dans cette vie, une déesse de beauté et d'amour.

Et personne ne sut donc, pourquoi au même moment, Horn fut soudainement prise d'une crise de colère et colla une énorme baffe à Allen.

Ottar… Appela-t-elle d'une petite voix son capitaine qui vint à ses côtés.

Oui ma déesse ?

Tu as… tout ce que je t'avais demandé ?

Oui. Répondit-il aussi sobrement que d'habitude.

Bien, dans ce cas, prépare le nécessaire… Et fait savoir à Horn de venir me voir immédiatement…

Tout de suite.

Et le colosse niveau 7 partit sans un mot. En cet instant, Freya aurait tellement aimé que Bell soit avec elle, pour qu'elle puisse le câliner, se perdre dans ses bras, s'inonder de son amour pour faire définitivement taire l'appel à la guerre et au sang qui continuait de pulser quelque part au fond de son esprit. Mais elle devrait se contenter de Horn pour ça.


Dans les jardins de la demeure de Thor, ses enfants, liés à lui par la falna, purent ressentir aussi de plein fouet l'appel de la guerre et du sang. Même les plus doux d'entre eux sentaient au fond de leur esprit grandir une volonté de justice, l'envie de faire payer à ceux qui avaient lâchement assassiné leurs trois compagnons. Cela ne les transformerait pas en berserker fous furieux, mais leur donnerait la détermination pour aller jusqu'au bout.

Alors que le bûcher funéraire continuait à flamber de plus belle, Mei s'approcha de son dieu, une résolution nouvelle dans le regard et prit la parole.

Nous trouverons ceux qui ont fait ça et tous paieront pour la mort de nos frères.

Bien que silencieux, tous les autres enfants de Thor portaient la même détermination dans le regard.

Un à un, ils s'approchèrent du bûcher et saluèrent une dernière fois leurs frères partis trop tôt avant de se retirer dans la maison. Mei fut la dernière à s'exécuter. Dès que Thor fut seule, Astraea s'approcha de lui et lui prit la main, l'inquiétude dans ses yeux était bien visible.

Thor, je t'en supplie, ne te laisse pas emporter. Justice et vengeance ne sont pas la même chose. Tes enfants méritent justice, mais ne te laisse pas entrainé dans une spirale de violence, rien de bon ne peut en sortir. Je ne l'ai… que trop bien vu.

Ryuu resta silencieuse et baissa les yeux vers le sol. Elle en était le parfait exemple, elle avait jadis délaissé la justice au profit d'une vengeance brutale, se noyant dans des torrents de sang. Et cela ne l'avait jamais réellement apaisé. Si Syr ne l'avait pas trouvé et n'avait pas tout fait pour lui redonner goût à la vie, elle serait morte depuis longtemps, le cœur desséché de toute émotion.

Le dieu du tonnerre leva une main et caressa doucement le visage de la déesse de la justice, lui offrant un sourire d'une grande tendresse.

Ta sollicitude me touche Astraea, mais je ne peux pas reculer. Après tout, c'est ça ma vraie nature, je ne peux ni oublier ni pardonner ce qui a été fait à mes fils. Pour moi, c'est une dette de sang que leurs meurtriers me doivent.

C'est faux… fit la déesse en posant sa main sur celle de Thor et appuyant un peu plus son visage contre cette dernière. Ta nature, c'est d'être un guerrier honorable et un dieu plein de vie, pas la brute épaisse que l'on prétend.

Hestia observait la scène silencieusement. En voyant la façon de faire de la déesse de la justice, elle commençait à se demander s'il n'y avait pas eu entre eux plus qu'un simple respect et une dette d'honneur. Sans un mot, Thor retira sa main et recula, il reprit alors la parole en direction des deux déesses.

Astraea, Hestia, vous m'avez beaucoup aidé et je vous en remercie, mais cette fois, ça va devenir vraiment sale et je ne veux pas que vous vous en mêliez plus. Je sais que vous voudriez m'aider, mais je refuse de vous en demander plus. Astraea, tu dois rebâtir ta familia, il ne faut pas que le nom de The Gale se retrouve une nouvelle fois mêlé à des histoires de vengeance.

Les paroles de Thor sonnaient désagréablement juste pour la déesse brune. Sa situation était encore précaire et même si Ryuu avait été libérée de son statut de criminelle, son nom ne serait jamais vraiment lavé.

Hestia, tu as beaucoup donné, plus que ce que je pouvais te demander. Je t'ai entraîné dans mes histoires et ai brisé sans le vouloir une partie de l'innocence de Bell. Cette fois, il vaut mieux que ta familia reste en dehors de tout ça.

Bell voulut protester, dire au colosse qu'il ne lui reprochait rien et qu'il n'était pas responsable à ses yeux des événements. Mais Hestia lui prit la main et quand il croisa le regard de sa déesse, il ne trouva plus la force de prononcer le moindre mot.

Je comprends. Mais je serais toujours là pour toi quand tu en auras besoin, comme tu l'as été pour moi pendant des siècles. Je te laisse tranquille ce soir, mais je repasserai te voir demain matin.

La déesse rendit un dernier hommage aux disparus, incitant sa familia à en faire de même, puis se retira avec ses enfants.


Paradoxalement, c'était peut-être Ryuu qui comprenait le mieux dans quel état d'esprit pouvait être le dieu du tonnerre en cet instant. Et elle savait aussi que rien ne pourrait le dissuader, elle-même en était passée par ce stade. Mais cela ne voulait pas dire qu'elle allait l'abandonner lui ou sa familia. C'était eux qui avaient protégé sa déesse, lui avaient permis de revenir en ville et de restaurer sa familia. C'était eux qui avaient fait en sorte de laver son nom et lui rendre sa véritable liberté. Malgré les circonstances un peu étranges, c'était Mei qui avait su trouver les mots pour aider l'elfe à aller mieux après la révélation de Syr. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était se tenir prête le moment venu. Le plus simple serait encore de s'organiser avec la Hestia familia.

La guerrière elfe prit simplement la main de sa déesse et la guida à son tour vers la sortie. Comme l'avait dit la déesse Hestia, il valait mieux laisser Thor tranquille pour ce soir.

Thor resta silencieusement devant le bûcher de ses fils. Pour un immortel comme lui, la vie des mortels était telle une étincelle, mais le souvenir de ses fils resterait tout de même éternel. Les morts ne pouvaient, ni ne devaient, revenir à la vie. Mais on pouvait venger ceux morts injustement. Sa nature divine faisant qu'il pouvait techniquement se passer de sommeil, le colosse passa donc la nuit dans le silence absolu, debout devant le bûcher funéraire de ses trois enfants, dont les crépitements étaient le seul son que l'on entendait dans la nuit.


Le lendemain matin, quand le deusdea revint enfin dans sa demeure, il retourna dans le grand hall qui portait encore quelques traces des affrontements qui avaient eu lieu ici. Ses enfants étaient tous là, attendant ses ordres.

Cependant, ils furent surpris par l'arrivée soudaine d'Hestia et Astraea, accompagnés de leurs enfants. Avec la tristesse, il avait oublié que sa fille adoptive lui avait dit qu'elle comptait repasser. Le dieu s'approcha des deux déesses et prit la parole.

C'est gentil à vous d'être venu, mais comme je vous l'ai dit, je ne souhaite pas vous mêler à mes histoires. Je vous en ai déjà bien trop demandé.

Ce fut Hestia qui s'approcha de lui et lui répondit sur le même ton sérieux.

Comme tu le souhaites Thor, mais si tu estimes avoir une dette, dans ce cas, je voudrais simplement que tu me dises tout. Juste avant de… enfin… Ton enfant a parlé d'une île. Ceux qui nous ont agressés, qu'est-ce qu'ils voulaient ?

Hestia n'était pas très joyeuse à l'idée de demander ça, mais elle ne pouvait pas laisser passer ça. Il y avait quelque chose de plus gros derrière, elle le sentait. Thor poussa un long soupir las, puis il regarda ses enfants. Mei lui répondit d'un simple signe de tête. Après tout ce temps, ils pouvaient leur faire confiance.

Par où commencer… Est-ce que tu as déjà entendu des rumeurs à propos de monstres qui parlent ?

Et il n'eut pour toute réponse que les yeux soudainement grands ouverts de la petite déesse.