Bonne lecture ! :)
Chapitre 5 :
Aziraphale prit une profonde inspiration, appuya délicatement sur la poignée et ouvrit la porte. Un fin rayon de lumière s'infiltra par l'ouverture, faisant se découper dans l'obscurité coin de meuble, morceau de fenêtre et fragment de poutre. Aucun bruit n'était perceptible. Sauf si ce n'était, peut-être, un très léger sifflement. L'ange sourit et entra à pas feutrés. Il s'approcha du lit en évitant soigneusement de se cogner contre les traverses de bois apparentes et s'assit sur le bord de l'édredon moelleux.
Comme à chaque fois qu'il s'accordait une phase de vrai sommeil en position allongée – plutôt nombreuses depuis ces derniers mois, Crowley dormait sur le ventre. Son ami s'amusait toujours de ce constat. Lorsque tous les deux refaisaient le monde à la tombée de la nuit, le démon s'étendait sur le dos et finissait par s'endormir ainsi mais à son réveil, il s'était systématiquement retourné sur le ventre. Probablement une des preuves, légères, mais irréfutables, de... de l'inclinaison ophidienne de ce garnement de démon, se disait toujours Aziraphale avec attendrissement.
Une main aérienne se posa sur la tête de l'endormi et joua un moment avec les cheveux roux et soyeux. Geste intime devenu rituel. Et Crowley, inconsciemment, y répondait toujours de la même manière – malgré un farouche déni une fois les brumes du sommeil dissipées : il tourna instinctivement la tête dans la direction de la main chaude, augmentant la surface de contact, et sa respiration sifflante se fit plus forte. Avec le temps, Aziraphale réussissait un peu mieux à distinguer les différentes émotions véhiculées par ces sons reptiliens. Le sifflement long et léger qu'il entendait indiquait un profond bien-être, nota-t-il avec soulagement. Dans les bras de Morphée, le démon se sentait en confiance et apaisé. Ce n'était pas toujours le cas. Parfois, il était la cible de bien terribles cauchemars. Mais à l'heure actuelle, il était bien.
Aziraphale s'en voulait un peu de devoir le réveiller… Il se pencha vers son oreille, mais pas trop près, et murmura d'une voix douce :
- Crowley, mon très cher, il est bientôt huit heu-…
Il s'interrompit en sentant le corps de son ami se contracter par un soudain spasme. Les paupières s'ouvrirent brutalement, révélant deux yeux entièrement jaunes et à la pupille fendue d'un noir profond. Le sifflement avait disparu.
- Ange. Qu'y-a-t-il ? croassa le démon d'une voix inquiète. Où ssssssommes-nous ? Qu'est-cssssse qui-…
Une main chaude posée sur son bras stoppa le questionnement. Aziraphale le frotta avec douceur un bref instant en chuchotant :
- Chuuut, chut, Crowley, mon ami. Tout va bien. Nous sommes en France, souviens-toi. Dans ce petit appartement à la montagne, dans les Pyrénées. Nous sommes dans la chambre à coucher.
Le démon expira longuement et referma les yeux, comme prêt à se rendormir. Soudain, il se retourna sur le dos et se redressa en position assise. Sa main palpa la table de chevet et attrapa sa paire de lunettes, qu'il posa sur son nez. Il soupira. A travers les verres teintés, son regard plongea dans celui, tendre, de l'ange.
- Bonjour Crowley, lança ce dernier d'une voix polie. Comment s'est passée ta nuit ?
Ce n'était pas la première fois qu'il réveillait un démon – ou plutôt ce démon en particulier, mais Aziraphale trouvait ce matin ce cher garçon plus hagard que les autres jours.
- Ça va, répondit Crowley après un moment, la bouche pâteuse.
Encore voûté sur le lit, il mastiqua durant quelques instants, perdu dans ses pensées. Toujours assis dans la même position, Aziraphale attendait patiemment.
- Tout compte fait, finit par déclarer le démon, je sais pas si c'est une très bonne idée que je m'endorme, tant que nous sommes ici. Tu sais, on a beaucoup mangé hier soir et puis il fait froid dans l'appartement parce que c'est mal isolé…
Le blond fronça les sourcils une fraction de seconde avant que son regard ne s'illumine.
- Oh… Bien sûr. Oui. Je comprends. Mais…ce ne serait pas un drame, tu sais, Crowley. Après tout ce temps passé à l'ignorer, il faut aussi que tu écoutes le petit reptile qui est en toi.
Derrière ses lunettes, le démon croisa son regard malicieux et eut un bref rire nasal.
- Ok, alors je vais me rallonger, dans ce cas. Comme ça, je te laisse expliquer au petit vieux de la location pourquoi tu ne pourras pas lui rendre l'appartement avant… boarf, parti comme c'est, je dirais, pas avant le mois de mars.
- Pauvre vénérable homme. A la réflexion, je ne suis pas sûr de pouvoir lui expliquer la présence de cet énorme serpent noir endormi sous la couette de sa glorieuse suite parentale. Soit. Je veillerai à te servir une portion moins importante lors de nos repas. Et la nuit prochaine, nous augmenterons la puissance des radiateurs, afin de dissuader ton organisme d'entrer en mode hivernal.
- Ce serait mieux pour nos vacances, oui. Bon. Et toi, ta nuit ? T'en es où, à présent ?
- Chapitre vingt-sept. J'arrive bientôt à la fin.
Ils échangèrent un long regard. Une main se posa sur le coude de Crowley, puis sur l'épaule de Crowley, avant qu'un Crowley tout entier ne soit attiré dans des bras chauds. Si chauds. Le début d'un sifflement long et léger retentit, bientôt camouflé par un raclement de gorge rougissant.
- Salut, au fait, articula-t-il d'une voix étouffée.
- Je suis prêt à recevoir ce matin ma leçon particulière, indiqua l'ange contre sa tempe.
- … De ski ?
- Oh. Oui. Évidemment.
- Bien.
