Bonjour tout le monde !
Bon, cher lecteur, tu t'apprêtes à lire le seizième chapitre de ce calendrier de l'Avent. Eh oui, déjà...
Bonne lecture ! :)
Chapitre 16 :
Le jour s'était levé sur un soleil magnifique. Il avait neigé une partie de la soirée ainsi que la nuit, ajoutant une bonne couche de poudreuse à celle déjà présente sur la station. Alors qu'Aziraphale dégustait délicatement son petit-déjeuner typiquement français fait de tartines de pain beurré, de confiture et d'un bon thé à la bergamote pour faire couler le tout, le démon s'était levé et approché de la fenêtre. Il avait longuement étiré ses membres, tout en toisant du regard la vie qui s'éveillait sous ses yeux. Puis, il s'était retourné d'un coup, faisant sursauter son ami, et lui avait lancé avec un immense sourire :
- Mon ange, aujourd'hui, je t'emmène skier !
Bien entendu, comme il savait qu'il s'adressait à Aziraphale, il avait au préalable imaginé toute une liste d'arguments visant à sortir l'ange de son mode de vie confortable et pantouflard. Que la montagne n'attendait plus qu'eux, que l'ange pourrait performer tous les miracles qu'il voudrait sur le chemin pour aider les gens dans le besoin, qu'ils skieraient au rythme du débutant, tranquillement. Et que, peut-être bien que le petit lac gelé que Crowley avait tant aimé quelques années plus tôt abriterait une famille ou deux de bestioles des montagnes.
Aussi le démon fut-il surpris lorsqu'Aziraphale, après avoir terminé sa bouchée et s'être consciencieusement essuyé la commissure des lèvres, avait simplement accepté de repartir. L'ange s'était ensuite levé pour se diriger en direction du canapé et avait tiré de sous la couverture en tartan une masse sombre.
Le pull en laine de Crowley.
Il avait passé la nuit à le terminer.
Équipé d'un épais col roulé, le pull moelleux respirait la chaleur et le confort. C'était typiquement le genre de vêtements que Crowley ne mettrait jamais de lui-même, hormis peut-être lors de la prochaine ère glaciaire, lorsque l'humanité actuelle serait pratiquement éteinte et que la notion d'élégance vestimentaire pour les individus restants serait réduite à se couvrir de peaux de bêtes ou de feuilles d'arbres – différentes de celles utilisées pour s'essuyer l'arrière. Mais pour l'heure, il ne fit aucun commentaire et se laissa vêtir du pull épais. Très épais. Trop épais. Sa température interne augmenta de plusieurs degrés lorsque les doigts manucurés ajustèrent sur ses flancs un pli de laine. Une part de Crowley fût tentée de prévenir l'ange que, de nos jours, les humains, ces créatures intelligentes, avaient mis au point des matières synthétiques qui conservaient la chaleur corporelle sans être aussi épaisses qu'une toison de yack. Mais Aziraphale avait un tel sourire de bonheur en voyant son ami habillé du fruit de son travail acharné qu'il n'en fit rien. Il se contenta de lui grommeler ses félicitations– car il restait, après-tout, un représentant de la classe du Mal – et de dissimuler à quel point il se sentait bien au chaud ainsi engoncé.
Et parce qu'il ne serait pas Aziraphale, il revêtit à son tour un pull en laine identique au sien, bien que dans des teintes différentes. Sous leurs épaisses combinaisons et doudounes, tous les deux étaient désormais totalement assortis. Dans le couloir de l'immeuble, l'être céleste dépassa fièrement son ami, sous son sourire amusé et consterné, pour se diriger vers le placard à skis.
Assis aux côtés du démon, Aziraphale observait avec émerveillement la petite cabine ovoïde les transporter vers une nouvelle aire de la station. Les conditions étaient idéales pour passer un bon moment avec un ami il faisait beau, le paysage était magnifique, les poches du démon étaient pleines de chaufferettes à déclencher dès qu'il en ressentirait le besoin et les poches de l'ange étaient quant à elles remplies de mandarines, gâteaux sablés et d'une thermos remplie de café. En plus, ils avaient pu s'asseoir côte à côte dans la télécabine. Tout était parfait. Ils passeraient un bon moment.
Malheureusement, juste avant la fermeture des portes, un jeune couple de français s'était glissé sur les sièges, juste en face d'eux. Un jeune couple très amoureux. Très, très amoureux. C'est donc avec une gêne manifeste que les deux entités surnaturelles reportèrent leur attention sur le paysage pyrénéen, sur fond sonore de baisers passionnés et de petits soupirs. Les vacances à la montagne, c'était romantique, tout le monde en convenait. Et les humains étaient si éphémères qu'ils n'eurent pas le cœur à les arrêter. Mais tout de même. Depuis quand les jeunes gens étaient-ils devenus si libérés en présence d'étrangers ?...
Une fois descendus, le couple et eux se séparèrent, et enfin, la journée put commencer.
Aziraphale chaussa ses skis avec appréhension. La dernière fois qu'il les avait utilisés, c'était dans une telle situation d'urgence qu'il ressentait aujourd'hui un sentiment très mitigé à l'idée de réitérer son exploit… Mais il releva la tête et plongea son regard dans les lunettes épaisses que Crowley avait enfilées pour cacher ses yeux. Le démon lui offrit un sourire encourageant. Alors il sourit à son tour et enclencha sa chaussure dans le mécanisme.
Essoufflé, Aziraphale s'arrêta à une bosse, bientôt imité par Crowley qui le suivait comme son ombre. La Principauté devait le reconnaître une fois le fauve lâché hors de la piste des débutants, le démon skiait à un très haut niveau. C'était même un spectacle d'une rare élégance que de le voir pencher son corps à gauche et à droite pour épouser la forme de la piste. Et cela ne faisait qu'accentuer le malaise d'Aziraphale, qui se trouvait trop lent, trop lourd, trop pataud pour pouvoir le suivre correctement.
- Tout va bien ? demanda Crowley en relevant brièvement ses lunettes sur son bonnet pour dévisager son ami.
- Oh, oui, oui, ne t'en fais pas. Mais quand je vois l'élégance qui est la tienne lorsque tu glisses sur la piste, je me sens comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.
- Ah, il faut pas t'en faire pour ça, ange. Je te l'ai dit tu débutes. Et moi, j'ai un petit truc en plus pour m'aider, que n'ont pas les autres skieurs…
- Un petit truc ? s'étonna Aziraphale en écarquillant les yeux. Quel est-il ?
- Ah-ha !
Crowley lui offrit un dernier sourire de joie avant rabattre ses lunettes et de passer devant l'ange, ouvrant le chemin dans la poudreuse. Il slalomait très vite, circulant entre les sapins et les rares skieurs à toute allure et évitant les dangers. Aziraphale émit un soupir admiratif. Lui qui avait failli heurter un arbre et renverser une jeune femme quelques instants plus tôt, il ne pouvait qu'apprécier la technique de Crowley. Malgré le manque de pratique, cet habile reptile se mouvait comme une murène dans les fonds marins, au point, se dit Aziraphale, que la légende de Nanny « Monster Trick » pourrait bien être ravivée. Après un dérapage magnifique qui lança une gerbe de neige sur un groupe de jeunes filles, le démon s'arrêta sur la bosse suivante et se retourna pour lui faire un signe de bras. Cet animal semblait le narguer.
Aziraphale lui rendit un petit signe plus discret et, sous les yeux de son ami, entreprit de le rejoindre. Plus lentement. Et moins élégamment. Son cerveau - ou la masse éthérée qui lui tenait lieu de centre de réception et de traitement de l'information - fonctionnait à plein régime.
Gauche…. Parfait…. Drooooite…. Houlà. Bien. Houlà ! Houlàaaa ! Moins vite, inconsciente Principauté !
- Oh ! Veuillez me pardonner, cria-t-il. Heu… Pardonnez-moi, madame ! traduisit-il en français.
Il évita un rocher en le détournant de sa trajectoire à l'aide de son bâton de ski et s'arracha de justesse au champ gravitationnel qui le conduisait en direction d'un léger fossé, sans pouvoir retenir un cri d'effroi. Crowley était là, tout sourire et à portée de main. Aziraphale rassembla les dernières miettes de son courage et quelques molécules de dignité et croisa ses skis avec pour objectif de s'arrêter devant le démon. Le sol était bosselé. Attention aux trous !
L'ange croisa trop ses skis. Ils se chevauchèrent. Déséquilibré, il chuta, glissant les derniers mètres sur le flanc, où il fut arrêté des deux mains par un Crowley navré. A travers ses couches de vêtements, la neige était glaciale contre la peau de sa corporation angélique.
Comment peut-on trouver le moindre plaisir à glisser de la sorte ? songea-t-il, les joues rougies. Il apparaît impossible de parvenir à appréhender les bases en une simple semaine de vacances, non ? C'est incroyable. Il… Il faut être né dans une montagne pour y parvenir ! Ou naître avec des skis aux pieds ? Ou bien est-ce moi qui suis tout simplement inadapté à la pratique de cette activité sportive ?
Il fut redressé prestement et assis dans la neige pour pouvoir reprendre ses esprits, lorsque le démon s'accroupissait patiemment devant lui.
- Honnêtement, l'ange, s'il n'y avait pas eu ce trou, tu étais bien. C'est ce trou t'a fait perdre ta concentration.
N'entendant pas de réponse, Crowley se pencha vers lui. Les yeux bleus venaient de s'écarquiller, incrédules.
- Aziraphale ? Ça va ?
Le libraire releva sa tête aux joues rougies.
- Tu slalomes divinement bien.
Après un instant de légère stupeur, Crowley répondit :
- Merci de ce pléonasme mais je préfère dire « d'une perfection toute diabolique », si ça ne te fait rien.
- Tu slalomes bien, Crowley, c'est un fait. Je t'ai bien observé. Tu sais d'instinct comment bien placer tout ton corps, la position de tes jambes, et comment rester stable.
- C'est vrai.
- Est-ce… Est-ce que c'est parce que tu es un serpent ?
Crowley commença par écarquiller les yeux à son tour, bientôt remplacé par l'apparition d'un immense sourire.
- Eh ben… Je dois dire que tu as compris drôlement vite. Effectivement. Ramper sur le ventre donne un bon entraînement au naturel pour quand on veut glisser sur le sol.
- Oh. Je vois…
Contre toute attente, Aziraphale prit un air abattu.
- Eh bien… Je suppose que jamais je ne rattraperai ton niveau, n'est-ce pas ?
- Ooof…. Ça ne te ressemble pas de vouloir entrer en compétition avec quelqu'un.
- Ce n'est pas cela, Crowley… C'est juste que… J'espérais que nous pourrions skier tous les deux sans que tu aies l'impression de traîner à ta suite un débutant.
- Tu ES un débutant.
- Et je l'entends bien, mais…
- Tu ne devrais pas trop te prendre la tête pour ça, ange. Tu skies déjà mieux que le gars derrière toi (Il considéra un moment le petit homme moustachu qui dévalait la pente en roulé-boulé) et honnêtement, si j'avais voulu skier aujourd'hui pour être performant, j'aurais attendu encore quelques jours avant de te proposer cette randonnée.
Il tendit la main à Aziraphale avec un sourire. Passer du temps ensemble. Rire. Resserrer leurs liens. C'étaient, aux yeux du démon, les choses les plus importantes. Ils échangèrent un long regard et le sourire contamina bientôt le serviteur de Dieu, plus timidement. Il fut relevé prestement et atterrit contre le démon. Ils restèrent un moment dans cette position avant que l'ange ne demande :
- Comment est ton pull ?
- Heu… Noir avec des torsades, et très épais.
- Crowley…
- Il est chaud, mon ange. Je n'ai pas froid, ne t'en fais pas. Allez, on repart ? Je dois toujours te payer un chocolat chaud près du lac…
Et Crowley n'avait pas menti. L'endroit où il avait choisi de les mener était d'une beauté à couper le souffle. Le bleu du ciel contrastait d'une merveilleuse manière avec le blanc de la neige environnant. Une ligne de conifères couverte de poudreuse présente dans le fond de la zone encerclait les vacanciers, les empêchant d'aller trop loin et de s'aventurer en-dehors des pistes. Comme le démon l'avait promis, les passants étaient rares et garantis sans enfants en bas âge pour gêner. Cette zone n'était pas réservée aux débutants. Il fallait être un skieur d'un bon niveau pour la visiter entièrement. Aziraphale était loin d'avoir atteint ce niveau, mais ils n'avaient de toute manière pas prévu de faire de trop dangereuses glissades en skis. Rien que pour admirer le point de vue, songea l'ange en s'arrêtant maladroitement, la traversée en télécabine et les quelques kilomètres de glisse valaient le détour. C'était absolument splendide. Le petit lac dont Crowley avait parlé était magnifique. Le soleil, à cette heure de la journée, illuminait la surface de l'eau. Si elle n'était pas totalement gelée, elle l'était assez néanmoins pour que quelques touristes ne tentent de casser la croûte de glace à coups de chaussures. C'était beaucoup trop tentant. Ignorant ostensiblement le geste de son voisin angélique, le Serpent ne put s'empêcher de rendre la chaussure de ski mystérieusement poreuse, transformant bientôt le rire en glapissement glacé – et en rires divers provenant des amis de l'adolescent concerné.
Hé hé heh. Grâce à lui, quelqu'un ici allait passer une journée mémorable. Il tourna la tête vers Aziraphale avec l'air simplement satisfait du soldat qui a accompli son devoir.
- J'ose espérer que tu viens ici d'utiliser ton unique petit miracle frivole, mon très cher ?
- Frivole ? Absolument pas, mon ange. Là, c'était pour le travail.
Le bonnet blanc le considéra, sourcils froncés.
- Je ne te reconnais pas, Crowley. Tu m'as toujours dit que tu réservais tes coups machiavéliques à l'échelle d'une population. Te voir ainsi t'acharner sur des cibles isolées m'étonne de toi.
- T'en fais pas. J'ai des idées qui fourmillent. Mais entre deux coups de maître, j'aime bien me détendre un peu. Eh, je ne fais que mon devoir, ajouta-t-il devant l'air dubitatif de son ami.
- Très bien. Mais sache, mon cher Crowley, que si tu dépasses les bornes, je devrai sévir.
Aziraphale avait ajouté cela en se penchant vers le démon d'un air réprobateur. Avant que Crowley n'ait eu le temps de s'interroger sur cette déclaration et tout ce qu'elle pouvait inclure, son ennemi mortel avait tourné les talons et avait glissé en direction de la petite cahutte.
Si je devais citer un chapitre dont la rédaction me satisfait moins que les autres, ce serait celui-ci. Et je souhaite qu'il vous plaise tout de même.
Merci à ma chère H.R.-R.L d'avoir signalé une faute d'orthographe, palliant ainsi à mon étourderie. Quand j'vous dis que ce chapitre, je l'aime pas trop...
