Bien le bonjour, chers lecteurs ! Aujourd'hui, on entame une partie en plusieurs chapitres que j'ai eu grand plaisir à écrire. J'espère que ça vous plaira.

Bonne lecture ! :)


Chapitre 8 :

- Je n'ai jamais été au courant de tout ce que vous, les adultes, aviez fait cette semaine-là, déclara l'ange en posant son couteau sur le bord de l'assiette. Mais le jeune Warlock avait beaucoup parlé des longues balades que sa Nanny lui faisait faire à skis. Il m'en….enfin, il en parlait à Brother Francis, très souvent.

Crowley sourit à ce souvenir, et reprit une petite gorgée de vin chaud, sentant l'alcool mélangé aux épices lui brûler agréablement le gosier. Le goût était le même que dans ses souvenirs, et quand on vivait depuis six-mille ans sur une planète en perpétuelle évolution, c'était une pensée assez réconfortante. Par contre, il sentait déjà son esprit s'envelopper d'une légère brume cotonneuse. Lentement, mais sûrement. Les joues de l'ange, reflet des siennes, rougissaient, fouettées par le froid et réchauffées par la boisson. Le Serpent observa avec attention un petit morceau de crêpe être piqué par la fourchette avant d'être guidé jusqu'à l'angélique bouche.

- Eh bien, commença-t-il d'un air vague… En fait, je n'ai pas vraiment idée de ce que les parents Dowling faisaient de leur côté, car ils partaient le matin de bonheur. Je sais juste que toute la journée, je skiais avec l'enfant. Et en fin d'après-midi, les parents revenaient dans le chalet. « Nanny » leur servait le thé et après, elle était cordialement invitée à leur laisser l'intimité dont ils avaient besoin pour leur « moment familial », jusqu'au soir.

Crowley s'interrompit pour rassembler ses pensées alors que l'ange mâchait son morceau de crêpe avec un soupir d'extase. Il l'avala avec un plaisir évident et se tamponna délicatement les lèvres pour ôter toute trace de caramel au beurre salé, avant de soupirer :

- Cette pauvre Mrs. Dowling avait tant de mal à passer du temps avec son mari, comment leur en vouloir de prendre un moment rien que pour eux durant leurs rares vacances ensemble ?

- Le jeune maître Warlock était trop jeune pour se rendre compte que, même en vacances, il ne voyait pratiquement pas ses parents.

- Mais... il avait pour lui sa Nanny. Et toi, que faisais-tu durant ces heures où tu étais séparé d'eux ?

- Boulot démoniaque, principalement. Quelques… tentations de vacances, disons. Par exemple, j'ai eu l'occasion de faire des descentes à snowboard.

- Heu… Le snowboard… Il s'agit de ces planches larges sur lesquelles on glisse, c'est cela ? Comme celle du jeune chauffard d'il y a quelques heures ?

- Hu, ouais, c'est ça. J'ai appris et j'ai fait passer les cours comme notes de frais En-Bas. Génial, non ?

- N… Nanny ? Faisait du snowboard ?

- Hé hé hé. Comment tu crois que je me payais mes vins chauds, hein ? Tout le monde connaissait « Nanny 'Monster Trick' », à l'époque.

- Je… Je ne peux pas le croire, non. Cela ne collait pas du tout avec ton personnage de nounou distinguée. C'était trop risqué, quelqu'un aurait pu te reconnaître le lendemain.

Crowley eut un sourire un peu fou.

- Tu crois que je te mens, mon ange ? A toi ? Alors regarde derrière moi, au-dessus de la cheminée. Qu'est-ce que tu vois ?

Aziraphale leva la tête et fixa derrière l'épaule du démon, l'air concentré.

- Alors, nous avons... la carte de la station… Une photo d'un chien…oui, je l'ai vu dans mon livre, il s'agit d'un patou des Pyrénées. C'est l'espèce emblématique de la région, Crowley ! Il est magnifique, mais il doit perdre une assez impressionnante quantité de poils…

- Aziraphale.

- Oui, pardon. Je vois aussi…le dessin de la petite Lola… (Sa bouche s'ouvrit avec stupéfaction.) Oh. Lola ? C'était toi ?!

- Hein ?! s'exclama le démon. Mais nan, pas du tout ! Attends, laisse-moi regarder… Ah merde, ils ont mis un ficus devant. Alors lève-toi et va voir derrière le ficus, si tu veux une preuve.

Un léger raclement de chaise se fit entendre et un ange passa. Crowley se retourna et continua après quelques secondes :

- Le ficus, ange… Nan, l'arbre en pot à gauche. Voilà.

Aziraphale se pencha sur un cadre à l'image un peu délavée par le temps et écarta les branches pour mieux voir. C'était le cliché agrandi d'une femme rousse qu'un homme ordinaire aurait qualifié « d'incendiaire » malgré sa combinaison noire et rouge. Cheveux écarlates au vent, sa main tenait fermement la planche de snowboard tandis qu'elle semblait voler au-dessus de la poudreuse. La mention « "Monster Trick" en pleine action, décembre 2013 » légendait le cadre. Ses cheveux longs étaient lâchés, des lunettes rondes dissimulaient ses yeux mais un sourire fier et orgueilleux comme celui qu'arborait la sculpturale créature, Aziraphale n'en connaissait que chez une seule personne…

- C'est absolument incroyable…

L'ange retourna s'asseoir et remarqua que ce même sourire était désormais observable sur les joues alcoolisées du démon. Il plissa les yeux, avant de prélever une nouvelle bouchée de sa crêpe. Sa tête enivrée commençait à cogner douloureusement. Le vin... Le vin chaud... C'était délicieux mais très trompeur.

- Qui t'a appris à pratiquer ? demanda-t-il d'un grognement, les sourcils froncés.

- Moi tout ssseul.

- Pourquoi….. t'es-tu donné tant de mal ? J'avoue ne pas comprendre. En quoi te voir skier était-il l'étendard du Mal ?

- Comment expliquer un plan aussi parfait en quelques mots ?... Les hommes qui viennent ici en hiver ont travaillé toute l'année. Ils veulent passer un moment incroyable et ramener un souvenir de vacances à exhiber au bureau à la reprise. Ils tentent de conquérir la montagne mais dès qu'ils essayent, une femme, une jolie rousse à l'accent so british le fait en mieux. Le jeu titille leurs hormones et ils s'excitent. Puis, quand ils voient que la roussssse progresse encore plus vite qu'eux, ils deviennent jaloux. Puis ceux qui ne capitulent pas s'excitent encore plus, mon ange, tu vois, c'est humain, et c'est surtout masculin. Alors ils deviennent des acharnés. Jusqu'au moment où ils finissent par se casser une jambe parce qu'ils auront mal estimé les risques. Ils repartent donc sans avoir pu conquérir quoi – ou qui – que ce soit, un joli plâtre en prime. Vacancssses gâchées. Âmes ternies. Hiérarchie démoniaque contente. Et moi, j'ai appris un nouveau truc inventé par les Hommes.

- Oh…. Crowley…. Vraiment, tu es impossible…

- Je leur offrais le souvenir de vacances qu'ils étaient venus chercher, mon ange. Un souvenir qui prenait, en moyenne, deux mois pour se ressouder. Eh, ne me regarde pas avec ces yeux-là ! Si tu savais tout ce que j'ai entendu durant ces deux vacances de semaines…. T'sais, on parle sssssouvent du romantisme à la française, mais c'est pas dans une sssstation de ski qu'on l'rencontre…

Le démon soupira et reprit une gorgée de catalyseur de souvenirs. Dans sa tête, un petit pivert semblait s'être mis à tapoter joyeusement contre son front. Aziraphale avait les yeux à demi-fermés, probablement en proie au même tourment. Crowley sourit.

- Héhéhé… Ça tabasse, le vin chaud, hein ?

- C'est… C'est extraordinairement traître. Je n'arrive même pas à terminer le verre…

- Ouais… Est-ce que çsssa te dit qu'on ssse rentre ?

- Oh oui. Nous devrions même dessouler un peu avant de repartir…

Ange et démon se levèrent et s'apprêtèrent à suivre une famille elle aussi sur le départ. La mère ouvrit la porte en bois et laissa un vent glacial entrer dans la petite échoppe. Ce n'était pas, en soi, une chose importante. Mais il suffit pour déséquilibrer Crowley qui dut se rassoir brutalement. L'entité céleste eut un rire léger, facilité par la boisson.

- Eh bien, vieux serpent ? On ne tient plus sur ses guibolles ?

Mais l'expression qu'abordait désormais le Tentateur dissuada Aziraphale de poursuivre sa moquerie. Il se rassit à son tour, inquiet.

- Crowley ? Que se passe-t-il ?

Derrière ses lunettes sombres, il voyait bien que le démon avait les yeux écarquillés. Sa bouche était entrouverte et il semblait confus.

- Crowley ? Réponds-moi. Parle-moi, s'il te plaît.

Aziraphale s'employait à ne pas laisser transparaître trop d'inquiétude afin de ne pas mêler le reste des clients à leur problème. Enfin, son ami consentit à relever la tête, sans faire attention que les verres avaient glissé, révélant un regard uniformément jaune. Des yeux complets de serpent.

- Crow-…

- Froid… J'ai froid, ange, coupa l'interpellé.

- P… Plait-il ? Tu as… Mais attends. Crowley, c'est le courant d'air de tout à l'heure qui t'a gelé l'échine de la sorte ?

- Nan…. J'ai froid depuis…avant…

- Tu veux dire que depuis avant notre arrivée dans ce chalet, tu vis sur tes réserves de chaleur ?

L'ange regarda par la fenêtre. Le ciel noircissait et il n'était même pas encore dix-sept heures. Tous les deux, se rendit-il compte avec une horreur croissante, avaient passé toute la journée sur les pistes gelées, sans laisser la possibilité à Crowley de se réchauffer. Alarmé, il détailla le manteau du démon qui, bien que très élégant, ne semblait pas très chaud.

C'était la première fois que l'ange devait gérer un tel problème. Il savait qu'en tant que démon-reptile, Crowley était particulièrement sensible aux variations de température. Mais sous sa forme humaine, n'avait-il pas développé une sorte de résistance ?

Le démon commençait à se voûter, tête penchée. Et peut-être qu'Aziraphale s'inquiétait un peu trop mais il avait comme l'impression que sa respiration devenait plus sifflante qu'à l'accoutumée. D'ailleurs, il nota avec effarement que son ami ne prenait même plus la peine de cligner des yeux…

- Très bien, Crowley, chuchota-t-il d'une voix désespérée. Tout va bien, mon ami. Tu vas te calmer sur le champ. Tu… On se calme. Alors… (Il prit une profonde inspiration et fronça les sourcils avec tout son sérieux.) Bien. Comment réchauffer un animal à sang-froid ? Tu m'aides un peu ?... Crowley ? Non… Tu es déjà un peu parti….

Aziraphale détestait faire cela en temps normal et encore plus en public, mais il choisit de dessaouler sur-le-champ. Il devait venir en aide à son ami et pour cela, il devait avoir les idées claires. Il avait hésité à faire boire à Crowley le fond de vin qui restait dans leurs verres, afin de le garder réchauffé, mais avait fini par renoncer. Si le démon, malgré les deux-tiers d'une pleine tasse de vin chaud, avait échoué à garder sa chaleur interne dans un état stable, ce n'étaient pas deux pauvres gorgées qui arrangeraient cela.

S'il n'intervenait pas pour l'aider, quelle serait la suite logique des évènements ? se demanda Aziraphale alors qu'il tirait la chaise de Crowley vers la cheminée. Parties comme étaient les choses, il ne pourrait plus maintenir sa forme humaine très longtemps, redevenant un immense serpent noir et rouge. Si Aziraphale avait de la chance. Les quelques clients que la nuit tombée n'avaient pas fait fuir seraient horrifiés, par la vision du serpent ou d'autre chose. Peut-être Crowley ne serait-il pas considéré comme un sorcier, non, ce n'était – Dieu merci ! – plus dans l'air du temps. Mais il ferait sûrement le tour des réseaux sociaux et pourrait bien attirer des curieux. Bref. La chaise fut déposée pile en face de la cheminée, à une distance qui aurait incommodée la plupart des vrais humains. Heureusement, Aziraphale parvint à chasser poliment ceux qui s'inquiétaient de voir cet homme voûté façon caramel mou sur la chaise de paille. Oui, chers amis, ce n'est qu'une mauvaise gueule de bois augmentée par un rhume carabiné. Inquiet, il s'approcha de la chaise du démon à la respiration sifflante et murmura :

- Courage, très cher ami. Reste bien au chaud devant l'âtre, je reviens dès que j'ai préparé nos skis…

Et, alors qu'il sortait à l'air frais et qu'il se dirigeait à l'endroit où tous les skis des clients étaient plantés pour prélever ceux leur appartenant, l'ange se demanda avec appréhension, comment il allait s'y prendre pour faire monter un Crowley épuisé sur ses skis et le faire glisser sans chuter jusqu'en bas de la pente pour rejoindre leur appartement….