Bonne lecture ! :)
Chapitre 4 :
En ces heures hivernales, la nuit tombait rapidement. Bien protégé par son tablier à motif écossais, Aziraphale s'employait à éplucher les pommes de terre avec une extrême application. Dans un saladier, les morceaux de lardons marinaient déjà dans un mélange d'herbes et d'épices. La crème fraîche, achetée chez un crémier local, n'attendait plus que d'être ajoutée à la préparation. Et dans le plat en terre cuite, les dés de reblochon commençaient à embaumer la pièce d'une odeur typée. Une fois la dernière peau de pomme de terre enlevée, l'ange entreprit de les couper en morceaux grossiers. Il les ferait bouillir jusqu'à ce que dans leur chair puisse s'enfoncer la pointe d'un couteau. Ensuite, tous les ingrédients pourraient rejoindre le plat en terre cuite. Dernière étape : Aziraphale avait coupé dans le sens de la longueur un autre reblochon, qui serait posé sur le dessus du plat. Toutes les recettes qu'il avait consultées s'accordaient à dire que le secret d'une tartiflette réussie consistait en la fonte et à la dégoulinure du reblochon de surface sur l'ensemble de la préparation. Enfin, le plat pourrait être mis au four.
Cela allait être délicieux.
Alors qu'il allumait le feu sous la gazinière et posait par-dessus la cocotte remplie des morceaux de pommes de terre, une voix retentit en provenance du salon :
- Mon ange, viens voir par ici !
Le cuisinier se leva prestement pour rejoindre Crowley. Mains dans les poches, ce dernier était debout devant la fenêtre. Il faisait nuit noire, à présent. A l'approche d'Aziraphale, il tourna la tête et lança dans un sourire :
- Je crois que c'est de bon augure pour demain matin…
Éclairée par les réverbères de la rue, une multitude de délicats flocons blancs tombait du ciel. Gros, lourds, ils n'étaient pas encore assez nombreux pour totalement recouvrir le sol bitumé du parking, mais l'étaient néanmoins assez pour surexciter les enfants qui couraient partout en tentant de les attraper.
- Oh, il neige… ne put que souffler l'ange, ému.
De la neige. De la neige. De la vraie belle neige, toute blanche, toute cotonneuse, qui tombait du ciel en pluie glacée miraculeuse. C'était, en quelque sorte, la première fois qu'ils en voyaient. Depuis ce fameux été où leur destin, celui des Hommes et de la Terre, avait été réécrit. Depuis ce fameux été où l'Antéchrist avait refusé d'accomplir son rôle. Aziraphale avala sa salive et approcha de l'ouverture, les yeux rivés sur la chute moelleuse et silencieuse.
C'était beau. Juste beau.
Arrivé devant son ami, l'ange tourna la tête et le fixa sans le voir. Il se revit, quelques mois plus tôt, dans la salle d'étude de l'enfant qu'ils pensaient avoir élevé comme l'Antéchrist. Dans la peau d'un sombre professeur de sciences, de la même manière que ce soir-là, Mr. Harrison avait soudain levé les yeux de son exercice de physique pour lancer une phrase, somme toute anodine, quelque chose comme « Ah. Il neige. », tout en regardant par la fenêtre. L'enfant qu'il surveillait s'était alors jeté dehors et roulé dans l'herbe gelée en riant, laissant ses deux précepteurs seuls dans l'immense pièce. Aziraphale – alors sous les traits de l'affable Mr. Cortese – avait plaqué une main sur sa bouche. C'était, il le sentait au fond de lui, la dernière fois que l'Angleterre serait recouverte d'un manteau blanc.
La toute dernière fois avant la Fin des Temps.
Mains dans les poches, les deux professeurs s'étaient approchés de la fenêtre jusqu'à ce que leurs épaules se touchent. Aucune parole n'avait été échangée lors de ce moment. Ils avaient ressenti le besoin de se rapprocher et d'observer dans un silence respectueux, recueilli, la dernière vision d'une simple terre enneigée. Car ce spectacle, d'abord beau puis agaçant pour tous les londoniens adultes, avait une toute autre signification à leurs yeux : leur mission d'éducation de l'enfant Dowling devait réussir, coûte que coûte.
La puissance de ce souvenir frappa Aziraphale, dont le regard se voila. Il lui semblait que c'était encore hier, que tout ça… C'était… C'était parfois lourd, de savoir. Qu'un tel spectacle aurait pu ne plus jamais se dérouler, si jamais les choses s'étaient déroulées autrement. C'était vertigineux. Surtout lorsque, tout autour d'eux, le monde entier évoluait comme à l'accoutumée.
Bienheureux ignare.
Crowley ouvrit la fenêtre, laissant entrer l'air froid dans l'appartement. Il pouvait entendre le doux chuintement des flocons d'eau gelée se poser sur le toit. A ses côtés, son ami tendit le bras et laissa sa paume accueillir quelques particules blanches, qui fondirent immédiatement à son contact.
Une épaule effleura doucement celle de l'ange, qui finit par s'y appuyer après quelques instants. Tout allait bien, désormais. C'était là le plus important.
Ils avaient vécu ce spectacle des milliers de fois, depuis leur arrivée sur Terre. Une des merveilles de la nature, aussi magique et éphémère que dangereuse. Annonciatrice de moments difficiles mais promesse de renouveau. Et belle, si belle à voir se produire. Il était des spectacles dont on ne se lassait jamais, que l'on soit issu de l'En-Haut ou de l'En-Bas.
Et voilà. Les vacances pouvaient commencer.
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Demain, on entame les hostilités ! :D
Petite mise au clair pour le lecteur confus qui n'aurait pas lu le livre d'origine (De bons présages, de T. Pratchett et N. Gaiman, pour la VF) ; j'ai pris la liberté de reprendre dans ce chapitre deux personnages qui n'apparaissent pas dans la série télévisée, mais qui existent bel et bien ; lorsque Warlock a eu 6 ou 7 ans, Brother Francis et Nanny Ashtoreth sont partis (car l'enfant était trop vieux pour bénéficier de leur éducation) et ont été remplacés par, respectivement, Mr. Cortese et Mr. Harrison, deux professeurs particuliers. Qui apprenaient à l'enfant, parmi d'autres cours plus communs, la distinction entre le bien et le mal.
J'aurais bien voulu avoir l'interprétation de messieurs Sheen et Tennant pour ces deux personnages. Peut-être les croisera-t-on dans un flash-back de la future saison 2 ?
Il est chouette, le roman. Dans un style un peu différent de la série, mais il vaut le détour. Cher lecteur anciennement confus, je te recommande chaudement de le découvrir !
A demain !
