Bonjour tout le monde !
Voici aujourd'hui un nouveau chapitre, tout chaud. Un immense merci à H.R.-L.R. et MlleLauChan pour leur (leurs !) moelleuses et adorables reviews. Tous les retours sur l'histoire, même jetés en quelques mots, sont toujours appréciés.
Oh. Au passage. Je pars du principe que vous avez tous plus de dix ans. Si, par hasard, il y a un enfant de moins de dix ans parmi mes lecteurs, je conseille vivement à ce petit chérubin de sauter la première partie de ce chapitre. Si si, vraiment. Fais-moi confiance. Je te propose donc de jouer avec la mollette de ta souris pour descendre le texte et de commencer ta lecture après la barre horizontale marquant une légère ellipse. C'est dans ton propre intérêt, car je parle dans ce chapitre d'un secret de presque grande personne. Un secret dont la révélation prématurée t'arrachera probablement une part d'enfance et d'innocence, surtout si elle se fait ici, à travers cette histoire. Je décline toute responsabilité si jamais tu n'écoutes pas ce conseil. Voilà. Bonne lecture mon poussin.
Et bonne lecture, vous autres ! :)
Chapitre 12 :
Probablement inspiré par les pulsions créatives et malicieuses de certains enfants, Aziraphale avait trouvé le démon sur le parking de la station, non loin de la Bentley, traçant de très artistiques graffitis dans la neige tombée sur le capot des voitures. Avec un certain talent, il avait représenté différents sujets, et notamment…
- Crowley… soupira Aziraphale en approchant de son reptilien compagnon. J'aime assez à me dire que les gants tout neufs que je t'ai tricotés cette nuit ne sont pas faits pour représenter de telles insanités sur les voitures des autres usagers de la station.
- Tu n'aimes pas ma manière de dessiner, l'ange ? répondit-il en se tournant vers le libraire.
- Eh bien… (Aziraphale regarda plus attentivement la figure dessinée contre la voiture) Le trait, bien qu'un peu caricatural, me semble bien proportionné. Ce sont surtout les messages que tu véhicules qui me font réagir.
Crowley recula de quelques pas, se mettant au niveau de son ami à bonnet pompon, et inclina la tête pour jauger son œuvre. Un grand sourire illumina son visage. Le sourire démoniaque de celui qui s'amusait beaucoup. Un sourire de Tentateur.
- Quoi ? Tu vas me dire que c'est de l'exhibitionnisme, c'est ça ? Pourtant, les Grecs aussi, en affichaient partout, et ça ne te dérangeait pas, à l'époque.
- Je dis surtout que ce genre d'art n'est plus d'actualité, aujourd'hui, mon ami, et que tu risques de t'attirer de bien méchantes œillades par des parents soucieux de respecter l'innocence de leurs enfants.
Se faisant, Aziraphale avança d'un pas décidé vers la voiture, dans l'objectif, comme toujours, de s'opposer au Mal qui opérait dans ces lieux. Il effaça un peu de neige, ajoutant ainsi un sous-vêtement à l'indécente apparence précédemment dessinée par le démon. L'air hilare que celui-ci lui renvoya lui fit secouer la tête d'un air consterné.
- Parlons-en, de l'innocence des enfants ! rebondit Crowley. Parce que tu crois que les baigner de telles sornettes depuis leur plus jeune âge, c'est leur rendre service ?
Aziraphale considéra l'autre dessin, représentant un célèbre visage barbu affublé d'un bonnet rouge à pompon blanc. Juste au-dessus étaient inscrits en français les mots « En vrai, c'est les parents !». Il poussa un nouveau soupir et leva les yeux vers son ami.
- Crowley. Venant de toi, je trouve ce coup bas. As-tu seulement pensé aux parents qui peineraient à calmer leur douce progéniture ?
- Mais justement, mon ange. C'est pour eux que j'ai réalisé ce dessin. C'est un test. Je ne fais que leur offrir le moyen de changer le mensonge en vérité. Si l'enfant lit cette inscription et qu'il s'interroge à ce sujet, je donne à ses parents la possibilité de lui avouer la vérité et d'éviter de se rendre ridicule pour les prochaines années en s'empêtrant dans de grotesques mensonges – car ce n'est pas à toi que j'apprendrai que mentir, c'est mal, même quand il s'agit de ses propres enfants.
- Sérieusement, mon cher ?
- Tu devrais être content, non ?
- Nous n'avons jamais eu le même point de vue sur les fêtes modernes de Noël, Crowley. Je te demanderais juste de te tenir un peu tranquille, s'il te plaît. Après-tout, oserais-je te rappeler que le réveillon est prévu pour cette semaine. Si les enfants posent cette fameuse question aujourd'hui, tu abîmerais l'ambiance d'un bon nombre de familles en un si important moment de fête…
- Bah, t'en fais pas, les gosses auront quand-même leurs cadeaux sous le sapin, va.
Mais après avoir levé les yeux au ciel, le démon capitula, et fit un vague geste de la main, modifiant ses dessins1. Aziraphale, soulagé, lui offrit son plus doux sourire. Ensuite, Crowley se détourna tout à fait du véhicule et ils avancèrent en direction de la galerie marchande située en bas d'un gros immeuble. Sur le chemin, il se tourna vers l'ange et, surpris de son air ravi, lui demanda d'un ton badin :
- Alors, comment tu trouves les après-ski ?
Avec un gloussement satisfait, Aziraphale fit un pas volontairement lourd. Il appréciait le contact de ses pieds, qui s'enfonçaient dans la poudreuse dans un grattement particulièrement plaisant. Ces larges bottes de tissu que Crowley lui avait procurées étaient redoutablement confortables pour marcher dans la neige, sans commune mesure avec les chaussures de ski essayées la veille. Le premier contact avec ces étranges bottes lui avait pourtant laissé une froide sensation. Les après-ski, comme ce cher démon les avait appelées, étaient constitués d'une épaisse chaussette en mousse isolante, qui engonçait le pied comme un plâtre souple, sur laquelle s'enfilait la « vraie » botte en tissu imperméable, à lacets. Une semelle complétait le tout, rendant son port plus confortable. Les après-ski, avait expliqué Crowley, permettaient de se déplacer plus aisément dans la neige qu'avec des chaussures de ville.
Aziraphale sourit et considéra ses grosses bottes couleur crème, ainsi que celles, gris foncé, que portait le démon.
- Elles sont extraordinairement moelleuses. C'est comme marcher dans des chaussons. Ainsi, nous ne craindrons ni la neige ni le froid, et c'est une invention formidable !
Il laissa s'écouler un instant avant de reprendre :
- Et… je pense que tu n'as absolument rien à voir dans leur conception, mon ami, me trompe-je ?
Crowley eut un rire bref.
- T'as gagné, mon ange. Les humains les ont créées tout seuls, celles-là.
La galerie marchande se composait d'une longue enfilade de boutiques, fréquentée par une foule rendue excitée par la proximité du réveillon de Noël. La plupart de ces échoppes vendait des souvenirs. Malgré le relatif mauvais goût de certains articles, Aziraphale aima se promener parmi les cartes postales aux motifs montagneux, les vêtements colorés d'une marque de snowboard et les peluches de marmotte vêtues d'un tee-shirt portant l'inscription « Les Pyrénées, ça déchire ». Ils esquivèrent une famille dont le petit garçon se roulait par terre en faisant un caprice et poursuivirent leur déambulation, slalomant entre badauds en doudoune et foule frigorifiée. Crowley éclata de rire en voyant sur un présentoir d'abominables chapeaux à grelots de toutes les couleurs. D'une voix terriblement fière, il raconta à l'ange comment « Monster Trick », au détour d'un banc de location de matériel de ski, avait un jour discuté avec un homme d'affaire cherchant à se recycler. La nounou avait doucement soupiré en désignant Warlock, se plaignant d'une voix douce qu'elle avait le plus grand mal à retrouver son enfant parmi tous les autres petits garçons, qui portaient tous le même bonnet à la mode, à l'effigie de la même voiture rouge. Sur le ton de la plaisanterie, elle avait souligné qu'il serait bon d'inventer des chapeaux originaux afin de pouvoir reconnaître ses proches même lorsqu'une certaine distance les séparaient. Aujourd'hui, presque dix ans plus tard, la marque des bonnets que le démon avait sous les yeux portaient le nom de cet homme.
Aux côtés du chapeau de fou à grelots se trouvaient un bonnet de Père Noël, un bonnet à tresses façon viking, un bonnet-girafe, un bonnet dragon et même un abominable bonnet en fourrure léopard pour grand-mères distinguées. Aziraphale plissa les yeux devant l'étalage d'une telle inélégance et rajusta son propre bonnet tout simple, blanc moucheté de bleu.
Il y avait dans l'air un petit condensé de l'excitation de Noël et, bien que l'ange appréciait les célébrations en tout genre, c'était une période que tous les deux avaient du mal à estimer réellement, surtout depuis ces cinquante dernières années où la société de consommation s'était emparée de l'évènement. Un ange ne pouvait que se réjouir du bonheur et de la joie des fêtes de fin d'année, où tout le monde était heureux et s'offrait des présents. Un démon devait rire de l'excès factice de toutes ces cérémonies fastueuses. Mais dans le cas d'Aziraphale et Crowley, ils avaient, depuis six mille ans, vécu un nombre incalculable de déclinaisons des fêtes de fin d'année. Chaque civilisation avait sa propre manière de festoyer, avec plus ou moins de raffinement, différents niveaux de barbarie et bien souvent, une grande quantité d'animaux comme tributs sacrificiels – lorsqu'il ne s'agissait pas d'autres êtres humains. Avec le temps, tous les deux avaient appris à se détacher de toutes ces choses pour en apprécier uniquement l'aspect festif. C'était ce qu'il convenait de faire pour ne pas déprimer sur les dérives de l'humanité – sous couvert des traditions et du divertissement. Aujourd'hui, ils appréciaient voir ces maisons colorées et illuminées. Les éclairages des villes aux couleurs de Noël. Déguster un cornet de marrons chauds ainsi que des agrumes. Et même, petit plaisir coupable de l'ange, se délecter d'une tranche grillée de pain aux graines et tartinée de foie gras, avec juste une pointe de confiture.
Ne se concentrer que sur les aspects beaux et positifs. Ne pas s'attacher. Ne pas prendre parti. Profiter. C'était certainement – assurément – une conduite indigne d'un ange, mais le monde avait tellement dérivé, et si vite… Comment Aziraphale tout seul pouvait-il ralentir les choses, à présent que la machine était lancée ?
Crowley, lui aussi, appréciait les aspects agréables de Noël. C'était bruyant, coloré, goûteux et odorant ! En un mot c'était vivant. Il y avait tant de choses à faire et à voir. Les esprits humains attendaient tous les ans ces mêmes fêtes, les rêvaient toute l'année et faisaient en sorte de ne jamais les rater, quitte à employer des comportements réellement démoniaques pour y parvenir. Une part de Crowley adorait cette frénésie acquise dans le dernier tiers du XXème siècle. Contrairement à son ami, sa plus grande faculté d'adaptation le rendait plus ouvert au changement. Lorsqu'une fête se préparait, contrairement à Aziraphale, il aimait s'investir afin de la rendre inoubliable. Depuis l'invention des guirlandes électriques, il prenait grand plaisir à se promener dans la rue et à faire tomber des décorations lumineuses sur la tête des gens – enfin, à côté, sinon ce n'était pas marrant. Il adorait également se faire l'ami des enfants qui regardaient, rêveurs, la vitrine d'un magasin de jouets, insuffler en eux les graines de la discorde et de l'insubordination et les voir échapper au contrôle de leurs parents pour faire éclater un caprice aussi gênant que bruyant2. Mais des fêtes, tous les deux en avaient vécues tellement... Loin de cette ruée effrénée vers le cadeau idéal, loin des bousculades et loin de ces pleurs, désormais, ils observaient, plus ou moins passivement, les hommes s'agiter, tels deux parents laissant gigoter leur bruyante progéniture.
Un peu agacé par tant de monde dans un si petit espace, Crowley avait bientôt capitulé et était ressorti du bâtiment. Une neige fine s'était remise à tomber. Par la vitrine de l'entrée de la galerie, il observait un renne mécanique brouter de l'herbe en plastique et hocher la tête au moment où Aziraphale le rejoignait. A son tour, l'ange observa d'un air pensif la petite scène, qui faisait le bonheur des touristes autour du renne-brouteur, un ours polaire articulé frottait son museau contre celui de son bébé – auquel il devait manquer une patte car sa posture n'était pas naturelle. Derrière eux, un igloo clignotait de toutes les couleurs par intermittence, juste à côté d'un pingouin qui dansait, faisant voler une poignée de neige en polystyrène. Le démon leva un doigt et le pointa sur la dernière silhouette, aux joues rondes et roses, allongée dans un panier en bois :
- Ça, c'est définitivement Jésus. Qu'est-ce qu'il fiche au milieu des pingouins ?
Le libraire leva un sourcil.
- Et bien… Je pense, qu'il s'agit d'un amalgame de plein de clichés relatifs à Noël. L'hiver, les fêtes religieuses chrétiennes… Et… Et aussi un appel à la tradition, avec la présence de l'Enfant dans la mangeoire.
- …qui a dû être une bourriche d'huîtres dans une autre vie.
- Certainement, oui.
Ils restèrent encore quelques instants, déconfits, à observer cette scène faite de polymères de synthèse et de fils électriques. Ces petites animations, qui plaisaient tant aux Hommes en période de fête, faisaient partie de ces choses qu'ils avaient du mal, en tant qu'être immortels, à appréhender. Après tout, lorsqu'on avait eu la chance de discuter avec les parents de Jésus avant la naissance de ce dernier, pouvait-on réellement apprécier à sa juste valeur la représentation de leur illustre enfant quelques millénaires plus tard ?
Et puis, en toute sincérité, depuis qu'ils avaient été confrontés à Pollution, tous les deux voyaient ces scènes artificielles d'une toute autre manière…
Une moufle en tartan pressa doucement les doigts laineux.
- Rentrons-nous, très cher ?
Les lunettes sombres, après un dernier instant d'observation, acquiescèrent. Parfois, pour apprécier réellement un évènement, il était nécessaire de s'éloigner un peu de toute cette agitation, pour rester entouré de ses proches.
1 A la place du bonhomme barbu souriant, sous la petite phrase annotée se trouvaient désormais dessinés un œuf de Pâques ainsi qu'une adorable souris dont la queue tenait une dent.
2 Crowley, qui était un démon consciencieux, était fier de son petit record personnel il avait tenté une minuscule fillette qui avait hurlé tellement fort que sa voix de crécelle s'était entendue distinctement plus de soixante mètres plus loin.
