Bonjour tout le monde !
Fiouh ! Bon, voilà. Crowley va mieux, grâce aux bons soins de son ange. Aujourd'hui, ambiance plus tranquille et moins stressée. Quoique...
Bonne lecture ! :)
Chapitre 11 :
La porte de la chambre s'ouvrit dans un grincement. Une silhouette longiligne et maussade sortit de la pièce sombre. Assis sur le canapé du salon, uniquement éclairé par une petite lampe située sur la commode, un homme blond d'apparence distinguée releva la tête de son tricot vers le nouveau-venu. Son visage se fendit d'un doux sourire.
- Mon cher petit reptile qui a enfin décidé de pointer le bout de son museau hors de sa petite grotte. Bonjour, Crowley, mon très cher.
Sans mot dire, la silhouette à la démarche chaloupée déambula jusqu'au canapé et s'avachit à ses côtés. Immédiatement, son ami étendit sur lui une épaisse couverture en tartan élimé et commença à l'y envelopper, avant d'être arrêté d'un geste de la main.
- T'es pas obligé de faire ça, tu sais, grogna Crowley avec mauvaise humeur.
- De faire quoi, mon ami ?
- Ça, là. Me materner. C'est pas la peine.
- Allons, Crowley. C'est mon rôle, en tant qu'ange, de protéger ceux qui m'entourent. Et après les évènements d'hier soir, je pense qu'il est bon que-…
- Mais là, t'en fais un peu trop. Je n'aime pas quand c'est trop confortable, tu le sais bien.
- Alors je tenterai de ne plus t'importuner avec mon excès de zèle, je te prie de m'excuser.
L'ange cessa un instant de bâtir son ouvrage et tira sur son fil, délogeant une pelote de laine de sous les fesses du nouveau-venu emmailloté.
- Tu tricotes quoi, là ? demanda Crowley en tournant la tête vers le rectangle laineux qui dégoulinait des genoux du libraire.
- Un pull, mon cher. J'ai bien avancé durant cette nuit, c'est extrêmement satisfaisant, ajouta-t-il après quelques instants.
- …. D'accord.
- Et j'ai doublé la laine afin qu'il soit plus épais.
- …. Je vois cela. Le fait qu'il soit noir avec des torsades, j'imagine que c'est pour s'accorder avec mon bonnet et mon écharpe ?
- Oui. Ainsi qu'avec tes gants.
- Mes gants ?
L'ange lâcha son aiguille un moment, le temps de fouiller dans son sac de tricot1 et d'en sortir une poignée de laine noire, qu'il posa sur la couverture tartan. De ce tas de laine informe, il était possible de distinguer une dizaine d'appendices digités. Crowley baissa la tête et fixa quelques instants la curieuse apparition moelleuse.
- Tu as passé la nuit à… me tricoter des gants ?
- Oui. Tu sais, j'aurais souhaité être plus rapide mais j'ai eu un énorme souci en ce qui concerne la courbure des pouces, et j'ai eu le plus grand mal à obtenir un résultat probant. Je crois que les gants seront un peu plus grands que tes doigts et je m'en excuse, mais j'ai perdu l'habitude de tricoter des pièces complexes et-…
- Aziraphale. C'est bon. C'est du très bon travail.
Deux mains sortirent de sous la couverture en tartan et revêtirent leur nouvelle peau sombre. Les doigts furent pliés, les poignets, assouplis. Les nouvelles acquisitions épousaient presque parfaitement la forme réelle des mains de leur nouveau propriétaire et si quelques imperfections étaient visibles, elles leur donnaient aussi un petit côté plus authentique et artisanal.
- Oh, ils sont bien chauds…
L'ange eut un petit gloussement satisfait. Il termina son rang avant de ranger son ouvrage sur le côté du canapé, et se tourna vers Crowley.
- Mon cher garçon, je pense que nous devrions avoir une petite discussion.
- Houlà ! Voilà qui est inquiétant ! ironisa l'interpellé, avant de redevenir sérieux. A quel sujet ?
- Au sujet de ce qui s'est passé hier soir. Ton…refroidissement.
- Oh. Ça. Inutile d'en reparler, je pense.
- Si ! Cela aurait pu très mal finir, si tu avais été seul et je pense que-…
- Ange. Calme-toi. Je n'aurais pas risqué la décorporation pour un refroidissement. Je me serais juste changé en serpent-…
- …ce qui a fini par se produire…
- … et je serais entré en hibernation. Pas de mort, pas de bobo.
- « Pas de mort, pas de bobo », mais t'entends-tu parler, Crowley ? En quoi une hibernation serait-elle moins dangereuse pour ton corps par un climat comme celui-ci ?
- Bah… Tu sais, le mode « sommeil », tout ça… Une fois serpent, j'aurais rampé jusque sous les combles du chalet, pas très loin des tuyaux d'eau chaude, et j'aurais attendu de meilleures conditions pour me réveiller.
- Oh. Bravo. Heureusement que j'étais présent avec toi, hier. Si tu avais été seul lorsque c'est arrivé, jamais je n'aurais pu te retrouver sous cette forme ophidienne.
- Ouais. C'est vrai. Et c'est justement parce que je savais que tu serais là que je ne me suis pas pressé pour rentrer me mettre au chaud.
Contre toute attente, Aziraphale se tourna brusquement vers lui, les sourcils froncés :
- Non mais est-ce que tu t'entends parler, reptile imbécile ?! Ne crois-tu pas qu'il aurait été préférable de me parler de ce petit souci que tu risquais avant que nous ne chaussions nos skis ?! Depuis le temps que nous nous connaissons, j'avais vaguement conscience que ton organisme partageait quelques similitudes avec les serpents, mais de là à penser que tu possédais une pareille sensibilité au froid, j'en suis tombé des nues ! Crowley ! Si je n'avais pas eu l'idée de te glisser sous mon pull…
Tous les deux détournèrent le regard, soudain gênés. Aziraphale se racla la gorge et reprit avec plus de calme :
- Bref. Quoiqu'il en soit, il est hors de question que nous reproduisions un tel exploit. Si… Si j'avais su que tu risquais autant, jamais je n'aurais accepté d'entreprendre avec toi un tel voyage. C'est même stupidement étonnant de ta part que tu aies proposé une telle destination, malgré un si grand danger pour toi.
Le démon plissa la bouche en une grimace. Aziraphale semblait s'être fait pas mal de mouron pour lui. Sa colère avait été certainement catalysée par cette nuit qu'il avait passée, tout seul, à ruminer dans son tricot. Alors Crowley baissa légèrement la tête, laissant ses yeux jaunes fixer le libraire par en-dessous.
- Ange. Tu m'en veux ?
- Oui, marmonna-t-il. Ton comportement imprudent te jouera des tours, Crowley. Un jour, il pourrait bien t'arriver malheur.
- Techniquement, c'est déjà fait… répondit-il d'une voix dont une pointe d'amertume transparaissait derrière le sarcasme.
Un instant passa avant que le libraire ne sursaute et ne regarde le démon, l'air d'avoir réalisé qu'il avait dit une grosse bourde. Ce dernier décida de laisser courir. Il avait compris. L'air mi-gêné mi-buté de l'ange lui tira un sourire ténu. S'inclinant sur le côté, il poussa doucement son voisin du bout de l'épaule.
- Eh. Ange. Tu t'es bien débrouillé. Vraiment. Tu as skié comme un chef jusqu'en bas de la piste, avec un énorme reptile en guise de ceinture. Tu as eu la meilleure des réactions en me mettant dans le four. Tu as bien agi. Je vais mieux, et c'est grâce à toi.
- Tu es un idiot.
De furieuse, sa voix était devenue boudeuse. Bien. On progressait.
- Maintenant que c'est acté, mon ange, sourit Crowley en lui redonnant un petit coup d'épaule, est-ce que tu accepterais qu'on refasse un peu de ski, durant notre séjour ? Il y a toujours cette balade autour du lac que je me suis promis de te faire découvrir.
- Serpent imprudent que tu es ! A peine remis sur pieds que tu veux déjà repartir ?
- Il y a encore tellement d'endroits que j'aimerais visiter… Plein de choses que je n'avais pas pu faire parce que Warlock était trop petit ou que nous n'avions pas eu le temps.
- Non.
- Alleeeez, mon ange. Il suffirait de repartir avant le coucher du soleil.
- J'ai dit non.
- Avant de quitter la station, on pourrait s'arrêter acheter des chaufferettes. C'est Mrs Dowling qui me les avait fait découvrir. C'est un peu comme des bouillottes que l'on glisse dans les poches pour les réchauffer. Tu gardes les mains bien au chaud. J'en avais plein sur moi quand je skiais avec le gamin. C'est super pratique ! ajouta-t-il devant l'air suspicieux d'Aziraphale. Allez, l'ange… On a emprunté un tunnel sous-marin, changé de pays, fait onze heures de voiture, grimpé une montagne, c'est pas pour rester cloîtrés dans un appartement qui sent le fromage à se regarder dans le blanc des yeux.
Aziraphale détourna le regard. Le démon sut qu'il gagnait du terrain.
- En plus, au bout de notre petite promenade, il y avait une petite bicoque à touristes qui faisait un chocolat chaud à tomber par terre.
Le regard détourné se fronça. Héhéhé.
- Et le soir, on pourrait reprendre le télésiège pour rentrer plus vite. On serait à l'appartement en un saut de puce. Hop !
- Le télésiège ? demanda Aziraphale en dardant sur lui un regard savamment travaillé pour le rendre neutre.
- C'est une ligne de sièges qui passe au-dessus des pistes et qui te permet de rejoindre les hauteurs très rapidement. Tu es assis et c'est comme si tu volais tout en voyant les skieurs en-dessous, ajouta Crowley avec un petit sourire nostalgique2.
L'ange eut à son tour un sourire devant l'air rêveur de Crowley. Il secoua une tête résignée et amusée, et posa une main sur le bras recouvert de la couverture en tartan.
- Cela me semble être un programme correct, mon cher.
- Alors ? On y va ? demanda le démon en tournant la tête, ses yeux ambrés plongeant dans les orbes bleues.
- Nous irons, tu as gagné. Mais pas aujourd'hui.
- Hein ? Hey, ange… grimaça Crowley.
- Et c'est mon dernier mot. Tu as subi un coup de froid, il y a quelques heures à peine. Alors ce matin, je pense qu'il serait préférable que tu restes bien au chaud. Avec la chaleur apportée par le four, tu devrais accumuler un peu d'énergie qui te sera plus qu'appréciable pour supporter le froid extérieur. J'ai l'intention de faire la cuisine pour le repas de ce soir, et puisque nous n'avons pas mangé hier soir, il est plus que nécessaire que nous réalisions notre reblochonnade ce midi.
- Attends…. Quoi ? Pourquoi ce midi ?
- Je t'invite à ouvrir le réfrigérateur pour répondre à ta question, soupira l'ange.
Avec un grognement, Crowley s'extirpa du canapé et déambula jusqu'au réfrigérateur antique. Il ouvrit la porte….et la referma violemment, avant de reculer, comme frappé au visage. Il plaqua une main sur son nez et l'autre palpa l'air jusqu'à pouvoir se retenir à la table à manger.
- Eeeeeeurk…. Mais c'est QUOI cette odeur ?!
- Le reblochon, mon cher, répondit tranquillement Aziraphale.
- C'est… horrible. Ça sent comme dans ta boutique, mais en pire !
L'ange renifla un instant d'un air pensif, avant qu'un sourire n'illumine son visage.
- Oh ! Tu as raison ! C'est un peu la même odeur qui accompagne celle de l'étagère de mes livres prophétiques de l'Empire Ottoman !, s'écria-t-il, ravi.
Crowley revint se vautrer sur le canapé, aux côtés du libraire qui gloussait de satisfaction.
- Donc ? On skie pas aujourd'hui ?
- Non, mon ami. Pardonne-moi d'être ainsi directif, mais il me semble que c'est plus prudent.
- Alors on fait quoi ? On tricote ?
- Non, bien sûr. C'était juste en t'attendant. Ce matin, nous préparerons donc le repas de ce midi, et aussi celui de ce soir. Et cet après-midi, j'aimerais beaucoup visiter la petite galerie marchande en bas de la station. Cela serait une petite promenade amusante pour nous deux, sans être trop fatigante pour toi. Qu'en penses-tu ?
- Hm. Ok, si tu veux. Eh. Comment tu sais qu'il y a une galerie marchande en bas ?
- Je l'ai entr'aperçue en allant chercher quelques douceurs, pendant que tu dormais.
L'ange tourna la tête vers la table à manger, dont un saladier que Crowley n'avait pas vu débordait de viennoiseries ; croissants, chouquettes, pains au chocolat et cookies.
- Je te recommande chaudement les petits pains aux raisins qui sont cachés au fond, ils sont un véritable régal, suggéra Aziraphale d'une voix chaleureuse.
Crowley, lui, n'eut d'yeux que pour la cafetière pleine d'un salvateur breuvage sombre. En attendant d'être pleinement réveillé, il se rassit aux côtés du libraire, posant sur les cuisses dodues le saladier - très bientôt allégé d'une des friandises. Enveloppés de la couverture en tartan, ils refirent le monde, rirent et discutèrent des déboires thermiques de Crowley qui avaient parfois contribué, en bien ou en mal, à changer le cours de l'Histoire.
Parce que, c'était aussi ça, les vacances : se détendre, discuter de tout et de rien, se lover sous une vieille couverture avec un être cher et en grignotant des pâtisseries huileuses et sucrées.
1 Lorsque l'ange avait visité cette petite mercerie dans une rue calme du quartier de Soho, il était tombé dans la section des fins de série sur une petite pelote de laine noire mouchetée de rouge. Aziraphale avait appris à tricoter à la même époque qu'il avait appris à danser la gavotte – il avait d'ailleurs retrouvé lors des deux leçons certains de ces adorables jeunes hommes qui étaient toujours si affectueux envers lui - et avait atteint un niveau correct dans les deux disciplines. Après deux siècles sans pratiquer, il se souvenait vaguement qu'une pièce tricotée nécessitait jusqu'à plusieurs pelotes pour être réalisée à bien, et avait espéré pouvoir tirer de cette minuscule bobine au moins un bonnet pour son cher Crowley. Puis, de fil en aiguille, au fur et à mesure que sa pratique s'améliorait, il y avait ajouté une écharpe, un pull-over, des gants et espérait bien réussir à terminer par une paire de guêtres – ce pauvre garçon avait toujours les pieds si froids…
2 Le sourire de Crowley à ce moment-là avait une origine. Repenser au télésiège lui avait donné envie de révéler à Aziraphale la joie et le bonheur qu'il avait ressentis en découvrant, sous les traits de Nanny Ashtoreth, le monde qui s'étalait à ses pieds. Il avait voulu partager avec lui l'excellente leçon qu'il avait donnée ce jour-là au jeune Warlock, sur sa future mission en tant que souverain de la Terre, et de dominateur de tous les monts. Car après-tout, assis sur un télésiège, ne se sentait-on pas un peu comme le roi du monde ? Mais comme il aurait fallu aussi lui évoquer les crachats éducatifs sur la tête des autres vacanciers qui glissaient en bas, Crowley s'abstint d'évoquer ce moment à son ami.
