Bien le bonjour, lecteur égaré ! Si tu es ici, c'est que le chapitre 0 t'a donné envie d'en lire davantage. Youhou ! Comme une sorte de calendrier de l'Avent, il y aura chaque jour un nouveau chapitre d'ajouté à cette histoire, pour patienter, tranquille pépouze, jusqu'à Noël.

Les petits chiffres notés en gras trouvés au fil de la lecture correspondent à des notes de bas de page, qui étaient chers au style de M. Pratchett. Ils apparaissent ici en bas des chapitres.

Bonne lecture ! :)


Chapitre 1 :

La clé tourna dans la serrure dans un bruit sec avant que la porte ne s'ouvre dans un sinistre grincement. Ce fut un homme âgé qui entra le premier dans l'appartement, laissant traîner dans son sillage le chuintement doux de ses chaussons à semelle de feutre – ainsi qu'une légère odeur de chair négligée.

- Allez, messieurs, vous entrez, hein ! lança-t-il en français d'une voix chevrotante en direction des deux hommes étrangers, deux anglais, probablement deux amis, qui étaient restés sur le pas de la porte.

Un sourire aux lèvres sous ses cheveux blonds, l'un des locataires s'inclina poliment, invitant le second, un rouquin élégamment vêtu, à passer devant lui dans la pièce. Ce qu'il fit, d'une curieuse démarche chaloupée. Sur son visage était gravée une moue dubitative. Tout devant, le vieillard avait remis en route le compteur situé derrière la porte et avait allumé la lumière de l'entrée. Un petit couloir permettait d'accéder aux différentes pièces de l'appartement mais il choisit de se diriger vers le coin salon et vers la fenêtre de ce dernier. Ses mains tremblantes se saisirent de la manivelle et, dans un grincement particulièrement désagréable, entreprit d'ouvrir le store. Devant ses ahanements poussifs, l'homme blond se précipita pour le remplacer, révélant rapidement une vue plongeante sur le parking de la station. L'appartement était situé sous les combles.

Le propriétaire leur offrit un sourire ridé – l'homme roux qui s'était approché du blond en avait remarqué des semblables chez des tortues – et déclara d'une voix enjouée et enrouée :

- C'est un petit appartement mais il accueille du monde tous les ans depuis plus de trente ans. C'est un coin idéal pour visiter la région et pour faire du ski !

Galamment, celui qui venait de lâcher la tige métallique commença à répondre dans un français hésitant :

- Effectivement, cher monsieur, c'est un très bel-…

- Allez, les jeunes, on continue la balade ! coupa le vieillard en faisant demi-tour vers le couloir de l'entrée.

Les touristes échangèrent un regard ainsi qu'un sourire, avant d'emboîter le pas à leur hôte. Celui-ci ouvrit une porte et se décala sur le côté. La pièce contenait un grand lit, ainsi qu'une petite armoire. Des poutres en bois traversaient le plafond.

- La suite parentale ! présenta fièrement le vieil homme, la main sur la poignée. Et à côté (Il ouvrit une seconde porte :), c'est la chambre des enfants.

Effectivement, un lit superposé en bois était collé contre le mur. Déjà, l'ancien bousculait le roux boudeur pour leur présenter la petite salle de bain et sa baignoire, ainsi que les toilettes.

Enfin, il se tourna vers les deux étrangers pour déclarer :

- Le canapé du salon devient un deuxième lit, pour quand vos épouses vous rejoindront. L'assise a été changée il y a trois ans et il paraît qu'on y dort très bien. Si vous avez un problème, j'habite à deux étages en dessous. Bon séjour et passez de bonnes fêtes !

Il prit congé et repartit de son pas claudiquant sans se retourner. L'homme roux referma la porte d'une pression de la main et se retourna vers son acolyte dodu en affichant un air sincèrement stupéfait. L'acolyte en question referma la fenêtre qu'il venait d'ouvrir avant de s'approcher d'un air inquiet.

- Crowley ? appela-t-il d'une voix douce. Est-ce que tout va bien ?

Après un moment, l'interpellé releva théâtralement la tête et plongea son regard ambré par-dessus ses lunettes dans le sien.

- Mon ange, tu me déçois. Depuis six mille ans qu'on se connait, pourquoi tu ne m'as jamais parlé de ton épouse ?! Ce sont des détails que j'ai besoin de savoir, en tant qu'ami !

Ils rirent tous les deux un moment.

- On a quelle vue, de dehors ? demanda l'homme roux en se séparant de lui pour s'approcher de la fenêtre.

- Le parking. Regarde, on aperçoit la Bentley !

- Ouais. (Il s'approcha et jeta un œil dehors avant de hocher la tête, satisfait.) C'est la plus rutilante. Ils ne savent pas en pondre des aussi belles, les mangeurs de grenouilles.

Et c'était vrai : la belle voiture ancienne stationnée au milieu des autres scintillait de mille feux au point de pousser certains badauds à s'arrêter pour la prendre en photo. Crowley était ravi.

Tous les deux finirent d'ouvrir en grand les fenêtres de l'appartement afin d'aérer et d'enlever cette odeur caractéristique des logements restés vides durant des mois. La seconde fenêtre du salon ainsi que celles des chambres donnaient sur un joli versant de montagne, couvert de sapins. De petits chalets y fleurissaient à certains endroits. La seule chose qui manquait pour parfaire ce tableau presque digne d'une carte postale1 était la présence de neige. Le redoux de ces derniers jours avait progressivement conduit à la fonte de la fine couche de poudreuse qui s'était formée sur le massif montagneux. Mais, maintenus en vie par la très récente chute des températures, certains vestiges résistaient encore par endroits, sous la forme de légers tas d'une triste bouillasse grisâtre salie par l'occupation humaine. Faute de mieux, deux bambins accroupis s'amusaient à se lancer des boulettes de cette matière composite douteuse, sous le regard attendri de leurs parents. Devant ce spectacle peu hygiénique qui laissait une moue attristée sur le visage aux yeux clairs, son ami pressa son épaule :

- Demain, Aziraphale. Demain, la neige sera là. C'est ce que dit la météo.

- Je le souhaite, mon ami. Mais même s'il ne neige pas durant notre semaine de vacances, la montagne reste magnifique à voir. Nous pourrions faire des promenades, visiter des musées,…

- …prendre le téléphérique pour descendre au village ?

- Oh, oui. Ce serait une première pour moi.

- Alors on le fera, avec ou sans neige. Mais pour l'heure, il faut décharger la voiture. Ensuite nous sortirons nous promener.

- Et nous passerons de très bonnes vacances, j'en suis persuadé.

Une main potelée se posa sur les doigts fins et les deux amis restèrent un moment dans cette position, observant la vie des hommes qui s'étalait sous leurs yeux.


1 Il le deviendrait après avoir retouché sur la photographie les détails moins bucoliques, tels que les poteaux électriques et les lignes de téléphérique.